Fil d'Ariane
LE CONSEIL DES DROITS DE L'HOMME TIENT UNE TABLE RONDE SUR L'ENSEIGNEMENT DE L'HISTOIRE ET LES PROCESSUS MÉMORIELS
Le Conseil des droits de l'homme a tenu ce matin une table ronde sur l'enseignement de l'histoire et les processus mémoriels. La Commissaire aux droits de l'homme de la Mauritanie s'est adressée au Conseil en fin de séance.
La table ronde, animée par Mme Farida Shaheed, Rapporteuse spéciale sur les droits culturels, comptait avec la participation de Mme Dubravka Stojanović, Professeur d'histoire à l'Université de Belgrade; de M. Sami Adwan, Professeur à l'Université d'Hébron, État de Palestine; Mme Marie Wilson, membre de la Commission pour la paix et la réconciliation du Canada; et M. Pablo de Greiff, Rapporteur spécial sur la promotion de la vérité, de la justice, de la réparation et des garanties de non-répétition.
Ouvrant les débats, Mme Flavia Pansieri, Haut-Commissaire adjointe Dans ses remarques d'introduction, Mme Pansieri a souligné que certains événements sont parfois exclus des manuels d'histoire. Elle a souligné que tous les pays sont confrontés à la manière de regarder leur histoire. Et ceci est encore plus vrai des sociétés qui ont connu des conflits, l'esclavage, la colonisation ou encore des affrontements entre groupes ou communautés. Pour Mme Pansieri, la reconnaissance de certains événements et de certaines violations des droits de l'homme dans le passé, les excuses officielles sincères, les commémorations peuvent permettre de relever des défis modernes, de provoquer des discussions, de développer le sens critique et de promouvoir l'engagement civique. L'animatrice du débat, Mme Shaheed, a ajouté qu'il est important de tenir compte des différentes versions de l'histoire et surtout de porter un point de vue critique sur les versions officielles. La Rapporteuse spéciale a appelé de ses vœux un processus permettant «de mieux connaitre l'autre».
Mme Stojanović a elle aussi souligné que chaque évènement historique pouvait être interprété de façon différente, créant des mémoires parallèles et des réalités différentes. Le défi majeur est donc de trouver des récits communs. L'objectif d'un tel défi n'est pas d'arrêter un consensus sur l'histoire, mais d'informer les uns et les autres sur la perception et le vécu qu'ils ont du même événement. Pour M. Adwan, qui a dressé le bilan de l'expérience ayant conduit à la rédaction d'un manuel d'histoire commun entre Palestiniens et Israéliens, l'enseignement de l'histoire ne peut se limiter à la salle de classe. Elle doit pouvoir se faire partout, y compris par le biais des commémorations. M. Adwan a également souhaité qu'une liberté de recherche totale soit laissée aux enseignants.
Mme Wilson a pour sa part expliqué que ce qui était arrivé aux peuples autochtones du Canada ne correspondait pas aux valeurs que ce pays défend aujourd'hui et pour lesquels il veut être reconnu. Elle a ajouté que certaines administrations du pays s'étaient engagées à rendre obligatoire l'ouvrage qu'elle a rédigé sur l'histoire du pays. Pour M. De Greiff, les États doivent faire preuve de volontarisme en matière de trace historique. Il ne s'agit cependant pas de choisir entre l'oubli et le devoir de mémoire. Les organisations de la société civile et les commissions de réconciliation doivent également participer plus activement à ces initiatives.
Au cours du débat, les délégations ont réaffirmé le rôle primordial que joue l'histoire dans la construction des sociétés démocratiques. Elles ont aussi insisté sur la nécessité de ne pas manipuler ou falsifier l'histoire pour servir des idéologies propres. Les processus mémoriels doivent aider à la réconciliation entre les peuples. Pour ce faire, les manuels scolaires doivent être factuels, objectif et contenir des éléments de compréhension des processus sociaux et politiques ayant abouti à des violations, afin que les erreurs du passé ne se reproduisent pas, en particulier dans un contexte de résurgence d'idées extrémistes.
