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LE COMITÉ POUR L'ÉLIMINATION DE LA DISCRIMINATION RACIALE EXAMINE LE RAPPORT DE LA JAMAÏQUE

Compte rendu de séance

Le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale a examiné, hier après-midi et ce matin, le rapport présenté par la Jamaïque sur les mesures prises par cet État partie à la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale pour en appliquer les dispositions.

M. Wayne McCook, Représentant permanent de la Jamaïque auprès des Nations Unies à Genève, a souligné que la Jamaïque est une société multiraciale composée essentiellement de personnes d'ascendance africaine et incluant des Européens, des Indiens, des Chinois et des personnes originaires du Moyen-Orient. Aucune politique ou pratique en Jamaïque n'établit de discrimination fondée sur la race ou l'origine ethnique, a poursuivi le Représentant permanent, qui a affirmé que l'harmonie raciale prévaut en Jamaïque. Mais si le racisme n'est pas un sujet de préoccupation manifeste en Jamaïque, le pays a eu à faire face aux défis découlant, entre autres, «des incidences résiduelles de l'esclavage et de la corrélation entre la couleur de la peau et les opportunités réelles ou perçues d'ascension sociale», a déclaré M. McCook. Tous les groupes raciaux jouissent d'un statut égal devant la loi et sont représentés, ayant l'opportunité de servir le service public dans les diverses sphères du pouvoir. La Charte des droits et libertés fondamentaux adoptée il y a deux ans fournit une protection globale de certains droits économiques et sociaux et des droits civils et politiques établis.

La délégation jamaïcaine, composée également d'autres membres de la Mission permanente de la Jamaïque auprès des Nations Unies à Genève, a répondu aux questions soulevées par les experts du Comité s'agissant, notamment, de la place et du rôle de la musique dans la culture jamaïcaine; de la situation des Rastafaris et des Maroons; de l'usage et du statut du patois; de l'interdiction de l'incitation à la haine raciale et religieuse; de la lutte contre la criminalité; de la lutte contre la traite des personnes; ou encore de la réserve que le pays maintient à l'égard de la Convention.

Le rapporteur du Comité pour l'examen du rapport de la Jamaïque, M. Nourredine Amir, a relevé que la Constitution, d'une part, et la Charte des droits et libertés fondamentaux, de l'autre, sont les deux socles à partir desquels se construit la société jamaïcaine – «et elle se construit bien», a-t-il estimé. De grands progrès ont été réalisés mais des sujets de préoccupation subsistent, au nombre desquels figure la réserve que le pays maintient à l'égard de la Convention.

Le Comité adoptera des observations finales sur le rapport de la Jamaïque en séance privée avant de clore la session, le vendredi 30 août prochain.


Cet après-midi, à partir de 15 heures, le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale entamera l'examen du rapport de la Suède (CERD/C/SWE/19-21).


Présentation du rapport de la Jamaïque

Présentant le rapport périodique de la Jamaïque (CERD/C/JAM/16-20), M. Wayne McCook, Représentant permanent de la Jamaïque auprès des Nations Unies à Genève, a rappelé que l'opposition déterminée de son pays au racisme et à la discrimination raciale l'ont amené à jouer un rôle important dans la lutte contre l'apartheid en Afrique du Sud et à soutenir les luttes de libération en Angola, en Namibie et au Mozambique.

M. McCook a souligné que la Jamaïque est une société multiraciale composée essentiellement de personnes d'ascendance africaine et incluant des Européens, des Indiens, des Chinois et des personnes originaires du Moyen-Orient. Aucune politique ou pratique en Jamaïque n'établit de discrimination fondée sur la race ou l'origine ethnique, a poursuivi le Représentant permanent. La devise de la Jamaïque, Out of Many, One People (Un seul peuple issu de plusieurs), exprime ce principe fondamental de non-discrimination basée sur la race et reflète l'état d'harmonie raciale qui prévaut dans le pays, a-t-il insisté. Il a toutefois reconnu que si le racisme n'est pas un sujet de préoccupation manifeste en Jamaïque, le pays «a eu à faire face aux défis découlant, entre autres, des incidences résiduelles de l'esclavage et de la corrélation entre la couleur de la peau et les opportunités réelles ou perçues d'ascension sociale».

