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LE COMITÉ DES DROITS DE L'HOMME EXAMINE LE RAPPORT DE DJIBOUTI

Compte rendu de séance

Le Comité des droits de l'homme a examiné, hier après-midi et ce matin, le rapport initial de Djibouti sur la mise en œuvre des dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Le rapport a été présenté par le Secrétaire général du Ministère de la justice de Djibouti, M. Abdi Ismael Hersi, qui a notamment fait valoir que la Constitution djiboutienne reconnaît et garantit à toute personne le droit à la vie, à la liberté, à la sécurité et à l'intégrité de sa personne; la non-discrimination et l'égalité de tous devant la loi; le droit à un procès juste et équitable; le droit à la liberté de pensée, de conscience, de religion et de culte; le droit de propriété; le droit à la vie privée et à l'inviolabilité du domicile; le droit d'aller et venir; la liberté d'opinion et d'expression; ainsi que l'interdiction de la torture. Des stratégies, mécanismes et institutions ont été mis au point pour traduire dans les faits ces dispositions. M. Hersi a aussi attiré l'attention sur l'abolition de la peine de mort en 2010. M. Ahmed Osman Hachi, Directeur de la législation et des réformes au Ministère djiboutien de la justice, a pour sa part souligné que tout acte émanant des pouvoirs publics doit être conforme au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, dont la grande majorité des dispositions sont transposées en droit interne. Il a par ailleurs réfuté toute allégation de discrimination à l'égard de certains groupes de réfugiés, notamment que les Somaliens seraient privilégiés par rapport aux Éthiopiens, rappelant que Djibouti a toujours été une terre d'accueil pour les réfugiés. Il a d'autre part indiqué que les autorités s'efforcent de remédier au problème de la détention provisoire par la mise au point de peines alternatives.

La délégation djiboutienne était également composée de M. Ali Mohamed Abdou, Président de la Commission nationale des droits de l'homme; de M. Souad Houssein Sougueh, Conseiller juridique du Président de la République; et de représentants du Ministère de la promotion de la femme et de la planification familiale et de la Mission permanente de Djibouti auprès des Nations Unies à Genève, dont le Représentant permanent, M. Mohamed Siad Douale. Elle a répondu aux questions soulevées par les membres du Comité s'agissant, notamment, de l'indépendance de la Commission nationale des droits de l'homme; de l'égalité entre les sexes; de la lutte contre les mutilations génitales féminines; des questions d'adoption; de la situation des réfugiés; de l'administration de la justice; des conditions carcérales; de l'indépendance de la magistrature; de la liberté d'expression; de la liberté syndicale; des allégations de torture, émanant notamment d'organisations non gouvernementales; des allégations de harcèlement à l'encontre des éléments de l'opposition; ou encore des questions de nationalité.

Présentant des conclusions à l'issue du dialogue avec la délégation, le Président du Comité, M. Nigel Rodley, s'est félicité des avancées à Djibouti, dont témoigne notamment l'abolition de la peine de mort. Les experts ont toutefois relevé des difficultés s'agissant de diverses questions. Rappelant que le Président de la Commission nationale des droits de l'homme avait admis que la torture existait dans le pays, et bien que le Comité ne dispose pas de suffisamment de données pour déterminer si elle est ou non systématique, le Président aimerait connaître les jugements prononcés contre des personnes qui se seraient rendues coupables de tels crimes. Par ailleurs, il s'est félicité que le Gouvernement ait l'intention de s'attaquer au problème de la surpopulation carcérale, qui rend extrêmement difficiles les conditions de vie en prison. Le Président du Comité a enfin jugé excessif le délai d'un mois durant lequel une personne peut être placée en détention sur simple décision du procureur.

Le Comité adoptera en séance privée des observations finales sur Djibouti, qui seront rendues publiques après la séance de clôture du vendredi 1er novembre.


Cet après-midi à 15 heures, le Comité entamera l'examen d'un projet d'observation générale sur l'article 9 du Pacte, qui fait obligation aux États parties de protéger toute personne contre l'arrestation et la détention arbitraires.