Le débat a également mis en valeur la nécessité de tirer les leçons du passé et de tenir compte de toutes les perceptions de l'histoire, notamment de celles des peuples opprimés ou victimes. Cette prise en compte passe aussi par la construction de lieux de mémoire et de monuments. Enfin, quelques délégations ont mis en garde contre la réécriture ou la falsification de l'histoire, y compris la glorification des bourreaux ou criminels de guerre ou le négationnisme.
En fin de séance, le Conseil a entendu une déclaration de Mme Aïchetou Mint M'Haiham, Commissaire aux droits de l'homme, à l'action humanitaire et aux relations avec la société civile de la Mauritanie, qui a expliqué que depuis 2009, son pays avait ouvert une nouvelle perspective et entendait consolider des acquis déjà visibles sur le terrain, faisant une priorité de la promotion et de la défense des droits de l'homme. Le Gouvernement a adopté une feuille de route pour en finir avec toutes les séquelles de la servitude et reçu la Rapporteuse spéciale chargée de la question.
Le Conseil reprend, cet après-midi, l'examen entamé hier des rapports sur les personnes âgées et sur les formes contemporaines d'esclavage, avant de se pencher sur les rapports sur le droit à l'eau et à l'assainissement et sur les déchets dangereux.
Table ronde sur l'enseignement de l'histoire et les processus mémoriels
Déclarations liminaires
MME FLAVIA PANSIERI, Haut-Commissaire adjointe aux droits de l'homme, a jugé vital pour une communauté le sens de l'histoire partagée et a mis en garde contre l'utilisation du passé à des fins de propagande visant à créer ou perpétuer des conflits. Alors que le monde commémore le centième anniversaire du premier conflit mondial, cette transmission – la manière dont nous interprétons ou déformons le passé – est une question importante. Selon le cas, cela peut mener à des conflits sanglants ou, au contraire, aider à mieux gérer des désaccords, a souligné Mme Pansieri.
Certains événements sont exclus des manuels d'histoire; parfois, certains groupes sont représentés de manière négative voire sont ignorés; et parfois, les textes appellent à la «revanche», a poursuivi la Haut-Commissaire adjointe. Au contraire, si on laisse des groupes élaborer de manière respectueuse leur propre représentation de l'histoire, qui n'est pas la même pour tous, cela peut être positif et développer le sens d'une humanité commune, a-t-elle affirmé. Presque tous les pays sont confrontés à la manière de regarder leur histoire et ceci est encore plus vrai des sociétés qui ont connu des conflits, l'esclavage, la colonisation ou encore des affrontements entre groupes ou communautés, a fait observer Mme Pansieri. Selon elle, la reconnaissance de certains événements et de certaines violations des droits de l'homme intervenus dans le passé, les excuses officielles sincères ou encore les commémorations peuvent permettre de relever des défis modernes, de provoquer des discussions, de développer le sens critique et de promouvoir l'engagement civique. La Haut-Commissaire adjointe a cité en ce sens la colonisation, avant de rappeler – en conclusion – qu'il n'est pas toujours simple de réaliser cette reconnaissance multilatérale du passé. Les discussions de ce matin devraient permettre d'identifier des pratiques concrètes qui remettent en question les stéréotypes incrustés dans les représentations historiques actuelles et de développer la pensée critique et la compréhension mutuelle, a indiqué Mme Pansieri.
En tant que modératrice du débat, MME FARIDA SHAHEED, Rapporteuse spéciale sur les droits culturels, a observé que très souvent, la diversité culturelle et les différents vécus ou interprétations historiques sont ignorés. C'est pourquoi il faut se satisfaire tout particulièrement de la tenue de la présente table ronde, a-t-elle souligné, avant de rappeler que les processus historiques sont vitaux pour la mémoire collective. Alors que l'on commémore massivement les événements du XXe siècle, il est important de tenir compte des différentes versions et surtout de porter un point de vue critique sur les versions officielles, a poursuivi la Rapporteuse spéciale. Ce processus permettrait notamment «de mieux connaitre l'autre», a-t-elle conclu.
