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LE COMITÉ CONTRE LA TORTURE EXAMINE LE RAPPORT DU BURKINA FASO

Compte rendu de séance

Le Comité contre la torture a examiné, hier matin et cet après-midi, le rapport du Burkina Faso sur les mesures prises par le pays pour mettre en œuvre les dispositions de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

La Ministre des droits humains et de la promotion civique du Burkina Faso, Mme Julie Prudence Nigna Somda, a indiqué qu'au plan interne, le principe de l'interdiction de la torture est posé par la Constitution qui garantit la protection de la vie, la sûreté et l'intégrité physique et interdit l'esclavage, les pratiques esclavagistes, les traitements inhumains, cruels et dégradants et humiliants, la torture physique ou morale. Des textes législatifs et règlementaires sanctionnent la torture ainsi que les pratiques assimilées. Un projet de loi portant définition, prévention et répression de la torture a été soumis au Gouvernement pour adoption mais d'ores et déjà, les infractions similaires ou constitutives d'actes de torture - toutes les agressions ou atteintes corporelles commises par un agent de l'État - sont réprimées par le code pénal. Elle a ajouté que plusieurs agents de l'État ont été poursuivis et condamnés pour avoir perpétré la torture ou des mauvais traitements. Des efforts sont également menés pour humaniser les lieux de détention, a souligné la ministre, faisant valoir que le taux moyen d'occupation des établissements pénitentiaires avait nettement diminué.

L'importante délégation burkinabé était également composée de représentants du Ministère de l'administration territoriale et de la sécurité, du Ministère de la justice, du Ministère de la santé et du Ministère des affaires étrangères, dont le Représentant permanent à Genève, M. Prosper Vokouma, ainsi que des directeurs et directrices de l'éducation aux droits humains, du suivi des accords internationaux, de la police judiciaire de la Gendarmerie nationale et de la protection contre les violations des droits humains. Elle a répondu aux questions soulevées par les membres du Comité s'agissant, notamment, des dispositions particulières appliquées aux personnes accusées de grand banditisme; de l'absence de mesures de protection des témoins et victimes d'actes de torture; de la situation des réfugiés; des questions d'extradition; des conditions carcérales, notamment les décès de détenus et la surpopulation carcérale; de la traite de personnes; de la lutte contre l'excision; du comportement de la police; ou encore d'affaires spécifiques soulevées par les experts, en particulier l'affaire Justin Zongo, l'affaire David Ouedraougo et le décès, en décembre 1998, du journaliste Norbert Zongo.

Le rapporteur du Comité pour l'examen du rapport, M. Abdoulaye Gaye, a notamment souligné que l'absence de définition de la torture conforme à celle de la Convention est une «lacune fondamentale» du droit burkinabé. Il s'est en outre inquiété de la possibilité de garde à vue pendant plusieurs jours sans possibilité d'avertir un proche ni d'accéder à un médecin ou à un avocat, relevant en outre que le délai de garde à vue pour «grand banditisme» peut aller jusqu'à 15 jours. Il a par ailleurs relevé des informations selon lesquelles de mauvais traitements et des pratiques de torture «seraient un peu une tradition» au sein des forces de sécurité. Le corapporteur, M. Satyabhossun Gupt Domah, a également évoqué une culture de la torture à laquelle sont exposés notamment les enfants, s'inquiétant à cet égard de du phénomène du tourisme sexuel, des enfants victimes de traite, des mauvais traitements infligés aux enfants ou encore de la situation des enfants détenus. Plusieurs membres du Comité ont fait part de leurs préoccupations au sujet de la surpopulation et des conditions carcérales – jugées alarmantes voire effrayantes, eu égard notamment au grand nombre de décès en détention – ainsi qu'au sujet de la situation des défenseurs des droits de l'homme.

Le Comité adoptera en séance privée des observations finales sur le Burkina Faso; elles seront rendues publiques après la fin de la session, qui se termine le 22 novembre prochain.


Le Comité doit conclure demain après-midi l'examen du rapport du Portugal (CAT/C/PRT/5‑6), commencé ce matin.


