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LE COMITÉ CONTRE LA TORTURE EXAMINE LE RAPPORT DU KIRGHIZISTAN

Compte rendu de séance

Le Comité contre la torture a examiné, hier matin et cet après-midi, le rapport du Kirghizistan sur l'application des dispositions de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Le rapport du Kirghizistan a été présenté par le Procureur général adjoint, M. Ulanbek Khaldarov, qui a déclaré que «l'existence de la pratique de la torture au Kirghizistan a été reconnue aux plus hauts niveaux politiques et gouvernementaux du pays, ce qui témoigne de la volonté politique d'éliminer ce phénomène négatif sous tous ses manifestations». La Constitution kirghize stipule que nul ne doit être soumis à la torture ou à une peine ou un traitement cruel, inhumain ou dégradant, a fait valoir le che de la délégation, Il a également attiré l'attention sur les travaux d'envergure qui sont menés actuellement en vue de mettre la législation nationale en conformité avec les normes internationales. La définition de la torture dans la législation kirghize est désormais conforme à la Convention et les sanctions prévues pour ce crime ont été aggravées. Il n'est en outre plus possible de classer une affaire pénale de torture au simple motif que la victime renoncerait à engager des poursuites. Un mécanisme national de prévention de la torture a été créé en juin 2012 et le pays a adopté un plan d'action en vue de mettre en œuvre les recommandations du Rapporteur spécial sur la torture suite à sa visite dans le pays en 2011. M. Khaldarov a fait observer que le nombre de plaintes pour torture au Kirghizistan a enregistré une baisse de 31,5% au cours de l'année écoulée. Cela indique que les mesures prises pour combattre la torture ont des résultats positifs, a-t-il affirmé.

La délégation kirghize était également composée de représentants de la Cour suprême, du bureau du Procureur général, du Ministère de l'intérieur et de la Mission permanente du Kirghizistan auprès des Nations Unies à Genève, dont la Représentante permanente, Mme Gulnara Iskakova. Elle a répondu aux questions soulevées par les membres du Comité s'agissant, notamment, des sanctions prévues pour acte de torture; de la surveillance des lieux de détention; du fonctionnement du système judicaire; de poursuites contre des journalistes; des dispositions relatives à la garde à vue; des conditions de détention; de la violence à l'encontre des femmes et des enfants.

Le rapporteur du Comité pour l'examen du rapport du Kirghizistan, M. George Tugushi, s'est réjoui de la réforme de 2012 du code pénal mais a regretté qu'un certain nombre de normes juridiques ne sont pas appliquées, en particulier d'agissant du traitement des personnes privées de liberté. Il s'est aussi inquiété de la discrimination ethnique dans le contexte des enquêtes pénales, relevant que les victimes de torture et de mauvais traitements sont essentiellement d'origine ouzbèke. Il a aussi fait état de nombreuses allégations de mauvais traitement lors de la garde à vue. Les délais de garde à vue et l'absence du droit de contester la légalité de la détention sont préoccupants. Il semble en outre que le droit de contacter un proche, un avocat, un médecin est bafoué dans la pratique. La corapporteuse, Mme Felice Gaer, a relevé que les poursuites engagées et les sanctions prononcées contre des agents de l'État pour acte de torture sont extrêmement rares. Elle s'est en outre inquiétée d'allégations de harcèlement à l'encontre d'organisations non gouvernementales et de défenseurs des droits de l'homme.

Le Comité adoptera en séance privée des observations finales sur le Kirghizistan, qui est le dernier pays dont le rapport sera examiné au cours de la présente session, qui se termine le 22 novembre prochain.


La prochaine séance publique du Comité se tiendra vendredi prochain, 15 novembre, à 10 heures. Le Comité se penchera sur la suite donnée par les États parties aux observations finales que leur adresse le Comité (article 19 de la Convention) et sur le suivi des communications (article 22 de la Convention). Il doit ensuite rencontrer le Sous-Comité pour la prévention de la torture et le Rapporteur spécial sur la torture.