Il n'y a aucune politique institutionnelle ni aucune loi en Jamaïque qui encourage ou soutienne la discrimination raciale, a de nouveau assuré le Représentant permanent. Tous les groupes raciaux jouissent d'un statut égal devant la loi et sont représentés, ayant l'opportunité de servir le service public dans les diverses sphères du pouvoir, notamment au Parlement et au sein du pouvoir exécutif. La Charte des droits et libertés fondamentaux adoptée il y a deux ans fournit une protection globale de certains droits économiques et sociaux et des droits civils et politiques établis. Cette Charte introduit en outre de nouveaux droits, y compris les droits de l'enfant, le droit à un passeport, les droits liés à l'environnement ou encore le droit à une aide juridique, a fait valoir M. McCook. Tous ces droits sont reconnus à tous sans distinction aucune, a-t-il insisté.

Au nombre des mécanismes de protection des droits de l'homme, M. McCook a cité le Bureau du Défenseur public et la Commission d'enquête indépendante, ainsi que l'Agence pour le développement de l'enfance et le Bureau de l'Avocat des enfants. Ce dernier, en tant que commission parlementaire, fonctionne comme un organe indépendant ayant pour responsabilité d'évaluer la situation et de prendre des mesures lorsque des agences de l'État, y compris l'Agence pour le développement de l'enfance, manquent à leurs devoirs pour ce qui est d'assurer l'intérêt supérieur de l'enfant. La Commission d'enquête indépendante, qui a été établie par une loi, est également une commission parlementaire; elle mène des enquêtes sur les agissements des membres des forces de sécurité et autres agents de l'État qui causent des décès ou des blessures ou commettent une violation des droits des personnes. Le Bureau du Défenseur public est également une commission parlementaire indépendante établie par la loi; il est chargé d'enquêter sur tout fait laissant penser qu'une personne ou un groupe de personnes a subi une injustice ou souffert d'une violation de ses droits constitutionnels suite à l'action d'une autorité ou d'un agent de l'État. Ni la Commission d'enquête indépendante, ni le Défenseur public n'ont jamais été saisis d'aucune plainte pour discrimination fondée sur la race ou l'origine ethnique, a indiqué M. McCook, qui a aussitôt ajouté que cela ne saurait être attribué à une quelconque ignorance du rôle de ces mécanismes et des tribunaux ni à un quelconque manque d'accès à ceux-ci, soulignant que ces organes ont fait l'objet d'ambitieuses campagnes de sensibilisation publique.

Tout en se disant confiant quant à la protection fondamentale dont bénéficient les droits des citoyens grâce à la Charte des droits – qui est une Charte constitutionnelle – et aux différents mécanismes de protection et de promotion des droits de l'homme du pays, le Représentant permanent a souligné que le Gouvernement jamaïcain s'efforçait néanmoins d'en faire encore davantage en la matière. C'est dans ce contexte que le Ministère de la justice est en voie d'établir une unité des droits de l'homme afin de renforcer les capacités du Ministère dans cet important domaine de responsabilité.

M. McCook a ensuite attiré l'attention sur la Politique culturelle nationale mise en place en 2003, qui constitue une importante mesure appliquée afin de protéger la diversité culturelle en Jamaïque.

Le représentant jamaïcain a par ailleurs reconnu l'importance qu'il y a à assurer la protection des droits des non-ressortissants. Les ressortissants de la Communauté des Caraïbes (CARICOM), dont la Jamaïque fait partie, jouissent du droit à la liberté de mouvement au sein de la Communauté. D'autres non-ressortissants, parmi lesquels des réfugiés et des victimes de traite, se voient accorder des droits en vertu de la Charte des droits et peuvent avoir accès aux services en Jamaïque sur un pied d'égalité avec les citoyens jamaïcains.

Avec ses 2,6 millions d'habitants d'ascendance africaine, européenne, indienne, moyen-orientale et chinoise, la Jamaïque voit sa diversité et ses racines multiraciales reconnue dans sa devise «Out of Many, One People», a de nouveau souligné M. McCook. Dans ce contexte, les autorités jamaïcaines s'efforcent de veiller à ce que les traditions, les normes et les activités culturelles des différents groupes ethniques soient respectées et promues afin de faciliter la coexistence harmonieuse du peuple jamaïcain, «comme l'avait envisagé l'icône nationale de la Jamaïque, Bob Marley, un rastafarien, dans sa chanson One love».

