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LE COMITÉ DES DISPARITIONS FORCÉES EXAMINE LE RAPPORT DE L'ARGENTINE

Compte rendu de séance

Le Comité des disparitions forcées a examiné, hier après-midi et ce matin, le rapport initial présenté par l'Argentine sur les mesures qu'elle a prises pour mettre en œuvre les dispositions de la Convention pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.

M. Juan Martín Fresneda, Secrétaire aux droits de l'homme auprès du Ministère de la justice et des droits de l'homme de l'Argentine, après avoir indiqué qu'il était lui-même le fils d'un couple de disparus, a indiqué que 1083 personnes avaient été poursuivies pour le crime de disparition forcée à ce jour, dont 445 ont été condamnées. Parallèlement, l'État poursuit ses efforts d'identification des enfants de disparus, qui ont été l'objet d'«appropriations illicites» pendant la terreur d'État. Ces enquêtes ont permis à 109 d'entre eux de retrouver leur identité grâce à la lutte inlassable de l'Association des Grands-mères de la place de Mai. Dans le même temps, les efforts se poursuivent pour faire la lumière sur le sort de milliers de personnes disparues, ainsi que l'identification de leurs restes. M. Fresneda a reconnu que beaucoup restait à faire néanmoins pour démocratiser véritablement la police et la justice de son pays.

La délégation argentine était également composée de M. Federico Villegas Beltrán, Directeur général des droits de l'homme au Ministère des relations extérieures et du culte; de M. Jorge Auat, chargé de la coordination et du suivi des cas de crimes contre l'humanité; de Mme Ana Oberlin, directrice des questions juridiques internationales au Secrétariat aux droits de l'homme, ainsi que de membres de la Mission permanente de l'Argentine à Genève. Elle a répondu aux questions des experts s'agissant, notamment, de la réforme du code pénal, de l'indemnisation des victimes, de l'identification des enfants enlevés et adoptés illégalement pendant la dictature, de la protection des témoins, de la pratique de la détention au secret, et plus généralement du problème posé par le fonctionnement des institutions provinciales qui ne respecteraient pas les engagements internationaux de l'Argentine. La délégation a notamment reconnu que la disparition, en 2006, d'un témoin dans une affaire de disparition forcée avait constitué un traumatisme pour l'Argentine. Elle a insisté sur le nécessaire devoir de mémoire face à une société qui reste tentée de fermer les yeux sur un passé particulièrement douloureux.

Le rapporteur du Comité pour l'examen du rapport, M. Rainer Huhle, a notamment constaté que, dans plusieurs décisions de justice pour disparitions forcées, c'est la peine minimale de cinq ans qui a souvent été infligée, en particulier dans les cas d'enlèvements de mineurs sous la dictature. La question de la protection des témoins a aussi suscité des préoccupations chez M. Huhle, s'agissant en particulier d'une affaire datant de 2006 et qui n'a toujours pas été élucidée. Le corapporteur, M. Juan José Lopez Ortega, s'est notamment inquiété du manque de respect des instruments internationaux ratifiés par l'Argentine par les autorités provinciales en particulier, s'agissant surtout de la pratique de la détention administrative.

Le Comité adoptera des observations finales sur le rapport de l'Argentine qui seront rendues publiques après la fin de la session, dont la séance de clôture se tiendra le vendredi 15 novembre dans l'après-midi.


Cet après-midi et demain matin, le Comité examinera le rapport initial de l'Espagne (CED/C/ESP/1).


Présentation du rapport de l'Argentine

Présentant le rapport initial de l'Argentine (CED/C/ARG/1), M. JUAN MARTÍN FRESNEDA, Secrétaire d'État aux droits de l'homme, rappelant le rôle clé joué par son pays dans l'élaboration de la Convention, a souligné qu'après plus de quarante ans de lutte par les proches de disparus, il avait l'honneur, lui-même fils d'un couple de disparus, de présenter au Comité le premier rapport de l'Argentine, où la disparition forcée a été pendant un temps une pratique quasiment institutionnalisée. Il a indiqué que 1083 personnes avaient été traduites en justice pour ce crime, 445 ayant été condamnées dont un grand nombre à des peines de prison ferme. Parallèlement, l'État poursuit ses efforts d'identification des enfants de disparus, qui ont été l'objet d'appropriation illicite pendant la terreur d'État. Cela a permis à 109 d'entre eux de récupérer leur identité grâce à la lutte inlassable de l'Association des Grands-mères de la place de Mai. Dans le même temps, les efforts se poursuivent pour mettre au jour le destin final de milliers de personnes disparues, ainsi que l'identification de leurs restes.

