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LE COMITÉ POUR L'ÉLIMINATION DE LA DISCRIMINATION RACIALE EXAMINE LE RAPPORT DU PÉROU

Compte rendu de séance

Le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale a examiné hier après-midi et ce matin le rapport présenté par le Pérou sur les mesures prises par ce pays pour mettre en œuvre les dispositions de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale.

Le rapport du Pérou a été présenté par M. José Ávila Herrera, Vice-Ministre des droits de l'homme et de l'accès à la justice, qui a reconnu que des attitudes fortement discriminatoires continuaient de prévaloir dans son pays. Les 52 peuples autochtones du Pérou rencontrent des obstacles à l'accès aux services de base et à l'exercice de leurs droits fondamentaux. Inverser cette situation est l'une des tâches prioritaires de l'État, a-t-il assuré. Un Plan national d'éducation sur les droits et devoirs est en voie d'être adopté. Afin de sensibiliser la population, a été mise en place une plateforme d'alerte contre le racisme gérée par le ministère de la culture, l'objectif étant que les victimes portent plainte. Le Vice-Ministre a reconnu qu'il n'y aurait pas de justice, de croissance économique, de développement, de cohésion et d'inclusion sociale sans participation des minorités ethniques.

La délégation péruvienne était également composée de Mme Azucena Inés Solari Escobedo, avocate générale de Lima, de Mme María del Rosario Lozada Sotomayor, avocate générale d'Arequipa et d'une représentante du ministère de la justice et des droits de l'homme, ainsi que de M. Luis Enrique Chavez Basagoitia, représentant permanent du Pérou à Genève. Elle a répondu à des questions des membres du Comité portant en particulier sur la consultation préalable des autochtones pour des projets économiques susceptibles d'avoir des retombées sur leur territoire, sur la place de l'actionnariat étranger, sur la conciliation de la justice classique avec le système coutumier. Ont aussi été évoquées les conséquences du massacres de Bagua au cours duquel plusieurs dizaines d'autochtones avaient été tués par les forces de l'ordre en 2009. La délégation a indiqué que l'adoption d'un cadre juridique institutionnel pour la protection des droits des autochtones résultait directement de cet événement sanglant. La délégation a affirmé que la procédure de consultation préalable des autochtones respectait un certain nombre de règles de base dont la fourniture d'informations essentielles sur les projets envisagés. Elle a indiqué que la Commission vérité et réconciliation avait établi que les principaux responsables des violations des droits de l'homme étaient la rébellion du Sentier lumineux. Des réparations et des dédommagements sont versés aux familles de victimes, ainsi qu'à des communautés entières. La société et les autorités du pays ont compris que les droits des minorités ne pouvaient être subordonnés aux droits de la majorité.

Le rapporteur du Comité pour l'examen du rapport du Pérou, M. Alexei Avtonomov, s'est félicité de la création d'un Ministère chargé des droits de l'homme et de l'accès à la justice. Il a noté toutefois que les dispositions de la Constitution péruvienne ne coïncidaient pas entièrement avec celles relatives à la discrimination raciale figurant dans la Convention. S'agissant du prochain recensement prévu en 2017, il est à craindre que nombre d'autochtones préfèrent ne pas s'identifier comme tels. Enfin, le rapporteur a noté que la loi relative à la consultation préalable semblait ne pas être appliquée de manière adéquate. Les experts se sont aussi fortement inquiétés du rôle extrêmement néfaste de certaines émissions de télévision caricaturant les amérindiens.

Les observations finales du Comité sur tous les rapports examinés au cours de la session seront rendues publiques à la clôture des travaux, le vendredi 29 août prochain.


Lors de sa prochaine séance publique, le lundi 18 août à 10 heures, le Comité doit entendre des organisations non gouvernementales qui témoigneront de la situation au Cameroun et au Japon, pays dont les rapports seront examinés la semaine prochaine, de même que ceux de l'Iraq et de l'Estonie.