Panélistes
MME DUBRAVKA STOJANOVIĆ, professeure d'histoire à l'Université de Belgrade, a relevé que chaque évènement historique peut être interprété de façon différente, créant des mémoires parallèles et des réalités différentes. On doit comprendre que c'est le passé qui influence le présent, a-t-elle souligné. Le défi majeur est de trouver des récits communs entre peuples entrés en conflit, a-t-elle poursuivi. Or, cela est très difficile, exception faite des livres d'histoire récents en France et en Allemagne qui racontent aujourd'hui le même récit concernant les conflits entre ces deux pays. Cependant, a-t-elle nuancé, cela a été possible grâce à la volonté de l'Union européenne. L'objectif d'un tel défi n'est pas d'arrêter un consensus sur l'histoire, mais d'informer les uns et les autres sur la perception et le vécu qu'ils ont du même événement, a expliqué Mme Stojanović.
M. SAMI ADWAN, professeur à l'Université d'Hébron, a expliqué comment il avait travaillé sur un manuel scolaire élaboré par des enseignants israéliens et palestiniens, qui présente l'histoire de la région et du conflit israélo-arabe sur deux colonnes, permettant ainsi à chacune des deux parties de présenter sa version de chaque événement. Il a rappelé que les accords d'Oslo de 1993 avaient prévu des manuels communs israélien et palestinien pour enseigner l'histoire, ce qui n'a finalement pu être fait; du coup, a-t-il fait observer, chaque partie enseigne sa propre version de l'histoire, ce qui est certes légitime mais ne permet pas de savoir aussi ce que les enfants de l'autre partie apprennent. Il faudrait que les enfants apprennent aussi la version de l'histoire de «l'autre», a insisté M. Adwan. Il a expliqué que le manuel (présentant sur deux colonnes chacune des deux versions) sur lequel il a travaillé avait été appréhendé comme un projet post-conflit, mais qu'en réalité, ce projet a été mené en plein conflit. Il a fallu sept ans pour aboutir à cet ouvrage du fait d'une tendance des enseignants des deux parties à s'enfermer dans leur vision, a-t-il indiqué. Il a fallu pratiquement deux générations pour que soit admise l'idée même qu'il puisse y avoir plusieurs visions de l'histoire du conflit, a-t-il en outre rappelé. Dressant le bilan de l'expérience, M. Adwan l'a jugée riche, ajoutant qu'il s'agissait d'un processus continu. Accepter la version de l'histoire que peut avoir l'autre partie, même si elle ne convient pas, est important, a-t-il insisté. En outre, l'enseignement de l'histoire ne peut se limiter à la salle de classe; il doit pouvoir se faire partout, y compris par le biais des commémorations. M. Adwan a également souhaité qu'une liberté de recherche totale soit laissée aux enseignants.
MME MARIE WILSON, membre de la Commission pour la paix et la réconciliation du Canada, a indiqué avoir rédigé un livre d'histoire sur le système d'éducation des enfants autochtones au Canada. Cet ouvrage a pu exister parce que 80 000 enfants autochtones qui avaient été enlevés de leurs familles pour suivre de force, loin de chez eux, un enseignement officiel qui les décrivait comme des sauvages ont décidé que ce n'était pas admissible, a-t-elle expliqué. La Commission mise en place a donc décidé notamment de faire élaborer un livre sur l'histoire de l'éducation de ces enfants – un point de l'histoire du pays qui reste peu connu de la majorité des Canadiens et est même parfois nié par ceux qui en ont été acteurs. L'ouvrage relève d'une volonté politique de réformer l'enseignement, formel ou informel. On réalise que ce qui s'est passé ne correspond pas du tout aux valeurs que le Canada d'aujourd'hui entend défendre et pour lesquelles il veut être reconnu, a poursuivi Mme Wilson. En outre, cet ouvrage peut également permettre une meilleure compréhension des communautés autochtones. Le dernier pensionnat de ce type n'a fermé qu'en 1986 – c'est-à-dire très récemment, en fin de compte – ce qui signifie qu'il existe de nombreuses personnes qui peuvent aujourd'hui encore apporter leurs témoignages et contribuer ainsi à une histoire beaucoup plus honnête du Canada, a fait observer Mme Wilson. Trois des territoires du pays se sont d'ailleurs engagés à imposer la lecture de l'ouvrage à tous les élèves, a-t-elle indiqué, faisant valoir que ce progrès est le résultat d'une volonté politique qui a permis de réécrire tout un chapitre de l'histoire du pays en seulement un an et demi, alors que le travail de M. Adwan, plus limité, a pris sept ans.