Examen du rapport

Observations et questions des membres du Comité

M. Nourredine Amir, rapporteur du Comité pour l'examen du rapport de la Jamaïque, a souligné que l'émigration continue de jouer un rôle important dans la dynamique démographique du pays. Cette émigration n'a pas seulement contribué à l'atténuation démographique et à l'entrée des devises dans le pays; elle a aussi eu des influences négatives sur le développement socioéconomique, compte tenu de la perte de ressources humaines importantes. Cela n'empêche pas le pays de progresser aujourd'hui de manière significative en matière de services de santé de base, a poursuivi le rapporteur: plus de 26 hôpitaux publics et autres cliniques privées répondent aux besoins de la population. Cela peut expliquer en grande partie la diminution notable de la mortalité néonatale et infantile. En outre, les programmes élargis de vaccination sont pleinement institutionnalisés; c'est dire les progrès extraordinaires que le pays a effectués depuis les années 1960. En outre, la Jamaïque a vu son taux de chômage diminuer, passant de 27% en 1980 à 16% en 1995.

Le rapporteur a ensuite relevé que les droits civils et politiques sont garantis par la Constitution entrée en vigueur en 1962, laquelle comprend des dispositions qui sauvegardent les libertés fondamentales sans distinction de race, de lieu d'origine, d'opinion politique, de couleur, de conviction ou de sexe, sous réserve que soient respectés les droits et libertés d'autrui et sous réserve de l'intérêt public. Eu égard à certaines dispositions constitutionnelles, M. Amir a souhaité savoir si les recommandations du Comité «peuvent être adoptées par des dispositions ordinaires» ou si elles doivent obligatoirement passer par un vote favorable des deux tiers dans les deux chambres du Parlement.

Rappelant que le pays compte un peu plus de 2,7 millions d'habitants, le rapporteur a souligné qu'autant de Jamaïcains vivent à l'extérieur du pays. La composante dominante de la population est d'origine africaine (91,7%), suivie par les Métis (6,2%), les Indiens (0,9%) et les Chinois (0,2%), a-t-il noté.

Poussée par la récession économique, la Jamaïque est revenue au Fonds monétaire international (FMI) pour y négocier de nouveaux accords, a poursuivi M. Amir. Malgré cette récession, le pays a atteint des normes internationales en matière d'espérance de vie ou encore en matière de scolarisation, laquelle est désormais quasi-universelle dans ce pays, s'est-il félicité.

Relevant que la Jamaïque considère que des mesures suffisantes figurent dans sa Charte des droits et libertés fondamentaux, le rapporteur a souligné que cette Charte ne répond pas à l'article 4 de la Convention.

S'agissant de la liberté de circulation – notamment dans le contexte de la Communauté des Caraïbes où elle est garantie pour la main-d'œuvre qualifiée –, M. Amir a relevé que la législation ne mentionne pas la main-d'œuvre non qualifiée, «ce qui poserait un problème de discrimination en matière de droit à la liberté de circulation».

En ce qui concerne la question des réfugiés, M. Amir a rappelé que la Jamaïque a ratifié en 1980 la Convention de 1951 et le Protocole de 1967. Mais en tant que voisin d'Haïti et de Cuba, la Jamaïque est vulnérable aux arrivées massives de réfugiés en provenance de ces deux pays. En outre, la Jamaïque est une voie de passage pour tous les trafics de personnes et la crise politique en Haïti en 2004 n'a rien facilité. Le rapporteur a ensuite salué les résultats obtenus par la Jamaïque pour améliorer l'enregistrement des naissances et des décès depuis 1999, soulignant que cela constitue un exemple positif pour la prévention de l'apatridie.

M. Amir a d'autre part attiré l'attention sur le problème du nombre important de crimes commis dans le pays, qu'il s'agisse des viols de femmes, des sévices que subissent les enfants ou d'autres crimes violents. Aussi, s'est-il enquis des mesures prises par le Gouvernement pour réduire les fléaux qui gangrènent la société jamaïcaine. Il a notamment demandé quelles mesures pourraient être envisagées pour réduire la facilité d'accès aux armes et comment lutter plus efficacement contre les trafiquants.