Présentation du rapport

Présentant le rapport périodique du Pérou (CERD/C/PER/18-21), M. JOSÉ ÁVILA HERRERA, Vice-Ministre des droits de l'homme et de l'accès à la justice, a indiqué que le Président Ollanta Humala avait appelé, lors d'une visite officielle en Allemagne, à la nécessité de déployer une lutte frontale et énergique contre toutes les formes de discrimination et affirmé l'engagement de tout le pays en faveur de l'éradication de ce fléau. En 2001, le Pérou a apporté son soutien à la Déclaration et au Programme d'action de Durban lors de la Conférence mondiale contre le racisme. Il a renouvelé son engagement en 2009 à Genève lors de la Conférence de suivi de cette conférence. Le vice-ministre a indiqué qu'une grande variété de races et d'ethnies cohabitaient dans son pays: Quechuas, Aymaras, Blancs, Asiatiques, Afro-Péruviens, un grand nombre d'ethnies amazoniennes, sans oublier tous les métissages possibles entre elles. Ce métissage n'a toutefois pas eu pour résultat que tous les Péruviens se considèreraient égaux. En dépit des stipulations de la loi, des attitudes hautement discriminatoires continuent de prévaloir dans tous les groupes ethniques et sociaux, a-t-il reconnu.

La Constitution reconnaît la pluralité ethnique et culturelle de la société péruvienne. Conformément aux obligations assumées par le Pérou sa ratification de la Convention en 1971, le pays poursuit ses efforts pour mener des actions en faveur de l'égalité entre tous. Il est l'un des 125 États à avoir déclaré la violence domestique illicite et l'une des 115 nations garantissant des droits égaux à la propriété et à l'accès aux fonctions décisionnelles. La création en 2010 du Ministère de la culture et du Vice-Ministère de l'interculturalité ont pour objectif de promouvoir des pratiques de surveillance visant à éviter l'expression de discriminations entre les citoyens et populations du pays. Ces instances sont également chargées de veiller à l'application de la loi sur le droit à la consultation préalable des 52 peuples autochtones du Pérou. Ceux-ci rencontrent des obstacles à l'accès aux services de base et de fait à l'exercice de leurs droits fondamentaux. Inverser cette situation est l'une des tâches prioritaires de l'État, au premier chef du Ministère de la culture.

Le Ministère de la culture a pour mandat d'appliquer la loi sur les langues autochtones, en favorisant la formation de traducteurs et d'interprètes autochtones afin de faciliter l'accès aux services publics. En outre, le Ministère du développement et de l'inclusion sociale, créé en 2011, est chargé de veiller à ce que les politiques et programmes sociaux soient appliqués de manière coordonnée dans le but de surmonter les obstacles à l'accès aux services publics. Ce ministère a en charge six programmes sociaux touchant au développement social, à la lutte contre la pauvreté et la promotion de l'inclusion et de l'égalité sociale, la protection sociale des populations en situation de risque, de vulnérabilité et d'abandon.

Le gouvernement du Président Ollanta Humala a procédé à d'importantes réformes institutionnelles telles que l'attribution du dossier des droits de l'homme au Ministère de la justice, avec pour conséquence la création d'un Vice-Ministère des droits de l'homme et de l'accès à la justice chargé d'élaborer et de coordonner les politiques publiques dans le domaine. L'une de ses premières actions a consisté à lancer une enquête concernant la perception des Péruviens s'agissant des droits de l'homme, qui a fait apparaître que l'un des problèmes les plus graves du pays concernait la discrimination, rien n'étant fait pour la faire disparaître.

