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LE COMITÉ DES DROITS DE L'HOMME EXAMINE LE RAPPORT DE LA BOLIVIE

Compte rendu de séance

Le Comité des droits de l'homme a examiné, lundi après-midi et ce matin, le rapport périodique de l'État plurinational de Bolivie sur la mise en œuvre des dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

La Ministre bolivienne de la justice et des droits de l'homme, Mme Cecilia Ayllon, a rappelé que la Bolivie avait élu le premier président autochtone de l'Amérique du Sud, dont le Gouvernement est engagé dans un processus de décolonisation afin d'éliminer toutes les pratiques conduisant à l'inégalité et à l'injustice, mettant en place les mécanismes politiques, éducatifs et législatifs nécessaires pour mette un frein au colonialisme, qui a engendré le racisme, l'oppression, la discrimination, la xénophobie et toutes les formes d'intolérance. La Constitution de 2009 reconnaît un «État unitaire social de droit plurinational communautaire, libre, indépendant souverain, démocratique, interculturel, décentralisé et composé d'entités autonomes»; elle consacre les droits fondamentaux consacrés dans les instruments internationaux, universels et régionaux des droits de l'homme; elle consacre les principes de la décolonisation et de la réappropriation des connaissances et du savoir-faire traditionnels. La ministre a d'autre part souligné que la Bolivie a connu une croissance économique sans précédent et a réussi à réduire significativement l'extrême pauvreté grâce à la nationalisation des ressources naturelles et aux mesures prises pour mettre fin à l'impunité des sociétés transnationales. Par ailleurs, les efforts ont été renforcés pour éliminer les retards dans les poursuites judiciaires. La ministre a aussi attiré l'attention sur les lois relatives à l'indemnisation des personnes contre la violence politique perpétrée par des agents de gouvernements anticonstitutionnels et aux réparations pour les victimes de la torture.

La délégation bolivienne était également composée du Directeur de la justice autochtone originelle paysanne et ex-vice-ministre de la justice et des droits fondamentaux, M. Nelson Marcelo Cox Mayorga, ainsi que de la Représentante permanente de la Bolivie auprès des Nations Unies à Genève, Mme Angélica Navarro Llanos. Elle a répondu aux questions soulevées par les membres du Comité s'agissant, notamment, de la répression et de la prévention du phénomène des lynchages; de la lutte contre la traite des personnes; de la condition des femmes des communautés autochtones; de la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique; des dispositions restrictives sur l'avortement qui contribuent au taux élevé de mortalité maternelle; de la surpopulation dans les prisons et de la forte proportion de détenus en détention préventive; de la situation des très jeunes enfants qui vivent en prison avec leurs parents; de la place de la justice autochtone.

Présentant des conclusion à l'issue du dialogue avec la délégation, le Président du Comité, M. Nigel Rodley, a notamment constaté que la réalisation des droits civils et politiques était une réalité en Bolivie, ce qui n'a pas toujours été le cas par le passé pour une grande partie de la population. Néanmoins, la délégation n'a pas apporté de réponse aux questions qui lui ont été posées s'agissant du harcèlement juridique dont sont victimes les défenseurs des droits de l'homme ou toute personne témoignant d'une désapprobation du système actuel de Gouvernement. Le Président a aussi insisté sur l'importance de combattre les lynchages, qui doivent être poursuivis en tant que meurtres.

Le Comité adoptera en séance privée des observations finales sur la Bolivie. Les observations finales sur l'ensemble des rapports examinés au cours de la session seront rendues publiques après la clôture de la session, qui se termine le vendredi 1er novembre prochain.


Cet après-midi, le Comité entame l'examen du rapport initial de Djibouti (CCPR/C/DJI/1), qui se poursuivra demain matin.