Le rapporteur a aussi demandé des précisions s'agissant de la situation relative à la traite de personnes et quelles mesures sont prises en faveur de ses victimes, se demandant si une nouvelle loi ne s'avèrerait pas nécessaire en la matière.

M. Amir a ensuite attiré l'attention sur les évolutions positives intervenues en Jamaïque, citant notamment la ratification, en février dernier, de la Convention de 1961 sur la réduction des cas d'apatridie; l'adoption en 2009 d'une politique nationale sur les réfugiés; l'application depuis 2007 de l'initiative d'enregistrement obligatoire des enfants – ce qui facilite l'enregistrement des naissances et permet de réduire l'apatridie; l'adoption en 2007 de la loi sur la traite de personnes et la mise sur pied en 2005 d'une équipe nationale spéciale chargée de la lutte contre la traite.

Le rapporteur a ensuite relevé que la Jamaïque maintient une déclaration à l'égard de la Convention et a souhaité savoir s'il fallait par conséquent considérer que la législation nationale prévaut sur la Convention.

Un autre membre du Comité s'est enquis, à cet égard, des éléments de la Constitution jamaïcaine qui pourraient entrer en conflit avec la Convention.

Plusieurs experts ont demandé des renseignements sur la situation des communautés rastafari et maroon et des discriminations dont peuvent souffrir ces deux groupes de la population. Ils ont voulu connaître le nombre de personnes appartenant à ces communautés et savoir si elles sont reconnues comme peuples autochtones. Un expert a relevé que les enfants rastafaris se voyaient jadis interdire l'accès à l'éducation en raison de leurs tresses mais que ce n'est plus le cas aujourd'hui. S'il faut se réjouir que ces enfants aient désormais accès à l'école, le port de tresses n'ouvre-t-il pas la possibilité de voir ces enfants être traités différemment des autres enfants?

Une experte a demandé des précisions sur les Rastafaris, souhaitant notamment savoir si le terme désigne les adeptes d'une religion ou un groupe ethnique. Un expert a indiqué avoir lu que l'usage de la marijuana fait partie des pratiques religieuses des Rastafaris, se demandant comment les Nations Unies considèrent l'usage de la marijuana pour des motifs religieux et faisant observer que certains autochtones d'Amazonie utilisent également des substances considérées comme des drogues.

Relevant l'information fournie par le rapport selon laquelle le patois est parlé par tous les Jamaïcains et est utilisé dans les activités culturelles, l'expert a souhaité savoir si ce patois, qui n'est pas enseigné à l'école, n'est qu'une simple langue orale et si elle risque de disparaître. Il a d'autre part souhaité avoir des précisions sur les dispositions interdisant les émissions incitant à la haine raciale. Il a aussi relevé l'absence, au sein de la communauté maroon, de tout enseignement scolaire autre que l'enseignement de base. Il s'est aussi inquiété du taux de chômage élevé qui sévit au sein de cette communauté. La culture des Maroons semble être menacée de dilution dans la culture populaire générale de la nation, a ajouté l'expert.

Le même expert s'est étonné que le rapport indique que la couleur de la peau est parfois encore déterminante pour ce qui est des possibilités d'ascendance sociale, alors qu'en Jamaïque, 90% de la population est d'ascendance africaine. La Jamaïque semble avoir mis en place une sorte de système de démocratie pyramidale où le taux de mélanine joue un rôle important, a indiqué un autre expert.

Les allégations d'exécutions extrajudiciaires en Jamaïque concernent-elles essentiellement la population d'ascendance africaine et comportent-elles des éléments raciaux, a demandé un expert ?

Une experte a souhaité savoir ce que les autorités jamaïcaines entendent par «Métis». Elle s'est par ailleurs demandée si la Jamaïque ne pourrait pas reprendre à son compte la définition de la discrimination raciale énoncée à l'article premier de la Convention. Elle a en outre regretté que le pays n'ait pas encore adopté la loi tant attendue sur les réfugiés et les requérants d'asile. La traite de personnes est un problème douloureux à gérer, a en outre souligné l'experte, qui a voulu connaître le rôle joué par la Jamaïque au sein du CARICOM pour endiguer ce phénomène. Pour fonctionner, la démocratie doit associer les femmes, a rappelé l'experte, avant de s'enquérir de la place faite aux femmes en Jamaïque, en particulier pour ce qui est des postes politiques et des emplois publics.