Présentation du rapport du Burkina Faso

Présentant le rapport initial du Burkina Faso (CAT/C/BFA/1), Mme JULIE PRUDENCE NIGNA SOMDA, Ministre des droits humains et de la promotion civique du Burkina Faso, a d'emblée déclaré que la torture était «une manifestation de la cruauté de l'homme dans sa forme la plus absolue», qui constituait «la négation même de ce qui est fondamentalement lié à la nature humaine: la dignité». C'est pourquoi le Burkina Faso a fait de la lutte contre la pratique de la torture une de ses priorités, a-t-elle ajouté, rappelant que le pays avait ratifié la Convention en janvier 1999 et son Protocole facultatif en juillet 2010.

La torture et les autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants font l'objet d'une interdiction absolue au Burkina Faso, a poursuivi la Ministre. Au plan interne, a-t-elle précisé, le principe de l'interdiction de la torture est posé par l'article 2 de la Constitution qui dispose que «la protection de la vie, la sûreté et l'intégrité physique sont garanties» et que «sont interdits et punis par la loi l'esclavage, les pratiques esclavagistes, les traitements inhumains, cruels et dégradants et humiliants, la torture physique ou morale, les sévices et les mauvais traitements infligés aux enfants et toutes les formes d'avilissement de l'homme». En outre, a-t-elle ajouté, des textes législatifs et règlementaires interdisent et sanctionnent la torture ainsi que les pratiques assimilées: code pénal, loi portant régime juridique applicable aux emplois et aux agents de la fonction publique, décret portant code de déontologie de la Police nationale, arrêté portant règlement intérieur des établissements pénitentiaires, arrêté portant code de bonne conduite des forces armées nationales. Par ailleurs, le code de procédure pénale contient des dispositions qui protègent les personnes en conflit avec la loi contre les actes de torture.

Mme Nigna Somda a ajouté que dans le cadre de la mise en œuvre de la Convention et de son Protocole facultatif, un projet de loi portant définition, prévention et répression de la torture et des pratiques assimilées venait d'être soumis au Gouvernement. La définition prévue dans ce projet de loi est conforme à celle de l'article premier de la Convention et les peines prévues varient d'un an d'emprisonnement à la réclusion à perpétuité assorties éventuellement d'une amende de 300 000 à 1,5 million de francs CFA, a-t-elle précisé. En attendant l'adoption de cette loi par le Parlement, les infractions similaires ou constitutives d'actes de torture tels que les coups et blessures, les violences et voies de fait, les arrestations ou détentions arbitraires, les attentats à la pudeur, le viol et toutes les agressions ou atteintes corporelles commises par un agent de l'État sont réprimées par le code pénal, a expliqué Mme Nigna Somda. Plusieurs agents de l'État, dans le cadre de l'exercice de leurs fonctions, ont été poursuivis et condamnés pour avoir perpétré la torture ou de mauvais traitements à l'encontre d'individus, a-t-elle souligné. Elle a cité à titre d'exemple l'affaire de Justin Zongo, un élève décédé après avoir été victime de sévices de la part d'agents de police: le 23 août 2011, trois policiers ont été jugés coupables et condamnés l'un à huit ans de prison ferme et les deux autres à dix ans de prison ferme. Par ailleurs, deux agents de la Garde de sécurité pénitentiaire ont été condamnés à trois mois de prison avec sursis pour avoir infligé de mauvais traitements à un détenu à la maison d'arrêt et de correction de Bobo-Dioulasso.

La Constitution, le code pénal et le code de procédure pénale prévoient des dispositions qui garantissent les droits des personnes gardées à vue, en détention préventive ou condamnées à une peine privative de liberté, a indiqué Mme Nigna Somda. Les articles 62 et 75 du code de procédure pénale fixent à 72 heures le délai de la garde à vue avec possibilité de prolongation de 48 heures sur autorisation du procureur du Faso ou du juge d'instruction, a-t-elle précisé, ajoutant qu'en matière de grand banditisme, ce délai est de dix jours avec une prolongation de cinq jours en cas de nécessité d'enquête. À tout moment de la garde à vue, le Procureur du Faso peut, d'autorité ou à la requête d'un membre de la famille, désigner un médecin qui examinera la personne gardée à vue; après 72 heures, l'examen médical est de droit si la personne retenue le demande.

Les troubles à l'ordre public, pas plus que les circonstances exceptionnelles prévues par la Constitution, ne peuvent être invoqués pour justifier la torture ou des pratiques inhumaines, cruelles ou dégradantes, a poursuivi la Ministre des droits humains et de la promotion civique. Pour prévenir la torture, a-t-elle souligné, le Burkina Faso a mis l'accent sur la formation et la sensibilisation des forces de défense et de sécurité.