M. PABLO DE GREIFF, Rapporteur spécial sur la promotion de la vérité, de la justice, de la réparation et des garanties de non-répétition, a expliqué l'apport possible des interventions culturelles en faveur de la justice transitionnelle. Il s'est félicité du fait qu'un certain nombre de tribunaux et de commissions de la vérité et de la réconciliation aient inclus un volet culturel, en soutenant la création de mémoriaux, de musées ou d'événements artistiques. Il a souligné que l'efficacité de ces initiatives dépendait de la visibilité que l'on donnait aux victimes. Ces interventions culturelles doivent en effet permettre de mieux comprendre les causes des violations des droits de l'homme, tout en permettant de rappeler la dette existante envers les victimes. Il a fait observer que s'agissant de nombreux conflits, les victimes étaient considérées comme une menace, la tendance étant de nier leur existence, comme si le conflit passé n'avait fait aucune victime. L'intervention de l'État touche à la place que l'on entend laisser au passé et l'État doit faire preuve de volontarisme à cet égard, a poursuivi le Rapporteur spécial. Il ne saurait être question d'être mis en demeure de choisir entre l'oubli et le devoir de mémoire, a-t-il ajouté. Il a cité l'exemple d'expositions de photographies organisées au Pérou, ainsi que diverses initiatives prises concernant le Timor Leste ou le Maroc. Les organisations de la société civile, quant à elles, doivent participer plus activement à ces initiatives, a-t-il affirmé, précisant que cela implique que l'État leur accorde la place qu'il leur revient, à la condition expresse que l'on s'assure au préalable de leur indépendance. Enfin, les États doivent entériner les rapports des commissions de réconciliation et faire davantage d'efforts pour en mettre en œuvre les recommandations, a souligné le Rapporteur spécial.
Débat interactif
Les délégations ont notamment souligné le rôle prépondérant de l'histoire dans la construction des sociétés démocratiques. C'est pour cela que son enseignement ne doit être ni falsifié, ni utilisé à des fins de manipulation ou de propagande idéologique, a dit l'Union européenne, ajoutant qu'il revient au monde universitaire de mener des recherches historiques et d'en déterminer les débats. L'Irlande a ajouté que chaque système éducatif a le potentiel d'exacerber ou de créer les conditions qui conduisent à la violence; mais il a aussi le potentiel de les réduire. C'est pour cela qu'il faut encourager les États à disposer de manuels scolaires équilibrés.
L'Estonie a observé que l'histoire est parfois utilisée pour justifier les violations des droits de l'homme. Il faut en effet être extrêmement prudent et vigilant dans la manière d'enseigner les faits historiques. Il faut expliquer et comprendre les processus sociaux et politiques qui encouragent et justifient ces actes, en particulier dans le contexte de l'esclavage et de la colonisation. Parallèlement, il faut prendre en compte les multiples versions de l'histoire, a dit le représentant l'Éthiopie au nom du Groupe africain.
Pour l'Autriche, les processus mémoriels sont un élément de la justice traditionnelle. Ils peuvent effacer certains processus de déni. De fait, l'enseignement de l'histoire doit être objectif et intégrer des composantes droits de l'homme, afin d'éviter que ne se reproduise les méfaits du passé. C'est dans cette ligne que s'inscrit également l'Algérie, pays qui a souffert de la colonisation et du terrorisme et qui aujourd'hui commémore ces évènements selon un processus pluridimensionnel intégrant la résistance à la colonisation ou la construction de musées. Pour la délégation, la glorification des bourreaux et le mépris des victimes n'est pas une approche propice pour asseoir la réconciliation entre la victime et son agresseur, peu importe le prétexte avancé. La Chine, affirmant avoir toujours tiré des leçons de l'histoire, a observé que le Japon continue d'ériger des criminels de guerre en héros et continue de propager de fausses idées. Cela heurte les peuples qui ont souffert de l'impérialisme japonais.