Évoquant les nombreux obstacles empêchant les tribunaux internes d'invoquer la Convention, un expert a appelé la Jamaïque à revoir la réserve qu'elle a émise à l'égard de la Convention.

Un expert est intervenu pour exprimer sa préoccupation face au phénomène du blanchiment de la peau, un problème qui prend de l'ampleur aussi en Afrique. Cela renvoie à la notion d'esclavage de l'esprit, de colonisation de l'esprit, a-t-il insisté. «Ce qui est grave, c'est le racisme à l'envers; c'est-à-dire que le discriminé se discrimine lui-même, parce qu'il croit à son infériorité, et cela est tragique», a déclaré l'expert.

Plusieurs membres du Comité ont salué en Usain Bolt un excellent ambassadeur de la Jamaïque et ont rendu hommage aux contributions sportives mais aussi musicales du pays. Un membre du Comité a admis avoir connu la Jamaïque d'abord avec Jimmy Cliff au collège et ensuite avec Bob Marley au lycée, mais toujours sous l'angle de la musique. La Jamaïque est certes célèbre pour ses exploits sportifs et pour sa musique, mais elle l'est aussi en droit international pour avoir été le pays où fut signée la Convention de Montego Bay sur le droit de la mer, a pour sa part rappelé un expert.

Une experte a attiré l'attention sur le lien qui peut être fait entre le rôle de transmission de mémoire des musiciens jamaïcains et la caste des griots en Afrique, ajoutant qu'il serait intéressant d'entreprendre une étude sur les relations qui existent entre la musique jamaïcaine et la musique africaine, en particulier en termes de transmission des valeurs et de l'histoire. Il y a incontestablement des liens très forts entre la culture africaine et la culture des Amériques, y compris le jazz des États-Unis, a pour sa part souligné le Président du Comité, ajoutant que la musique jamaïcaine, comme celle d'autres pays des Amériques, maintient une base africaine; il est très intéressant de constater que de telles musiques ont survécu à tous les tourments de l'esclavage et irriguent désormais toute la culture mondiale.

Réponses de la délégation

Les membres du Comité ayant tous attiré l'attention sur les apports et l'influence de la Jamaïque dans le sport et dans la musique, la délégation a souligné qu'Usain Bolt a un passeport rouge, c'est-à-dire qu'il est reconnu comme un ambassadeur de plein droit de la Jamaïque.

Après avoir attiré l'attention sur les incidences de l'esclavage auxquelles le pays a été confronté après son indépendance, la délégation jamaïcaine a souligné que la Jamaïque est parvenue à surmonter certains obstacles contre lesquels luttent encore d'autres sociétés. La délégation a témoigné des changements qui se sont opérés dans la façon dont l'esclavage est enseigné à l'école; l'histoire n'est plus édulcorée, a-t-elle assuré. La délégation a attiré l'attention sur une chanson de Winston Rodney, alias «Burning Spear», dont l'une des chansons dit: «Vous souvenez-vous de l'époque de l'esclavage» («Do you remember the days of slavery»); dans notre culture, les musiciens, mais aussi les enseignants, s'efforcent de transmettre un message aux jeunes générations, de leur enseigner l'histoire de leur passé. «Bob Marley disait qu'il fallait s'émanciper de l'esclavage mental et que nous étions les seuls à pouvoir libérer nos esprits», a insisté la délégation. Elle a par ailleurs rappelé qu'à une époque, le mot «respect» était un terme qui était repris dans la quasi-totalité des chansons de la culture populaire.

La délégation a indiqué que les autorités ne disposent pas de chiffres précis concernant le nombre de Rastafaris en Jamaïque. Le rastafarisme est un mouvement religieux dont les manifestations culturelles se font ressentir à l'échelle mondiale. Tous les Rastafaris ne sont pas d'ascendance africaine, mais la philosophie du rastafarisme est dans une certaine mesure le résultat du panafricanisme; le continent africain joue un rôle prépondérant dans la religion rasta, a souligné la délégation. La délégation a par la suite fait part du souhait des autorités de faire de Pinnacle, où est né le rastafarisme en 1940, un site préservé.