M. Fresneda a reconnu que le retour à la démocratie en 1983 n'avait pas permis d'en finir totalement avec le fléau des disparitions forcées. L'un des cas les plus emblématiques est celui de Jorge Julio López, disparu en 2006 après avoir témoigné contre un ancien commissaire poursuivi pour crimes contre l'humanité. Il s'agit d'un cas particulièrement douloureux sur le chemin de l'éradication de l'impunité lancé en 2003, a-t-il reconnu. Cela démontre que ce combat n'est pas une tâche aisée pour les pays qui ont non seulement vécu la tragédie d'un génocide mais aussi l'absence tragique d'un État qui s'appuyait sur un modèle néolibéral désincarné. La reconstruction des institutions a été entreprise par les deux présidents qui se sont succédé, Néstor Kirchner et Cristina Fernández de Kirchner. M. Fresneda a reconnu que beaucoup restait à faire à cet égard afin de parvenir à une démocratisation véritable des institutions, en premier lieu la police et la justice.

Le Secrétaire d'État aux droits de l'homme a évoqué le cadre juridique mis en place par son pays. L'interdiction de la disparition forcée est institutionnalisé à la fois dans la Constitution et dans le code pénal argentins. Il a rappelé que son pays avait adhéré dès 2007 à la Convention et qu'il avait aussi adhéré à la Convention interaméricaine sur la disparition forcée des personnes.

M. Fresneda a mentionné par ailleurs les cas de disparitions constituant des circonstances aggravantes, ceux qui viseraient par exemple une femme enceinte, un mineur, ou une personne âgée de plus de 70 ans. À l'inverse, le fait pour les auteurs de libérer leur victime ou de donner des informations permettant de la localiser permet de diminuer la sévérité des peines encourues. Il a souligné par ailleurs que les personnes accusées d'avoir commis des disparitions forcées bénéficiaient des mêmes garanties que pour tout auteur présumé de crimes.

En matière d'extradition, s'il n'existe pas de traité universel, un grand nombre de traités bilatéraux et multilatéraux permettent de traduire en justice les transfuges. Le chef de la délégation argentine a souligné que des mesures avaient été prises par l'État pour protéger les proches, les victimes, les témoins, les magistrats ainsi que les avocats, politique qui a dû être renforcée après la disparition de Julio López. Le Ministère de la justice et des droits de l'homme a ainsi mis en place un programme de protection des témoins qui concerne aussi les personnes privées de liberté.

M. Fresneda a énuméré les mesures de protection prises par les différents niveaux de gouvernement, tant aux niveaux national que provincial. Il a mentionné la banque nationale de données génétiques pour identifier les personnes nées en captivité ou ayant été détenues avec leurs parents. Il a aussi énuméré les lois de réparation en faveur des victimes. Enfin, il a évoqué les recherches entreprises pour localiser les restes des disparus et l'identification des enfants indûment adoptés.

Examen du rapport

Questions et observations des membres du Comité

M. RAINER HUHLE, rapporteur du Comité pour l'examen du rapport de l'Argentine, a estimé que le mode de préparation du rapport n'apparaissait pas clairement, notamment en ce qui concerne la consultation éventuelle de la société civile, dont les organisations ne sont pas mentionnées. Il s'est interrogé sur la jurisprudence des tribunaux, demandant à la délégation de fournir des informations plus concrètes, en brossant un tableau de la situation actuelle. La délégation dispose-t-elle de statistiques concernant les affaires instruites par la justice. Quant au processus d'«apprentissage», il serait bon d'avoir des indications sur les retombées en matière de réparations et de non-reproduction. Le Comité souhaite aussi savoir si les autorités ont mis en œuvre une politique globale et cohérente à ce sujet.