En conséquence, un Plan national d'éducation sur les droits et devoirs est en cours d'élaboration pour la période 2014-2019, à compter de décembre prochain, qui s'ajoutera au Plan national des droits de l'homme 2014-2016, qui prévoit plus d'une centaine de projets orientés selon quatre axes: promotion d'une nouvelle culture des droits et devoirs; prise en compte des droits de l'homme dans tous les domaines de la vie publique; cadre de protection juridique pour les groupes particulièrement vulnérables; et perfectionnement de l'ordre juridique national dans la lignée des normes internationales. Par ailleurs, à la fin de l'an dernier, a été créée une Commission nationale contre la discrimination. Afin de sensibiliser la population, une plateforme d'alerte a été mise en place contre le racisme gérée par le Ministère de la culture, l'objectif étant que les victimes portent plainte en justice. En outre, le Plan national d'égalité de genre 2012-2017 a notamment pour objectifs la protection des femmes afro-péruviennes, autochtones et migrantes.

Le ministre a assuré que toutes les normes juridiques péruviennes étaient compatibles avec la Convention. En outre, la consultation préalable des communautés autochtones s'appuie sur une méthodologie facilitant son organisation. Le Pérou est convaincu que son cadre légal et institutionnel constitue un progrès important qui favorise la protection et la garantie des droits des populations afro-péruviennes, autochtones et les populations amazoniennes en situation d'isolement ou de «contact initial» D'un point de vue pénal, la discrimination sous toutes ses formes est considérée comme un délit depuis 2006, les peines encourues allant de deux à quatre ans de privation de liberté.

Le versement de réparations pour les femmes victimes de la violence politique a concerné près de 55 000 personnes. Trente mille autres en bénéficieront cette année, une enveloppe de 18 millions de dollars ayant été prévue à cette fin. Près de 2300 victimes d'abus sexuels durant le conflit civil 1980-2000 ont été indemnisées sur les quelque 2800 enregistrées ces dernières années, bénéficiant de soins de santé gratuits pour un budget de huit millions de dollars.

Malgré les progrès enregistrés, le Pérou reconnaît «avec honnêteté et noblesse» que des défis demeurent pour la participation égalitaire et effective et l'accès des minorités ethniques, plus particulièrement des jeunes femmes, dans les processus de décision, ainsi que pour la jouissance de tous les droits de l'homme. Le ministre a constaté que les minorités étaient confrontées à des formes multiples de discrimination, aggravées par la condition d'autochtone qui, dans ce contexte, représente une des conditions particulières de vulnérabilité. Il reconnaît qu'il n'y aura pas de justice, de croissance économique, de développement, de cohésion et d'inclusion sociale sans participation des minorités ethniques. L'objectif d'une société inclusive est un impératif moral pour la nation péruvienne, a conclu M. Ávila Herrera.

Examen du rapport

Questions et observations des membres du Comité

M. ALEXEI AVTONOMOV, rapporteur du Comité pour l'examen du rapport du Pérou, s'est félicité de la délégation de haut rang venue présenter le rapport péruvien et du fait que le rapport soit arrivé dans les temps, contrairement au précédent qui avait accumulé dix ans de retard. Le Pérou a une des plus vieilles civilisations du monde, plus ancienne encore que la civilisation russe, a-t-il noté. M. Avtonomov a salué les importants efforts du pays pour lutter contre la pauvreté et l'analphabétisme. Les progrès sont d'ailleurs notables entre chaque examen périodique. Le rapporteur s'est félicité de la création d'un ministère chargé des droits de l'homme et de l'accès à la justice. C'est là le bon moyen pour que chacun puisse faire valoir ses droits, a-t-il observé. Il a pris note de la loi sur la consultation préalable des autochtones pour obtenir leur consentement aux décisions susceptibles de les concerner. Mais si la reconnaissance des peuples autochtones est importante, les dispositions de la Constitution péruvienne ne coïncident pas totalement avec celles relatives à la discrimination raciale figurant dans la Convention, a-t-il relevé. Il s'est interrogé sur les modalités d'application de la Convention et estimé nécessaire une législation qui reprendrait précisément les dispositions sur la discrimination raciale. Il est donc très important d'harmoniser la législation péruvienne avec la Convention, a souligné M. Avtonomov.