Présentation du rapport de Djibouti

Présentant le rapport initial de Djibouti (CCPR/C/DJI/1), M. Abdi Ismael Hersi, Secrétaire général du Ministère de la justice de Djibouti, a souligné que la Constitution adoptée en 1992 proclame l'adhésion de la République de Djibouti aux principes fondamentaux tels que définis par la Déclaration universelle des droits de l'homme et la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples. Ces deux textes fondateurs font aujourd'hui partie intégrante du bloc constitutionnel auquel tout texte émanant de l'exécutif, du législatif et du judiciaire doit se conformer. Rappelant que Djibouti est partie à la quasi-totalité des instruments régionaux et internationaux de droits de l'homme, il a ajouté qu'il reste encore à ratifier deux conventions fondamentales, à savoir celle sur les droits des travailleurs migrants et des membres de leur famille et celle sur la disparition forcée. «Elles sont à l'étude et nous espérons que le processus sera engagé rapidement», a-t-il indiqué. Ces adhésions ne sont nullement de façade, a assuré M. Hersi; elles font l'objet d'un suivi sérieux et régulier conduit par le Comité interministériel qui soumet périodiquement les rapports aux organes de traité. M. Hersi a ensuite rappelé que Djibouti a ratifié les deux Protocoles facultatifs se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Reconnaissant que pour la mise en œuvre du Pacte, il convenait avant tout de procéder à la transposition des dispositions de cet instrument dans le droit interne et dans la Constitution, M. Hersi a fait valoir que les articles 10 et suivants de la Constitution reconnaissent et garantissent à toute personne le droit à la vie, à la liberté, à la sécurité et à l'intégrité de sa personne; la non-discrimination et l'égalité de tous devant la loi; le droit à un procès juste et équitable; le droit à la liberté de pensée, de conscience, de religion et de culte; le droit de propriété; le droit à la vie privée et à l'inviolabilité du domicile; le droit d'aller et venir; la liberté d'opinion et d'expression; ainsi que l'interdiction de la torture et des sévices ou traitements cruels, inhumains, dégradants ou humiliants. Le Gouvernement de Djibouti a développé des stratégies, mécanismes et institutions pour traduire dans les faits ces dispositions, a précisé le Secrétaire général du Ministère de la justice.

Le non-respect du droit à l'égalité devant la loi sans discrimination de langue, d'origine, de race, de sexe ou de religion – droit inscrit à l'article premier de la Constitution – est réprimé par le Code pénal, a fait valoir M. Hersi. Pour ce qui est du droit à la vie, ce principe constitutionnel a été renforcé par l'abolition de la peine de mort intervenue à l'occasion de la dernière révision constitutionnelle (2010). En ce qui concerne le droit à un procès juste et équitable, la mise en place d'un système judiciaire respectueux du double degré de juridiction et de la présence d'un avocat dans toutes les phases de la procédure constitue une nouvelle avancée. Le renforcement du système judiciaire en termes humains et matériels se traduit notamment par la multiplication du nombre des magistrats par quatre entre 2003 et 2013, avec un ratio d'un magistrat pour 8000 habitants, ce qui place le pays dans une bonne position en Afrique. Pour ce qui est de la torture, le droit positif – de la Constitution au Code pénal, en passant par la loi sur la traite des êtres humains – réprime sévèrement tout acte de torture, de traitements cruels, inhumains et dégradants; tout auteur, quelle que soit sa responsabilité, est poursuivi devant les juridictions compétentes.

M. Hersi a indiqué, en ce qui concerne la liberté d'opinion et d'expression, que l'article 15 de la Constitution garantit le droit de chacun d'exprimer et de diffuser ses opinions dans les limites du respect des droits et de la dignité d'autrui, ce qui a permis le développement d'une presse écrite et audiovisuelle qui participe à la promotion des droits humains et à l'éducation à ces droits. Pour ce qui est du droit à la liberté d'association et le droit de constituer un syndicat et d'y adhérer, la Constitution pose le principe que «tous les citoyens ont le droit de constituer librement des associations ou syndicats sous réserve de se conformer aux formalités édictées par les lois et règlements». Le droit de participer aux affaires publiques et le droit de vote sont également garantis par la Constitution, ainsi que par la loi organique relative aux partis politiques, entre autres.