Il ne peut pas y avoir de réconciliation dans les sociétés si tous les récits ne sont pas pris en compte, a également estimé l'Uruguay; ce processus appartient aux États, qui doivent en outre apporter des réparations aux victimes et sensibiliser les jeunes générations afin que ces crimes ne se reproduisent pas. Pour la Colombie, la mémoire est la somme des différents récits des conflits. Elle doit intégrer toutes les composantes de la société. C'est pour cela qu'un centre national de la mémoire a été créé en Colombie, intégrant un musée et des mécanismes de réparation. Le Maroc a lui aussi créé des musées, y compris dans les anciens centres de détention et de torture du royaume. Car toute société qui ignore son passé n'est pas en paix avec elle-même. La Sierra Leone, qui a connu une longue et douloureuse guerre civile entre 1991 et 2002, s'est aussi engagée dans un processus mémoriel de grande ampleur, incluant la construction d'un musée de la paix qui contient des archives mémorielles. L'histoire devrait en effet aider à ne pas reproduire les erreurs du passé. C'est en effet le rôle des États, qui doivent créer des centres de recherche et de discussion sur l'histoire, a renchérit la Lituanie, qui a créé un centre similaire.
Cuba a déclaré qu'en tant que principal coauteur de la résolution à l'origine de la réunion, elle souhaite souligner l'importance d'accorder une plus grande place à ce thème, à l'heure où l'on assiste à la résurgence des idées fascisantes. On doit réfléchir aux raisons de cet échec afin que le monde ne revive pas à nouveau des phénomènes négatifs. La Fédération de Russie a déclaré que l'on assistait aujourd'hui à des tentatives de réécrire l'histoire, alors que le néonazisme est en plein essor. Des manuels d'histoire falsifient l'histoire et excitent les instincts négatifs, alors que l'on devrait au contraire chercher à éloigner les jeunes générations du chauvinisme et de la xénophobie.
Tout en reconnaissant que la compréhension et l'interprétation de l'histoire pouvait évoluer avec le temps, les États-Unis ont fait part de leur préoccupation face au révisionnisme qui cherche à contester certains faits historiques avérés comme l'Holocauste.
L'Arménie a déclaré que dans de trop nombreux pays, la liberté d'expression était réprimée, brimant ainsi le devoir de mémoire, ainsi qu'un enseignement objectif de l'histoire. Elle attire l'attention sur le bon exemple constitué par le musée du génocide arménien d'Erevan ouvert en 1995 qui expose un certains nombres de documents historiques ayant traits aux massacres de 1915-1922. La Turquie, qui estime essentiel l'adoption d'approches aux perspectives multiples pour parvenir à un enseignement objectif de l'histoire, reconnaît l'existence de victimes des événements de 1915, tout en n'étant pas nécessairement en accord avec la déclaration d'une délégation à ce sujet. Une approche multilatérale est nécessaire dans les processus mémoriels, afin de s'éloigner des paradigmes du passé.
La France a cité son président qui a déclaré récemment que «commémorer c'était avant tout faire du passé non pas une nostalgie mais une leçon pour la suite de notre destin». La France «s'efforce de faire toute sa part dans ce travail de mémoire qui est aussi un devoir et qui doit se fonder sur un travail scientifique rigoureux et un enseignement objectif de l'histoire à l'école. Elle appelle tous les pays à assurer un tel enseignement. L'Italie a déclaré elle aussi que l'enseignement de l'histoire devait ignorer toute propagande idéologique, ce qui est essentiel au développement de sociétés libres et démocratiques.
L'Afrique du Sud a déclaré que le système des Nations Unies ne pouvait garder le silence sur les atrocités du passé. Elle a souligné l'importance d'éliminer les stéréotypes des manuels d'histoire. Ceux-ci doivent être uniquement fondés sur des faits historiques. Elle a cité l'exemple de la Commission nationale sud-africaine de réconciliation qui avait permis à la société d'aller de l'avant. La Serbie a évoqué la commémoration de la Première guerre mondiale, soulignant que l'on devait rappeler à cette occasion qu'il s'était agi de la plus grande catastrophe humanitaire pour toutes les nations y ayant participé.