Présentation du rapport du Kirghizistan

Présentant le rapport du Kirghizistan (CAT/C/KGZ/2), M. Ulanbek Khaldarov, Procureur général adjoint du Kirghizistan, a déclaré que «l'existence de la pratique de la torture au Kirghizistan a été reconnue aux plus hauts niveaux politiques et gouvernementaux du pays, ce qui témoigne de la volonté politique d'éliminer ce phénomène négatif sous toutes ses manifestations». Dans ce contexte, des mesures significatives ont été prises récemment en faveur de l'élimination et de la prévention de la torture aux niveaux législatif et institutionnel ainsi que dans la pratique.

Évoquant de nouvelles dispositions législatives, le Procureur général adjoint a indiqué que la Constitution kirghize contient un article distinct qui stipule que nul ne doit être soumis à la torture ou à une peine ou un traitement cruel, inhumain ou dégradant. M. Khaldarov a en outre souligné que des groupes de travail d'experts créés par décret présidentiel mènent des travaux d'envergure en vue de mettre la législation nationale en conformité avec les normes internationales. Le code pénal et le code de procédure pénale ont également été révisés, a-t-il ajouté: le premier, en 2012, pour rendre la définition de la torture conforme à la Convention et renforcer les sanctions prévues pour les auteurs de ce crime; et le second de manière à rendre impossible le classement d'une affaire pénale de torture au simple motif que la victime renoncerait à engager des poursuites.

Conformément au Protocole facultatif se rapportant à la Convention, un mécanisme national de prévention de la torture a été créé en juin 2012 par la mise sur pied du Centre national pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, organe indépendant contrôlé par le Conseil de coordination, dont les membres sont l'Ombudsman, deux députés et huit défenseurs des droits de l'homme, ainsi que le Directeur du Centre. Le Centre national pour la prévention de la torture bénéficie d'un droit d'accès sans restriction et sans préavis aux lieux de détention et présente des recommandations sur les mesures devant être prises à des fins d'amélioration.

Récemment, deux importants documents poussant plus avant la promotion des droits de l'homme ont été adoptés, a poursuivi M. Khaldarov: le premier est le décret gouvernemental portant formation du Conseil de coordination pour les droits de l'homme, qui relève du Gouvernement et qui jouit de pouvoirs étendus pour mettre en œuvre les obligations internationales du pays dans le domaine des droits de l'homme; le second est le Plan d'action visant la mise en œuvre des recommandations du Rapporteur spécial sur la torture, M. Juan Méndez, suite à la visite qu'il a effectuée au Kirghizistan en décembre 2011. Ce Plan d'action prévoit de modifier la loi sur la procédure et les conditions de détention relatives aux suspects afin, notamment, d'établir l'interdiction absolue de censurer la correspondance adressée par les détenus à leurs avocats, à des membres du Parlement, à l'Ombudsman ainsi qu'aux organisations internationales de droits de l'homme, a précisé le Procureur général adjoint. Il a aussi fait valoir que tous les lieux de détention temporaire ont été équipés de matériels d'enregistrement vidéo. M. Khaldarov a également attiré l'attention sur le mémorandum de coopération qui a été signé entre l'Ombudsman, le bureau du Procureur général, le Ministère de l'intérieur, le Ministère de la santé, le Ministère de la justice, les Services pénitentiaires de l'État, l'OSCE et une douzaine d'associations publiques afin de protéger les droits et les libertés des individus et en vertu duquel les signataires ont le droit de participer aux visites dans les lieux de détention sur l'ensemble du territoire national, sans préavis, afin d'identifier d'éventuels problèmes de droits de l'homme dans ces institutions, en particulier d'éventuelles pratiques de torture.

