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LE COMITÉ POUR LA PROTECTION DES DROITS DES TRAVAILLEURS MIGRANTS EXAMINE LE RAPPORT DE LA GUINÉE

Compte rendu de séance

Le Comité pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille a examiné, hier après-midi et ce matin, le rapport présenté par la Guinée sur la mise en œuvre des dispositions de la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille.

Le rapport a été présenté par le Ministre guinéen des droits de l'homme et des libertés civiles, M. Khalifa Gassama Diaby, qui a mis en avant la complexité de la migration et les réalités structurelles et conjoncturelles difficiles de son pays, engagé dans un processus de transition démocratique et secoué par la crise de l'épidémie de l'Ebola. Selon le Ministre guinéen, la Convention constitue «un véritable outil d'inspiration et d'orientation» dans le cadre de la définition de politiques publiques en matière de gestion des flux migratoires et de la protection des droits des migrants et des membres de leur famille. Il a souligné la situation particulière de ses compatriotes, «souvent en détresse à l'étranger et vivant parfois en situation de vulnérabilité et de désespoir», de même que le fait que la Guinée était un pays à la fois d'origine, de transit et de destination de la migration. La Guinée prépare un document de politique nationale de la migration prenant en compte toute une série de stratégies de référence susceptibles d'assurer une gestion efficace et efficiente des flux migratoires et de la diaspora. En outre, la Guinée a contracté des accords de coopération avec les États de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), de même qu'avec le Maroc, l'Algérie, Cuba et la Suisse. La Guinée s'est aussi dotée d'un ministère en charge des Guinéens de l'étranger, d'un ministère des droits de l'homme et des libertés civiles, d'un médiateur de la République et d'une institution nationale des droits de l'homme. M. Diaby a aussi mis l'accent sur plusieurs initiatives en cours, en particulier la mise en œuvre du programme MIDA (Migrations pour le développement en Afrique) avec le concours de l'Organisation internationale pour les migrations et le renforcement des mesures d'accompagnement du retour volontaire et la facilitation du rapatriement des Guinéens en situation de détresse à l'étranger.

Outre le Ministre, la délégation guinéenne était notamment composée du chargé d'affaires de la Mission permanente de la Guinée auprès de l'Office des Nations Unies à Genève, M. Aboubacar Cissé, du Président de la Commission nationale pour l'intégration et le suivi des réfugiés, M. Fodé Keïta; de la Conseillère chargée de mission du Ministère des droits de l'homme et des libertés publiques, Mme Hafsatou Diallo. La délégation a fourni des renseignements complémentaires concernant notamment les conditions d'entrée et de séjour des étrangers; les mesures de lutte contre la discrimination; la formation des agents aux frontières; les garanties d'une procédure régulière pour les migrants ainsi que les voies de recours; le retour et la réinsertion des Guinéens de l'étranger ou leur rapatriement en cas de détresse; la traite des personnes; l'afflux massif de réfugiés de Sierra Leone, de la Côte d'Ivoire et du Mali en particulier.

Les deux rapporteurs chargés de l'examen du rapport de la Guinée, Mme Khedidja Ladjel et M. Ahmadou Tall, ont fait des observations et posé des questions à la délégation. Concluant l'examen, la rapporteuse a relevé la volonté manifeste d'apporter le changement escompté dans un pays en mutation, tout en déclarant qu'il était difficile d'accepter la note d'impuissance exprimée par le Chef de la délégation. Selon elle, les solutions pourraient d'abord découler de la nécessité de se doter d'une politique migratoire réelle à même de régir les relations et les interactions dans ce domaine de manière à donner à chaque acteur la possibilité de s'exprimer par son travail selon ses potentialités et dans un cadre organisé. Le rapporteur a jugé pour sa part que les difficultés de la Guinée n'étaient pas inhérentes à la migration mais bien aux défis de la mutation politique.

Le Comité adoptera, dans le cadre de séances privées, des observations finales sur le rapport de la Guinée, qui seront rendues publiques à la fin de la session, le mercredi 9 septembre.


Cet après-midi, à 15 heures, le Comité entamera l'examen du rapport initial des Seychelles (CMW/C/SYC/1).