M. Hersi a en outre fait état de l'adoption de la loi sur la corruption ainsi que de l'adoption de la loi sur l'assurance maladie universelle.

Apportant des réponses à la liste de questions écrites du Comité (voir aussi les réponses écrites de Djibouti), M. AHMED OSMAN HACHI, Directeur de la législation et des réformes au Ministère de la justice de Djibouti, a souligné que la Constitution djiboutienne reconnaît les droits fondamentaux édictés par le Pacte, de sorte que tout acte émanant des pouvoirs publics doit être conforme à cette loi fondamentale et aux dispositions de traités internationaux dûment ratifiés par Djibouti – y compris le Pacte, dont la grande majorité des dispositions sont transposées en droit interne.

La Commission nationale des droits de l'homme, créée en 2008, est indépendante et a pour mission d'assister les pouvoirs publics pour toutes les questions relevant des droits de l'homme; elle peut mener des enquêtes et effectuer des visites dans les lieux de détention, a indiqué M. Hachi.

Pour ce qui est du principe de non-discrimination entre hommes et femmes, M. Hachi a souligné que la Constitution garantit l'égalité de tous devant la loi, indépendamment, notamment, de toute considération de sexe. L'homosexualité n'est absolument pas pénalisée à Djibouti, a en outre assuré M. Hachi.

M. Hachi a par ailleurs réfuté toute allégation de discrimination à l'égard de certains groupes de réfugiés - notamment l'allégation selon laquelle les Somaliens seraient de ce point de vue privilégiés par rapport, par exemple, aux Éthiopiens - en rappelant que Djibouti a toujours été une terre d'accueil pour les réfugiés. S'il y a plus de réfugiés somaliens que d'autres, c'est qu'ils proviennent d'un pays en guerre, a expliqué M. Hachi.

La torture et autres traitements cruels sont des comportements interdits par différents textes, dont la Constitution, et très sévèrement réprimés, a affirmé le Directeur de la législation et des réformes en réponse à d'autres questions écrites. En outre, nombre d'activités de prévention sont menées afin d'éviter que les agents de l'État n'aient recours à de telles méthodes, a fait valoir M. Hachi.

M. Hachi a ensuite attiré l'attention sur la loi de 2007 portant répression de la traite de personnes.

M. Hachi a aussi indiqué qu'une fois qu'une personne est arrêtée, elle bénéficie des services d'un avocat et peut demander à être examinée par un médecin de son choix.

Quant aux allégations de lenteur de la justice, M. Hachi a rappelé que, partout dans le monde, peut être observée une telle lenteur et que Djibouti ne fait donc pas exception; il a toutefois fait valoir que le nombre de magistrats dans le pays a été multiplié par quatre ces dix dernières années.

Les autorités s'efforcent de remédier au problème de la détention provisoire par la mise au point de peines alternatives telles que le travail d'intérêt général, a poursuivi M. Hachi.

Pour qui est de l'administration de la justice pour mineurs, Djibouti, depuis la recommandation qui lui a été adressée en ce sens en 2008 par le Comité des droits de l'enfant, s'est efforcé de mettre en place des tribunaux pour mineurs qui n'existaient pas jusqu'ici, a enfin indiqué M. Hachi.

Examen du rapport

Questions et observations des membres du Comité

Une experte du Comité a demandé si un particulier ou un juge pouvait invoquer directement devant un tribunal les dispositions du Pacte. L'experte s'est en outre étonnée que le Comité n'ait été saisi d'aucune communication en vertu du Protocole facultatif sur les plaintes individuelles et s'est interrogée dans ce contexte de la diffusion de cet instrument et de la connaissance qu'en a le public. Jugeant encourageant que la Commission nationale des droits de l'homme soit habilitée à entreprendre des visites dans les centres de détention du pays, l'experte a souhaité savoir si les membres de cette commission ont constaté des violations de droits de l'homme lors de leurs visites dans ces centres. Elle s'est en outre enquise de la procédure suivie par l'ombudsman dans l'examen des plaintes.