Le prochain recensement étant prévu en 2017, le Comité souhaiterait connaître la méthodologie qui sera retenue. Il n'est pas rare en effet que les autochtones n'osent pas s'identifier en raison de leur mauvaise image dans la société, craignant souvent de passer pour des «sauvages» Il a cité le cas de La Paisana Jacinta (la paysanne Jacinta) héroïne simplette d'un feuilleton télévisé, sorte de Bécassine amérindienne. Dans ce contexte, il ne serait pas étonnant qu'un certain nombre d'autochtones préfèrent ne pas s'identifier comme tels.

La loi relative à la consultation préalable est certes importante mais elle n'est pas appliquée de manière adéquate, croit savoir par ailleurs le rapporteur. Elle ne serait appliquée, en effet, selon les ONG, qu'à condition que les autochtones le demandent expressément. En outre, les communautés dites «paysannes» qui sont en fait autochtones mais pas reconnues comme telles, ne sont pas consultées. Cette consultation semble dépendre en outre du bon vouloir de l'État.

Le rapporteur a mentionné par ailleurs plusieurs cas mis en avant par les organisations de la société civile, notamment la disparition de plus de 2000 femmes, une enquête n'ayant été ouverte que pour une seule d'entre elles. De nombreuses ONG affirment par ailleurs que les manifestations des peuples autochtones sont souvent considérées comme des activités terroristes par les autorités.

Avtonomov a par la suite demandé des précisions sur la situation des réfugiés qui font, semble-t-il, l'objet d'un certain ostracisme. En outre, il n'est pas exceptionnel que les travailleurs domestiques soient victimes de mauvais traitements. Le Pérou envisage-t-il de ratifier la Convention de l'Organisation internationale du travail les concernant? Le rapporteur a noté par ailleurs le problème posé par la réticence des enseignants de langue quechua à aller s'installer dans les campagnes reculées, là où on aurait pourtant particulièrement besoin d'eux.

Parmi les autres membres du Comité, un expert a souligné qu'il fallait reconnaître les efforts faits par le Pérou et s'est félicité du bilan sincère et sans concession dressé par le chef de la délégation. La discrimination raciale n'est pas formellement définie dans la Constitution péruvienne, a-t-il relevé, même si celle-ci mentionne la discrimination en général. Il a souligné que la discrimination ne pouvait en effet se définir simplement par la discrimination. L'expert a aussi demandé si les 52 peuples autochtones sont tous reconnus officiellement, observant qu'existaient divers types de situations, selon qu'il s'agisse des Quechuas ou des Aymaras vivant dans les populations vivant en Amazonie par exemple. Par ailleurs, si le rapport affirme que la ségrégation dérive de la discrimination, l'expert estime pour sa part que ce n'est pas nécessairement le cas.

Le même expert a salué les initiatives de l'enseignement bilingue tout en soulignant la prééminence de fait de la langue officielle, la langue vernaculaire étant enseignée comme une langue étrangère. Il a loué les efforts déployés en faveur de la culture et des langues des peuples autochtones.

Un autre membre du Comité s'est félicité de la volonté politique et de l'engagement concret des autorités à lutter contre la discrimination raciale et sexuelle. Il a mentionné par ailleurs l'interdiction d'une émission de télévision dénigrant la communauté afro-péruvienne, estimant qu'il s'agissait d'une «décision courageuse» de la part de la commission de surveillance des programmes. C'est un exemple à suivre, selon lui. Il a par ailleurs souhaité savoir dans quelle mesure les groupes autochtones sont impliqués dans le recensement à venir, exercice qui représente un défi si l'on veut qu'il soit utile. Certains disent que «un recensement, ça se gagne» à l'instar des élections, a-t-il observé. Il a constaté que l'implication politique des peuples autochtones, des femmes en particulier, ainsi que des personnes d'ascendance africaine, n'apparaissait pas clairement dans les organes législatifs, à commencer par le Congrès des députés. Il a mentionné les quotas en vigueur dans d'autres pays de la région.