Par le passé, les élèves n'étaient pas autorisés à venir à l'école s'ils portaient des dreadlocks; mais cette politique a été abrogée, a rappelé la délégation. Aujourd'hui, les enfants peuvent venir à l'école en arborant la coupe de cheveux qu'ils souhaitent, y compris les dreadlocks, qui ne sont d'ailleurs plus, aujourd'hui, uniquement le monopole des Rastafaris.

On trouve des Maroons sur l'ensemble du territoire et le responsable de chaque communauté est en général un policier qui travaille pour la police jamaïcaine, a ensuite indiqué la délégation. Elle a rappelé que les Maroons ont signé un traité avec la Couronne britannique en 1738 et jouissent à ce titre de certains droits et privilèges; mais sinon, tous les aspects de leur vie sont régis par le fait qu'ils sont des ressortissants jamaïcains. Ils ne sont pas isolés du reste de la société, a insisté la délégation. Un membre du Comité s'étant enquis de la nature de ces privilèges dont jouissent les Maroons et ayant fait observer que si ces privilèges portent sur des droits de l'homme, ils pourraient alors instituer une discrimination au regard de la Convention, la délégation a expliqué qu'il n'y a pas à proprement parler de privilèges dont jouiraient aujourd'hui les Maroons par rapport au reste de la population jamaïcaine.

Les Maroons sont considérés comme un groupe autochtone, a poursuivi la délégation; ce sont les descendants d'esclaves ayant fui les esclavagistes espagnols et anglais et ayant constitué des communautés distinctes. Il ne s'agit pas à proprement parler des habitants indigènes de la Jamaïque, en ce sens que ce ne sont pas des personnes qui se trouvaient sur le territoire jamaïcain avant l'arrivée des colons; ce sont des esclaves ayant fui leurs maîtres, a-t-elle expliqué. Il s'agit, pour 91% d'entre eux, de personnes d'ascendance africaine et ils bénéficient de tous les services sociaux sur un pied d'égalité, a-t-elle poursuivi. Au sein de cette communauté, des écoles primaires et des collèges existent; mais ils peuvent envoyer leurs enfants à l'école partout où ils le souhaitent en Jamaïque.

Les services sociaux sont offerts à tous les Jamaïcains sur un pied d'égalité, y compris aux Maroons et aux Rastafaris, a insisté la délégation.

Les lois relatives à l'interdiction de la consommation du cannabis et de la ganja sont très claires et ne souffrent aucune exception, ni dérogation, a souligné la délégation; la question de la dépénalisation a été maintes fois examinée, mais aucun projet en ce sens n'est envisagé ou à l'étude à l'heure actuelle, a-t-elle précisé.

En Jamaïque, l'anglais est la langue nationale, mais le patois est également parlé par la majorité de la population, a rappelé la délégation. Ce dialecte se transmet oralement d'une génération à l'autre; c'est la langue la plus parlée et elle est de plus en plus utilisée dans les médias. Aux yeux de la population, c'est ce patois qui fait de vous un Jamaïcain, a fait observer la délégation, avant de préciser qu'un groupe religieux s'est assuré de la traduction de la Bible en patois.

Pour ce qui est des personnes d'origine chinoise, allemande, écossaise, irlandaise ou autres, la délégation a expliqué que les autorités ne procèdent pas à une ventilation des données statistiques qui permettrait de connaître l'origine nationale des personnes se trouvant sur son territoire.

En Jamaïque, tous les groupes raciaux sont mis sur un pied d'égalité en vertu de la Constitution et de la législation nationale, a par ailleurs souligné la délégation. Le système juridique jamaïcain relève de la common law, a-t-elle précisé. Toute incitation à la haine religieuse ou nationale ou à l'intolérance est interdite tant en vertu de la Constitution qu'en vertu de la common law, a ajouté la délégation. La Commission sur la radiodiffusion peut limiter la diffusion de chansons et autres matériels diffusés à la radio ou à la télévision si ceux-ci incitent à la discrimination raciale, a par ailleurs fait valoir la délégation.

Quant à savoir si la Jamaïque envisage d'introduire une définition de la discrimination raciale dans sa législation interne conformément à la Convention, rien n'a à ce stade été décidé en ce sens, mais les autorités tiendront compte des commentaires du Comité à cet égard, a assuré la délégation.