Le Brésil a déclaré que les activités mémorielles devaient reconnaître l'existence des victimes afin de prévenir la répétition d'actes similaires. À cet égard, l'érection de monuments est un élément important, cela devant se faire de manière inclusive. Le Brésil a créé une commission nationale sur les événements néfastes du passé. L'Argentine considère que la création de sites de mémoire constitue un élément de réparation. La justice pénale et restitutive doit intégrer des éléments culturels. Les pouvoirs publics ont un rôle clé en matière d'érection de monuments. Une autorité fédérale a été créée à cette fin en Argentine.
L'Indonésie a estimé que les politiques mémorielles ne doivent pas être utilisées pour véhiculer une idéologie propre, mais au contraire pour promouvoir la réconciliation entre les peuples. Il est donc important que les manuels scolaires se basent sur des faits factuels et objectifs. Sur la même ligne, le Pakistan a insisté sur les principes de transparence et de responsabilité qui doivent sous-tendre les processus mémoriels. Le Rwanda a publié de nouveaux manuels scolaires basés sur les faits et vidés de toute idéologie politique. Le Viet Nam, pays victime de nombreuses guerres, a rejeté l'endoctrinement idéologique dans les écoles. Tant publiques que privées. C'est pour cela que l'histoire doit être écrite au masculin, au féminin, par les victimes par les peuples. La Roumanie, qui est sortie d'un régime dictatorial il y a 25 ans, a entamé un processus de réévaluation de son histoire, dans lequel on enseigne désormais l'histoire de la Shoa et des minorités. La délégation d'Israël a pour sa part déploré que certains véhiculent encore des idées négationnistes concernant l'holocauste, y compris dans de grands forums internationaux.
Parmi les organisations non gouvernementales, Human Rights Now a mis en cause les manuels d'histoire au Japon et leur absence de cohérence historique. Celle-ci s'explique par l'absence de repentir sincère de ce pays, selon elle. L'ONG est d'accord avec l'avis des panélistes sur la nécessité d'une approche multiple pour parvenir à un enseignement objectif de l'histoire. Amnesty International a dénoncé les tentatives du Japon de nier le système d'esclavage sexuel mis en place pendant la Deuxième guerre mondiale qu'il semblait reconnaître dans le projet de Déclaration de Kono et dont il semble s'éloigner en remettant semble-t-il en cause l'élaboration de ce document. Le Japon doit reconnaître pleinement ses responsabilités n'ayant jamais fourni de réparation complète aux victimes, alors que le monde commémorera l'an prochain le 70ème anniversaire de la fin du Second conflit mondial.
Hope International, qui s'exprimait par la voix d'une historienne, a mis en cause l'enseignement de l'histoire, de la colonisation notamment, certaines populations étant oubliées dans un but de simplification. «On ne mentionne pas les contextes, on mélange les genres», a-t-elle déploré. «Toute une partie de l'humanité est définie comme appartenant au Tiers-Monde, ce qui signifie dans l'esprit des jeunes l'absence d'organisation sociale, de technologie, de culture ou d'éducation». Le Mouvement international de la jeunesse et des étudiants pour les Nations Unies a déploré que les anciennes puissances esclavagistes et colonialistes ne participent pas aux processus mémoriels. Les peuples ont besoin de connaitre cette histoire et la Décennie internationale des personnes d'ascendance africaine est une bonne opportunité à cette fin.
La Communauté internationale bahá'íe a déclaré que les manuels scolaires, qui sont souvent manipulés, doivent au contraire être des outils pour éviter que la haine se perpétue. Il en est de même des lieux de mémoire, tels les cimetières qui doivent être préservés. La représentante de Verein Südwind Entwicklungspolitik, qui s'est présentée comme une ancienne prisonnière politique en Iran, a accusé son gouvernement d'avoir massacré 5000 prisonniers il y a 27 ans, d'avoir jeté leurs corps dans des fosses communes et de refuser aujourd'hui à leur parents de se recueillir sur leur dépouille.