Une experte s'est intéressée aux violences faites aux femmes, en milieu autochtone ou paysan, souhaitant savoir dans quelle mesure elles avaient accès à la justice. Elle a demandé si les autorités veillaient à ce que des émissions télévisées donnant une image caricaturale des autochtones ne puissent passer sur les ondes. Elle a aussi demandé quelles actions étaient menées pour promouvoir l'alphabétisation des femmes. De même, alors que le recensement de 2017 n'est plus très loin, que font les autorités pour inciter les autochtones à s'identifier en tant que tels et pour qu'ils n'aient pas de réticence à le faire. Enfin, le Pérou prévoit-il un plan d'action national sur le racisme, une fois que le Comité aura rendu ses observations finales.

À l'instar d'un précédent membre, un autre expert a convenu que s'il n'y avait en effet pas de définition juridique de la discrimination, il existe néanmoins une jurisprudence à ce sujet reconnue par le tribunal constitutionnel. Il a demandé par ailleurs quelles restrictions au droit à la propriété étaient prévues par le droit péruvien, s'agissant notamment des étrangers.

Un membre du Comité a lui aussi évoqué le feuilleton La Paisana Jacinta et a indiqué l'avoir regardé la veille sur Internet. Il a estimé que ce genre de fiction ne méritait pas de rester sur les ondes. S'agissant des consultations préalables des autochtones, celles-ci sont purement formelles si l'on en croit les ONG, les projets de travaux et de développement étant généralement mis en œuvre en passant outre à l'avis des populations.

Un autre expert a abordé la question de l'état-civil, indiquant que l'inscription des naissances était loin d'être universel, particulièrement en Amazonie où en outre peut se poser des problèmes d'apatridie en raison de l'existence de frontières relativement floues avec les pays voisins.

Pour sa part, le Président du Comité, M. José Francisco Cali Tzay, a souhaité avoir de plus amples précisions sur les catégories de «races» et peuples autochtones mentionnées dans le rapport, ainsi que sur les personnes d'ascendance africaine. Qu'en est-il par ailleurs de l'idée de coordonner le système de justice officiel et le système coutumier? Il a évoqué à son tour le feuilleton La Paisana Jacinta jugé comme grossier et insultant pour les femmes autochtones. Dans les écoles, des enfants amérindiens seraient même l'objet de quolibets voire de harcèlement suite à la caricature propagée par cette série. Par ailleurs, M. Cali Tzay a affirmé qu'il n'y avait apparemment pas de consultation préalable des populations s'agissant des activités d'extraction minière, seuls les forages pétroliers faisant apparemment l'objet d'une telle consultation. Il semble aussi se poser des problèmes du fait que les populations concernées ne maîtrisent souvent pas l'espagnol.

Un autre expert a relevé que selon certaines informations, 68% de la population de la capitale, Lima, serait d'ascendance autochtone. Il a demandé si ce chiffre pouvait être considéré comme représentatif de la population péruvienne au sens large.

Un membre du Comité s'est interrogé sur la prise en compte de la justice coutumière et communautaire. Il s'est aussi interrogé sur la diminution du nombre de conflits sociaux relatifs aux projets miniers.

Une experte a souhaité savoir si l'instruction bilingue concernait uniquement les enfants autochtones. S'interrogeant sur des cas éventuels de corruption, elle a demandé si les indemnisations et autres réparations parvenaient effectivement versées aux personnes censées en bénéficier. Un autre expert, qui a confié avoir été ambassadeur de son pays au Pérou, a expliqué que par le passé le Pérou se targuait de retrouver ses «racines européennes» Si les choses ont certes bien changé, il est clair que le racisme demeure bien présent dans le pays, ce qui est illustré par l'existence d'un feuilleton tel que La paysanne Jacinta et qui reflète la façon dont les Péruviens hispanophones voient leurs compatriotes autochtones. Un autre membre du Comité a estimé que cette émission reflétait aussi la façon dont sont considérés les travailleurs domestiques.