Le Comité souhaiterait aussi savoir s'il existe des groupes plus particulièrement vulnérables et si un profil type des victimes a pu être établi. Le Comité croit ainsi comprendre que les jeunes marginalisés sont plus susceptibles d'être pris pour cibles. Il souhaite que la délégation fasse le point sur les affaires en cours. Par ailleurs, les informations fournies par la société civile conduisent à s'interroger sur l'application du code pénal, notamment en ce qui concerne les complicités. Le rapporteur a rappelé que la disparition forcée constituait un crime complexe, où les responsabilités pouvaient être diluées et qui, prises isolément, n'étaient pas nécessairement passibles de peines sévères en Argentine. Dans de multiples décisions de justice, on relève que la peine minimale de cinq ans a souvent été infligée, en particulier dans les cas d'enlèvements de mineurs sous la dictature. L'ensemble du code pénal faisant l'objet d'un processus de réforme, le rapporteur a demandé à la délégation de faire le point à ce sujet.

Sur la question de la protection des témoins, M. Huhle est revenu sur l'affaire Julio López, évoquée par M. Fresneda, soulignant qu'elle restait particulièrement préoccupante du fait qu'elle n'avait toujours pas été élucidée. Il a souhaité savoir si des leçons avaient été tirées de ce cas en matière de protection accrue des témoins. Des mesures pratiques ont-elles été prises et lesquelles? En outre, l'État a-t-il pris des mesures spécifiques notamment en faveur de la protection des témoins potentiels placés en détention.

M. Huhle a par la suite abordé les problèmes qui peuvent être imputable au caractère fédéral de l'État argentin, mentionnant les décisions contradictoires de certaines instances judiciaires provinciales.

M. JUAN JOSÉ LÓPEZ ORTEGA, corapporteur du Comité pour l'examen du rapport de l'Argentine, a lui aussi souligné l'importance de la protection des témoins si l'on prétend mener des enquêtes exhaustives. Il a aussi souligné la nécessité de mener des enquêtes rapides pour une plus grande efficacité. M. López Ortega a demandé quelles étaient les stratégies gouvernementales dans ce domaine, aussi bien au niveau fédéral que provincial. Il a conclu en soulignant le rôle majeur qu'avait joué l'État argentin dans la promotion de la Convention, ne doutant pas de la volonté politique de celui-ci de la mettre en œuvre.

Le corapporteur a par la suite demandé à la délégation si elle était en mesure d'indiquer la date prévue pour l'adoption du texte qui donnerait rang constitutionnel à la Convention. S'agissant de la justice militaire, il s'est interrogé sur les cas de disparitions forcées commis par des militaires. De quelle justice relèvent les militaires accusés d'infractions pénales. Il a demandé quelles mesures étaient envisagées afin de démocratiser les forces de sécurité.

Un autre membre du Comité a félicité la délégation, relevant les efforts remarquables de l'Argentine pour instaurer une démocratie authentique. De concert avec un de ses homologues, il a noté qu'il existait une certaine incertitude quant à la définition du crime de disparition forcée, selon que l'on s'appuie sur la Convention ou sur le Statut de Rome. Les experts se sont interrogés en particulier sur l'interprétation de l'expression «pendant une période prolongée» qui peut être source d'incertitude pour les juges. Il a aussi souhaité savoir si des peines différentes s'appliquaient selon que l'on soit auteur, coauteur ou complice.

Un expert a mentionné la création en Uruguay d'une banque de données génétiques, se félicitant de la coopération entre les deux pays, notamment pour identifier les enfants de disparus dont l'identité a été falsifiée.

Une experte a demandé si les textes réprimant le terrorisme avaient une incidence sur les poursuites intentées dans les cas de disparition forcée. Un autre membre du Comité, qui a félicité l'État partie pour les efforts accomplis dans la mise en œuvre de la Convention, a évoqué les peines encourues (de dix à vingt-cinq ans de prison et l'interdiction d'exercer des fonctions publiques), souhaitant savoir quels critères permettaient de graduer les sentences. Enfin, un expert a demandé quels instruments avaient été mis en place pour appliquer l'article 3 de la Convention, relatif aux mesures appropriées prises par tout État partie pour enquêter sur les disparitions forcées susceptibles d'être l'œuvre de personnes ou de groupes de personnes agissant sans l'autorisation, l'appui ou l'acquiescement de l'État.

Un expert a souligné la nécessité de distinguer les auteurs de violations ayant agi avec la bénédiction de l'État et ceux ayant agi de leur propre initiative, demandant à la délégation si la loi prévoyait de les différencier.