Présentation du rapport

Présentant le rapport périodique de la Bolivie (CCPR/C/BOL/3 - et informations complémentaires: CCPR/C/BOL/Q/3/Add.1), MME CECILIA AYLLON, Ministre de la justice et des droits de l'homme de l'État plurinational de Bolivie, a rappelé que le pays est sorti en 1997 d'une période de dictatures marquées par des gouvernements néolibéraux pratiquant les États de siège, exerçant une violence extrême contre les syndicats et donnant lieu à des situations d'esclavage avec la pratique du criadito. Aujourd'hui, 31 ans après avoir renoué avec la démocratie, la Bolivie a élu par des élections internationalement reconnues, le premier président autochtone de l'Amérique du Sud, Evo Morales, et avec lui des autorités représentant les paysans autochtones et les femmes, qui appartiennent aux groupes auparavant exclus alors qu'ils qui constituent la majorité de la population. Ce gouvernement s'est engagé depuis le début dans un processus de décolonisation afin d'éliminer toutes les pratiques conduisant à l'inégalité et à l'injustice. Dans le cadre de son mandat, le Gouvernement bolivien a mis en place les mécanismes politiques, éducatifs et législatifs nécessaires pour mette un frein au colonialisme, qui a engendré le racisme, l'oppression, la discrimination, la xénophobie et toutes les formes d'intolérance.

La ministre bolivienne a déclaré que reconnaître la «plurinationalité» du pays c'est reconnaître l'égalité des droits de tous les hommes et les femmes boliviennes, c'est reconnaître que les possibilités doivent être les mêmes pour tous quel que soit le patronyme, la couleur de peau, la langue ou la façon de se vêtir. Le Gouvernement actuel a construit un nouvel État à partir d'une nouvelle constitution promulguée en 2009 qui reconnaît un «État unitaire social de droit plurinational communautaire, libre, indépendant souverain, démocratique, interculturel, décentralisé et composé d'entités autonomes». La nouvelle Constitution consacre les droits fondamentaux consacrés dans les instruments internationaux, universels et régionaux des droits de l'homme. Elle reconnaît, pour la première fois, les droits des groupes particulièrement vulnérables. La Constitution énonce que tout instrument international relatif aux droits de l'homme signé et ratifié par le pays a la primauté sur la législation nationale.

À cet égard, la Bolivie a ratifié, depuis le dernier examen par le Comité, le Protocole facultatif sur l'abolition de la peine de mort (se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques), la Convention internationale sur les disparitions forcées; la Convention relative aux droits des personnes handicapées et son Protocole facultatif; les Protocoles facultatifs à la Convention relative aux droits de l'enfant; et le Protocole facultatif à la Convention sur l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes. La Bolivie a aussi ratifié le Protocole facultatif à la Convention contre la torture, le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, ainsi que les conventions de l'Organisation internationale du travail n°169 relative aux peuples indigènes et tribaux, et n°189 sur les travailleurs domestiques.

Lors de l'examen du rapport bolivien en 1997, le Comité des droits de l'homme avait constaté, dans ses observations finales, que la situation socio-économique avait eu un impact sévère sur les droits de l'homme en Bolivie. Depuis lors, la Bolivie a connu une croissance économique sans précédent et a réussi à réduire significativement - de 40,7 à 20% - l'extrême pauvreté sur une période de sept ans seulement, en particulier dans les zones rurales. Ce succès a été rendu possible grâce à la nationalisation des ressources naturelles pour assurer le contrôle et la possession de ressources, et aux mesures prises pour mettre fin à l'impunité des sociétés transnationales. En juillet 2013, la Bolivie avait réalisé des taux de croissance économique de 6,5%, le troisième plus élevé de toute l'Amérique latine. La Bolivie a investi dans plusieurs domaines, notamment la scolarisation au niveau élémentaire, et les allocations incitatives aux parents pour envoyer leurs enfants à l'école. Une réelle autonomisation a été acquise au sein des groupes traditionnellement vulnérables que sont les peuples autochtones et des femmes. L'analphabétisme a été éradiqué. Les fondements législatifs, politiques et économiques ont été mis à contribution pour construire un avenir meilleur pour tous les hommes, femmes et enfants de Bolivie.