Un autre membre du Comité a relevé un conflit entre le droit coutumier, la charia et certaines dispositions du Pacte, Djibouti admettant en effet que des problèmes continuent de se poser de ce point de vue en ce qui concerne les questions de succession, la polygamie ou encore l'adoption. Aussi, l'expert a-t-il exprimé l'espoir que le pays saurait remédier à ces problèmes grâce aux travaux du comité nouvellement créé pour examiner cette question. Le système de la kafala a-t-il été introduit à Djibouti suite à la suggestion du Comité des droits de l'enfant que le pays pouvait opter pour un tel système afin de remédier au problème qui se pose à lui en matière d'adoption. L'expert s'est ensuite enquis du nombre de détenus se trouvant dans la plus grande prison de Djibouti, dont il est dit qu'elle accueille 80% des détenus du pays. Qu'en est-il par ailleurs des conditions de détention dans le pays? Djibouti envisage-t-il d'incriminer le viol marital, a en outre demandé cet expert? Le pays a-t-il l'intention d'exempter de sanction tout avortement faisant suite à un viol, a-t-il également voulu savoir?

Un autre expert a salué le progrès significatif qu'a constitué en 2002 l'adoption d'un Code de la famille à Djibouti, mais a déploré que peu ait été fait en vue d'aligner pleinement les dispositions de ce Code sur celles des traités internationaux auxquels le pays est partie. Le problème des châtiments corporels à l'encontre des enfants à Djibouti a déjà été abordé par le Comité contre la torture et par le Comité des droits de l'enfant et, eu égard à l'interdiction de la torture et de toute autre peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant énoncée à l'article 7 du Pacte, cette question intéresse également le Comité des droits de l'homme, a fait observer l'expert.

Un expert s'est dit conscient de «la charge imposée sur le pays par le phénomène de la migration mixte». Un grand nombre de personnes transitent par Djibouti à la recherche d'opportunités économiques dans la péninsule arabe notamment, a-t-il fait observer, avant de se réjouir que nombre de réfugiés somaliens accèdent quasi automatiquement au statut de réfugiés à Djibouti. Néanmoins, l'essentiel de la législation relative aux réfugiés date de 1977 et comporte un certain nombre de lacunes du point de vue des droits des réfugiés tels que consacrés par les instruments internationaux pertinents, de sorte que l'on peut dire que cette législation est partiellement obsolète, selon cet expert. Il a aussi fait observer que de nombreux demandeurs d'asile attendent longtemps qu'il soit statué sur leur sort. Il s'est par ailleurs inquiété de cas rapportés de violences sexuelles à l'encontre de réfugiés. Dans ce contexte, des mesures sont-elles prises ou envisagées pour garantir que les demandes d'asile soient traitées dans des délais raisonnables et qu'en est-il des mesures prises pour prévenir et combattre la violence sexuelle dans les camps de réfugiés? Des mesures ont certes été prises pour remédier au problème de la durée excessive de la détention provisoire, a par ailleurs reconnu l'expert, qui a voulu connaître le nombre de personnes placées en détention provisoire ces quatre dernières années? Combien, parmi les personnes actuellement placées en détention provisoire, le sont depuis plus d'un an, depuis plus de deux ans et depuis plus de trois ans, a-t-il également demandé?

Un autre membre du Comité s'est dit choqué que Djibouti affirme que les allégations de torture et de mauvais traitements portées à son encontre ne sont que le fruit de l'imagination de l'opposition, alors même qu'en 2011, devant le Comité contre la torture, le pays avait reconnu que des sévices avaient été infligés par des agents des forces de l'ordre. Désormais, le pays n'apporte donc plus de réponse aux allégations de torture et de mauvais traitements portées à l'encontre de ses agents des forces de l'ordre, a déploré l'expert, citant plusieurs cas particuliers et affirmant que les cas de torture n'ont fait qu'augmenter depuis les élections qui se sont tenues dans le pays au début de 2013. Alors que l'article 16 de la Constitution interdit la torture, celle-ci semble ne jamais cesser et ces crimes restent impunis, a insisté l'expert.

Pour quels motifs des personnes handicapées peuvent-elles être placées en détention, a demandé un expert? Qu'en est-il de la supervision de ces placements en détention et de l'intervention de la justice dans ce domaine, y compris pour ce qui est de l'éventuel examen périodique de la détention? Où sont détenues ces personnes?