Pour ce qui concerne la définition de la discrimination raciale, la Constitution est certes conforme à la Convention mais elle ne couvre pas tous les aspects de la discrimination, a souligné un expert. Il s'est aussi interrogé sur les limites imposées à la propriété des étrangers, alors que les investissements miniers sont bien souvent l'œuvre de sociétés multinationales qui ne semblent pas connaître de limitations notables à leur présence au Pérou.

Réponses de la délégation

La procédure de consultation préalable des autochtones respecte un certain nombre de règles de base, dont la fourniture d'informations essentielles sur les projets envisagés. Les peuples autochtones sont répertoriés dans une liste qui comprend actuellement 52 ethnies. L'Institut national de la statistique, aidé des gouvernements régionaux, tient une base de données qui répertorie les appellations officielles et les «auto-appellations» des autochtones eux-mêmes.

La Commission vérité et réconciliation mise en place pour déterminer les responsabilités durant la période de terrorisme et de répression (1980-2000) a établi que les principaux responsables des violations des droits de l'homme, dont les autochtones ont été massivement victimes, étaient les rebelles du Sentier lumineux, a affirmé la délégation. Le processus judiciaire lui-même est de la responsabilité du Ministère de la justice. Des excuses publiques ont été présentées aux familles des victimes; une cérémonie en ce sens a eu lieu récemment à Ayacucho. Tout cela s'accompagne d'un processus de réparations économiques. À la suite de critiques s'agissant des faibles montants accordés aux victimes 10 000 soles, soit environ 3000 dollars l'enveloppe consacrée aux réparations a été augmentée cette année. Des réparations collectives sont aussi prévues pour des communautés entières afin qu'elles puissent réaliser des investissements collectifs, en particulier dans les zones rurales. Leur montant atteint l'équivalent de 25 000 à 30 000 dollars.

En ce qui concerne les enseignements à tirer du massacre de Bagua de juin 2009, on peut parler d'un avant et d'un après-Bagua, a expliqué la délégation. L'adoption d'un cadre juridique institutionnel pour la protection des droits des autochtones résulte directement de ces événements sanglants. La société et les autorités du pays ont compris que les droits des minorités ne pouvaient être subordonnés aux droits de la majorité, a expliqué la délégation. Le pouvoir judiciaire est en train de recruter des spécialistes des questions autochtones afin d'étayer les procédures des cinq procès relatifs à la tuerie de Bagua. Trois de ces cinq procédures ont abouti à des verdicts.

S'agissant de la définition de la discrimination raciale dans la législation péruvienne, la délégation a expliqué que la question avait été examinée par la Cour constitutionnelle, qui a jugé que la définition dans le texte fondamental était conforme à la Déclaration universelle des droits de l'homme. Les juges améliorent régulièrement la qualité interprétative des lois, en s'appuyant sur les traités internationaux. Il est exact, en revanche, que les juges péruviens vont devoir améliorer leur formation en matière de droit international humanitaire. La notion de discrimination dans la Constitution couvre la discrimination raciale.