Répondant à la liste de questions écrites adressées à la Bolivie par le Comité, Mme Ayllon Quinteros a notamment expliqué que la nouvelle Constitution consacre les principes de la décolonisation et de la réappropriation des connaissances et du savoir-faire traditionnels. Elle interdit toute forme de discrimination. En septembre 2012, le Rapporteur spécial sur les formes contemporaines de discrimination raciale a visité la Bolivie, félicitant l'État des progrès accomplis, notamment pour les bonnes pratiques appliquées. Il a aussi relevé des difficultés, s'agissant notamment des groupes racistes qui refusent d'accepter que le pays soit dirigé par un président autochtone. Le Gouvernement accorde une grande importance à la nécessité d'assurer aux femmes l'égalité; des progrès dans ce domaine peuvent être constatés du fait de la présence de femmes à tous les niveaux du gouvernement - elles représentent ainsi 50% du personnel du Bureau du Président. Les élections nationales ont conduit à une augmentation significative des femmes siégeant au Parlement et au Sénat; elles représentant désormais 43% des élus.

Parmi les nombreuses lois adoptées par la Bolivie depuis l'examen de son précédent rapport, la ministre a notamment attiré l'attention sur la réalisation majeure que constitue la loi visant à garantir aux femmes une vie exempte de violence, qui prévoit protection et réparation pour les femmes vivant dans des situations de violence et la poursuite des auteurs. Le pouvoir judiciaire et le Gouvernement ont renforcé les efforts pour éliminer les retards dans les poursuites judiciaires, procédant à l'amnistie de plus de 250 personnes. Une nouvelle loi prévoit l'indemnisation des personnes contre la violence politique perpétrée par des agents de gouvernements anticonstitutionnels, et une autre loi prévoit des réparations aux victimes de la torture. À ce jour, plus de 835 000 dollars en indemnité ont été versés à 488 bénéficiaires.

La Ministre de la justice a par ailleurs souligné que le système pénitentiaire était en train d'être réformé et sa capacité augmentée afin de réduire la surpopulation. Trois nouvelles prisons, équipe d'installations modernes et progressistes, ont ouvert récemment. Un nouveau code garantit aux enfants et adolescents, en particulier aux filles, la dignité et la protection contre la répression et de la violence au sein de la famille, à l'école ou au travail. Parmi les autres éléments de la nouvelle législation, Mme Ayllon Quinteros a aussi mentionné le Plan national d'action pour les droits de l'homme (2009-2013), ainsi que les lois contre le racisme et toutes les formes de discrimination; sur la protection des réfugiés; contre la traite des personnes; sur les migrations; sur la justice; sur les peuples autochtones; sur la protection représentants de la presse; sur le soutien aux personnes handicapées; sur la protection des personnes âgées.

Examen du rapport

Questions et observations des membres du Comité

Un membre du Comité a remercié la Bolivie pour sa description détaillée de l'énorme quantité de lois qu'il a adoptées, mais a exprimé sa préoccupation s'agissant de la mise en œuvre de cette législation. Il a par ailleurs demandé comment aider les Boliviens à disposer d'un meilleur accès au système d'appel des Nations Unies.

Le Comité a été informé que des lynchages ont continué de se produire dans le pays et que l'action de l'État s'est portée davantage sur les poursuites que sur les mesures préventives, a relevé l'expert. Il a aussi demandé des renseignements sur la présentation de plaintes pour torture, ainsi que sur la question de la déclassification des documents d'archives.

Un autre expert a relevé que la Bolivie continue d'être un pays source pour la traite des personnes. Il a exprimé l'espoir que les efforts déployés par la Bolivie pour combattre le phénomène auront rapidement des effets pratiques. Il a toutefois constaté que peu de cas ont été poursuivis avec succès et abouti à la condamnation des auteurs; ainsi, en 2012, sur 400 cas signalés, seuls sept ont été poursuivis. L'expert a demandé pourquoi si peu de cas ont abouti à une condamnation.