Tous les résidents permanents et citoyens de la Jamaïque ont bien évidemment le droit d'accès à l'école, a par ailleurs souligné la délégation. «Nous n'avons pas l'habitude – s'il y en a – de refuser aux résidents illégaux d'aller à l'école», a-t-elle déclaré, ajoutant ne pas avoir connaissance de tels cas, ce qui ne signifie pas qu'il n'y a pas d'arrivée illégale de migrants dans le pays.

S'agissant des mesures prises pour lutter contre la criminalité et autres violences telles que le viol, très courantes dans la société jamaïcaine, la délégation a fait état des mesures prises pour mettre en place des programmes adaptés aux priorités des communautés particulièrement vulnérables. Les autorités cherchent ainsi à promouvoir l'autonomisation des communautés concernées; les politiques gouvernementales s'efforcent d'établir un équilibre entre les interventions sociales de l'État et les mesures pouvant être prises par les communautés elles-mêmes, a expliqué la délégation.

En ce qui concerne les mesures prises en matière de lutte contre la traite de personnes, la délégation a notamment souligné que grâce à l'aide de l'Organisation internationale pour les migrations, la Jamaïque a participé à des réunions de coordination sur cette thématique avec d'autres pays de la région. Au niveau interne, la législation jamaïcaine vise à poursuivre les coupables et à aider les victimes de la traite. Cette législation est tout à fait conforme aux normes internationales en la matière telles qu'établies en particulier par le Protocole de Palerme sur la traite des personnes, a-t-elle estimé. Cette législation a récemment été amendée pour inclure dans la définition de la traite la servitude pour dettes, passible d'une peine de vingt ans d'emprisonnement.

Certains experts ayant souhaité savoir si les exécutions extrajudiciaires revêtent une dimension raciale, la délégation a indiqué qu'aucune des entités pertinentes (notamment la Commission d'enquête indépendante) n'a été saisie d'agissements de la police à caractère racial ni d'exécutions extrajudiciaires.

La réserve exprimée par la Jamaïque à l'égard de la Convention se fonde sur le fait que «La ratification de la Convention par la Jamaïque n'emporte pas l'acceptation d'obligations dépassant les limites fixées par sa Constitution non plus que l'acceptation d'une obligation quelconque d'introduire des procédures judiciaires allant au-delà de celles prescrites par ladite Constitution». Cela ne diminue en rien la reconnaissance par la Jamaïque de son devoir en matière de lutte contre la discrimination raciale, a-t-elle assuré. La délégation a rappelé que la Jamaïque possède un système dualiste, de sorte qu'à l'heure actuelle, la Convention ne peut être directement invoquée devant les tribunaux.

À ce stade, il n'existe pas d'institution nationale des droits de l'homme à proprement parler en Jamaïque, a reconnu la délégation; mais le pays estime disposer de suffisamment de mécanismes lui permettant de soutenir et protéger les droits de l'homme de tous ses citoyens, a-t-elle ajouté. Il n'en demeure pas moins que les autorités continuent d'étudier cette question et de s'y intéresser, a indiqué la délégation.

Conclusions du rapporteur

M. AMIR, rapporteur pour le rapport de la Jamaïque, a souligné que les échanges entre le Comité et la Jamaïque ont permis de soulever des questions très sensibles. Les réponses apportées par la délégation ont été à la fois précises que concises; toutes les questions soulevées par les membres du Comité ont reçu des réponses. Ces réponses ont, toutes, relevé de deux socles: la Constitution, d'une part, et la Charte des droits et libertés fondamentaux, de l'autre, a poursuivi le rapporteur. Ce sont les deux socles à partir desquels se construit la société jamaïcaine et elle se construit bien, a-t-il estimé.

De grands progrès ont été réalisés mais des sujets de préoccupation subsistent, au nombre desquels figure la réserve que le pays maintient à l'égard de la Convention, a poursuivi M. Amir. À cet égard, il a rappelé que des élections politiques se dérouleront en Jamaïque en 2014 et s'est demandé si les questions soulevées par le Comité pourraient alors, dans ce contexte, trouver des réponses. Sur la durée, il n'est pas interdit de penser que la Convention sera intégrée dans ce socle législatif, a insisté le rapporteur.

Dans ses observations finales, le Comité ne manquera pas de relever tous les points positifs – et ils sont nombreux – mais des recommandations seront également faites qui toucheront les articles 4 à 7 de la Convention, a indiqué M. Amir.


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CERD13/021F