Présentation du rapport de la Guinée

M. KHALIFA GASSAMA DIABY, Ministre des droits de l'homme et des libertés civiles de la Guinée, présentant le rapport de la Guinée (CMW/C/GIN/1), a affirmé l'engagement de son pays à poursuivre sa coopération avec les organes des traités dans leurs efforts pour combler les retards accusés dans la soumission des rapports. Il a en outre transmis à toutes les institutions qui œuvrent pour la protection de tous les migrants la profonde gratitude du peuple et du Gouvernement de la Guinée pour l'appui constant et l'assistance qu'elles ne cessent d'apporter aux migrants ainsi qu'à ses compatriotes souvent en détresse à l'étranger et vivant parfois en situation de vulnérabilité et de désespoir.

Le Ministre guinéen des droits de l'homme et des libertés civiles a ensuite rappelé que les migrations régulières représentent un facteur puissant d'enrichissement mutuel et de rapprochement des États du monde. À cet égard, il a renvoyé aux différents accords de coopération en matière de migration signés par son gouvernement avec les États de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), du Maroc, de l'Algérie, de Cuba ainsi qu'avec la Suisse sur la gestion migratoire. M. Diaby a aussi souligné que les migrations irrégulières créent un cercle vicieux de trafic de personnes, de traite des êtres humains et autres problèmes devant être combattus de façon efficace, dans le plein respect des droits et de la dignité humaine des migrants.

Grâce au concours de ses partenaires, la Guinée entend se doter d'un document de politique nationale de la migration qui prenne en compte toute une série de stratégies de référence susceptibles d'assurer une gestion efficace et efficiente des flux migratoires et de la diaspora.

La préparation du rapport initial de la Guinée, qui a ratifié la Convention en 2000, a obéi à un processus participatif et consultatif dans le cadre d'une concertation étroite entre les départements ministériels et les institutions nationales concernés par la question de la migration, a précisé le ministre. M. Diaby a également réaffirmé l'engagement, de façon irréversible, à œuvrer à la consolidation des droits de l'homme et, dans cette optique, la Guinée a ratifié la plupart des conventions internationales dans le domaine des droits de l'homme ainsi que celles se rapportant aux droits des réfugiés. Le pays a également ratifié 58 conventions de l'Organisation internationale du travail (OIT), dont 50 sont en vigueur, qui s'appliquent aussi bien aux nationaux qu'aux travailleurs étrangers.

M. Diaby a déclaré par ailleurs que la Convention internationale pour la protection de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille constitue pour la Guinée un véritable outil d'inspiration et d'orientation dans le cadre de la définition de politiques publiques en matière de gestion des flux migratoires et de la protection des droits des migrants et des membres de leur famille. Le chef de la délégation a toutefois admis que les questions de migration n'ont pas fait l'objet de nombreuses études en Guinée.

Tant la Constitution de mai 2010 que le code du travail de janvier 2014 consacrent le principe de la non-discrimination dans la sphère de l'emploi. D'autre part, le projet de code pénal révisé réprime toute forme de discrimination dans divers domaines de la vie, commise par les personnes physiques ou morales. D'un autre côté, la loi du 13 juin 1994 fixe les conditions d'entrée et de séjour des étrangers. Cette loi accorde la possibilité à tous les étrangers, sans discrimination aucune, remplissant les conditions requises par le département de la sécurité d'entrer, de s'établir, de circuler librement sur toute l'étendue du territoire national. Des pénalités sont aussi prévues par cette loi en ses articles 73 à 76 à l'encontre de tout étranger contrevenant; et plusieurs voies de recours sont ouvertes aux travailleurs migrants et aux membres de leur famille. En plus de l'harmonisation de sa législation aux dispositions de la Convention, M. Diaby a attiré l'attention sur certaines mesures institutionnelles pour la mise en œuvre de cet instrument, notamment la création du Ministère en charge des Guinéens de l'étranger, du Ministère des droits de l'homme et des libertés civiles, du Médiateur de la République et de l'Institution nationale des droits de l'homme. Sous l'égide du Ministère dirigé par M. Diaby, un Comité interministériel a été chargé de la rédaction de l'ensemble des rapports adressés aux organes conventionnels et au Conseil des droits de l'homme, ainsi que du suivi de la mise en œuvre des recommandations issues de l'Examen périodique universel.