Un membre a souligné que par le passé, le pays avait connu de graves problèmes de discrimination dans les secteurs public et privé, et qu'il fallait changer les attitudes qui prévalent, d'une part grâce à l'éducation, et d'autre part au moyen de sanctions. Le Rapporteur spécial sur les formes contemporaines de racisme a visité le pays et souligné la nécessité de faire respecter la législation et de changer les mentalités.

En ce qui concerne l'orientation sexuelle et l'identité de genre, un expert a estimé que le pays avait grand besoin de mesures éducatives visant à changer les attitudes, notamment au sein de la police, afin de sensibiliser au fait qu'il ne faut pas exercer de discrimination fondée sur ce motif ou d'exercer des violences sur les personnes concernées.

La Bolivie affirme avoir réalisé des progrès importants pour accroître le nombre de femmes dans des postes la responsabilité, comme l'illustre la présence de la Ministre de la justice aujourd'hui devant le Comité, mais il semble que les femmes ne seraient nommées à des postes de prise de décision qu'à titre de deuxième choix, a dit l'expert. Il a aussi demandé dans quelle mesure et dans quelles conditions des femmes des communautés autochtones ont été promues à des postes de responsabilité.

La violence contre les femmes et la violence domestique sont des problèmes graves en Bolivie, a relevé un expert. La Bolivie a partiellement répondu à la demande du Comité de fournir davantage de données mais n'a pas précisé le nombre de plaintes déposées et les sanctions infligées. L'expert a toutefois reconnu que la Bolivie a fait des progrès pour aider les femmes à prendre conscience de leurs droits et possibilités de recours.

Le Comité a été informé que près de 67 000 avortements illégaux sont pratiqués en Bolivie chaque année et qu'environ 700 femmes sont poursuivies pour avortement illégal chaque année. Légalement, seules les victimes de viol et d'inceste ont le droit d'avorter, mais seulement sur dépôt de plainte officielle et avec une autorisation du juge. Le Comité exhorte la Bolivie à dépénaliser l'avortement, la loi actuelle contribuant au taux élevé de mortalité maternelle. L'expert a demandé quelles mesures sont prises s'agissant des grossesses non désirés, non seulement dans les cas de viol et d'inceste, mais plus généralement pour les adolescents et les jeunes ayant des rapports sexuels non protégés. Il semblait à cet égard que la religion fait obstacle à l'éducation sexuelle.

Un expert a demandé des précisions sur la définition de la torture dans la législation bolivienne et a voulu savoir si les actes d'intimidation de la part d'une autorité publique en faisaient partie. Il s'est en outre interrogé sur le statut du projet de loi contre la torture. Par ailleurs, le Comité aimerait des réponses aux questions écrites qu'il a soumises à la Bolivie s'agissant de cas spécifiques de torture. De nombreuses actions et programmes ont été mis en place pour éradiquer le travail forcé, a noté un expert, qui a toutefois voulu savoir ce qui était fait dans la pratique.

Un expert a soulevé le problème de la surpopulation dans les prisons boliviennes et a constaté que de nombreuses personnes étaient en détention provisoire alors qu'elles ne devraient pas y être, comme le montrent les fréquents cas où les charges ont été levées. Les juges doivent avoir recours à des alternatives à la détention provisoire. L'expert a aussi relevé que de nombreux détenus restent en prison alors qu'ils ont purgé leur peine - pourquoi est-il si difficile de les libérer? Il s'est en outre inquiété de la corruption systémique qui semble peser sur le système pénitentiaire.

Un expert s'est inquiété de la situation de très jeunes enfants qui vivent en prison avec leurs parents et autres membres de leur famille parce que ces derniers y purgent une peine. Ainsi, des familles entières sont incarcérées et cela est anormal, a insisté cet expert. Un autre expert a relevé que d'après la loi actuellement en vigueur en Bolivie, seuls les enfants de moins de six ans peuvent vivre avec leurs parents dans les centres de détention; or, selon les informations disponibles, près de la moitié des enfants vivant avec leurs parents en prison ont plus de six ans.

