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LE COMITÉ DES DISPARITIONS FORCÉES EXAMINE LE RAPPORT DE LA FRANCE

Compte rendu de séance

Le Comité des disparitions forcées a examiné, hier après-midi et ce matin, le rapport initial présenté par la France sur les mesures prises par ce pays pour mettre en œuvre les dispositions de la Convention pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.

M. Nicolas Niemtchinow, Représentant permanent de la France auprès des Nations Unies à Genève, a donné lecture d'un message que la Garde des Sceaux, Ministre de la justice de la France, Mme Christiane Taubira, a souhaité adresser au Comité et dans lequel la Ministre souligne notamment que le crime de disparition forcée est « irréductible à la somme des actes qui le composent ». « L'effrayante singularité du crime de disparition forcée tient en effet à la volonté d'oblitérer les faits commis aussi bien que ceux qui en sont victimes; elle tient au fait que la perpétration de ce crime vise à organiser les conditions dans lesquelles celui-ci peut être nié », explique Mme Taubira, avant de reconnaître que la législation française ne sera pleinement conforme aux stipulations de la Convention que lorsque le projet de loi portant adaptation du droit pénal français, actuellement débattu au Parlement, aura été définitivement adopté. M. Niemtchinow a ensuite précisé que ce projet de loi vise notamment à inscrire, dans le Code pénal, l'infraction autonome de disparition forcée; à prévoir des peines, ainsi qu'un délai de prescription, conformes aux dispositions de la Convention; à établir un régime de responsabilité spécifique du supérieur hiérarchique; et à instaurer une compétence quasi-universelle au profit des juridictions françaises pour connaître des crimes de disparition forcée.

La délégation française était également composée, entre autres, de représentants du Ministère des affaires étrangères, du Ministère de la justice, du Ministère de l'intérieur et du Ministère de la défense. Elle a répondu aux questions des experts s'agissant, notamment, du projet de loi portant adaptation de la loi française aux dispositions de la Convention; des éléments constitutifs d'une disparition forcée; de la responsabilité du supérieur hiérarchique; de la notion d'ordre « manifestement illégal »; de la continuité du crime de disparition forcée; de la responsabilité des personnes morales; de la compétence universelle; des droits des victimes; de l'interdiction de l'éloignement d'une personne vers un pays où elle encourt un risque de disparition forcée, des voies de recours existantes dans ce contexte ainsi que des procédures d'asile et de la notion de pays d'origine sûre; ou encore de la détention au secret. Un représentant de la Commission nationale consultative des droits de l'homme de la France est également intervenu. La délégation a notamment déclaré que la France n'utilise jamais la détention au secret.

Le rapporteur du Comité pour l'examen du rapport français, M. Garcé García y Santos, a notamment recommandé à la France de soumettre la responsabilité du supérieur hiérarchique à un régime conforme à la Convention et non à un régime de complicité comme cela est actuellement le cas. La France doit en outre prévoir le droit des victimes de connaître la vérité quant aux circonstances des disparitions forcées, conformément aux dispositions pertinentes de la Convention, sans avoir pour cela à recourir aux services d'un avocat, a ajouté le rapporteur. La corapporteuse du Comité pour l'examen du rapport de la France, Mme Suela Janina, a félicité la France pour les activités qu'elle mène en faveur de l'universalisation de la Convention. Le cadre juridique actuellement en vigueur en France n'est pas harmonie avec la Convention et le Comité espère que le projet de loi n°736 (portant adaptation de la loi française aux dispositions de la Convention) intégrera tous les éléments nécessaires pour assurer une pleine et entière conformité aux dispositions de la Convention, a en outre souligné la corapporteuse.

Le Comité adoptera des observations finales sur le rapport de la France qui seront rendues publiques à l'issue de la session, le vendredi 19 avril prochain.


Mercredi prochain, 17 avril, à 17 heures, le Comité tiendra une réunion avec les institutions nationales de droits de l'homme.