Selon certaines informations fournies par des organisations non gouvernementales, l'indépendance de la Commission nationale des droits de l'homme laisserait beaucoup à désirer, certains membres de cet organe étant directement nommés par le Président de la République. Dans ce contexte, comment cette commission peut-elle prétendre respecter les Principes de Paris, a demandé un expert? Qu'en est-il en outre de l'accessibilité des citoyens à cet organe, notamment pour ce qui est des personnes vivant dans les zones rurales ou encore des femmes, des enfants et des personnes handicapées, c'est-à-dire s'agissant des personnes qui ont le plus grand besoin d'être protégées?

Un autre membre du Comité s'est enquis des prérogatives respectives de la Commission nationale des droits de l'homme et de l'ombudsman dont il semble que certaines compétences se chevauchent.

En ce qui concerne la question des sources d'information du Comité, un expert a souligné que parmi ces sources, figure le rapport de 2011 du Comité contre la torture concernant Djibouti. Il serait très utile que Djibouti adresse une invitation permanente aux procédures spéciales (du Conseil des droits de l'homme), en particulier au Rapporteur spécial sur la torture, ce qui serait le seul moyen de disposer d'informations impartiales et d'éviter ainsi tout risque de se fonder sur des informations pouvant être biaisées, a souligné cet expert.

Un autre membre du Comité a attiré l'attention sur l'importance que peut prendre le problème de la traite pour un pays comme Djibouti, situé au carrefour de l'Asie et de l'Afrique. Il est heureux que Djibouti ait conscience de ce problème, comme l'atteste la loi que le pays a adoptée à ce sujet. L'expert a néanmoins voulu savoir quels sont les obstacles rencontrés par le pays pour appliquer cette loi de 2007 sur la traite de personnes. Relevant par ailleurs que, selon certaines informations, de nombreuses filles s'adonnent à la prostitution à Djibouti, l'expert s'est enquis des mesures prises pour prévenir l'exploitation sexuelle, notamment à l'encontre d'enfants. Évoquant par ailleurs la problématique de la protection des personnes appartenant à des minorités ethniques, l'expert s'est enquis de la situation de la minorité afar et de sa participation à la vie du pays.

Évoquant pour sa part la liberté d'association et droit de se syndiquer, un membre du Comité a fait état d'informations selon lesquelles ce droit serait toujours restreint par le Gouvernement, le Ministère du travail conservant des pouvoirs quasiment discrétionnaires à cet égard. Un syndicat peut être retiré de la liste des syndicats autorisés suite à une simple décision d'un tribunal civil, s'est inquiété l'expert. Il est fréquent que les forces de l'ordre mettent brutalement fin aux grèves et que les grévistes soient arrêtés et licenciés, a-t-il ajouté. Il a par ailleurs voulu connaître les suites données aux recommandations adressées à Djibouti par l'Organisation internationale du travail.

Des informations font état de fermetures de journaux et d'une limitation de la liberté d'expression à Djibouti, s'est pour sa part inquiété un membre du Comité.

Des inquiétudes ont également été exprimées au sujet d'informations faisant état de harcèlements et d'arrestations à l'encontre de dirigeants de l'opposition, en particulier dans le contexte du processus électoral de 2013.

S'inquiétant de la liberté d'expression des intellectuels et des défenseurs des droits de l'homme, un expert a fait état d'une douzaine de cas spécifiques d'arrestations de personnes pour avoir simplement exprimé leur opinion. Quelles sont, en droit et dans les faits, les limitations à la liberté d'expression qui prévalent à Djibouti, a demandé l'expert? Eu égard aux risques d'apatridie, que fait-on pour enregistrer systématiquement les naissances d'enfants, en particulier pour ce qui est des enfants nomades, a en aussi demandé l'expert?

Réponses de la délégation

La délégation a constaté avec regret que certaines des réponses que Djibouti a fournies sont qualifiées de laconiques par certains membres du Comité, alors même que les autorités se sont efforcées d'être positives et de répondre dans toute la mesure de leurs capacités aux questions qui leur étaient adressées. La présence même de la délégation devant le Comité témoigne de la volonté de perfectionnement des autorités, a insisté la délégation.