Réponses de la délégation

Répondant à des questions sur le cadre général d'application, la délégation a indiqué qu'un certain nombre d'associations avaient été consultées lors de l'élaboration du rapport, en premier lieu celle des grands-mères de la place de Mai. Elle a souligné qu'au sein même du Gouvernement siégeaient d'anciens membres d'organisations non gouvernementales. S'agissant du statut de la Convention, il ne fait aucun doute qu'à terme celle-ci aura rang constitutionnel. La délégation a assuré que la notion de «devoir d'obéissance» (obediencia debida) prévue par le code pénal (qui exonère de responsabilité pénale le subordonné qui reçoit un ordre d'un supérieur) n'a jamais été invoquée pour exonérer un fonctionnaire dont la responsabilité est mise en cause. Un fonctionnaire ne peut pas accepter un ordre de torturer sous couvert du devoir d'obéissance, par exemple. Le droit positif argentin dispose de suffisamment d'outils pour résoudre toutes sortes de problèmes, d'obstacles juridiques détournés de leurs fins et susceptibles d'être utilisés en faveur de l'impunité. Quant à la faiblesse des peines infligées, en particulier pour enlèvement d'enfants, la délégation a reconnu que les sanctions encourues étaient effectivement faibles, ce que les proches des victimes ont beaucoup de mal à comprendre. Elle a admis que le droit était appliqué de manière conservatrice en Argentine.

Le code de justice militaire a été abrogé en 2008, a indiqué la délégation, qui a précisé qu'il était remplacé par un code de discipline des forces armées. Aujourd'hui, aucun délit ne relève de la justice militaire en tant que telle. En l'absence de justice militaire propre, tous les crimes sans exception, y compris la disparition forcée, relève de la justice pénale ordinaire, a-t-il été précisé. Pour une disparition imputable à des militaires, il peut y avoir à la fois un processus de sanction disciplinaire parallèlement à l'instruction des faits par la justice civile.

Quant à la démocratisation des forces de l'ordre, l'effort doit porter essentiellement sur l'éducation, la formation, la professionnalisation de leurs membres, a observé la délégation.

Face à son douloureux passé, l'Argentine n'est pas seulement chef de file par vocation, a dit M. Fresneda qui a souligné que son frère avait lui aussi été «approprié» par des parents adoptifs illégitimes. Malheureusement, a-t-il constaté, la société a tendance à se désolidariser du sort des familles de victimes. Il a fallu accomplir des efforts énormes en faveur du devoir de mémoire et de lutte contre l'impunité, a-t-il souligné. Pour lui, l'obstacle principal n'est pas le legs du terrorisme d'État mais l'idéologie néolibérale dominante. Il a aussi souligné que la démocratisation des forces de sécurité était loin d'être parvenue à son terme. En outre, il existe une forte résistance des institutions judiciaires provinciales qui sont réticentes à appliquer les instruments juridiques internationaux. La violence institutionnelle est profondément ancrée dans l'histoire du pays, a-t-il reconnu, tout en estimant que la disparition forcée ne s'inscrivait toutefois pas dans cette «tradition». La sensibilisation des fonctionnaires dans ce domaine est un effort à mener à long terme, a-t-il souligné. Revenant sur le cas de Jorge Julio López, M. Fresneda a constaté qu'il était très difficile d'apprendre à un État à affronter ce type de problème. Si l'Argentine peut légitimement se targuer d'avoir pris des mesures courageuses pour faire face à son passé, elle doit toutefois agir pour empêcher la résurgence du terrorisme d'État, pour faire en sorte que le passé ne puisse se reproduire.

L'Argentine est le seul pays au monde à avoir décidé de rouvrir des affaires remontant à quatre décennies, a-t-il été souligné. Aucun droit spécifique ou, ni aucun tribunal spécial ad hoc n'ont été instaurés. Par conséquent, juger ces affaires dans le cadre judiciaire classique n'est pas chose aisée, alors qu'il faudra finir par tourner la page, a souligné la délégation. Lorsque les crimes étaient commis, ce sont les justices d'autres pays, en particulier de la France et de l'Italie, qui se sont saisies de ces crimes, l'Argentine des militaires refusant de le faire. La question de l'impunité n'est devenue prioritaire que depuis la présidence Kirchner. Les pays qui s'étaient saisis des crimes commis sous la dictature aident aujourd'hui la justice argentine à instruire les poursuites.

