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LE COMITÉ DES DROITS ÉCONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS EXAMINE LE RAPPORT DE L'ARMÉNIE

Compte rendu de séance

Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a examiné aujourd'hui le rapport présenté par l'Arménie sur les mesures prises par le pays pour mettre en œuvre les dispositions du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.

M. Ashot Hovakimian, Vice-Ministre des affaires étrangères de l'Arménie, a souligné que son pays avait signé et ratifié tous les grands instruments relatifs aux droits de l'homme depuis le rétablissement de son indépendance. Il a rappelé que la question du génocide avait une importance particulière pour l'Arménie, celle-ci présentant régulièrement des résolutions inspirées par la Convention pour la prévention et la répression de ce crime. La situation des réfugiés sur son territoire – originaires d'Azerbaïdjan mais aussi d'Iraq et dernièrement de Syrie – fait l'objet d'une attention constante des autorités, des mesures de naturalisation et d'intégration ayant notamment été prises. Mais le problème de leur logement demeure extrêmement aigu. Le vice-ministre a souligné par ailleurs que le blocus imposé par l'Azerbaïdjan et la Turquie constituait l'obstacle principal au développement économique du pays. Il a indiqué qu'une Stratégie nationale de protection des droits de l'homme avait été approuvée en 2012 et qu'une réforme constitutionnelle était en préparation afin de parvenir à un réel équilibre des pouvoirs et à l'amélioration de l'efficacité de l'administration, de la justice en particulier.

De haut niveau, la délégation arménienne était également composée de Mme Jemma Baghdasaryan, Vice-Ministre du travail et des affaires sociales; de M. Yeghishe Kirakosyan, Vice-Ministre de la justice; ainsi que de représentants des Ministères de l'économie, de la santé et de l'éducation, et de la Représentante permanente de l'Arménie à Genève, Mme Satenik Abgarian. La délégation a répondu aux questions des membres du Comité portant en particulier sur l'importance du phénomène de la corruption dans le pays, le rôle du Médiateur, la législation contre la discrimination, les mesures en faveur de l'égalité des sexes. Les experts ont notamment constaté que l'égalité entre hommes et femmes «ne semble pas aller de soi au sein de la société» arménienne. Les experts se sont par ailleurs inquiétés de la pratique de l'avortement sélectif visant les filles et de la poursuite de l'état de guerre larvée avec l'Azerbaïdjan au sujet du Haut-Karabakh.

Dans ses réponses, la délégation a assuré que la lutte contre la corruption et contre la pauvreté font partie des grandes priorités du pays. Le rôle économique de la diaspora a par ailleurs été souligné, particulièrement sous l'angle des investissements économiques. La délégation a par ailleurs reconnu qu'un cadre juridique global était nécessaire en matière de lutte contre la discrimination, faisant valoir qu'un tel cadre devrait être prêt à l'horizon 2016. S'agissant des avortements sélectifs au détriment des filles, il a été indiqué que la proportion des naissances était de 114 garçons pour 100 filles, phénomène qui a suscité des campagnes de sensibilisation en direction des futurs parents, les autorités étant conscientes de l'ampleur d'un problème qui concerne de manière cruciale l'avenir démographique du pays. L'Arménie estime enfin qu'une solution au conflit pour le Haut-Karabakh pourrait émerger sur la base du respect de trois principes: autodétermination, intégrité territoriale et renoncement à la menace ou au recours à la force. Interrogé sur sa réaction aux condoléances exprimées récemment par le Premier Ministre turc à l'intention des descendants des massacres de 1915, M. Hovakimian a estimé qu'elles ne constituaient pas des excuses en bonne et due forme à la mesure du génocide.

Les observations finales du Comité sur tous les rapports examinés au cours de la session seront rendues publiques à la clôture des travaux, le vendredi 23 mai prochain.