Compte tenu des violations de droits de l'homme commises par le passé, notamment dans le contexte des événements de 2010, le Kirghizistan a engagé des réformes radicales afin d'assurer une administration de la justice équitable en réformant les tribunaux et les agences chargées de l'application des lois, a poursuivi M. Khaldarov, précisant notamment que le rôle du bureau du Procureur avait été renforcé en ce qui concerne la protection des droits et libertés des individus et la supervision des cas de mauvais traitement et de torture. Le Procureur général adjoint a fait observer que le nombre de plaintes pour torture au Kirghizistan a enregistré une baisse de 31,5% au cours de l'année écoulée; elles étaient 208 pour les neuf premiers mois de cette année contre 304 pour la même période l'an dernier. Cela indique que les mesures prises pour combattre la torture ont des résultats positifs, a-t-il fait valoir.

M. Khaldarov a ensuite attiré l'attention sur la stratégie de développement du système pénitentiaire adoptée pour la période 2012-2016 et dont l'objectif est de le rendre conforme aux normes internationales en renforçant la primauté du droit, en améliorant la situation des détenus et en facilitant leur intégration sociale. Ces dernières années, a assuré le Procureur général adjoint, la situation dans les lieux de détention s'est grandement améliorée. Afin d'identifier, de prévenir et d'éliminer la torture et les violations des droits et libertés des détenus, des caméras de surveillance ont été installées dans la quasi-totalité des lieux de détention, a-t-il notamment précisé, avant de faire état des rénovations engagées dans de nombreux établissements.

En vertu du code de procédure pénale, a indiqué le Procureur général adjoint, lorsqu'un suspect ou un accusé est transféré dans un centre de détention temporaire et si une plainte est déposée par lui, son avocat ou l'un de ses proches, pour violence physique subie de la part des autorités, il doit bénéficier d'un examen médical obligatoire. M. Khaldarov a ajouté qu'un formulaire normalisé pour l'examen médical des prisonniers, basé sur les principes du Protocole d'Istanbul, a été approuvé en août 2013.

M. Khaldarov a également fait part du Programme pour le développement du système judiciaire adopté pour la période 2013-2017 et dont l'un des objectifs principaux est de restaurer la confiance de la société envers les tribunaux.

Historiquement, dans la pratique, la plupart des affaires impliquant des accusations criminelles contre un agent de police se terminaient par un accord mutuel entre les parties, la victime renonçant finalement à engager des poursuites, de sorte que l'agent concerné n'était pas empêché de continuer à travailler dans l'agence où il exerçait ses fonctions, a indiqué le Procureur général adjoint. Désormais, les agents de police accusés de torture sont licenciés même si les accusations portées à leur encontre s'éteignent par accord mutuel des parties; l'agent concerné ne peut continuer à servir que si la poursuite s'éteint par manque de preuve ou par absence d'éléments requis pour la qualification du crime.

Ces deux dernières années, a rappelé M. Khaldarov, la Haut-Commissaire aux droits de l'homme, le Sous-Comité pour la prévention de la torture et le Rapporteur spécial sur la torture se sont rendus au Kirghizistan. Leurs recommandations sont en train d'être mises en œuvre, a-t-il assuré.

Examen du rapport

Questions et observations des membres du Comité

M. GEORGE TUGUSHI, rapporteur du Comité pour l'examen du rapport du Kirghizistan, s'est félicité que ce rapport ait fait l'objet d'une table ronde impliquant la société civile, avec le soutien du Haut-Commissariat aux droits de l'homme. En outre, les autorités ont répondu à la plupart des questions soulevées dans la liste de points à traiter préalablement adressée au pays par le Comité, a-t-il ajouté.

Rappelant que le Comité s'était enquis des mesures prises pour prévenir les pratiques de mauvais traitements, qui étaient assez endémiques par le passé, M. Tugushi s'est réjoui que le code pénal ait été amendé en 2012 et que les actes de torture soient désormais considérés comme graves et les sanctions alourdies. Il s'agit là d'une évolution positive mais la grande difficulté va maintenant consister à appliquer ces changements dans la pratique, a-t-il ajouté. Il a en effet fait observer que les poursuites pour acte de torture étaient rares et les condamnations encore davantage, ce qui favorise l'impunité qui règne dans le pays. Aussi, le Comité aimerait-il savoir ce qui est fait et va être fait pour inverser cette tendance.