Des efforts sont également faits pour humaniser les lieux de détention, a indiqué Mme Nigna Somda. Ainsi, entre 2003 et 2011, quatorze nouvelles prisons ont-elles été construites. En outre, des activités agropastorales visant à atteindre l'autosuffisance alimentaire et à améliorer la qualité de l'alimentation des détenus sont menées dans toutes les prisons du pays. Sur le plan sanitaire, a poursuivi la Ministre, les détenus atteints de maladies infectieuses sont détenus séparément des autres pour éviter la contagion. Elle a assuré que toutes les prisons étaient approvisionnées en produits pharmaceutiques de première nécessité et que des agents de santé étaient mis à leur disposition.

Pour réduire la surpopulation carcérale, un bâtiment annexe à la maison d'arrêt et de correction de Ouagadougou est en cours de construction. En outre, des travaux d'intérêt général ont été institués et des mesures d'individualisation des peines ont été prises. En conséquence de quoi, le taux moyen d'occupation des établissements pénitentiaires a connu une régression, passant de 172% en 2009 à 144% en 2012, et devrait diminuer davantage encore avec l'application, dans les années à venir, des mesures indiquées. La Commission nationale des droits humains, le parquet, le Ministère des droits humains et de la promotion civique ainsi que certaines organisations de la société civile effectuent des visites des lieux de détention en vue d'y prévenir la torture, a-t-elle indiqué.

Le projet de loi portant définition, prévention et répression de la torture prévoit la création d'un Observatoire national de prévention de la torture indépendant, doté de la personnalité juridique et d'une autonomie financière, a précisé la Ministre des droits humains et de la promotion civique.

S'agissant des expulsions, du refoulement ou de l'extradition, Mme Nigna Somda a indiqué que les dispositions juridiques en vigueur au Burkina Faso ne les autorisent que lorsque des garanties permettent de s'assurer que les personnes refoulées, expulsées ou extradées ne seront pas soumises à la torture.

Pour ce qui est de la compétence des juridictions du Burkina Faso, elles peuvent connaître des infractions de torture ou de pratiques assimilées si l'auteur ou la victime est de nationalité burkinabé ou si les actes ont été commis sur son territoire ou à un endroit qui, au regard du droit international, est placé sous la juridiction du Burkina Faso, a en outre indiqué Mme Nigna Somda. Il convient toutefois de noter que même si la situation ne s'est pas encore présentée, une personne coupable d'actes de torture dont l'extradition aura été refusée pourra toujours être poursuivie par les juridictions nationales, a-t-elle précisé.

Enfin, s'agissant des actions en réparation devant les juridictions compétentes, les victimes peuvent, soit se constituer partie civile en joignant leur action à l'action publique en application du code de procédure pénale, soit saisir directement le juge civil en application du code de procédure civile. Lorsque les actes concernés sont imputables à des agents publics, l'État assure la réparation civile, a indiqué la Ministre.

Nonobstant les efforts consentis et les progrès réalisés, le Gouvernement demeure conscient de l'importance du travail d'éducation qui reste à faire pour parvenir à l'éradication totale et permanente de la torture et des autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants sur son sol, a déclaré Mme Nigna Somda. C'est pourquoi il s'engage à veiller toujours à ce que tous les auteurs d'actes de torture soient traduits devant les juridictions compétentes pour y être jugés, a-t-elle conclu.

Examen du rapport

Questions et observations des membres du Comité

M. ABDOULAYE GAYE, rapporteur du Comité pour l'examen du rapport du Burkina Faso, a constaté que si le rapport initial du Burkina Faso était certes présenté avec un certain retard, l'essentiel était que le dialogue soit désormais engagé. Il a par ailleurs relevé avec satisfaction que le pays avait décrété un moratoire sur l'exécution de la peine capitale et que l'élaboration du présent rapport s'était accompagnée d'un processus de consultation de la société civile. À cet égard, il a souhaité en savoir davantage sur la nature de la consultation de la société civile.

M. Gaye a ensuite relevé que le droit burkinabé ne contenait pas de dispositions reprenant la définition de la torture telle qu'elle résulte de la Convention; «il s'agit là d'une lacune fondamentale», a-t-il déclaré. En effet, «la définition de la torture reste un minimum pour que vraiment la Convention puisse avoir un début d'application», a souligné le rapporteur. Certes, le Burkina Faso recourt à des dispositions pénales de substitution, mais cette technique n'est pas suffisamment efficace pour lutter contre l'impunité et réaliser des progrès significatifs dans le sens de la lutte contre la torture, a-t-il souligné. En outre, une peine d'une année d'emprisonnement n'est pas suffisamment sévère pour un acte aussi grave que la torture, a-t-il ajouté.