La délégation a reconnu que le feuilleton La Paisana Jacinta avait un contenu péjoratif, voire méprisant pour les femmes autochtones. Toutefois, le Pérou est un pays démocratique où un débat a effectivement eu lieu sur cette émission. Le marché des médias doit fixer ses propres limites. L'avis des membres du Comité ne peut que relancer le débat au Pérou même, la chaîne qui diffuse le feuilleton devant s'interroger sur son contenu. La délégation a reconnu qu'un code d'éthique respectant l'identité des communautés autochtones et afro-péruviennes devra être élaboré pour les médias. D'ores et déjà, un guide sur les règles à respecter dans ce domaine a été diffusé dans les médias. La principale mesure qui permettra de régler ce genre de question sera de nature éducative, a conclu la délégation à ce sujet, reconnaissant qu'il s'agissait d'un processus à moyen et long terme pour produire un changement d'attitude. La délégation a par la suite expliqué que l'émission la Paisana Jacinta avait suscité des critiques de citoyens, sans faire l'objet d'un recours en justice. Elle s'est dite toutefois convaincue que l'avis du Comité ne laisserait pas indifférents les responsables des médias qui ne pourront manquer de s'interroger sur la pertinence de poursuivre la production de cette fiction.

Le plan national de lutte contre la discrimination et la Commission nationale contre la discrimination, composée de huit ministres, est chargée d'orienter les politiques publiques pour éradiquer ce fléau. Le Gouvernement a pour priorité la lutte contre la discrimination raciale, a réaffirmé la délégation, rappelant que l'incitation publique à la discrimination raciale est passible de peines de prison, voire de limogeage si l'auteur est un membre de la fonction publique. La charge de la preuve incombe au ministère public et non pas à la victime. Cela suppose néanmoins que les victimes portent plainte, ce qu'elles ne font que très rarement, a admis la délégation.

Pour ce qui concerne les droits des Afro-Péruviens, ceux-ci ont droit à l'attention des autorités. Ils jouissent des mêmes droits que les autres Péruviens depuis que ceux-ci ont eu droit à des excuses formelles et qu'ils ont été réintégrées dans l'histoire nationale.

Les 58 ordonnances régionales et locales prises contre la discrimination mentionnés dans le rapport établissent des sanctions, la délégation précisant qu'il s'agissait d'amendes, voire de la fermeture du local concerné, lorsqu'il s'agit par exemple du refus d'accès pour des motifs ethniques, comme cela arrive parfois dans des discothèques.

Quant à la promotion de l'interculturalité au sein du judiciaire, se pose la question de la nomination de magistrats dans les régions les plus reculées du pays qui doivent être capables de prendre en compte les us et coutumes des populations concernées. Le respect de ces peuples implique que la justice leur soit facilement accessible, a précisé la délégation.

La priorité donnée à la concertation adoptée par le Gouvernement dans le cadre d'un «bureau national du dialogue» dépendant du Gouvernement a permis de réduire le nombre de conflits sociaux, majoritairement liés à des différends résultant des activités d'extraction. Des tables-rondes pour le dialogue sont mises en place avec les communautés autochtones, amazoniennes plus particulièrement. Le dialogue est privilégié au maximum, y compris lorsque les revendications deviennent violentes. La délégation a assuré le Comité du respect absolu de l'état de droit par le Président de la République.

S'agissant d'une affaire de stérilisation forcée classée sans suite, mentionnée par un expert, un recours a été introduit, a assuré la délégation, ajoutant que cette affaire avait un caractère emblématique.

Le Pérou compte quelque 4000 établissements d'enseignement bilingue, a indiqué la délégation. Les enseignants sont formés et incités financièrement à s'installer dans les régions des hauts plateaux et de l'Amazonie. La délégation a aussi rappelé qu'une politique d'incitation était en place pour les enseignants en langue quechua afin de les encourager à aller travailler dans les zones reculées du pays.

S'agissant des restrictions du droit à la propriété des étrangers, la délégation a assuré que la loi garantissait leur égalité avec les citoyens péruviens, à quelques exceptions près qui concernent les conditions d'entrée dans le pays ou à la participation politique. Toutefois, au Pérou, les étrangers peuvent participer aux élections locales et être élus maire. Des restrictions à l'accès à la propriété peuvent être dictées par des considérations de sécurité nationale. Ce sont des exceptions courantes dans nombre de pays jeunes dont l'histoire a été ponctuée de différends frontaliers. Des dérogations existent en cas de situation d'utilité publique, déterminée en conseil des ministres. Cela concerne en particulier la propriété de gisements de ressources naturelles. Par ailleurs, les étrangers ne peuvent contrôler plus de 40% des médias.