M. Tugushi s'est ensuite dit préoccupé par le fait qu'un certain nombre de normes juridiques n'étaient pas appliquées, entraînant des lacunes dans le traitement des personnes privées de liberté. Tout repose excessivement sur les aveux, alors que la Constitution et la législation exigent des preuves corroborant les aveux; de nombreuses informations attestent de la manière dont des aveux ont été extorqués suite à des passages à tabac ou à des menaces contre les détenus ou les membres de leur famille. Comment s'y prennent les autorités pour apporter une réponse à de si graves allégations, a demandé le rapporteur?

M. Tugushi s'est ensuite inquiété de la discrimination ethnique dans le contexte des enquêtes pénales, relevant que les victimes de torture et de mauvais traitements, ces dernières années, étaient essentiellement d'origine ouzbèke.

Le non-respect persistant des garanties dans les premiers moments de la détention expose le prévenu à la torture, a souligné le rapporteur, faisant état de nombreuses allégations de mauvais traitement en garde à vue au Kirghizistan, en particulier lors du premier interrogatoire. Les délais de garde à vue sont préoccupants, tout comme l'absence du droit de contester la légalité de la détention, a insisté M. Tugushi. Des allégations concordantes indiquent que le droit de contacter un proche, tout comme celui de contacter un avocat, est bafoué dans la pratique, a-t-il également déploré, avant d'attirer l'attention sur les lacunes entourant la garantie relative au droit de consulter un médecin – notamment sur le fait que les médecins dans ce contexte relèvent généralement du Ministère de l'intérieur, ce qui pose un grave problème d'indépendance.

M. Tugushi s'est dit gravement préoccupé par les conditions de détention qui prévalent dans nombre d'établissements où les conditions sont assimilables à des mauvais traitements. Dans les centres de détention provisoire (SIZO), le manque d'espace et les mauvaises conditions d'hygiène sont patents, a-t-il déclaré, s'inquiétant notamment des conditions de vie dans les cellules souterraines des SIZO. La plupart des colonies pénitentiaires souffrent d'un manque de personnel médical qualifié et les détenus doivent payer pour les médicaments dont ils ont besoin, a par ailleurs déploré le rapporteur. Les détenus condamnés à perpétuité vivent dans des conditions déplorables dans les SIZO, a-t-il également souligné.

Dans une nouvelle série d'interventions, M. Tugushi a souligné que le problème principal qui persiste au Kirghizistan est celui non plus tant de la définition de la torture que de l'application dans la pratique des dispositions légales associées à l'incrimination de la torture. Il est évident que les procureurs ont un rôle important à jouer pour ce qui est de contrôler les lieux de détention et de mener les enquêtes; dans ce contexte, il convient donc de s'assurer que les services du procureur sont bien indépendants et que les enquêtes sont menées en bonne et due forme, a poursuivi le rapporteur.

M. Tugushi a par ailleurs déploré que le système judiciaire au Kirghizistan repose encore démesurément sur les aveux. Quelles sont les mesures prises par les autorités pour assurer que la médecine légale soit indépendante, a-t-il en outre demandé? D'autre part, des informations indiquent que la corruption est répandue tant dans le système judiciaire que dans la police, s'est-il inquiété. Très peu d'allégations de torture aboutissent à des condamnations, a-t-il également observé. Il s'est en outre inquiété du grand nombre de décès en détention et a souhaité savoir si tout décès en détention entraîne systématiquement une enquête ou si c'est le procureur qui décide du déclenchement ou non d'une enquête dans ce contexte.

MME FELICE GAER, corapporteuse pour l'examen du rapport kirghize, a souhaité savoir si la modalité qui empêche de classer une affaire si la victime renonce à engager des poursuites a été appliquée dans la pratique depuis qu'elle a été introduite dans la loi. Eu égard à la baisse du nombre de plaintes pour torture, mentionnée par la délégation, tout a-t-il été fait pour faciliter la possibilité de porter plainte, a également souhaité savoir la corapporteuse?