En dépit de ces efforts, les défis restent nombreux et immenses, a reconnu le chef de la délégation guinéenne, dont le Gouvernement a sollicité l'appui des institutions et organisations internationales compétentes pour l'aider dans l'élaboration du document de politique nationale de la migration, le recensement des Guinéens de l'étranger par catégorie socioprofessionnelle, la mise en place d'un système incitatif pour le transfert des fonds de la diaspora dans les secteurs porteurs de croissance, la mise en œuvre du programme MIDA (Migrations pour le développement en Afrique lancé par l'Organisation internationale pour les migrations) pour faire intervenir temporairement les cadres qualifiés de la diaspora dans ces secteurs; le renforcement des mesures d'accompagnement du retour volontaire et la réinsertion des Guinéens vivant à l'étranger ainsi que pour les migrants vivant en Guinée et la facilitation du rapatriement des Guinéens en situation de détresse dans un pays d'accueil en crise; et le recensement de tous les étrangers. La Guinée mène aussi le combat pour la démocratie garantissant les droits de l'homme. Il a cité comme défi majeur la complexité de la problématique des migrations au regard de la fragilité des institutions publiques, de l'ambiguïté des jeux politiques et des résistances socioculturelles.

Examen du rapport

Questions et observations des membres du Comité

MME KHEDIDJA LADJEL, rapporteuse du Comité pour l'examen du rapport de la Guinée, a constaté que les résultats du recensement de 2014 en Guinée n'avaient pas encore été validés par le Gouvernement, au risque de réduire l'utilité des données et statistiques recueillies. Elle a demandé, par ailleurs, si les organisations non gouvernementales avaient pris part aux consultations lors de la préparation du rapport. Elle a aussi posé des questions sur la formation des agents d'immigration de première ligne de gestion des frontières, soutenue par l'Organisation internationales des migrations (OIM), chargés de la problématique du trafic des personnes et de la lutte contre la migration irrégulière.

La rapporteuse a en outre relevé qu'aucun effort de promotion de la Convention n'était déployé et qu'elle était mal connue. Le pays n'a pas non plus adopté une véritable politique migratoire malgré le recours à certaines initiatives d'encouragement. Mme Ladjel a noté par ailleurs que le Médiateur de la République n'a été investi de ses pouvoirs que 4 ans après la création de ce mandat.

S'agissant de l'encouragement au retour, la rapporteuse a demandé si des mesures incitatives avaient été prises ciblant les jeunes de la diaspora pour les encourager à retourner au pays. Mme Ladjel a également jugé capitale la formation des journalistes en matière de migration et donc de promotion de la Convention.

Mme Ladjel a en outre voulu savoir si les travailleurs migrants bénéficiaient d'une assistance juridictionnelle et de services d'interprétariat pour une meilleure compréhension des accusations portées contre eux ou pour un plus grand accès aux droits que leur confère la Convention. Elle a souhaité que la séparation des genres en situation de détention soit davantage précisée.

La rapporteuse a également posé des questions sur le programme de vaccination pour les enfants de travailleurs migrants au même titre que les nationaux, sur l'inscription à l'état civil, sur la campagne d'information relative aux dangers de la migration irrégulière, ainsi que sur la traite des personnes.

M. AHMADOU TALL, également rapporteur du Comité pour l'examen du rapport de la Guinée, s'est réjoui de la création du Ministère des droits de l'homme et des libertés civiles et s'est enquis du budget dont il dispose. Il a voulu s'assurer que les réformes et l'harmonisation de la législation en cours en Guinée visaient à une mise à niveau avec les dispositions de la Convention. Il a aussi voulu savoir si le Gouvernement allait mener une étude sur la migration, notamment s'agissant des Guinéens à l'étranger.

Évoquant les troubles politiques dans les pays d'accueil, M. Tall a voulu connaître l'impact du retour massif tant des migrants Guinéens que des réfugiés étrangers fuyant les difficultés dans leur pays d'origine. Il a aussi demandé à la délégation d'apporter des informations sur les voies de recours prévus et leur incompatibilité avec une loi sur l'expulsion des étrangers dans un délai de 15 jours. Il s'est ensuite enquis des conclusions du Forum de l'emploi organisé en novembre 2012 à Paris avec pour objectif majeur le recrutement de Guinéens à fort potentiel à l'international en vue de favoriser leur retour en Guinée.