Conclusions des panélistes
MME STOJANOVIĆ a rappelé que c'est avant tout l'histoire politique qui est enseignée dans les établissements, ce qui tend à faciliter la perception de conflits. Or, on peut aussi enseigner l'histoire culturelle, scientifique et surtout sociale, meilleur moyen selon elle de rendre compte de la pluralité dans l'histoire. C'est ainsi le meilleur moyen, par exemple, de faire état de l'évolution de la place des femmes dans l'histoire. L'histoire n'est pas une vérité unique mais un débat que l'on doit promouvoir dans les écoles. Mais l'histoire est aussi une science et si on peut interpréter ou vivre différemment certains événements, il reste les faits.
Mme Stojanović a estimé qu'il n'est jamais trop tôt pour expliquer à des élèves qu'il peut exister plusieurs points de vue sur une période historique donnée. Elle a rappelé que l'histoire ne s'apprend pas seulement à l'école. Toutefois, il faut changer son apprentissage à l'école car c'est là que les élèves et futurs adultes apprennent à faire preuve d'esprit critique.
M. ADWAN a jugé important de parler de l'histoire des familles car l'histoire est d'abord enseignée au sein de la famille. La place des femmes dans l'histoire est importante, notamment quand on met l'accent sur l'histoire de victimes. Il a de nouveau insisté sur la liberté de l'enseignant et a estimé qu'il faudrait mettre à disposition des enseignants plusieurs manuels scolaires et non pas un unique manuel officiel. Enseigner l'histoire n'est pas endoctriner mais ouvrir la discussion, a-t-il affirmé, en citant un projet qu'il tente de mettre en place en plein conflit, et qui vise à autonomiser des élèves de 13 ou 14 ans, invités à noter dans un journal les événements qui se déroulent sous leurs yeux. Par ailleurs, enseigner l'histoire ne va pas sans responsabilité. Or, en Palestine, on ne parle pas de la Shoah, et en Israël on ne parle pas de la naqba. M. Adwan a estimé que le recours aux droits de l'homme permettait de lutter contre un certain relativisme culturel.
M. Adwan a de nouveau insisté sur la nécessité de la liberté de l'éducation et a mis l'accent sur les manuels scolaires: qui les conçoit, qui les imprime, leur utilisation est-elle obligatoire? Un des problèmes les plus importants dans l'enseignement dans le conflit israélo-arabe est ce qui se passe dans la classe une fois la porte fermée et l'enseignant seul face à ses élèves. Si plusieurs récits mémoriels peuvent coexister, alors plusieurs peuples peuvent aussi coexister. L'histoire peut exister pour perpétuer un cycle de victimisation, ou pour y mettre fin.
MME WILSON a rappelé que, dans les processus mémoriels, le plus important est de conserver les témoignages directs des personnes concernées. C'est le cas avec la voix des anciens enfants des établissements d'enseignement pour les enfants autochtones du Canada, dont les témoignages sont conservés dans un centre national de la mémoire. Mme Wilson a en outre insisté sur la création d'un espace pour faciliter le témoignage, expliquant toutes les mesures prises pour accompagner les «récitants» dans le cadre du projet. En outre, il ne faut pas oublier les victimes du processus, notamment les quelque 4000 enfants ne sont jamais revenus des pensionnats pour enfants autochtones.
Mme Wilson a estimé en conclusion qu'il fallait agir avec un sentiment d'urgence face à des cultures menacées de disparition, pour parvenir à la réconciliation et éviter la résurgence de tels événements il faut en parler et le plus possible et au plus tôt possible. S'il n'existe plus de pensionnats au Canada, mais on continue par le biais des services sociaux à retirer des enfants de leurs foyers. Elle aussi a rappelé que l'histoire s'enseigne et s'apprend partout et pas seulement à l'école.