En ce qui concerne les ressources économiques consacrées à la lutte contre l'impunité, le Ministère de la justice et des droits de l'homme a créé un fonds destiné à récompenser toute personne apportant des informations sur les violations passées. Un grand nombre d'informations ont ainsi pu être recueillies. La délégation a ajouté qu'une sorte d'«examen périodique national» pourrait être mis en place dans les provinces argentines afin de voir de quelle manière les droits de l'homme étaient respectés. Ce serait aussi un moyen de tirer la sonnette d'alarme par un mécanisme d'alerte précoce, a déclaré la délégation, qui a notamment reconnu que des abus sont encore commis par des policiers dans certaines régions.

M. Fresneda a reconnu des «pesanteurs idéologiques» au sein de la justice, soulignant que le pays était toujours dans un processus de transition. Il y a une tension permanente entre l'État de droit et l'État policier. Dans les pays ayant connu de longues périodes de dictature, le discours de la violence institutionnelle a joui d'un prestige en tant que moyen de régler les conflits. «Certains juges sont plus proches de la matraque que de la toge», a déclaré le chef de la délégation, malgré la relève des générations. «Si les eaux ont changé, le fleuve reste le même», a-t-il ajouté, car l'institution judiciaire argentine s'inscrit dans une tradition. Le pouvoir judiciaire, encore aujourd'hui, se reproduit idéologiquement, a constaté le Secrétaire d'État aux droits de l'homme. Cette mentalité tend à délégitimer constamment l'effort mené pour juger les crimes du passé.

S'agissant des questions relatives à l'extradition, la délégation a assuré que son pays appliquait sans restriction le principe de non-refoulement. Si la loi actuelle tient compte du risque de torture pouvant résulter d'une extradition mais pas de celui de disparition forcée, la délégation n'exclut pas que celle-ci soit amendée pour la prendre en compte. Toute procédure d'extradition est soumise à un certain nombre de contrôles pouvant remonter à la Cour suprême, ce qui est arrivé dans certains cas. Aucune extradition ne peut être envisagée en cas de délit politique, à l'exception des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité. Cela peut se révéler problématique, a reconnu la délégation, certains prévenus pouvant alléguer qu'ils sont en fait la cible de persécutions politiques. Aucune instance administrative ne peut de son propre chef extrader une personne, un juge devant obligatoirement se prononcer. S'agissant des modalités d'expulsion de migrants en situation irrégulière, la loi sur l'immigration a été réformée en 2004 afin de rendre obligatoire l'avis d'un juge.

La détention au secret n'existe pas en Argentine, les proches devant être informés d'une détention sans exception aucune. À partir du moment où une personne est interpellée pour un délit pénal, elle a droit à un avocat. Si elle n'en a pas les moyens, l'État doit le lui fournir. S'agissant des détentions administratives en province, un processus d'information des autorités locales a été entrepris pour les mettre au fait de la législation. Le service pénitentiaire fédéral a publié sur Internet un manuel relatif aux droits des détenus qui contient toutes les informations pertinentes susceptibles de les concerner. Un groupe de travail a été créé pour mettre au point un guide concernant les détentions et les interpellations afin d'éviter toute détention arbitraire. En outre, une entité pour lutter contre la violence institutionnelle a été mise en place il y a trois mois. Elle a déjà visité un certain nombre de prisons et s'intéresse en particulier à la sécurité physique des détenus, lors de transferts notamment. La délégation a assuré que l'habeas corpus était pleinement appliqué en Argentine et cela depuis de très nombreuses années.

Le chef de la délégation est revenu sur la question du transfert de détenus, soulignant que le terme espagnol (traslado) avait une dimension tragique dans l'histoire du pays. Pendant la dictature, les «transferts» de prisonniers étaient en effet le stratagème utilisé pour les éliminer physiquement.

Il a aussi abordé la compétence universelle invoquée par le juge espagnol Baltasar Garzón qui a constitué une pression bénéfique sur l'Argentine pour que celle-ci en finisse avec l'impunité passée et qu'elle se penche sur un passé qu'elle prétendait oublier. Un membre de la délégation a noté que le pays avait d'abord obtenu la liberté avant la justice, dans une étape ultérieure. Il a rappelé qu'après la restauration de la démocratie, l'impunité des crimes passés avait en effet eu force de loi pendant plusieurs années.