Demain, à partir de 10 heures, le Comité examinera le rapport périodique de la Chine (E/C.12/CHN/2), ainsi que des rapports concernant les régions administratives spéciales de Hong Kong et de Macao (E/C.12/CHN-HKG/3 et E/C.12/CHN-MAC/2)


Présentation du rapport

Présentant le rapport de l'Arménie (E/C.12/ARM/2-3), M. ASHOT HOVAKIMIAN, Vice-Ministre des affaires étrangères, a indiqué que les deuxième et troisième rapports combinés - présentés aujourd'hui - avaient été préparés par un groupe de travail interinstitutions avec la participation de tous les acteurs concernés, société civile comprise. En particulier, une table-ronde s'est tenue en septembre 2009 avec la participation d'une quarantaine de représentants d'organisations non gouvernementales et internationales. Il a souligné que l'Arménie ne s'était pas présentée devant le Comité depuis une quinzaine d'années et expliqué que le retard dans la présentation du rapport s'explique par des considérations techniques. En effet, à la suite de sa soumission au Secrétariat à New York, le document a été perdu dans des circonstances étranges que l'Arménie n'a jamais réussi à éclaircir. Il a donc été présenté à nouveau deux ans plus tard, tandis que les réponses aux listes de questions du Comité ont été fournies en mars de cette année. Une version actualisée du document principal a été remise au Secrétariat, également en mars, en tant que complément intégral à ce rapport combiné.

M. Hovakimian il a rappelé que son pays avait signé et ratifié tous les grands traités relatifs aux droits de l'homme depuis le rétablissement de son indépendance. Il a rappelé que la prévention du génocide avait une importance particulière pour l'Arménie. Les autorités d'Erevan ont soulevé systématiquement cette question, pas seulement du fait que le peuple arménien ait eu à connaître une telle tragédie, mais aussi parce qu'elles considèrent qu'il s'agit du premier grand crime contre l'humanité du XXe siècle. L'Arménie présente régulièrement des résolutions inspirées par la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide.

La situation des réfugiés sur le territoire arménien fait l'objet d'une constante attention de la part des autorités, a poursuivi le vice-ministre, ajoutant que des mesures de naturalisation et d'intégration avaient été mises en œuvre. Mais le problème du relogement des réfugiés venus d'Azerbaïdjan demeure extrêmement aigu et une conférence internationale des donateurs a été organisée en 2011 à Erevan sur la question. En outre, le pays accueille plus de 4000 réfugiés arméniens de souche originaires d'Iraq, ainsi que 15 000 Syriens.

Le vice-ministre a souligné que le blocus imposé par l'Azerbaïdjan et la Turquie constituait l'obstacle principal au développement économique du pays. Cet embargo violant le droit international renchérit le prix des exportations du pays d'environ 15%. De même, ce blocus entraîne une augmentation des prix des produits d'importation qui doivent transiter par la Géorgie et dont le flux n'est pas absolument garanti. Face à cette situation, le nouveau Premier Ministre, M. Hovik Abrahamyan, nommé il y a deux semaines, a souligné l'importance de développer les petites et moyennes entreprises.

Par ailleurs, une Stratégie nationale de protection des droits de l'homme a été approuvée en 2012, tandis qu'un plan d'action concret a été lancé en février dernier. Il est axé sur la réduction du chômage des jeunes, l'amélioration de la sécurité de travail, la création d'un système de services sociaux intégrés visant à assister les secteurs les plus vulnérables de la population, l'emploi des personnes handicapées, ou encore l'amélioration des services de santé. En outre, ce Plan d'action prévoit la ratification du Protocole facultatif au Pacte.

Une réforme constitutionnelle est en préparation, a aussi indiqué le vice-ministre, la priorité étant de parvenir à un authentique équilibre des pouvoirs et à l'amélioration de l'efficacité de l'administration, de la justice en particulier. M. Hovakimian a particulièrement mis en avant les politiques antidiscriminatoires promues par les autorités, ainsi que l'actuel Plan national d'action pour les droits de l'enfant pour la période 2004-2015. Un Plan d'action pour une politique du genre a été impulsé dans le but de promouvoir la participation des femmes dans toutes les sphères de la vie publique, ainsi que pour lutter contre la violence domestique. En outre, un quatrième Plan de lutte contre le trafic d'êtres humains est en vigueur pour l'exercice 2013-2015. Le vice-ministre a aussi mentionné la stratégie de protection des personnes handicapées en vigueur sur la période 2006-2015, et celle en faveur de l'assistance aux personnes âgées sur l'exercice 2012-2016. Le financement de tous ces programmes est assuré par le budget de l'État.