S'agissant de l'applicabilité du Pacte devant les juridictions internes, la délégation a indiqué que selon la Constitution de 1992, les traités et conventions dûment ratifiés par Djibouti sont supérieurs aux lois internes et sont directement applicables dans le pays. Le droit positif djiboutien est un droit nouveau, qui plus est en perpétuelle évolution, a souligné la délégation, rappelant la jeunesse de l'État djiboutien, qui n'a acquis son indépendance qu'en 1977.

En ce qui concerne la Commission nationale des droits de l'homme, son Président, M. Ali Mohamed Abdou, a rappelé qu'elle est née à l'issue d'un atelier ayant rassemblé toutes les forces vives de la nation et qui s'est soldé par dix recommandations dont deux visaient la création d'une commission nationale des droits de l'homme et d'un comité interministériel de suivi des rapports présentés par le pays au titre des différents traités internationaux auxquels il est partie. La Commission a, il est vrai, été créée par un décret présidentiel, mais est actuellement en cours d'élaboration un projet de loi organique portant sur la création de cette Commission, a indiqué M. Abdou. Cette Commission compte vingt membres, dont certains ont voix délibérative et d'autres pas; les membres ayant voix délibérative sont issus de la société civile, a-t-il précisé. Le médiateur (ombudsman) s'occupe exclusivement des litiges entre l'administration et les administrés, alors que la Commission nationale des droits de l'homme traite de l'ensemble de la protection et de la promotion des droits de l'homme à Djibouti, a en outre indiqué M. Abdou.

Il faut appréhender les réactions et allégations des organisations non gouvernementales dans un «contexte exacerbé» depuis les élections du début de cette année, a poursuivi le Président de la Commission nationale des droits de l'homme. La délégation djiboutienne a reconnu qu'il peut y avoir des bavures - des gendarmes ayant par exemple tiré sur des manifestants; mais «dire que la torture serait systématique à Djibouti relève d'une méconnaissance de la réalité» du pays, a indiqué M. Abdou. La plupart des organisations non gouvernementales qui se préoccupent de Djibouti sont d'une manière générale des ONG de l'extérieur qui n'ont aucune information précise et objective au sujet de la situation du pays, a déclaré un autre membre de la délégation, s'étonnant «que leurs allégations, qui n'ont pas beaucoup de fondement, soient prises en considération» dans le débat. Il conviendrait d'atténuer quelque peu la portée des informations ainsi recueillies, a insisté la délégation.

Pour ce qui est des cas individuels relatifs à des allégations de torture et de mauvais traitements, la délégation s'est dite «surprise face aux accusations péremptoires» portées à l'encontre de Djibouti et a assuré avoir des réponses exhaustives à fournir sur chacun des cas particuliers mentionnés par les membres du Comité. Évoquant la problématique des sources d'informations, la délégation a affirmé que «les personnes qui font la promotion des droits de l'homme doivent être extrêmement vigilantes s'agissant des informations qu'elles reçoivent de la part de gens qui n'ont aucune connaissance de la réalité» au sujet de laquelle ils apportent des informations.

Quant à la question de savoir si Djibouti est disposé à adresser une invitation au Rapporteur spécial sur la torture, la délégation a indiqué que le pays avait pris, lors de la présentation de son rapport devant le Comité contre la torture et aussi lors de son Examen périodique universel, l'engagement d'examiner dans les meilleurs délais possibles la possibilité d'inviter des rapporteurs spéciaux du Conseil des droits de l'homme.

La délégation a par la suite défié quiconque d'apporter des preuves qu'il y aurait des tortures dans les enceintes des lieux de détention carcérale à Djibouti.

S'agissant de l'égalité entre les sexes et du principe de non-discrimination (entre hommes et femmes), la délégation a rappelé qu'en matière d'héritage, la charia prévoit que la femme puisse ne recevoir que la moitié de la part de l'homme, sans préjudice du droit des parents de faire de leur vivant des donations à leurs enfants. Le Code de la famille, qui date de 2002, autorise la polygamie, mais celle-ci n'en est pas moins réglementée, a en outre indiqué la délégation, avant de faire part de l'existence d'un projet de refonte du Code de la famille.