Les justiciables burkinabé peuvent-ils directement invoquer les dispositions de la Convention et demander leur application directe, a ensuite demandé M. Gaye. Il a souhaité avoir des exemples éventuels de tels cas, ainsi que de décisions de justice qui se seraient ainsi fondées sur cet instrument.

Le rapporteur s'est ensuite inquiété de la possibilité de garde à vue pendant plusieurs jours sans possibilité d'avertir un proche ni d'accéder à un médecin ou à un avocat. S'il semble que les autorités expliquent ce fait par le caractère secret de l'enquête préliminaire, cela ne saurait être une justification suffisante pour empêcher un prévenu d'avoir accès à un avocat, a-t-il souligné. Il a fait observer que l'essentiel était que l'avocat reste tenu au secret. Ainsi, le dispositif dans tout ce domaine pourrait-il évoluer dans un sens plus protecteur des droits humains, a conclu le rapporteur sur ce point.

M. Gaye a ensuite relevé avec inquiétude que le délai de garde à vue pour «grand banditisme» pouvait atteindre 15 jours. Que recouvre cette notion de «grand banditisme» ? Est-elle définie dans la législation, a-t-il demandé.

On ne peut pas ne pas rapprocher tout cela de ce qu''affirment les ONG, qui font état de mauvais traitements et de pratiques de torture qui «seraient un peu une tradition» au sein des forces de sécurité du Burkina Faso, a poursuivi le rapporteur. M. Gaye a ici évoqué l'une des plus célèbres victimes de brutalités policières, à savoir Justin Zongo, décédé en 2011 après avoir porté plainte pour coups et blessures contre un policier suite à son interpellation alors qu'il venait d'avoir une altercation avec un camarade de classe.

Un certain nombre de cas de meurtres et de morts suspectes ont retenu l'attention du rapporteur, comme celle d'un chauffeur de taxi à Ouagadougou qui, après avoir percuté l'enceinte du Palais présidentiel, aurait tenté de s'enfuir et aurait reçu une balle dans la tête. Dans une autre affaire, deux personnes ont perdu la vie dans des circonstances non élucidées après leur détention en garde à vue aux mains de la police judiciaire.

Le rapporteur a par ailleurs évoqué l'affaire David Ouedraougo et le décès, en décembre 1998, du journaliste Norbert Zongo, qui enquêtait sur cette affaire et dont l'enquête avait, de manière étrange, été confiée à la garde présidentielle. Ce journaliste a été tué par balles avec trois de ses compagnons et son véhicule incendié. La commission parlementaire créée pour se pencher sur cette affaire avait conclu à l'assassinat par arme à feu et la justice avait notamment inculpé une personne, membre de la garde présidentielle, M. Marcel Kanfando. Qu'est-il advenu de toute cette affaire, a demandé le rapporteur. Il semble que les attaques et harcèlements dont souffrent les journalistes soient assez récurrents au Burkina Faso, a ajouté M. Gaye. Il semble en outre que les gens n'aient plus confiance en la justice au Burkina Faso, a-t-il insisté.

Quelle est au Burkina Faso l'autorité qui prononce l'expulsion d'un étranger et existe-t-il une possibilité de recours contre une telle décision, s'est enquis par ailleurs M. Gaye, avant de demander si ce recours suspendait la procédure d'expulsion. Qu'en est-il de la procédure d'admission au statut de réfugiés au Burkina Faso, a demandé le rapporteur. Il s'est en outre inquiété des difficultés rencontrées par les enfants réfugiés pour obtenir des certificats de naissance.

M. Gaye s'est également inquiété des possibilités de perte de la nationalité burkinabé pour les personnes ayant été condamnées à certaines peines.

Le rapporteur s'est enfin inquiété des pratiques de lynchage par lesquelles le peuple se fait justice lui-même. Or, souvent, ces lynchages se font en présence de forces de sécurité qui n'interviennent pas et laissent faire.