Examen du rapport

Questions et observations des membres du Comité

MME LYDIA CARMELITA RAVENBERG, rapporteuse du Comité pour l'examen du rapport de l'Arménie, a d'abord rappelé que le rapport initial ce pays remontait à 1999 et qu'étaient présentés conjointement aujourd'hui ses deuxième et troisième rapports périodiques. Cela montre, selon elle, que ce pays n'a pas respecté ses obligations conventionnelles, ce qui a fait perdre l'élan impulsé par le dialogue initial, a-t-elle constaté. Elle a regretté que le rapport soit plus centré sur la législation et sur les politiques adoptées plutôt que sur leur mise en œuvre effective. Le Comité a en effet besoin de savoir ce qu'il en est de l'application des textes et du respect concret du Pacte. Les rapports doivent contenir des informations précises et concrètes, a rappelé Mme Ravenberg. La rapporteuse a rappelé en outre que le délai de quinze ans depuis le rapport initial ne facilitait pas le travail du Comité, souhaitant de plus amples renseignements sur les raisons pouvant expliquer un tel retard.

Mme Ravenberg a souhaité en savoir davantage sur le rôle du Médiateur, notamment s'il pouvait s'apparenter à une institution nationale des droits de l'homme conforme aux Principes de Paris. Il a aussi voulu savoir dans quelle mesure le gouvernement tient compte des recommandations du Médiateur.

La rapporteuse a constaté que la corruption constituait manifestement un problème grave en Arménie, problème qui se serait aggravé entre 2009 et 2013, si l'on en croit les statistiques disponibles. Cette corruption affecterait toutes les institutions de l'État, particulièrement la police et la justice, ce qui constitue une atteinte à l'état de droit. Or, le rapport ne fournit guère d'informations sur les initiatives gouvernementales visant à prévenir et combattre la corruption. Ses auteurs se contentent en effet d'indiquer de manière vague que des mesures ont été prises. Mme Ravenberg a voulu savoir quelles mesures ont été prises et quels en ont été les résultats, de même que les mesures de suivi qui ont été éventuellement prises, notamment pour assurer l'indépendance de la justice. Existe-t-il une loi réprimant la corruption? Quelles mesures ont été prises pour lutter contre la corruption des services publics?

Parmi les autres membres du Comité, un expert a rappelé que si l'édiction de lois, de stratégies et de programmes sont extrêmement positifs, leur mise en œuvre est tout aussi essentielle. L'expert a par ailleurs souligné que si le problème de la corruption n'est pas propre à l'Arménie, le Comité souhaite savoir de manière précise et concrète ce que font les autorités pour combattre ce problème. Il en va de même en matière de discrimination. À cet égard, l'expert a souhaité savoir si la législation arménienne sanctionnait par exemple la discrimination sexuelle en matière d'emploi. Il a constaté par ailleurs que les femmes étaient moins présentes dans les organes législatifs qu'à l'époque soviétique.

Une experte a fait part de sa déception face au rapport, constatant qu'il s'agissait d'une compilation des lois adoptées plus que d'exemples concrets. Un autre membre du Comité a estimé que le rapport, long de 80 pages, ne saurait couvrir les dix années écoulées. Un expert s'est demandé, au regard du rapport, si le Gouvernement comprenait bien quels droits sont concernés par le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.

Une experte a souhaité savoir combien de plaintes avaient été reçues par le Médiateur l'an dernier en matière de discrimination. Elle a aussi demandé si les questions d'identité sexuelle étaient prises en compte. Se félicitant de l'adoption d'une loi sur l'égalité sexuelle, elle a toutefois constaté que des jeunes filles mineures pouvaient légalement se marier, sous réserve d'avoir l'autorisation de leurs parents. S'agissant du code électoral, elle a déploré que le quota maximal de candidats d'un seul sexe imposé aux partis soit fixé à 80%, ce qui semble véritablement excessif; elle a estimé qu'un pourcentage de 50% serait souhaitable.

Une autre experte a déclaré qu'il semblait ne pas y avoir de cadre juridique global couvrant toutes les discriminations. Elle a ajouté que le concept de l'égalité hommes-femmes ne semble pas faire l'objet d'un débat au sein de la société et qu'une telle égalité ne semblait pas aller de soi.