Moins de la moitié des municipalités de Bolivie compteraient un tribunal, ce qui constitue incontestablement un énorme obstacle à l'administration de la justice dans ce pays, a fait observer un membre du Comité. L'expert a aussi demandé des précisions sur la position de la Bolivie s'agissant de l'objection de conscience.

Un autre membre du Comité a demandé si des condamnations ont été prononcées pour des cas de racisme. Qu'en est-il de l'introduction du délit de féminicide dans le Code pénal et qu'en est-il de la violence au sein de la famille, a-t-il aussi demandé?

Un expert a demandé quel avait été l'impact de la loi sur la lutte contre le racisme et la discrimination, notamment s'agissant des journalistes et médias qui font la promotion d'idées racistes. L'expert a par ailleurs souhaité en savoir davantage au sujet de l'affaire dans laquelle des médias, comme El Diario, ont été accusés de rapporter de manière erronée une déclaration du Président relative à la pénurie alimentaire, en laissant entendre que le Président aurait dit que certaines catégories de la population étaient paresseuses. L'expert s'est en outre inquiété des nombreux cas de harcèlement verbal ou physique et d'intimidation de journalistes.

Une experte a demandé des précisions sur les mesures prises pour garantir le principe du consentement éclairé des peuples autochtones aux mesures les concernant directement.

Une autre experte s'est inquiétée de ne toujours pas être informée de cas concrets permettant de savoir dans quelles conditions matérielles et juridiques est rendue la justice, en particulier la justice pénale, en Bolivie. Les juridictions coutumières ou locales doivent répondre aux obligations de l'article 14 du Pacte, c'est-à-dire remplir toutes les garanties judiciaires requises, a rappelé l'experte. Elle s'est par ailleurs étonnée que la Bolivie affirme que des détenus ont été graciés alors que leur culpabilité n'a jamais été prononcée. Ainsi, face à la très forte proportion de détenus placés en détention provisoire, plutôt que de recourir à la définition d'une véritable politique pénale, le pays a choisi de traiter le problème sous l'angle d'une lutte contre la surpopulation carcérale en graciant les détenus.

Réponses de la délégation

Répondant aux questions des membres du Comité s'agissant notamment du nombre important de lois adoptés par le pays, la délégation a attiré l'attention sur le fait que ces lois ont été adoptées à partir de 2010, lorsque l'Assemblée législative plurinationale pris ses fonctions, dans le contexte d'une Bolivie en transition d'un État colonial vers un État plurinational. La délégation a par la suite ajouté que la Bolivie suivait un modèle extrêmement difficile à appréhender, le pays étant en cours de construction; c'est dans ce contexte qu'il connaît «une avalanche de lois et normes nouvelles» visant à construire un nouvel État – les lois qui existaient jusqu'ici ne pouvant pas aider le pays à atteindre l'objectif qu'il s'est fixé.

Le Code pénal sera pour sa part réformé en 2014 pour introduire un certain nombre de nouveaux crimes, notamment sur la protection des actifs. Ce Code pénal devrait pleinement répondre à toutes les préoccupations soulevées par le Comité, a estimé la délégation.

En ce qui concerne la traite des personnes, la Constitution interdit explicitement toute forme d'esclavage et de trafic de personnes. Le 31 juillet 2012, une loi a été adoptée pour lutter contre la traite et les crimes connexes, et garantir les droits fondamentaux des victimes à travers un mécanisme de prévention et la poursuite des infractions.

Répondant aux questions sur l'avortement, la délégation a expliqué que la législation actuelle permettait l'avortement en cas de risque grave pour la vie de la mère ou dans les cas où la grossesse est le résultat d'un viol; elle a fait valoir que ces dispositions du Code pénal actuel ont été considérées par les tribunaux comme étant inconstitutionnelles, du fait qu'elles sont trop restrictives. Un débat a lieu actuellement dans la presse, et la Cour constitutionnelle doit rendre une nouvelle décision en 2014 quant à savoir si l'avortement est autorisé et quelles mesures doivent être prises par l'État face à la question.