Le Secrétariat d'État aux droits de l'homme envisage de créer une banque de données afin de permettre à toute personne concernée de tenter de retrouver son identité usurpée. Il s'agit d'une plaie béante, plus de 400 cas demeurant non retracés, a expliqué un membre de la délégation. De nombreux grands-parents arrivent au terme de leur vie sans avoir retrouvé les enfants de leurs enfants disparus sous la dictature. Ces petits-enfants doivent retrouver leur identité véritable avant qu'il ne soit trop tard. Pour ce faire, des échantillons génétiques sont prélevés sur les personnes volontaires. Tout est mis en œuvre pour permettre à ces enfants, aujourd'hui des adultes, de retrouver leur identité. Il s'agit d'une priorité gouvernementale, les autorités s'efforçant de faire comprendre l'importance du problème à la société.

Par ailleurs, le Secrétariat de droits de l'homme a mis en place un programme de lutte contre l'impunité afin de fournir les informations nécessaires aux victimes pour qu'elles puissent porter plainte. La loi de réparation a permis de débloquer des montants considérables, a assuré un membre de la délégation. La notion de victime est suffisamment large – elle comprend les proches des disparus – pour leur permettre d'obtenir réparation. Le devoir de mémoire est inscrit dans la loi et le pays compte plus d'une cinquantaine de sites commémoratifs consacrés aux victimes.

La délégation a souligné que les disparitions récentes relevaient d'un enracinement de la violence, notamment en ce qui concerne les femmes dans une société qui demeure machiste. En tout état de cause, la loi s'applique aussi en leur faveur, même si ces cas n'ont rien à voir avec ceux de la dictature où ils s'inscrivaient dans le cadre d'une terreur d'État institutionnalisée et systématique. Les cas récents concernent en effet des personnes vulnérables, notamment à la traite des personnes.

En réponse à des questions supplémentaires du rapporteur et du corapporteur, la délégation a assuré que le principe de l'habeas corpus était respecté en toutes circonstances, le jour, la nuit, les jours de congé et les jours fériés. Quant au registre des personnes disparues, il distingue les cas et les circonstances de la disparition.

Conclusions

Le rapporteur pour l'examen du rapport de l'Argentine s'est félicité de l'échange très riche qui avait eu lieu, intensité à laquelle on pouvait s'attendre en raison de l'expérience tragique de l'Argentine. M. Huhle a rappelé que la Convention visait à la fois à réparer mais aussi à la prise de conscience des sociétés concernés. Le Comité se doit de mettre l'accent sur la situation présente, notamment sur les garanties juridiques mises en place, même s'il est naturel de regarder vers le passé. Les questions de réforme institutionnelle, de formation des agents de l'État sont cruciales à cet égard, a-t-il dit. Les garanties offertes aux personnes détenues, le respect de l'habeas corpus, seront sans aucun doute au cœur des recommandations du Comité car on sait que c'est à partir de la violation de ces droits qu'a débuté la pratique institutionnalisée de la disparition forcée. Par ailleurs, il faut lutter pour qu'il y ait un seul droit, sans distinguer entre «un État qui serait bon par nature et des forces de l'ordre qui seraient foncièrement mauvaises et corrompues». Il n'existe qu'un État de droit, a rappelé M. Huhle.

La délégation de l'Argentine a assuré que tous les cas de disparitions forcées avaient un caractère prioritaire pour son gouvernement, y compris ceux qui sont postérieurs à l'instauration de la démocratie en 1983. Elle a rappelé que c'était tout le continent qui était concerné par l'héritage du passé, citant l'extradition décidée hier par un tribunal brésilien d'un responsable suspecté de disparition forcée dans le cadre du plan Condor. Une fosse commune vient par ailleurs d'être mise au jour au Paraguay avec l'assistance de légistes argentins, celle-ci contenant semble-t-il les corps de personnes disparues en 1960. L'Argentine a l'intention de prendre des mesures pour faire la lumière sur les cas de disparitions et d'œuvrer à la ratification universelle de la Convention. Entretenir la mémoire du passé est la garantie d'un apprentissage. Nier ce qui s'est passé serait une énorme injustice. Un membre de la délégation a expliqué qu'il poursuivait à Genève le combat de sa grand-mère entamé il y a trente ans. «Tout ce qui est fait l'est pour l'avenir, pour que plus jamais ne se reproduise ce qui s'est passé en Argentine, pour que nos enfants et nous-mêmes ne soyons plus victimes de disparitions forcées», a souligné le chef de la délégation, dont les propres parents ont disparu.


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CED13/008F