Un membre du Comité a relevé que l'Arménie a indiqué que le Pacte avait été invoqué devant les tribunaux dans 16 affaires et a demandé des précisions sur ces cas. Un autre a demandé sur quelle jurisprudence les tribunaux arméniens se fondaient dans l'invocation du Pacte.

Un autre expert a soulevé la question du conflit avec l'Azerbaïdjan s'agissant du Haut-Karabakh et bien noté l'attachement de l'Arménie au droit des peuples à l'autodétermination. Il a demandé de quelle manière l'Arménie pensait régler cette question avec son voisin. Les deux pays doivent coexister pacifiquement, a-t-il souligné, en premier lieu pour le bien-être des peuples concernés.

S'agissant du génocide, l'expert a demandé quelle était la position de l'Arménie après la récente reconnaissance de fait, par le premier ministre turc Recep Tayyip Erdoðan, de l'extermination des Arméniens par les Ottomans. Enfin, le même expert a demandé si la diaspora arménienne jouissait d'un certain nombre de droits, politiques notamment, dans leur patrie d'origine, lorsque ses membres rentrent au pays de manière définitive ou temporaire.

Les membres du Comité ont souhaité avoir des précisions sur le salaire minimum, ainsi que sur le niveau minimal des retraites, s'interrogeant si ce dernier était suffisant pour vivre décemment. S'agissant du chômage, s'il semble que les mesures prises jusqu'en 2007 aient permis de le réduire, un expert a demandé ce qui avait été fait depuis lors.

S'agissant des personnes handicapées, un membre du Comité s'est félicité de la législation en leur faveur, tout en s'interrogeant sur sa concrétisation. Précisément, combien d'handicapés en âge de travailler ont-ils effectivement un emploi?

Une autre experte a relevé l'ampleur du problème des avortements sélectifs au détriment des filles. Elle a appelé l'Arménie à prendre des mesures pour y remédier, cet état de fait s'expliquant aussi, selon elle, par des raisons économiques, comme cela est le cas dans certains autres pays. Une autre experte, qui s'est félicitée des efforts de l'Arménie en faveur du droit à la santé, a demandé à avoir des chiffres concernant les effectifs des services d'obstétrique. Elle a demandé quelle assistance était apportée aux jeunes filles tombant enceintes, une question liée aussi à celle de l'avortement. Une autre a noté que le taux d'avortement moyen était de 0,8% par femme: l'éducation sexuelle est-elle assurée dans les écoles et quels sont les moyens de contraception disponibles, a-t-elle demandé, s'inquiétant elle aussi de la pratique de l'avortement sélectif. Elle a aussi relevé que, selon la Banque mondiale, les dépenses de santé de l'Arménie atteignent 4,5% du PIB, et elle a souhaité savoir comment le pays prenait en compte les besoins des populations rurales dans ce domaine, ainsi que la prise en charge des frais hospitaliers pour la population au sens large.

Un membre du Comité a relevé que selon les statistiques, un Arménien sur trois vivait sous le seuil de pauvreté et demandé quelles mesures avaient été prises pour tâcher d'y remédier. Il a aussi voulu savoir si les victimes du séisme de 1987 ont été relogées, alors que le problème de pénurie de logements a été aggravé par l'afflux de réfugiés?

Un expert a relevé que le pays comptait une vingtaine de groupes minoritaires, dont onze seulement bénéficient d'une reconnaissance officielle. Quelles sont les possibilités d'expression et de développement des cultures minoritaires pour les minorités non reconnues en tant que telles? Un autre membre du Comité a souhaité savoir quels étaient les politiques et programmes dans l'enseignement public pour encourager l'apprentissage et l'utilisation des langues minoritaires. Un autre expert, qui a rappelé que de nombreux Arméniens vivaient à l'étranger, en Géorgie en particulier, a demandé s'il existait des accords de coopération avec ce voisin de l'Arménie. Y a-t-il des échanges d'étudiants, par exemple?

L'éducation ne représenterait que 3% du PIB, ce qui est inférieur à la moyenne des pays comparables. Dans le programme Éducation pour tous de l'UNESCO, l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture s'inquiète de l'absence de progrès de l'Arménie au niveau préscolaire. La rapporteuse, Mme Ravenberg, s'est enquise pour sa part des conditions sanitaires dans les établissements scolaires.

La recherche scientifique semble connaître une baisse en Arménie, de même que la présence de femmes scientifiques. L'Arménie a-t-elle pris des mesures pour encourager la présence des femmes dans les filières scientifiques?