Le rapporteur a en outre invité l'État partie à dire concrètement les actions réalisées suite aux recommandations du Comité contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants, et de fournir au Comité des informations sur des cas concrets de torture ou toute autre forme de violence dont ont été victimes des travailleurs migrants. Il a enfin voulu savoir quelles étaient les politiques en place pour protéger la population et les travailleurs migrants contre la torture et les abus de la part des forces de l'ordre et de sécurité, militaires et gardes-frontières.

Parmi les autres membres du Comité, un expert s'est félicité que la Convention serve d'inspiration et d'orientation aux politiques du Gouvernement et s'est enquis de son application concrète. Il a voulu obtenir des précisions sur les dispositions du code du travail et du code pénal qui concernent les questions de migration. Les Guinéens de l'étranger sont-ils informés des dispositions visant à leur faciliter la création d'entreprises dans leur pays d'origine et quelles sont les facilités dont ils peuvent jouir. L'expert a également demandé davantage de détails sur le programme MIDA (Migrations pour le développement en Afrique) cité par le chef de la délégation. L'appui aux Guinéens en détresse à l'étranger ainsi que la nécessité de mettre en place un programme minimal de protection sociale ont aussi été abordés par l'expert. Il s'est enquis, d'autre part, des mesures prises pour le contrôle du processus migratoire, s'agissant en particulier des agences de recrutement légales et illégales. Il a enfin voulu savoir ce qu'il en est des enfants migrants non accompagnés et de la question des talibés.

Une experte a salué pour sa part la création du Ministère délégué en charge des Guinéens de l'étranger et demandé s'il y avait aussi une institution chargée de la coordination des questions migratoires. Elle a encore demandé si les migrants issus de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) étaient informés de leurs droits et de leurs obligations et en quoi consistait le guichet unique aux frontières. Elle a aussi voulu savoir si les conventions entre la Guinée et d'autres pays prenaient en considération la jouissance d'une pension de retraite des Guinéens qui rentrent au pays.

Un autre membre du Comité a demandé des précisions sur la loi relative à l'entrée des étrangers en Guinée. Il s'est demandé s'il existait des accords de coopération avec des pays comme l'Angola et des pays européens où vivent de nombreux Guinéens.

Un expert a considéré pour sa part que la Guinée avait fait des efforts en matière des droits de l'homme en général et de ceux des travailleurs migrants en particulier. Il a noté que le rapport montrait bien que la Guinée tentait de s'aligner sur le dispositif de la Convention mais s'est interrogé sur la place qu'occupe un instrument ratifié par le pays dans la hiérarchie législative du pays.

Un autre expert a posé des questions sur l'applicabilité de l'accord signé en 2006 avec l'Espagne, notamment sur la question de savoir si les autorités espagnoles avaient le droit de circuler dans les eaux territoriales guinéennes et si l'accord avait favorisé une diminution de la migration irrégulière. Il a ensuite demandé si des mesures spécifiques avaient été prises en faveur des enfants non accompagnés, notamment des enfants originaires de la région qui transitent par le Maroc. Existe-t-il un système pour veiller à leur protection, à leur retour et à leur réinsertion? Le code pénal prévoit deux ans de prison pour l'entrée et le séjour irrégulier, et cinq ans de prison après avoir dépassé le délai de résidence, a remarqué l'expert, qui a sollicité des précisions à ce propos.

Un membre du Comité a décrit des situations dramatiques vécues par des jeunes qui quittent tout pour tenter d'améliorer leur niveau de vie ailleurs. Ils finissent souvent par disparaître en mer ou ailleurs, sans aucun moyen pour leur famille de s'informer sur leur sort. Elle s'est interrogée sur les mesures en place en vue de l'identification des restes de jeunes candidats à la migration morts pendant leur périple.

Quelle est la politique consulaire guinéenne dans les cas de détention de nationaux à l'étranger, a voulu savoir un autre expert.

Un membre du Comité s'est intéressé aux statistiques sur le flux migratoire en partance et à destination de la Guinée, au salaire moyen et aux opportunités d'emploi dans ce pays et à celles offertes aux Guinéens dans d'autres pays. Il a invité la délégation à illustrer ses réponses d'exemples concrets et chiffrés.