M. DE GREIFF a rappelé qu'il existe un fossé entre la théorie et la pratique dans les processus mémoriels. L'histoire est souvent, encore aujourd'hui, manipulée et mise au service d'ambitions politiques étroites. Il a rappelé les obstacles qui entravent la liberté d'association, les contraintes opposées à l'accès à la presse ou aux archives, les processus qui ignorent la société civile, le choix qui est fait de parler d'un groupe donné aux dépens d'autres, et ceci malgré tout ce que l'on peut entendre de positif dans les discours exprimés, y compris au Conseil des droits de l'homme. Il a rappelé le discours du Haut-Commissaire hier devant le Conseil des droits de l'homme, qui mentionnait la capacité des individus et des peuples à rationaliser des comportements contraires aux droits de l'homme: il n'y a pas de place pour le relativisme culturel dans l'histoire même si on peut et que l'on doit ouvrir des espaces qui permettent à plusieurs de s'exprimer, a-t-il estimé.
M. de Greiff a souligné que les commissions vérités et réconciliation peuvent contribuer à présenter de manière plus complète l'histoire, notamment en ce qui concerne les femmes. Il reste encore beaucoup à faire pour éviter la répétition des événements. Le Rapporteur spécial a expliqué avoir beaucoup travaillé sur la question des archives durant l'année écoulée. De même, il a dit avoir beaucoup parlé de l'aspect historique et mémoriel lors de ses missions dans différents pays. Il a conclu en souhaitant que soit comblé le fossé entre ce qui est dit entre ces murs et la pratique dans les différents pays.
Concluant le débat, MME SHAHEED s'est dite encouragée par le fait que de nombreuses délégations aient dit accepter qu'on puisse voir coexister plusieurs processus mémoriels. C'est un moyen d'éviter le relativisme culturel. En même temps, il reste un fossé à combler entre la théorie et la pratique, entre ce qui se dit dans cette enceinte et ce qui se pratique dans les faits. Ceux qui n'apprennent pas des erreurs de l'histoire risquent de les reproduire, mais ceux n'apprennent qu'une version risquent de les reproduire aussi. Par ailleurs, il faut permettre à tous de se faire entendre, alors que de nombreuses voix n'ont pas accès aux médias, aujourd'hui encore. Enfin, cet accès doit se faire dans la sécurité: ceux qui font entendre leur voix ne doivent pas être exposés à des représailles.
Déclaration de la Commissaire aux droits de l'homme, à l'action humanitaire et aux relations avec la société civile de la Mauritanie
M. AÏCHETOU MINT M'HAIHAM, Commissaire aux droits de l'homme, à l'action humanitaire et aux relations avec la société civile de la Mauritanie, a déclaré que son pays était devenu un État de droit, l'ère de la corruption et de la confiscation des libertés étant révolu désormais. Le chef de l'État, depuis son élection en 2009, a ouvert une nouvelle perspective et entend consolider des acquis déjà visibles sur le terrain, faisant une priorité de la promotion et de la défense des droits de l'homme. Le nouveau gouvernement est résolu à persévérer dans cette voie en assurant la garantie de tous les droits et de toutes les libertés. Une feuille de route a été élaborée afin d'en finir avec toutes les séquelles de la servitude dans le cadre d'un plan national contre la discrimination raciale, la xénophobie et l'intolérance. Un tribunal spécial chargé d'examiner les cas d'esclavage a été mis en place. La Rapporteuse spéciale sur les formes contemporaines d'esclavage s'est rendue en Mauritanie récemment où elle a reçu un excellent accueil et une oreille attentive des autorités. Son rapport contient des recommandations qui constituent une étape essentielle dans l'éradication du fléau de l'esclavage, a expliqué la Commissaire aux droits de l'homme.
Mme Mint M'Haiham a fait valoir qu'un comité technique est chargé d'élaborer un calendrier en collaboration avec le Haut-Commissariat aux droits de l'homme. La Mauritanie a ratifié la plupart des conventions relatives aux droits de l'homme, a-t-elle également souligné. Un comité technique multisectoriel est chargé de veiller à la présentation des rapports nationaux aux organes conventionnels de l'ONU, ce qui démontre la disposition de Nouakchott à respecter ses engagements. La Mauritanie accorde la plus grande attention à ce que les recommandations qui lui sont faites soient suivies d'effets.
Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas un document officiel
HRC14/109F