Par ailleurs, il semble que le niveau de l'enseignement secondaire laisse à désirer, ce qui contraint un certain nombre d'élèves de faire appel à des tuteurs privés, a affirmé une experte. L'experte a souhaité savoir ce qui était fait pour interdire les châtiments corporels dans les établissements. Un autre expert a relevé à cet égard que la loi ne semblait pas prévoir de sanctions.

Un autre membre a demandé quelle part avait la diaspora arménienne dans le développement du pays, et si cela avait été évalué.

Réponses de la délégation

Répondant aux questions et observations des membres du Comité, M. Hovakimian s'est d'abord engagé à ce que l'Arménie respecte les délais à l'avenir, assurant que le Comité n'aurait pas à attendre encore quinze ans pour la présentation d'un quatrième rapport.

Le Vice-Ministre s'est félicité par ailleurs qu'un membre du Comité ait soulevé la question de l'autodétermination du Haut-Karabakh, rappelant que cette République n'était pas reconnue sur le plan international à ce jour. Un processus diplomatique est en cours dans le cadre de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, les pays du Groupe de Minsk jouant le rôle de bons offices dans leurs efforts visant à amener les parties à un compromis. Une solution pourrait émerger sur la base de trois principes intangibles, a-t-il expliqué: autodétermination, intégrité territoriale et renoncement à la menace et au recours à la force, a expliqué le chef de la délégation arménienne. Toutefois, aucun principe du droit international ne doit avoir prééminence sur un autre, a-t-il souligné. Très souvent, certains pays mettent en effet en avant un seul principe du droit international, privilégiant l'intégrité territoriale au détriment de l'autodétermination, a-t-il constaté, ce qui n'est pas acceptable pour l'Arménie. Le conflit est certes très complexe, il est source de difficultés dans la région et porte atteinte à la paix.

Quant à la question de la prévention du génocide, M. Hovakimian a estimé que la déclaration récente du premier ministre turc ne constituait pas des excuses en bonne et due forme et qu'elle était même dépourvue de sentiments, mettant sur le même plan les victimes et les auteurs des tueries. Un geste authentique de bonne volonté consisterait, selon l'Arménie, à la réouverture de la frontière turque, fermée depuis plus de vingt ans. Il a rappelé par ailleurs que d'une manière générale, son pays luttait contre tout discours raciste et chauvin.

S'agissant de la diaspora arménienne, qui représente les deux-tiers de la population arménienne dans le monde, elle joue un rôle dans le développement économique et social du pays, a souligné le vice-ministre. L'Arménie permet la double nationalité à toute personne d'origine arménienne de par le monde. Ces personnes bénéficient des mêmes droits que leurs compatriotes vivant dans le pays, à l'exception d'un seul: elles ne peuvent voter aux élections arméniennes depuis l'étranger; elles ne peuvent exercer ce droit que sur le territoire même de la République d'Arménie. En fin de séance, M. Hovakimian a aussi expliqué que le pays a créé un ministère de la diaspora. Ces communautés existent depuis bien plus longtemps que l'État arménien moderne, a-t-il rappelé. Les plus grands investisseurs en Arménie sont d'ailleurs issus de la diaspora. En conséquence, les montants des transferts en provenance de la diaspora équivalent au budget de l'État.

Répondant à de nouvelles questions sur la diaspora, M. Hovakimian a rappelé que ses membres étaient citoyens de différents pays, citant l'exemple d'un Argentin d'origine arménienne ayant fortement investi dans le pays de ses ancêtres. L'Arménie considère qu'il s'agit d'un investissement argentin mais la démarcation est très ténue, a reconnu le vice-ministre, car l'on sait aussi que les origines de cet investisseur qui a rénové par exemple l'aéroport d'Erevan, ne sont pas pour rien dans son choix. Lors de la proclamation de l'indépendance, on considérait que les pays voisins disposaient de richesses naturelles – le pétrole pour certains par exemple – et que l'Arménie, pays enclavé sans ressources, avait toutefois sa diaspora, a-t-il observé. L'Arménie est le pays de tous les Arméniens, ce qui explique l'instauration de la double citoyenneté.