S'agissant de l'administration de la justice, la délégation a rappelé que le tout premier code pénal spécifique en Bolivie qui date de la deuxième moitié du XXe siècle, se fondait uniquement sur le système inquisitoire; il est resté en vigueur une vingtaine d'années. Entre 1997 et 1999, il a été décidé de modifier le système pénal en vue de passer d'un système inquisitoire à un système accusatoire; mais le pays restait confronté au même problème de surpopulation carcérale, du fait d'un fort recours à la détention préventive. Les autorités se sont alors fixées pour objectif d'inverser la proportion de détenus se trouvant en détention préventive, afin qu'elle passe de 80% à 20%. Des réformes ont été entreprises en 2004 à cette fin.

Aujourd'hui, coexistent en Bolivie plusieurs systèmes judiciaires - dont le système de justice autochtone - au sein d'un seul et même système plurinational et ce, afin de combler le retard accumulé dans l'administration de la justice. Il n'en demeure pas moins que les autorités autochtones et rurales sont assujetties à la Constitution et à toute autre norme reconnue comme telle par l'État, a précisé la délégation. La Cour constitutionnelle reste la juridiction suprême, a-t-elle ajouté. Les systèmes de justice autochtones sont très nombreux et variés, a poursuivi la délégation, expliquant que la Bolivie compte trois grandes nations autochtones – les Quechuas, les Aymaras et les Guaraní – et que quasiment chaque village de chacun de ces groupes a son propre système de justice. Aucun cas de corruption au sein de l'administration de la justice autochtone rurale n'a été à ce jour détecté; au contraire, il s'agit même d'un système de justice particulièrement efficace et rapide, qui répond aux besoins des autochtones, a fait valoir la délégation, insistant toutefois sur le fait que ce système judiciaire ne peut transcender les normes constitutionnelles et autres normes internationales auxquelles a souscrit le pays.

Afin de remédier à la surpopulation carcérale, un premier décret présidentiel relatif à la grâce a été promulgué, mais cette première mesure, appliquée sur une période limitée, n'ayant pas pleinement porté ses fruits, le Président a décidé de publier un second décret présidentiel d'amnistie et de grâce combinées en vertu duquel, notamment, tous les détenus placés en détention préventive pour un délit mineur ont bénéficié d'une amnistie accompagnée d'un effacement du casier judiciaire.

Une autre grande réforme du système judiciaire a trait à l'introduction de mesures provisoires permettant d'éviter le placement en détention, a poursuivi la délégation. En effet, en vertu du code de procédure pénale actuel, la pauvreté, l'absence de domicile fixe en particulier, sont passibles de sanctions parmi lesquelles le placement en détention et un grand nombre de personnes se retrouvent placées en détention pour ce motif. Le pays va donc modifier son code de procédure pénale dans ce domaine et introduire des mesures provisoires.

Ces prochaine semaines, la révision du Code pénal devrait être complétée afin d'établir un équilibre entre les garanties dont dispose la victime et celles dont dispose le prévenu. La responsabilité pénale doit être bien distinguée et séparée de la responsabilité civile, a ajouté la délégation, soulignant que l'esprit de cette réforme est d'assurer que la responsabilité pénale ne soit absolument pas liée à la responsabilité civile.

Pour ce qui est des enfants vivant dans les centres de détention avec leurs parents détenus, la délégation a rappelé que la loi actuellement en vigueur en Bolivie prévoit que de les enfants de moins de six ans révolus peuvent vivre avec leurs parents détenus. Aussi, des mesures ont-elles été prises afin de veiller à ce que les enfants de plus de six ans qui vivaient dans des centres de détention avec leurs parents détenus soient retirés de ces centres; cet objectif a d'ores et déjà été atteint à La Paz et les autorités s'efforcent maintenant de veiller à ce qu'il le soit également dans les autres départements.