Un autre expert a souligné que la question des migrations constituerait sans nul doute un enjeu dans le cadre des prochaines élections et a voulu savoir si la transition vers la démocratie avait engendré des problèmes et s'il y avait eu un changement de politique en matière de migration. Il a relevé que le chef de la délégation avait évoqué une «transition en douceur» et a souhaité savoir si la migration avait connu le même type de transition, notamment avec la crise du virus Ebola, qui a fortement touché le pays. Cette crise a-t-elle eu une forte influence sur la politique migratoire et comment l'épidémie a-t-elle été gérée aux frontières?

Les travailleurs migrants bénéficient-ils d'allocations familiales, y compris dans les cas où leurs enfants ne se trouvent pas avec eux en Guinée, a voulu savoir une experte. Elle s'est aussi intéressée au rapport entre le droit d'exercer une activité et le permis de séjour, de même qu'aux mesures de substitution et centres d'accueil des personnes victimes de violence et de maltraitance.

Un expert a salué la franchise et la volonté de rupture avec le passé exprimée par la délégation, qui n'a pas tenté d'occulter les difficultés d'un pays en pleine reconstruction. Il aussi voulu connaître le budget et les effectifs du Ministère des droits de l'homme et des libertés publiques de la Guinée. Il a ensuite mis l'accent sur l'incompatibilité avec la Convention de la loi de reconduite aux frontières dans un délai de 15 jours après le dépassement du droit de séjour.

L'Union européenne finance un projet de réforme de la justice et de formation des magistrats, a noté l'expert, qui a demandé s'il était envisagé, dans ce cadre, de former les forces de sécurité, notamment aux frontières, sur les droits des migrants. Il a aussi insisté sur l'importance des difficultés d'accès aux services consulaires guinéens qui incitent les Guinéens à l'étranger de solliciter des papiers du pays d'accueil. L'expert s'est enquis, d'autre part, des succès et des difficultés rencontrées par les Guinéens à l'étranger pour participer à la vie politique nationale.

Un autre membre du Comité a remarqué que des Guinéens avaient été rapatriés de la République centrafricaine et de la Libye, et s'est interrogé sur le nombre de personnes concernées et sur leur situation. Il a également requis des informations sur le nombre de cas portés devant les tribunaux par des travailleurs migrants.

Réponses de la délégation

Faisant valoir la complexité des questions liées à la migration, raison pour laquelle les Gouvernements précédents avaient opté pour une politique de «la chaise vide», la délégation a insisté sur la nécessité de reconnaître les réalités structurelles et conjoncturelles des pays pour lesquels on discute des droits de l'homme. Il a souligné que les obligations de l'État sont évidentes mais que les réalités s'imposent pour des raisons économiques, financières et d'ordre démocratique. Il faut se rendre compte du défi des enjeux d'un pays comme la Guinée, que le Gouvernement est néanmoins déterminé à relever. La question des statistiques est un exemple concret des difficultés rencontrées: les États jeunes n'ont pas toujours la capacité institutionnelle de contrôler leur territoire. D'autre part, la Guinée est entourée de plusieurs pays et les différents membres d'une même famille peuvent appartenir à différents pays, comme l'illustre le fait qu'à la frontière commune avec la Sierra Leone, une maison a sa porte d'entrée dans un pays et ses fenêtres dans l'autre. La présence de la délégation devant le Comité s'inscrit dans la décision politique de la Guinée de ne plus fuir ses obligations internationales, a déclaré le Ministre des droits de l'homme et des libertés publiques. Il a aussi rappelé que les organisations non gouvernementales et la société civile ont été consultées pour l'élaboration du rapport, ajoutant toutefois que, pour les ONG, la question de la migration n'est pas prioritaire tant il y a d'autres enjeux nationaux.