S'agissant des relations avec la Géorgie soulevées par un expert, le vice-ministre des affaires étrangères a confirmé la forte proximité entre les deux voisins.

Pour ce qui concerne la corruption, un autre membre de la délégation a indiqué que l'Arménie en était à la mise en œuvre d'un troisième plan de lutte contre ce fléau. Celui-ci est axé sur les services publics dont on souhaite améliorer l'intégrité, en premier lieu celle des hauts fonctionnaires. Cette stratégie comporte un volet pénal. L'un des gros problèmes liés à ce phénomène est de disposer de statistiques plus précises quant à son ampleur. Un groupe de travail gouvernemental a été mis en place. Il doit être doté d'un secrétariat permanent qui sera chargé du suivi des mesures prises. L'Arménie s'appuie sur l'assistance internationale dans ce domaine, notamment avec la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement, la CNUCED. L'Arménie est aussi partie à la Convention pénale du Conseil de l'Europe contre la corruption. La délégation a signalé par ailleurs le cas de poursuites engagées contre des fonctionnaires dans l'abus de leurs fonctions. Elle a assuré que le parquet ne ménageait aucun effort pour éradiquer ce fléau.

Abordant la question de la lutte contre la discrimination, la délégation a reconnu qu'un cadre juridique global était nécessaire, ainsi que l'a observé un membre du Comité. Le gouvernement prévoit d'élaborer un tel cadre de lutte contre la discrimination qui devrait être prêt à l'horizon 2016. Pour ce qui concerne l'âge minimal du mariage, il est désormais identique pour les deux sexes, à savoir 18 ans. Plusieurs minorités nationales ayant pour coutume de marier précocement les jeunes filles ont protesté, ce qui n'a pas empêché l'harmonisation de l'âge de nubilité.

D'une manière générale, la législation nationale s'appuie sur l'égalité et la non-discrimination, qu'elle soit d'origine sexuelle, ethnique ou nationale. Tout citoyen s'estimant victime de discrimination peut intenter une action, y compris auprès du Conseil de l'Europe, a-t-il été rappelé. Un Conseil présidentiel de coordination des 11 minorités nationales reconnues a été mis en place, le pays comptant une vingtaine de minorités au total. Cette instance a un statut consultatif. Pour ce qui concerne les minorités sexuelles, l'homosexualité a été dépénalisée. Il n'existe pas non plus de restrictions à l'accès aux soins de santé ou à l'éducation, que ce soit pour les minorités nationales ou sexuelles. Concernant les informations faisant état de harcèlements visant ces dernières, les autorités se sont engagées à faire preuve de vigilance face à ces phénomènes haineux.

La délégation a par la suite reconnu que le bureau du Médiateur ne dispose pas de plaintes spécifiques fondées sur des cas de discrimination, ce qui ne signifie pas que le problème ne se pose pas, a reconnu la délégation.

L'Arménie a ratifié la Convention relative aux personnes handicapées. Un groupe de travail a passé au crible l'ensemble de la législation nationale relative aux personnes handicapées, qui représentent 6% de la population. Un projet de loi devrait être débattu dans un proche avenir par les députés, l'Arménie n'entendant tolérer aucune discrimination à l'endroit des personnes handicapées. La délégation a rappelé que l'accessibilité – des hôpitaux et des écoles en particulier - avait été négligée dans la période soviétique. On tend aujourd'hui à y porter remède. Les transports en commun de la capitale sont en cours d'adaptation. La délégation a aussi cité le cas du ministère des situations d'urgence qui compte 13 employés handicapés. Par ailleurs, les personnes handicapées bénéficient de services médicaux gratuits, notamment en matière orthopédique. La définition, le statut de personnes handicapées a été amélioré en s'appuyant sur les directives de l'Organisation mondiale de la santé. En réponse à la question sur le chômage les affectant, 65% d'entre elles sont en âge de travailler mais 9% seulement d'entre elles disposent d'un emploi. Pour remédier à ce taux élevé, les services publics en particulier sont encouragés à embaucher des handicapés. La délégation a par la suite expliqué que la question de l'accessibilité des bâtiments pour les personnes handicapées devrait faire l'objet d'une révision du calendrier qui devrait être plus réaliste que les trois années envisagées au départ dans le Plan d'action concernant les handicapés.