Le rapporteur a par la suite déclaré bien comprendre que le Burkina Faso, en tant que pays sous-développé, soit confronté à un certain nombre de difficultés. Il a salué l'annonce de la délégation indiquant que le projet de loi portant définition et répression des actes de torture entrera en vigueur dans les meilleurs délais; en effet, l'acte premier pour exécuter la Convention consiste à définir et incriminer l'acte de torture, a souligné M. Gaye.

M. Gaye a rappelé que les actes de torture sont souvent perpétrés au moment de la garde à vue, surtout lorsque la personne se retrouve seule face aux agents des forces de l'ordre: d'où l'importance des garanties relatives à l'information d'un proche et à l'accès à un avocat et à un médecin. À cet égard, il conviendrait d'assurer que l'intéressé lui-même, et non pas seulement un parent de l'intéressé, puisse demander l'accès à un médecin et plus précisément à un médecin de son choix.

Le rapporteur a par ailleurs demandé si un dispositif a été mis en place afin d'assurer qu'un agent qui aurait refusé d'exécuter un ordre illégal pourra poursuivre sa carrière d'un.

Qu'en est-il des poursuites engagées et des condamnations prononcées pour traite de personnes au Burkina Faso ces dernières années, s'est en outre enquis M. Gaye?

Le rapporteur s'est par ailleurs inquiété de situations susceptibles de favoriser l'apatridie telle que celle qui permet à un Burkinabé de renoncer à sa citoyenneté alors qu'il n'en a ni ne cherche à en avoir une autre.

M. Gaye a par ailleurs insisté pour obtenir des informations au sujet des décès de Mamadou Bakayoko et d'Ignace Ouédraogo, entre autres.

M. SATYABHOOSUN GUPT DOMAH, corapporteur du Comité pour l'examen du rapport burkinabé, a relevé avec satisfaction les nombreuses mesures prises, notamment à travers le plan national d'action contre les mutilations génitales féminines. Mais qu'en est-il de l'impact de ces différentes mesures et activités; les statistiques enregistrent-elles un recul de cette pratique, a demandé le corapporteur.

Par ailleurs, le Burkina Faso dispose-t-il d'une école de la magistrature, a demandé M. Domah.

Une loi a-t-elle été promulguée ou un règlement adopté qui établiraient qu'un ordre reçu d'un supérieur ne saurait être invoqué comme justification de la torture, a ensuite demandé le corapporteur.

M. Domah a lui aussi évoqué l'affaire Justin Zongo. L'État avait le devoir d'agir au premier chef, au lieu de se contenter de simplement réagir après les pressions de l'opinion publique, a souligné le corapporteur. Le Burkina Faso dispose-t-il d'un programme de protection des témoins ? En effet, a-t-il insisté, les plaignants et les témoins semblent être dissuadés de porter plainte.

En outre, conformément à l'article 14 de la Convention, il convient d'accorder réparation aux victimes de torture, a rappelé le corapporteur. Relevant que nombre d'enfants se retrouvaient handicapés dans des accidents de la circulation, M. Domah a souhaité savoir s'il existait également un régime de réparation pour les accidentés de la route.

La situation des enfants au Burkina Faso est troublante, a poursuivi le corapporteur, évoquant le tourisme sexuel, les enfants victimes de traite, les mauvais traitements infligés aux enfants ou encore la situation des mineurs détenus. Lorsque l'on agit en direction des enfants, les résultats sont rapides, a affirmé M. Domah. Or s'il existe une culture de la torture, les anges d'aujourd'hui seront les tortionnaires de demain, a-t-il ajouté de manière imagée.

Existe-t-il au Burkina Faso une loi sur la violence conjugale, a en outre demandé le corapporteur.

Suite aux premières réponses de la délégation, le corapporteur a salué la sincérité avec laquelle le Burkina Faso voudrait apporter sa contribution à la résolution du problème de la torture. Le Comité est précisément là pour veiller à ce que toutes ces intentions se traduisent par des résultats, a-t-il souligné.

Relevant que le Burkina Faso attire l'attention sur les ressources limitées qui sont les siennes, M. Domah a souligné que l'on peut avoir besoin de ressources pour torturer mais que point n'est besoin de ressources pour ne pas torturer. La Convention contre la torture est un instrument qui ne demande pas trop de ressources pour être appliqué, a-t-il insisté.