Le lynchage est un délit, a par ailleurs souligné la délégation. Tous les peuples composant l'État plurinational de Bolivie le savent désormais, des mesures adéquates ayant été prises afin de faire savoir qu'il ne saurait s'agir là d'une pratique ancestrale ou autochtone originelle acceptable, a-t-elle assuré. En 2005, 15 cas de lynchages dont 10 mortels ont été enregistrés; en 2006, 14 cas dont 5 mortels ont été enregistrés; en 2007, 31 cas (dont 19 dans le département de La Paz et 9 dans celui de Cochabamba); en 2008, 44 cas ont été recensés contre 39 en 2009. Dans tous les cas, entre 2005 et 2011, le nombre de victimes dépassait le nombre de cas, car chaque cas de lynchage touchait plusieurs personnes, généralement entre deux et onze personnes, mais deux ou trois en moyenne. La plupart des victimes étaient des jeunes, a indiqué la délégation.

La législation bolivienne n'aborde pas le lynchage en tant que tel, mais il existe des mécanismes de protection face à de tels faits, des plaintes pour homicide ou assassinat pouvant en effet être déposées en cas de lynchage et engager, donc, le déclenchement d'enquêtes, a ajouté la délégation, précisant que plusieurs condamnations ont déjà été prononcées pour acte de lynchage.

Le féminicide est un délit en Bolivie et plusieurs auteurs de tels actes ont été sanctionnés, a indiqué la délégation.

Pour comprendre le problème de la discrimination en Bolivie, il convient de revenir à ce qui s'est passé pendant une période de 20 ou 30 ans où il était impossible pour un agriculteur vêtu de manière traditionnelle ou toute autre personne d'origine rurale de se rendre sur la place publique d'un village ou d'une ville. La Bolivie a donc fait de grands pas en avant pour ce qui est de la lutte contre la discrimination; aujourd'hui, on peut voir que l'Assemblée nationale est intégrée par toutes les franges de la société, a fait valoir la délégation. Aujourd'hui, les autochtones sont même intégrés dans les forces armées alors qu'auparavant, seules certaines élites y avaient accès; il en va de même dans les universités, auxquelles les autochtones ont un accès entièrement libre, a souligné la délégation, insistant sur la fierté des autorités face à ces changements fondamentaux qu'a connus le pays.

La délégation a ensuite fait état des travaux d'élaboration d'un avant-projet de loi en vue de créer une commission de la vérité sur les déplacements forcés et autres violations des droits de l'homme.

La délégation a également attiré l'attention sur les mesures prises afin de renforcer les services du Parquet pour l'aide aux victimes, en particulier dans le contexte de la traite de personnes. Elle a aussi attiré l'attention sur le Programme en faveur du peuple guarani, prévu par un décret suprême de 2007 et vise à répondre aux besoins de ce peuple.

La délégation a indiqué que, conformément à la pratique acceptée par le Comité, la Bolivie apporterait par écrit, dans les prochaines heures, des réponses à un certain nombre de questions soulevées par les membres du Comité s'agissant, notamment, des questions liées à la corruption.

Conclusion

M. Nigel Rodley, Président du Comité, a relevé que la délégation avait mis le doigt sur les difficultés que la Bolivie traverse tout en rendant compte des énormes changements opérés depuis 40 ans en dépit des obstacles, notamment géographiques, auxquels le pays se heurte. La réalisation des droits civils et politiques est une réalité dans ce pays, ce qui n'a pas toujours été le cas par le passé pour une grande partie de la population. La Bolivie a en outre ratifié un grand nombre d'instruments de droits de l'homme, y compris le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture. Néanmoins, la délégation n'a pas apporté de réponse aux questions qui lui ont été posées s'agissant du harcèlement juridique dont sont victimes les défenseurs des droits de l'homme ou toute personne témoignant d'une désapprobation du système actuel en Bolivie. Quant au phénomène des lynchages, s'il convient certes de sensibiliser la population à l'illégalité de cet acte, il faudrait que ces actes soient davantage poursuivis en tant que meurtres, a souligné M. Rodley.


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CT13/032F