Mme Gaer s'est enquise du nombre et de la nature des poursuites engagées et des sanctions prononcées contre des agents de l'État pour acte de torture, faisant observer que selon certaines informations, de telles poursuites et sanctions sont extrêmement rares. Au Kirghizistan, le crime de torture est-il prescriptible et quel est, le cas échéant, le délai de prescription, a-t-elle demandé? Le Kirghizistan a-t-il envisagé de mettre en place un mécanisme indépendant permettant aux victimes d'abus, y compris en détention, de porter plainte pour mauvais traitement, a-t-elle également souhaité savoir? Elle s'est par ailleurs inquiétée de l'écart considérable entre le nombre de plaintes déposées et le nombre d'affaires aboutissant finalement devant les tribunaux.

La corapporteuse s'est en outre inquiétée d'allégations de harcèlement à l'encontre d'ONG et plus précisément de défenseurs des droits de l'homme.

D'autre part, Mme Gaer a mentionné deux affaires dans lesquelles des aveux auraient été obtenus sous la contrainte et s'est enquise d'éventuels cas où des tribunaux auraient été amenés à rejeter des aveux parce qu'ils auraient été obtenus sous la torture.

La corapporteuse a ensuite fait part de ses préoccupations au sujet de l'indépendance de la magistrature et de la violence contre les femmes, en particulier la violence à leur encontre au sein de la famille qui, selon le Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes, est très répandu au Kirghizistan. Mme Gaer a réitéré la question de savoir si un délai de prescription est associé au délit de torture. Elle s'est en outre inquiétée d'informations selon lesquelles les policiers ciblaient les minorités sexuelles, leur extorquaient de l'argent et les harcelaient.

Parmi les autres membres du Comité, une experte s'est inquiétée de ce que des détenus décèdent souvent en prison, durant leur détention ou après leur transfert dans un hôpital, voire après leur libération sans qu'aucune enquête ne soit menée sur les causes du décès.

Un expert a rappelé que le Rapporteur spécial sur la torture avait constaté que les conditions de détention dans certains centres de détention du Kirghizistan étaient loin de correspondre aux normes internationales. Quelle suite a été donné aux recommandations de ce titulaire de mandat du Conseil des droits de l'homme, a-t-il demandé? Une surface de 4 mètres carrés par détenu est considérée comme un minimum vital, selon les normes internationales, a rappelé cet expert.

Un autre membre du Comité a déclaré qu'il semblait y avoir des disparités entre le cadre législatif mis en place et «les réalités pratiques»; cela est souvent dû à l'entêtement de certains agents responsables de l'application des lois, mais cela est dû également aux failles du système, a-t-il fait observer. S'agissant du droit de contrôler la légalité de la détention, est-il possible d'utiliser cette procédure dès le début de la garde à vue, et non pas seulement après 48 heures, délai à compter duquel le juge doit contrôler la détention. Le gardé à vue peut-il demander à être examiné par un médecin non pas de l'administration mais de son choix, a en outre demandé cet expert? Relevant que l'accès à un avocat est permis «à partir du moment où le prévenu est écroué», l'expert a souhaité savoir si cela signifie que le prévenu a accès à un avocat dès le début de sa détention ou seulement à partir de son placement en prison? Ce même expert s'est inquiété d'informations indiquant que juges kirghizes refusent d'appliquer les conventions internationales lorsqu'elles sont invoquées devant leur juridiction, alors même qu'elles font partie dès leur entrée en vigueur de l'ordre législatif kirghize.

Un autre membre du Comité a déploré la persistance au Kirghizistan de lieux de détention temporaire ayant une surface disponible de moins de 1 mètre carré par détenu alors que les normes internationales considèrent qu'une surface de 4 mètres carrés par détenu est un minimum vital.

Des questions ont également été posées s'agissant de la prévention et de la lutte contre la traite de personnes.