Un autre membre du Comité a jugé «effrayante» la situation carcérale au Burkina Faso, où la surpopulation carcérale reste importante en dépit des mesures prises pour la combattre. Dans ce contexte, le pays a-t-il envisagé de développer des peines alternatives à l'emprisonnement, a demandé cet expert. Depuis 1988, a-t-il poursuivi, la peine de mort n'est pas appliquée dans ce pays mais un rapport d'ONG publié en mai dernier indique qu'une dizaine de personnes se trouvent actuellement dans le couloir de la mort. Le moment n'est-il pas venu d'abolir purement et simplement la peine capitale et donc de transférer ces détenus dans un régime pénitentiaire moins strict, évidemment, que le couloir de la mort, une question qui a aussi soulevée par un autre expert.

Une experte s'est enquise elle aussi des mesures envisagées pour combattre la surpopulation carcérale, qui – a-t-elle souligné – reste «alarmante» au Burkina Faso. Cette même experte a par ailleurs fait état d'un rapport de l'UNICEF qui indique que l'écrasante majorité des enfants au Burkina Faso sont victimes de mesures disciplinaires violentes chez eux.

Le rapport du Département d'État américain de 2012 fait état de nombreuses décès en raison des mauvaises conditions de détention, y compris en garde à vue, s'est pour sa part inquiétée une experte. Selon Human Rights Watch, deux à quatre détenus meurent chaque semaine en raison des mauvaises conditions de vie dans les prisons du Burkina Faso, a quant à lui relevé un expert. Ce membre du Comité a souhaité en savoir davantage au sujet de la pratique et des modalités de la détention en isolement.

Plusieurs membres du Comité se sont inquiétés de la situation des défenseurs des droits de l'homme. Une experte s'est inquiétée des mesures musclées qui sont déployées lors des manifestations; si ces manifestations sont pacifiques et visent à revendiquer des droits de l'homme, elles ne devraient pas être dangereuses pour les manifestants, a-t-elle souligné.

Une experte s'est étonnée du rejet par le Burkina Faso de la recommandation qui lui a été adressée dans le cadre de l'examen périodique universel du Conseil des droits de l'homme concernant l'indépendance du pouvoir judiciaire.

Un membre du Comité s'est inquiété d'une information faisant état de travail d'enfants âgés de parfois seulement dix ans dans les mines du Burkina Faso, notamment dans l'orpaillage.

Un expert a demandé si les tribunaux militaires ont compétence pour connaître d'affaires pénales commises par des civils.

Une experte a fait état d'informations concernant des représailles à l'encontre des défenseurs des droits de l'homme; de telles représailles relèvent-elles du passé ou ont-elles encore cours dans le pays, a-t-elle demandé?

L'augmentation du nombre d'enfants des rues a suscité les préoccupations d'une autre experte, qui s'est enquise des moyens consacrés à la résolution de ce problème.


Réponses de la délégation

La délégation burkinabé a remercié les experts pour avoir pris acte des efforts déployés par le Burkina Faso dans le sens de la mise en œuvre de la Convention. «Contrairement à certains pays, le Burkina Faso ne dispose pas d'immenses ressources naturelles et ne compte que sur ses valeureux hommes et femmes pour faire avancer le pays vers l'émergence», a par ailleurs souligné la délégation. Le pays s'est toujours montré disposé à coopérer et dialoguer avec les Nations Unies et les instances régionales, a-t-elle insisté.

Le Burkina Faso demeure conscient des efforts qu'il lui reste à faire pour conformer sa législation nationale aux normes internationales relatives aux droits humains et en particulier à la Convention, a poursuivi la délégation. Précisément, a-t-elle fait valoir, l'élaboration de du projet de loi portant définition, prévention et répression de la torture et des pratiques assimilées entre dans le cadre des efforts déployés par le Gouvernement en ce sens. Le retard pris dans l'adoption de cette loi est lié au souci du Gouvernement d'impliquer tous les acteurs concernés, y compris la société civile, a-t-elle expliqué. À l'heure actuelle, le Comité technique de vérification des avant-projets de loi a déjà approuvé ce projet; le Gouvernement s'est engagé à adopter ce projet avant la fin de 2013 et il devrait donc être examiné par l'Assemblée nationale à sa première session de 2014, a précisé la délégation. Ce projet de loi prévoit pour les actes de torture des peines allant d'un an d'emprisonnement ferme à l'emprisonnement à perpétuité, avec possibilité d'inclure des amendes, a en outre indiqué la délégation. «Cette peine suffisamment dissuasive répond aux dispositions de l'article 4 de la Convention» qui permet aux États de fixer librement le quantum des peines, a affirmé la délégation.