Des préoccupations ayant été émises par le Comité s'agissant de la situation des réfugiés, la délégation a expliqué que la majorité d'entre eux vient d'Haïti et ils sont bien souvent en transit vers la Guyane française via le Brésil. Quant aux Colombiens, un accord a été conclu avec ce pays pour permettre la libre-circulation entre les deux pays, un accord existant déjà avec les autres pays andins. Pour ce qui regarde les Cubains, ils sont invités à déposer des demandes de séjour dans le cadre de la loi sur les étrangers. La délégation considère qu'il n'existe pas de motif sérieux de préoccupation quant à la situation des étrangers au Pérou. Elle a ajouté que le Pérou a la réputation d'être un pays hospitalier.

La délégation a indiqué qu'un projet de loi était en débat en commission parlementaire afin de rendre compatibles justices classique et tribale. Elle a assuré que le massacre de Bagua avait eu pour résultat positif de donner une priorité absolue au dialogue et de la concertation.

S'agissant du problème de la violence domestique, la délégation a indiqué que des actions de sensibilisation de la population sont menées. Si les plaintes demeurent rares, elles ne reflètent pas la prévalence du phénomène, a indiqué la délégation.

Pour ce qui concerne le racisme dans le sport, trois équipes de football ont été sanctionnées. Les jeunes bénéficient d'une sensibilisation à cette question, les autorités incitant au signalement des cas dans le cadre du programme d' «alerte au racisme» 93 cas ont été signalés.

La délégation a convenu de la nécessité d'améliorer la formation des fonctionnaires, des policiers et des militaires en matière de droits fondamentaux. Il s'agit ni plus ni moins de renforcer la culture démocratique dans le pays, ce qui implique une mobilisation des outils éducatifs. Pour ce qui a trait à la nationalité des multinationales, si celles-ci sont concernées comme des sociétés étrangères, il existe des clauses dérogatoires pour des raisons d'utilité publique décidées par le gouvernement. L'interdiction de contrôle par des étrangers peut ainsi être levée au cas par cas.

Conclusions

Le rapporteur du Comité pour le rapport du Pérou, M. ALEXEI AVTONOMOV, a qualifié le dialogue de très constructif, constatant que l'État-partie avait accompli de nombreux progrès. Il est clair toutefois que la discrimination raciale a une nature structurelle dans nombre de pays d'Amérique latine dont le Pérou, un héritage de plusieurs siècles d'histoire. Une volonté politique est indispensable pour lutter contre ce phénomène. Toutefois, le Comité n'est en rien un tribunal, a-t-il rappelé, d'autant qu'il est clair qu'aucun pays n'a éradiqué complètement la discrimination raciale. Des choses peuvent être faites, a-t-il dit, soulignant à son tour qu'une émission de télévision telle que «la Paisana Jacinta» était emblématique dans la mesure où l'image qu'elle donnait de l'autochtone allait très certainement de soi pour un grand nombre de téléspectateurs. Cela révèle la nécessité d'adopter un code d'éthique, la censure n'étant pas la meilleure solution, et il est nécessaire de mobiliser la société civile à cet égard, a estimé M. Avtonomov.

M. ÁVILA HERRERA, Vice-Ministre des droits de l'homme et de l'accès à la justice, qui a qualifié de positif et d'utile le travail du Comité, a souligné qu'il permettait de mesurer les progrès accomplis, parfois aussi les reculs, des pays examinés. L'échange d'opinions, qui peuvent y compris être contradictoires, est toujours un exercice très utile. Le Pérou entend emprunter le chemin des autres pays développés, respectant les droits et libertés de ses citoyens. Il entend institutionnaliser l'état de droit en faisant de la loi un pilier.


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CERD14/021F