Réponses de la délégation

S'agissant de la remarque faite par certains membres du Comité selon laquelle certaines dispositions de la législation kirghize ne correspondent pas à celles de la Convention, la délégation a notamment assuré que la discrimination de quelque caractère qu'elle soit est prise en compte dans la loi kirghize.

En ce qui concerne les sanctions prévues pour acte de torture, la délégation a indiqué que les articles 303 à 315 du code pénal traitent des violences commises par des tiers. Les violences de première catégorie sont passibles de peines d'emprisonnement allant de quatre à huit ans et les violences jusqu'à la cinquième catégorie de peines allant de trois à cinq ans d'emprisonnement.

Tous les actes de torture sont désormais considérés comme des crimes graves, a par ailleurs souligné la délégation. Même lorsqu'il y a règlement à l'amiable, les poursuites restent engagées, ce qui n'était pas le cas auparavant, a-t-elle en outre fait valoir.

Le Kirghizistan ne reconnaît pas comme valable un aveu qui n'est pas accompagné de preuves tangibles, a par ailleurs assuré la délégation. En outre, selon le code de procédure pénale, les preuves obtenues en violation des dispositions du code n'ont pas de force juridique et ne doivent pas influencer le jugement ni être utilisées comme preuve de la culpabilité de la personne jugée, a-t-elle ajouté.

S'agissant du contrôle des lieux de détention, la délégation a notamment indiqué qu'il relève notamment d'un service gouvernemental assuré de manière continue sous la direction du Procureur général et en incluant les députés, entre autres. Le Centre national pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants dispose aussi de pleins pouvoirs en la matière et peut, dans ce contexte, inviter des organisations non gouvernementales, a-t-elle ajouté.

En ce qui concerne le système judiciaire, la délégation a reconnu qu'il est important de le renforcer afin qu'il soit totalement indépendant du Gouvernement, conformément aux dispositions de la Constitution et aux normes internationales en la matière. Le Kirghizistan a donc pris des mesures afin d'assurer l'efficacité et l'indépendance totale du système judiciaire vis-à-vis du Gouvernement, a-t-elle insisté. Un système judiciaire équitable doit permettre de faire respecter les droits et libertés des individus, en s'en faisant le garant, a ajouté la délégation.

Les citoyens peuvent aujourd'hui porter plainte en ligne, a en outre fait observer la délégation. Par ailleurs, le système d'enregistrement vidéo des procès renforce la transparence et l'ouverture du système judiciaire, a-t-elle fait valoir. Le Président de la République ou les membres du Parlement à la majorité des deux tiers peuvent démettre un juge de ses fonctions, a-t-elle en outre indiqué. Le Kirghizistan dispose d'un centre de formation pour les juges et ceux de la Cour suprême tout comme les autres juristes y sont formés, a par ailleurs souligné la délégation.

Au début de cette année, a poursuivi la délégation, a été créé un comité pour la réforme du système judiciaire dont l'une des missions est de mettre le code pénal et le code administratif, ainsi que d'autres lois importantes, en conformité avec la Convention; il est prévu qu'au début de l'an prochain, des projets de loi résultant de cette réforme soient examinés et adoptés.

Les plaintes pour violence et torture ne se font qu'auprès du bureau du Procureur et chacune fait l'objet d'une vérification, a ensuite affirmé la délégation.

S'agissant des poursuites à l'encontre des journalistes, la délégation a notamment souligné que selon la loi kirghize, la responsabilité pénale pour diffamation ne peut pas s'appliquer aux journalistes.

En ce qui concerne la garde à vue, la délégation a rappelé que selon la Constitution kirghize, la détention d'une personne ne peut dépasser 48 heures sans que cette personne ait été présentée devant un tribunal. Les garanties relatives à l'accès à un médecin et à un avocat sont assurées au Kirghizistan, a-t-elle ajouté. Les aveux obtenus en l'absence d'un avocat ne sont pas recevables devant un tribunal, a en outre souligné la délégation.