S'agissant de la garde à vue, le code de procédure pénale qui date de 1968 est en cours de relecture, a par ailleurs fait observer la délégation.

Tout agent de sécurité reconnu coupable d'un acte de torture ou de mauvais traitement fait l'objet de sanctions disciplinaires indépendamment d'éventuelles poursuites judiciaires, a par ailleurs indiqué la délégation.

La Commission nationale des droits humains a été créée en 2001 par décret et, ayant été à l'époque considérée comme non conforme aux Principes de Paris, une loi a été adoptée en 2009 visant à la rendre conforme auxdits Principes, a indiqué la délégation. Une difficulté persiste quant à l'existence d'un budget autonome pour cette Commission, a-t-elle reconnu; cela s'explique par le fait que la Commission actuelle a été installée en cours d'année budgétaire, mais les autorités espèrent qu'en 2014, un budget autonome sera mis en place pour permettre à cette institution d'être pleinement autonome de ce point de vue.

La loi sur le grand banditisme a été adoptée dans un contexte de recrudescence de la violence meurtrière dans le pays, a par ailleurs expliqué la délégation, avant de préciser la nature des délits considérés comme relevant du grand banditisme en vertu des articles 3 et 4 de cette loi.

Il n'existe pas de programme spécial de protection des victimes et témoins de torture, mais selon la loi, ceux qui veulent dénoncer des actes de torture peuvent le faire en conservant l'anonymat, en utilisant pour cela des numéros de téléphone verts, a d'autre part expliqué la délégation.

Pour ce qui est du cas Justin Zongo, la famille a décliné la demande d'indemnisation proposée par son avocat, a-t-elle en outre indiqué.

C'est par milliers que les réfugiés maliens sont arrivés au Burkina Faso, a par ailleurs rappelé la délégation. En collaboration avec l'UNICEF, a-t-elle ajouté, plusieurs séances de délivrance d'actes de naissance ont été menées en faveur des enfants de réfugiés.

Au Burkina Faso, a poursuivi la délégation, l'extradition est décidée par décret présidentiel après avis favorable de la chambre d'accusation de la Cour d'appel; si celle-ci rejette la demande d'extradition, cet avis est définitif, mais dans le cas contraire, sa décision peut faire l'objet d'un recours devant la Cour de cassation.

La question de la surpopulation carcérale préoccupe énormément le Burkina Faso qui a pris des mesures pour la réduire, a d'autre part indiqué la délégation, attirant notamment l'attention sur la construction de 14 nouvelles maisons d'arrêt et de correction. Concernant les visites des lieux de détention, elles sont menées par le Ministère des droits humains, par le Parquet et par les organisations caritatives et de protection des droits de l'homme, a en outre rappelé la délégation.

L'isolement cellulaire n'existe pas dans les maisons d'arrêt et de correction du Burkina Faso, a par ailleurs assuré la délégation.

S'agissant des enfants, et plus particulièrement de leurs conditions de détention, la délégation a souligné que les quartiers dans lesquels ils sont détenus sont distincts de ceux dans lesquels sont détenus les adultes.

Le Burkina Faso a adopté en mai 2008 une loi de lutte contre la traite de personnes et les pratiques assimilées, a par ailleurs souligné la délégation. Cette loi sanctionne le recrutement, le transport, l'hébergement de personnes par le recours à la force ou d'autres formes de contraintes à des fins d'exploitation; cette loi contient une disposition qui précise que le consentement d'une victime de la traite est inopérant, a-t-elle précisé. La délégation a fait état de nombreux chiffres parmi lesquels celui de 291 enfants victimes de traite transfrontalière ayant été réinsérés dans leurs pays d'origine en Afrique de l'Ouest (notamment au Ghana ou au Mali, entre autres).

Au regard de la dangerosité de l'excision pour la santé reproductive et l'épanouissement de la femme, les autorités burkinabé ont pris des mesures institutionnelles et normatives pour lutter contre cette pratique, a par ailleurs fait valoir la délégation. Un conseil national de lutte contre la pratique de l'excision a été mis en place, a-t-elle notamment précisé. En outre, le code pénal burkinabé réprime en ses articles 380, 381 et 382 cette pratique, passible d'un emprisonnement de six mois à trois ans et/ou d'une amende, voire davantage en cas de décès de la victime. Ainsi, le taux de prévalence de cette pratique a-t-il chuté de 55,3% pour les enfants nés en 1988 à moins de 5% depuis 2002.