Interrogée sur la suite donnée par le Gouvernement aux recommandations du Médiateur, la délégation a reconnu qu'il arrivait que ses recommandations ne soient pas bien reçues par les autorités, a reconnu un membre de la délégation. Il a toutefois indiqué que le doublement de son budget était prévu. Le Médiateur dispose du statut A prévu par les Principes de Paris sur les institutions nationales des droits de l'homme. Il dispose d'antennes régionales dans les zones enclavées.

Les dispositions du Pacte ont effectivement été invoquées devant les tribunaux dans 18 cas au total, deux de plus depuis la publication du rapport. Dans une dizaine de cas, le tribunal s'est appuyé sur le Pacte pour résoudre des affaires de différentes natures, ne se contentant donc pas seulement de le mentionner. Dans certains cas, c'est l'une des parties elle-même qui l'a invoqué. Sont notamment concernées les dispositions du Pacte relatives au droit du travail, à un niveau de vie suffisant, à celui de disposer d'un logement décent. Les tribunaux s'appuient sur la jurisprudence des organes conventionnels de l'ONU, a-t-il été précisé. La Cour constitutionnelle s'inspire elle aussi des instruments internationaux.

En ce qui concerne les prestations sociales, le niveau des retraites en particulier, celui-ci est revalorisé pour les personnes seules. Il est tenu compte des charges de famille pour les autres. Quant au salaire minimum, il est revalorisé régulièrement. Plutôt que de verser des indemnités de chômage, les autorités envisagent d'inciter les chômeurs à rechercher activement du travail, la question étant en débat actuellement.

En réponse à une question sur les avortements sélectifs au détriment des filles, un représentant du Ministère de la santé a indiqué que la proportion des naissances était de 114 garçons pour 100 filles. Face à cette situation, il a été interdit aux cliniques de révéler le sexe du fœtus en gestation lors de l'échographie. Des mesures d'ordre psychologique sont aussi favorisées telles que le fait de faire écouter le cœur du fœtus aux futurs parents. Des campagnes de sensibilisation à la radio et à la télévision ont lieu, les autorités étant conscientes de l'ampleur d'un problème qui concerne de manière cruciale l'avenir démographique du pays.

Sur le plan économique, des mesures de soutien aux jeunes entrepreneurs, femmes comprises, ont été adoptées pour promouvoir le développement du pays.

La délégation a reconnu une tendance à la hausse de la pauvreté dans le pays. Les transferts sociaux (allocations et aides diverses) représentaient environ 19% des revenus par habitant en 2012 contre 14% en 2008. La crise s'est répercutée de manière sévère, particulièrement pour les enfants pauvres de moins de cinq ans (dont le pourcentage a connu un pic, atteignant jusqu'à 45% de cette tranche d'âge avant de redescendre sous les 40%). Les prévisions envisagent que le taux de pauvreté descende à 24% d'ici 2017 contre plus de 32% aujourd'hui, l'objectif étant de le ramener à 13% à l'horizon 2015. Pour ce faire un certain nombre de programmes d'investissement sont envisagés, y compris en régions. D'ici 2025, il est prévu d'accroître les revenus à la fois des pensions et des allocations familiales tout en augmentant le salaire minimum afin de faire en sorte de faire sortir un nombre croissant de la population de la pauvreté. Les allocations familiales concernent les familles nombreuses, la délégation explicitant les critères permettant à une famille de faire valoir ses droits en fonction du nombre d'enfants. L'attribution des logements sociaux répond aussi à un certain nombre de critères, bénéficiant en priorité aux personnes mal logées et aux victimes du séisme de 1987. Quelque 1300 familles sont toujours en attente de relogement, a précisé la délégation, les autorités prévoyant le règlement de leur cas dans les trois prochaines années.

Un projet de loi visant à lutter contre la violence domestique est en débat. Il a fait l'objet d'une longue concertation avec la société civile. Il devrait être débattu par l'Assemblée nationale en 2015. La question des châtiments corporels sera traitée dans ce texte. Les châtiments corporels sont interdits, a répondu la délégation, que l'enfant soit dans sa famille ou bien sous tutelle dans un orphelinat. Il est interdit d'exercer la moindre violence envers les enfants, cette interdiction ne connaissant aucune restriction.