En vue de l'élimination des mutilations génitales féminines, nombre d'actions, notamment en matière de plaidoyer, sont menées dont il est pour l'heure difficile d'évaluer les résultats, a par ailleurs indiqué la délégation, ajoutant qu'il n'est pas aisé de faire évoluer les mentalités. On peut affirmer que la gratuité de l'éducation de base devrait contribuer à faire disparaître certaines pratiques préjudiciables qui peuvent subsister au sein de la société djiboutienne, a ajouté la délégation, rappelant qu'il y a des pratiques auxquelles il ne saurait être mis fin par décret. Une loi autorise les organisations non gouvernementales à se porter partie civile, mais jusqu'à présent, il n'y a pas eu de plainte déposée en justice qui aurait permis de sanctionner les auteurs de mutilations génitales, a en outre indiqué la délégation.

Pour ce qui est des questions d'adoption, la délégation a indiqué que le Code de la famille djiboutien prend en compte la kafala, mentionnée sous forme de tutelle. Mais après onze années d'application de ce Code, son efficacité et son impact sur la société sont en cours d'évaluation, en vue de présenter d'éventuelles recommandations aux fins d'une adaptation de cet outil, sans s'écarter des valeurs qui sont importantes dans la société et la culture djiboutiennes, ni des dispositions des instruments internationaux auxquels Djibouti a adhéré.

Djibouti est probablement le pays au monde qui accueille le plus grand nombre de réfugiés au kilomètre carré, a souligné la délégation. Aussi, était-il urgent et impérieux d'adapter la législation dans ce domaine afin de la rendre conforme aux normes internationales en la matière; précisément, une mouture de texte en ce sens est désormais prête qui va être évaluée par les parties prenantes, a indiqué la délégation. La question des violences sexuelles à l'encontre des réfugiés a été prise en compte et les victimes sont encouragées à dénoncer de tels actes, ce qui envoie un message de dissuasion aux auteurs potentiels, a par ailleurs fait valoir la délégation. En outre, des tribunaux mobiles visant à juger les auteurs de tels actes ont été mis en place et – autre axe d'action à portée dissuasive – la sécurité policière autour des camps de réfugiés a été renforcée.

En ce qui concerne l'administration de la justice, la délégation a souligné que la loi sur l'aide juridictionnelle a été modifiée afin de garantir, entre autres, que tout justiciable puisse bénéficier de l'aide d'un avocat. Une fois interpellée par des gendarmes ou des policiers, la personne est interrogée dans le cadre de l'enquête préliminaire; si les éléments à charge sont suffisants, la personne peut être placée en garde en vue pour une durée maximale de 48 heures, le procureur devant être informé de cette garde à vue et le ministère public – tout comme la Commission nationale des droits de l'homme – étant autorisé à venir vérifier les conditions de cette détention. La détention provisoire décidée par le ministère public ne peut dépasser une durée d'un mois, a indiqué la délégation.

Pour ce qui est des conditions carcérales, la délégation a indiqué que la capacité journalière d'accueil à Djibouti se situe entre 500 et 600 détenus. La prison centrale à Gabode – la seule qui soit fonctionnelle – a été construite pour une capacité de 350 à 400 détenus; «elle est surpeuplée mais pas extrêmement surpeuplée», puisqu'au grand maximum, elle accueille parfois jusqu'à 600 détenus, a déclaré la délégation. Néanmoins, les autorités sont conscientes qu'une personne privée de liberté ne doit pas aussi être privée de dignité. Aussi, un budget a-t-il été dégagé pour réhabiliter des prisons en d'autres parties du territoire djiboutien; néanmoins, les détenus doivent être consentants pour leur transfert dans une autre prison, du fait du possible éloignement de leurs proches qui pourrait en résulter.

La délégation a indiqué que, par le passé, jusqu'à 80% de la population carcérale à Djibouti était composée d'étrangers, du fait en particulier des guerres dans les pays voisins et de l'imperméabilité des frontières; mais aujourd'hui, ce sont les Djiboutiens qui composent la majorité des détenus du pays.