Les violences faites aux femmes et aux fillettes sont une préoccupation du Gouvernement, a insisté la délégation. En 2010, a-t-elle indiqué, le Ministère en charge des droits humains a élaboré un rapport sur les droits des personnes âgées qui a révélé que ces personnes, en particulier les femmes vivant seules, font l'objet d'exclusion sociale et notamment d'accusations de sorcellerie. Un projet de loi sur les personnes âgées a donc été élaboré, qui est actuellement à l'examen en vue de son adoption en Conseil des Ministres et ensuite par l'Assemblée nationale. Ce projet prévoit de lutter contre l'exclusion sociale des personnes âgées sous toutes ses formes, y compris à travers les accusations de sorcellerie, a insisté la délégation.

Le code de déontologie de la police nationale dispose que toute personne appréhendée et placée sous la responsabilité et la protection de la police ne doit subir aucune violence ou traitement cruel, inhumain ou dégradant de la part du policier ou de toute autre personne, a ensuite indiqué la délégation. Le policier témoin d'un agissement inapproprié engage sa responsabilité disciplinaire s'il ne signale pas cet agissement, a-t-elle ajouté. Par ailleurs, le subordonné est tenu de se soumettre aux ordres de son supérieur «sauf si l'ordre est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement l'ordre public», a souligné la délégation.

Interpellée sur l'affaire Norbert Zongo, la délégation a indiqué que les faits ont connu un traitement judiciaire conforme aux lois en vigueur au Burkina Faso. Le 1er juillet 2006, le juge d'instruction a rendu dans cette affaire une ordonnance de non-lieu, a-t-elle rappelé. Les normes juridiques au Burkina Faso offrent à toute personne la possibilité d'assurer la protection et la défense de ses droits, a-t-elle souligné. Estimant avoir épuisé toutes les voies de recours nationales, les ayants droit de Norbert Zongo ont saisi en 2011 la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples et le Burkina Faso y a comparu pour répondre contradictoirement, a ajouté la délégation.

Interrogée sur les raisons pour lesquelles la famille de Justin Zongo avait refusé l'indemnisation qui lui était proposée, la délégation a expliqué que la famille avait estimé que cet argent «ne lui ramènerait pas son fils».

La délégation a rappelé que le médecin peut intervenir à tout moment de la garde à vue, que ce soit sur demande du Procureur, d'un parent du prévenu ou du prévenu lui-même. Pour ce qui est de la présence d'un avocat, en revanche, la révision en cours du code de procédure pénale s'attachera à prendre en compte l'exigence de garantie relative à l'intervention de l'avocat dans le contexte de l'enquête préliminaire, a assuré la délégation.

S'agissant de la répression de la traite, la délégation a fait état du cas, intervenu en 2012, de trois Nigérianes qui étaient obligés de se livrer à la prostitution, affaire dans laquelle la Gendarmerie, qui avait été saisie, a mené une enquête qui a permis de remonter la filière, de sorte que nombreuses personnes ont finalement été poursuivies et condamnées dans cette affaire.

Certes, dans certains pays, les institutions nationales de droits de l'homme telles que les commissions nationales de droits de l'homme jouent le rôle de mécanisme national de prévention de la torture; mais au Burkina Faso, c'est un Observatoire, distinct de la Commission nationale des droits humains, qui s'est vu confier ce rôle, a indiqué la délégation.

La délégation a ensuite affirmé ne savoir si la polygamie est une torture; quoi qu'il en soit, a-t-elle ajouté, c'est une pratique, traditionnelle et culturelle, certes en diminution au Burkina Faso mais qui reste autorisée par la loi pour autant que les parties soient consentantes.

La délégation s'est par ailleurs dite «surprise» par les informations selon lesquelles il y aurait au Burkina Faso deux à quatre décès de détenus chaque semaine; si tel était le cas, il y aurait des révoltes de détenus, a-t-elle fait observer, tout en admettant que des cas de décès se produisent parfois. S'agissant du cas Ignace Ouédraogo, cet individu n'est pas mort de torture mais des suites du paludisme, a indiqué la délégation, précisant que son décès était intervenu au cours du délai normal de garde à vue, délai qui n'avait donc pas été dépassé contrairement à ce qu'ont prétendu certaines informations.


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CAT13/024F