Lorsqu'il y a allégation de torture, tout est fait pour identifier les auteurs de ces actes, a par ailleurs assuré la délégation.

Répondant à d'autres questions des membres du Comité, la délégation a déclaré que, si des abus sont parfois commis, la grande majorité des membres des forces de l'ordre exercent leurs fonctions de manière conforme à la loi, a affirmé la délégation.

L'ensemble du corps médical est dûment formé aux procédures associées au Protocole d'Istanbul, a par ailleurs indiqué la délégation.

S'agissant des conditions de détention et de leur conformité aux normes internationales, la délégation a reconnu que de nombreux détenus souffrent de maladies telles que la tuberculose. Des contrôles dans les lieux de détention ont été effectués par des organisations non gouvernementales et le Kirghizistan reconnaît effectivement que les conditions ne sont pas toujours idéales dans les centres pénitentiaires. Néanmoins, les établissements ont été équipés de caméras de surveillance dans les corridors, les cours de détente, les cellules et même les isoloirs; ainsi, toute personne qui voudrait engager des poursuites contre un agent lui ayant fait subir un acte de torture ou de mauvais traitement pourrait le faire sur la base des enregistrements vidéo ainsi recueillis.

En 2010, le budget de l'État a octroyé 8 millions de soms au secteur pénitentiaire; en 2011, 15 millions; en 2012 près de 12 millions; et pour les neuf premiers mois de cette année, plus de 120 millions – soit une somme décuplée, a fait valoir la délégation.

La construction de centres de détention provisoire (SIZO) est prévue dans trois districts qui, pour l'heure, n'en comptent aucun, a d'autre part indiqué la délégation.

Tous les cas de décès en détention, y compris en garde à vue ou durant la détention temporaire, doivent faire l'objet d'une enquête, a d'autre part souligné la délégation. En 2011, quelque 190 personnes sont décédées dans les établissements fermés, dont 10 par suicide, a par ailleurs indiqué la délégation, précisant que pour l'année suivante, le nombre de suicide s'établissait à huit.

Le procureur est un organe indépendant, tant à l'égard de la police que des autres pouvoirs, a assuré la délégation. Le bureau du Procureur général peut engager des poursuites même en l'absence de plaintes, a ajouté la délégation. Il peut mener des inspections impromptues des lieux de détention à tout moment de la journée, a-t-elle également fait valoir.

Depuis 2003, a poursuivi la délégation, le pays dispose d'une législation relative à la protection de la famille. Le Kirghizistan compte 55 centres comprenant des services de conseils juridiques et autres conseils à l'intention des femmes, a-t-elle précisé. Elle a par ailleurs reconnu la persistance, dans le pays, de mariages forcés, quelque 141 cas y ayant été relevés l'an dernier.

Par ailleurs, il y a eu des cas d'exploitation d'enfants, a également reconnu la délégation, avant de souligner que des dispositions sont en cours d'élaboration afin de prévenir le travail des enfants.

S'agissant de l'instauration d'une institution nationale des droits de l'homme pleinement conforme aux Principes de Paris, la délégation a indiqué qu'un projet de loi en ce sens a été élaboré qui a reçu une évaluation positive de la part des Nations Unies.

Quant à la question de savoir si le Kirghizistan envisage de reconnaître la compétence du Comité pour recevoir et examiner des plaintes individuelles, la délégation a indiqué que cette question est actuellement examinée par les autorités kirghizes. Quoi qu'il en soit, de façon générale, le Kirghizistan ne ménage aucun effort pour donner suite aux recommandations qui lui sont adressées par le Conseil des droits de l'homme à travers le mécanisme d'examen périodique universel, a-t-elle souligné.

En ce qui concerne les réfugiés, la délégation a notamment fait valoir que le pays a, depuis 1996, accordé le statut de réfugié à plusieurs milliers personnes. Les dispositions de la législation kirghize relatives à l'octroi du statut de réfugié sont conformes au droit international en la matière, a-t-elle ajouté.


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CAT13/028F