La crise d'Ebola a donné lieu à des moments très difficiles pour les Guinéens à l'étranger, notamment au Sénégal, preuve de la complexité transversale de la migration. Le Ministre a aussi reconnu que la situation des migrants étrangers en Guinée était pénible, d'autant que certains États d'origine ne sont pas forcément enclins à la coopération. Personne n'aime quitter chez soi, a-t-il souligné, ajoutant qu'il faut jeter les bases d'un environnement sociopolitique harmonieux pour «qu'on ne se sente réellement jamais mieux que chez soi». La Guinée reste un pays exceptionnel dans la région; il n'a pas une politique xénophobe. La migration irrégulière n'est pas un crime et il importe de la régler de la façon la plus humaine possible. Le pays a en outre subi une très grave épidémie d'Ebola mais depuis un certain temps déjà aucun cas n'a été détecté. Il faut regretter une période difficile pour les Guinéens dans les pays limitrophes alors qu'un certain nombre de migrants étrangers vivant en Guinée ont décidé de rester se battre contre cette maladie aux côtés du peuple guinéen. Il n'existe par ailleurs aucune discrimination à l'endroit des enfants migrants en matière d'accès à l'éducation et, en coopération avec l'UNICEF, une politique d'enregistrement des naissances assez forte a été mise en place. La campagne se poursuit pour venir à bout des résistances culturelles à ce sujet.

La sécurité sociale n'existe pas pour les nationaux et il s'agit d'une faille nationale et non discriminatoire vis-à-vis des étrangers. Un certain nombre d'organismes spécialisés coopèrent actuellement sur cette question en vue d'une généralisation de la protection sociale.

Le Ministère des droits de l'homme a été créé en octobre 2012, une véritable première en Guinée. C'est la reconnaissance des autorités publiques de l'enjeu des droits de l'homme et de l'obligation de le traiter sous tous ses aspects, y compris financiers, compte tenu des moyens colossaux nécessaires pour la mise en œuvre. Pour ce faire, l'État doit produire des richesses pour répondre aux impératifs de sa population. Pour la première fois, le Chef de l'État a décidé d'introduire une structure qui assume effectivement ses obligations. Loin d'être une façade, le Ministère jouit d'une certaine liberté qui consiste à rappeler à l'État ses devoirs et obligations, notamment concernant les victimes et les auteurs des abus.

La volonté politique de rupture avec le passé est claire mais il faut avoir de la ténacité pour faire face à «des réalités culturelles et sociales têtues», a par la suite déclaré la délégation, qui a mis l'accent sur la mentalité sociale «plus forte que la culture d'État» et sur le contexte fragile de la mutation démocratique. La création du Ministère des droits de l'homme a été accueillie avec un grand d'espoir par les Guinéens, les jeunes en particulier. Or, la réalité financière sur le terrain ne correspond pas aux enjeux. La délégation a espéré qu'après l'échéance électorale, le Ministère bénéficiera des moyens nécessaires pour s'acquitter de son mandat. L'enseignement des droits de l'homme en milieu scolaire est prévu, tandis que la formation à ces droits sera incluse au niveau des collectivités locales, du système judiciaire et de la police.

La lutte contre l'impunité constitue un pilier essentiel de la démocratie. La délégation a en outre mis l'accent sur le travail de sensibilisation sur le terrain en matière de promotion et de protection des droits de l'homme.

La délégation a précisé qu'une loi ordinaire avait un rang inférieur à la Convention. Elle a aussi souligné que la question de la migration ne saurait être résolue par un État seul. Il faut que chaque nation assume sa responsabilité dans ce débat car on voit à quel point même les grands pays se trouvent dos au mur et dans l'incapacité de gérer «ni ceux qui rentrent ni ceux qui sortent». La délégation a par la suite souligné que le système juridique guinéen intégrait automatiquement les dispositions internationales des traités auxquels la Guinée a souscrit.

La délégation a ajouté que les dispositions relatives à la reconduite des migrants à la frontière n'était pas réellement appliquée. Elle a par la suite reconnu que la loi sur la reconduite aux frontières devait effectivement être conforme à l'esprit de la Convention, a ensuite admis la délégation, assurant qu'elle sera modifiée. La délégation a aussi fait état de problèmes importants en ce qui concerne les travailleurs migrants dans les mines d'or, une question qui sera traitée après l'échéance électorale.

Pour des raisons de conjoncture politique, le recensement est intervenu à une période où il y a eu des problèmes avec le fichier électoral, qui a fait l'objet d'une polémique, a déclaré la délégation. Néanmoins, le Gouvernement prendra les mesures appropriées quant aux résultats finaux du recensement.