S'agissant de la protection des minorités nationales, la délégation a précisé que des manuels étaient publiés à leur intention. Un centre culturel des minorités a été créé en 2010 à Erevan. Par ailleurs, tous les monuments culturels, quelle que soit leur origine, sont protégés. Les subventions en faveur des minorités ont été doublées récemment. Les principales minorités ont la possibilité de bénéficier d'un enseignement dans leur langue, le ministère de l'éducation ayant entrepris l'amélioration de la formation des enseignants. Par ailleurs, des enseignants de la diaspora peuvent suivre des cours d'arménien, quelque 200 d'entre eux profitant de cette possibilité tous les ans.

Les soins primaires de santé sont gratuits à l'exception des soins dentaires. En matière de santé, plus de 9700 médecins exercent en Arménie dont un tiers dans les établissements ruraux, a-t-il été précisé. En matière obstétrique, il existe 57 centres ambulatoires dont 39 en région. Selon les services de planning familial, 27% des femmes utilisent des moyens de contraception modernes, 28% usant de méthodes traditionnelles. En réponse à une question ayant trait à l'éducation sexuelle, la délégation a expliqué que les programmes d'éducation sur la vie saine dans les écoles incluent la santé sexuelle. Les grossesses précoces des adolescentes demeurent relativement exceptionnelles.

L'éducation de base est gratuite et obligatoire, l'Arménie étant préoccupée par un financement effectivement inférieur aux pays comparables. La délégation a toutefois souligné que le budget de l'éducation n'avait pas baissé: il devrait être de 4% en 2020. La grande faiblesse du système éducatif concerne l'enseignement préscolaire, particulièrement en régions où il est pratiquement inexistant. Un programme pour y remédier a été lancé, les autorités espérant toucher 90% des enfants dans les prochaines années. Entre 5 et 10% du budget de l'éducation est consacré à la rénovation des infrastructures scolaires, ce qui est insuffisant, reconnaît l'Arménie, notamment en ce qui concerne la modernisation de l'assainissement des établissements. L'éducation aux droits de l'homme est incluse dans le cursus scolaire.

S'agissant des services de tutorat privé, un représentant du ministère de l'éducation a indiqué que l'entrée à l'université étant soumise à un examen, il est fréquent que les élèves se préparent ainsi aux épreuves qui les attendent. Il ne s'agit pas d'améliorer la qualité de l'enseignement fourni dans le secondaire. Quant aux écoles spéciales pour les enfants handicapés, elles ont vocation à disparaître au profit d'une éducation inclusive.

Conclusions

Le chef de la délégation arménienne, M. HOVAKIMIAN, qui s'est félicité de l'échange avec le Comité, a réaffirmé l'importance de la Convention pour son pays. Le vice-ministre s'est engagé à un respect plus strict des dispositions du Pacte. Il a rappelé que l'Arménie se soumettrait l'an prochain à l'Examen périodique universel du Conseil des droits de l'homme. Il a souligné que face aux évolutions des quinze dernières années, l'Arménie donnait l'impression d'être un pays très différent de ce qu'il était alors. Il a rappelé l'appartenance de son pays à diverses institutions internationales dont le Conseil de l'Europe. Si l'Arménie est aujourd'hui plus sûre d'elle-même, elle est néanmoins confrontée à de nombreux défis; il suffit de regarder une carte géographique pour s'en convaincre. Il est clair qu'elle se situe dans une zone névralgique pouvant parfois être lourde de menaces. Le Vice-Ministre arménien des affaires étrangères a souligné l'importance de la notion d'autodétermination pour son pays, soulignant qu'aucune région du monde ne devrait être privée de la jouissance des droits fondamentaux de l'homme. Aucun peuple ne doit être privé de ces droits en raison de la non-reconnaissance de son droit à l'autodétermination, a-t-il conclu.

La rapporteuse du Comité pour l'Arménie, Mme RAVENBERG, a affirmé que la délégation avait accompli un effort impressionnant pour répondre aux questions qui lui étaient posées.

Le Président du Comité, M. ZDZIS£AW KÊDZIA, s'est félicité à son tour de la qualité du dialogue et des réponses apportées par la délégation arménienne, ainsi que de leur franchise. Il a témoigné avoir écouté Radio Erevan, très écoutée en Europe de l'Est avant les années 90 car elle diffusait des histoires drôles à tonalité satirique.


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