Pour ce qui est de l'indépendance de la magistrature, la délégation a rappelé que le magistrat est un agent public qui relève du statut de la magistrature, lequel stipule qu'il constitue un statut protecteur destiné à protéger l'indépendance du juge et de la magistrature. Afin de garantir cette indépendance, le Conseil supérieur de la magistrature a en charge la gestion de la carrière des magistrats; il comprend pour moitié des magistrats élus par leurs pairs et pour moitié des personnalités extérieures choisies notamment pour leur indépendance et leur probité. Le salaire des juges est l'un des salaires les plus élevés de tous les hauts fonctionnaires de l'État à Djibouti.

S'agissant de la liberté d'expression, des normes juridiques adéquates ont été adoptées dont la violation peut faire l'objet d'une procédure judiciaire, a déclaré la délégation, indiquant n'avoir connaissance d'aucune personne qui aurait été poursuivie pour son opinion et qui, lorsqu'elle aurait saisi la justice, n'aurait pas eu gain de cause. Il n'en demeure pas moins que la liberté d'opinion doit s'exercer dans le respect de la loi et notamment de la vie privée des personnes au sujet desquelles une opinion est exprimée.

Quant à l'absence de radio ou de télévision privée à Djibouti, elle est due non pas à un obstacle de la part du Gouvernement mais à un obstacle lié au marché; Djibouti est en effet un petit marché, faisant douter tout entrepreneur potentiel de la viabilité économique d'une telle entreprise.

S'agissant de la liberté syndicale, la délégation a assuré que la loi djiboutienne reconnaît le droit syndical et le droit de constituer des syndicats. La loi n'oppose pas d'obstacle particulier pour la création de syndicats d'entreprise, tant dans le secteur privé que dans le secteur public. Mais le fait est que «certaines confédérations syndicales, constituées essentiellement par une ou deux personnes, font beaucoup de bruit à travers le monde pour dire que les droits syndicaux sont bafoués à Djibouti», a déclaré la délégation. Tenant compte de ce fait, le Gouvernement a facilité en 2008 une mission tripartite de l'OIT qui a séjourné dans le pays pendant plusieurs jours et a présenté à l'issue de sa mission un rapport contenant des recommandations, a fait valoir la délégation.

Pour ce qui est des allégations de harcèlement des éléments de l'opposition après les élections de 2013, la délégation a rappelé que toutes les organisations qui ont dépêché des observateurs internationaux durant ces élections ont communiqué qu'elles se sont déroulées conformément aux normes exigées. Les partis politiques qui n'étaient pas d'accord avec les élections disposaient de mécanismes d'examen de leurs plaintes, plutôt que de sortir dans la rue pour troubler l'ordre public, ce qui risquait d'avoir des conséquences graves étant donné que «pour 100 Djiboutiens qui descendent dans la rue, ce sont 200 illégaux qui y descendent pour tout casser».

S'agissant des questions de nationalité, la délégation a souligné que la nationalité djiboutienne s'acquiert et se retire conformément aux dispositions du Code de la nationalité.

Conclusion

M. Nigel Rodley, Président du Comité, a rappelé à la délégation que, comme le veut la pratique, elle dispose de 48 heures ouvrables (c'est-à-dire jusqu'à lundi prochain) pour apporter par écrit au Comité des réponses complémentaires.

Il est évident qu'il existe des avancées à Djibouti dont il faut se féliciter et dont témoigne notamment l'abolition de la peine de mort, a ensuite déclaré le Président. D'un autre côté, la délégation aura entendu les messages que lui ont envoyés les experts au sujet de diverses questions. En ce qui concerne la torture, dont le Président de la Commission nationale des droits de l'homme a admis qu'elle existait, le Comité, bien qu'il ne dispose pas de suffisamment de données pour déterminer si elle est ou non systématique dans ce pays, aimerait connaître les jugements prononcés contre des personnes qui se seraient rendues coupables de tels crimes, a indiqué M. Rodley. Par ailleurs, il est heureux que le Gouvernement ait l'intention de s'attaquer au problème de la surpopulation carcérale, laquelle atteint 150 à 200%, ce qui rend extrêmement difficiles les conditions de vie en prison. Le Président du Comité a en outre jugé excessif le délai d'un mois durant lequel une personne peut être placée en détention sur simple décision du procureur (ministère public).


Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas un document officiel

CT13/033F