Soixante-trois agents de l'immigration ont reçu une formation aux postes frontaliers et une mise à jour des connaissances migratoires est en cours, mais il demeure extrêmement difficile pour un pays comme la Guinée d'effectuer un contrôle sans failles des frontières terrestres, alors que les résultats sont nettement meilleurs pour le contrôle aux aéroports. L'enjeu est important mais le pays passe des accords de coopération avec les partenaires régionaux et internationaux.

Le Médiateur a été nommé en 2011 mais l'investiture n'est intervenue que quelques années plus tard. Il s'agit aujourd'hui d'une institution essentielle qui permet d'offrir des voies de recours aux citoyens. La délégation a expliqué ce retard par des raisons conjoncturelles, avec des crises ponctuelles et parfois des violences.

Le Ministère des Guinéens à l'étranger n'a pas encore de structure spécifique car le Gouvernement tente de centraliser les questions migratoires. Néanmoins, le projet est en cours de discussion et l'année 2016 connaîtra sans doute la mise en place du Conseil des Guinéens de l'étranger.

Quant au retour au pays d'émigrés Guinéens, il comporte des volets divers, notamment psychologique et social car les personnes qui ont subi un échec ont parfois un sentiment d'humiliation et cachent souvent leur situation. Des projets d'accompagnement des jeunes pour éviter qu'ils tentent à nouveau l'aventure douloureuse de la migration irrégulière sont en préparation aux fins d'encourager leur créativité et réinsertion. Les représentations diplomatiques dans certains pays encouragent à l'enregistrement mais n'obtiennent pas toujours des résultats positifs. Il faut que l'État et ses partenaires mettent les bouchées doubles pour les programmes de prévention, a déclaré la délégation. Le programme de retour volontaire et de réintégration est financé par la Suisse. Un projet de microentreprises de groupes féminins et de jeunes est également mis en œuvre avec les partenaires étrangers. La délégation a par la suite souligné que l'échec relatif des politiques de retour volontaire s'expliquait par la difficulté qu'il y a à identifier les Guinéens clandestins à l'étranger; elle a indiqué qu'il fallait probablement réduire le dispositif répressif pour encourager au retour. Les personnes âgées qui retournent au pays sont un peu esseulées et doivent bénéficier de projets d'insertion culturelle et sociale. La délégation en a appelé au partenariat régional et international à cet effet.

La délégation a souligné par ailleurs que les services consulaires sont très impliqués dans la protection des travailleurs réguliers dans les pays voisins mais que, dans la sous-région, certaines personnes se trouvant dans un pays donné étaient porteurs de documents qui n'appartiennent pas à leur pays d'origine. Le travail des consulats est rendu difficile par le manque de moyens financiers et humains ainsi que par le fait que les migrants ne se présentent pas toujours spontanément aux services consulaires en raison de leur statut migratoire irrégulier.

Les travailleurs migrants en Guinée bénéficient également des voies de recours et de services d'interprétation.

La délégation a également assuré qu'il n'y avait aucune distinction dans la politique de vaccination infantile entre enfants guinéens et étrangers.

La Guinée a pris des dispositions contre la traite des personnes et des sanctions sont prévues à l'encontre des auteurs, mais il est très difficile d'estimer l'ampleur du phénomène en raison du fort flux migratoire. La sanction fait aussi partie du dispositif éducatif en matière de droits de l'homme et dans le cadre général de la sensibilisation à la migration. Dans ce contexte, il importe de renforcer la coopération interrégionale pour faciliter les poursuites contre les auteurs de la traite des personnes. La délégation a souligné l'incapacité de l'État et de la société à anticiper l'évolution de la migration, d'où la difficulté qu'il y a eu de préparer des projets et des textes législatifs.

Suite aux troubles politiques qu'ont connu la Sierra Leone, le Liberia, la Côte d'Ivoire, et plus récemment du Mali, un nombre massif de réfugiés a été accueilli sur la base de la tradition hospitalière de la Guinée, ce qui a également eu un impact environnemental, autant de questions qu'il a fallu gérer en plus de la pauvreté, du chômage, de la violence, de la criminalité et du banditisme, a encore expliqué la délégation.

Pour la première fois depuis 25 ans, la Guinée s'est présentée devant le Comité de la torture, pour rompre avec la politique antérieure. Une évaluation de la situation de toutes les prisons a été menée et il s'est avéré que certaines pratiques d'actes de torture persistent, d'où la formation des agents chargés des personnes se trouvant dans des lieux de privation de liberté. La justice guinéenne a commencé à sanctionner très sévèrement ces pratiques, ce qui a eu un impact très fort sur les agents. Le code pénal a intégré la définition de la torture prévue par a Convention et il a été également décidé d'alourdir les sanctions. La dénonciation et la sensibilisation du public est en passe de créer une nouvelle mentalité.

La délégation a également indiqué que la problématique des travailleurs domestiques n'était pas une question spécifiquement migratoire mais relevait davantage de l'exode rural et se passait souvent dans un contexte intrafamilial, difficile à déchiffrer. À l'instar de la violence familiale, la dénonciation de l'abus des travailleurs domestiques est une question délicate.

La délégation a indiqué que la Guinée «accentuait le débat sur la vulgarisation des aspects tant positifs que négatifs de la migration», qui a toujours fait partie de l'évolution des civilisations.

Il n'existe pas de dispositifs spécifiques de gestion des transferts de fonds ni du patrimoine des Guinéens de l'étranger et des travailleurs migrants en Guinée. L'État doit mettre en place des instruments favorisant cet aspect de la dynamique du développement.

Dans le cadre de la sous-région, la Guinée est concernée par les mineurs non accompagnés, notamment les talibés ou enfants qui vont dans d'autres pays pour étudier dans des écoles coraniques.

En réponse à d'autres questions, la délégation a reconnu que la corruption était une problématique réelle mais assuré que le Gouvernement poursuivait sa lutte contre un phénomène ancré dans la pratique, en particulier dans le cadre de la réforme de la justice. Le Gouvernement a ainsi veillé à une augmentation substantielle des émoluments du personnel judiciaire et de la police.

La délégation a ajouté que la persistance de certaines pratiques s'explique par l'incapacité de l'État, faute de moyens, de réagir promptement aux violences faites aux femmes, aux enfants et aux travailleurs domestiques qui ne disposent pas de mesures de substitution comme des foyers ou centres d'accueil. L'État doit d'abord garantir sa propre stabilité et fonctionnalité car l'héritage institutionnel est très lourd, a conclu la délégation.

Conclusions

M. DIABY s'est engagé à fidèlement transmettre au Gouvernement les inquiétudes, commentaires et encouragements du Comité. Le Ministre guinéen des droits de l'homme et des libertés civiles a affirmé que les droits de l'homme étaient au cœur de la démarche politique guinéenne.

MME KHEDIDJA LADJEL a relevé la volonté manifeste d'apporter le changement escompté dans un pays en mutation, une République qui recèle les potentialités d'un leader au niveau de la sous-région. Elle a dit qu'il était difficile d'accepter la note d'impuissance exprimée par le Chef de la délégation. La rapporteuse a ensuite déclaré que les solutions pourraient d'abord découler de la nécessité de se doter d'une politique migratoire réelle à même de régir les relations et les interactions y relatives de manière à donner à chaque acteur la possibilité de s'exprimer par son travail selon ses potentialités et dans un cadre organisé. Une telle politique devra être soutenue par une forte mobilisation en faveur de la prévention, de la sensibilisation, de l'accompagnement et du renforcement des capacités. L'action devra aussi porter sur l'harmonisation de la législation nationale avec la Convention et une poursuite de l'effort engagé de sorte à répondre aux attentes de protection des personnes lésées. Elle a aussi fait part de sa conviction que les solutions viendront progressivement de la région, voire de la sous-région par la concertation, l'échange, l'harmonisation des législations nationales et la mutualisation des efforts, des moyens et des pratiques.

M. TALL a jugé que les difficultés de la Guinée ne sont pas inhérentes à la migration mais bien aux défis de la mutation politique. Le rapporteur a souligné que la Guinée était un pays hospitalier dont les nouvelles idées en termes de consolidation de la paix et de développement sont porteuses d'espoir. Le Comité encourage le renforcement du Ministère guinéen des droits de l'homme.



Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas un document officiel

CMW15/012F