Présentation du rapport

Présentant le rapport de la France (CED/C/FRA/1), M. NICOLAS NIEMTCHINOW, Représentant permanent de la France auprès des Nations Unies à Genève, a donné lecture d'un message que la Garde des Sceaux, Ministre de la justice de la France, MME CHRISTIANE TAUBIRA, a souhaité adresser au Comité, au nom du Gouvernement français, et dans lequel la Ministre insiste sur l'importance que revêtent, aux yeux de la France, les premières auditions auxquelles procède le Comité. Dans son message, Mme Taubira rappelle que la France a été à l'initiative de la première résolution sur les personnes disparues, adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies le 20 décembre 1978, et a présidé les négociations relatives à la Déclaration sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées du 18 décembre 1992, adoptée là encore par l'Assemblée générale. La France a, enfin, assuré la présidence du groupe de travail créé par la Commission des droits de l'homme aux fins d'élaborer ce qui est devenu la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, rappelle la Ministre.

Le crime de disparition forcée est « irréductible à la somme des actes qui le composent et dont il peut s'accompagner, quand bien même chacun d'entre eux est susceptible de recevoir une qualification pénale autonome », poursuit Mme Taubira dans son message au Comité. « De la même manière, le crime de disparition forcée ne se résume pas à une addition de violations de droits fondamentaux reconnus et protégés par d'autres instruments, qu'il s'agisse du droit à la liberté et à la sécurité, du droit à la reconnaissance de la personnalité juridique, du droit de ne pas être soumis à des traitements cruels, inhumains ou dégradants ou du droit à la vie », ajoute la Ministre. « Les disparitions forcées sont tout cela; mais elles ne sont pas que cela », souligne-t-elle, précisant que « l'effrayante singularité du crime de disparition forcée tient en effet à la volonté d'oblitérer les faits commis aussi bien que ceux qui en sont victimes; elle tient au fait que la perpétration de ce crime vise à organiser les conditions dans lesquelles celui-ci peut être nié ». A ce crime odieux, la Convention oppose un instrument juridique « original, complet et efficace », rappelle Mme Taubira, avant de souligner que la France ne ménage aucun effort en vue d'une adoption la plus large possible de la Convention et invite tous les Etats à reconnaître la compétence du Comité pour examiner des communications (plaintes individuelles).

« Je suis pleinement consciente que la législation française ne sera pleinement conforme aux stipulations de la Convention que lorsque le projet de loi portant adaptation de notre droit pénal, actuellement débattu au Parlement, aura été définitivement adopté », fait valoir Mme Taubira dans son message aux experts. Aussi, poursuit-elle, « le Gouvernement a-t-il déclaré l'urgence sur ce texte afin d'en permettre l'adoption dans les meilleurs délais et je serai personnellement attentive à ce qu'il en aille ainsi ». La France, qui briguera prochainement l'honneur d'être à nouveau membre du Conseil des droits de l'homme, est attachée au fonctionnement régulier des comités conventionnels, conclut la Ministre de la justice.

« La Garde des Sceaux a mieux exprimé que je ne le pourrais tout l'intérêt et l'importance que la France accorde à la Convention », a poursuivi M. Niemtchinow. Souhaitant exposer en quoi l'état actuel du droit (en France) « répond à l'essentiel des prescriptions de la Convention », il a affirmé que « cet état du droit est celui d'un Etat de droit dans lequel les libertés individuelles bénéficient de garanties fortes ». C'est pourquoi, même si l'incrimination autonome de disparition forcée n'a pas encore été introduite dans le droit pénal, il n'est pas douteux que celle-ci, telle que définie dans la Convention, est absolument prohibée en France, conformément aux dispositions de l'article premier de la Convention. En France, a précisé M. Niemtchinow, une disparition forcée constituerait un « acte manifestement illégal » qui engage la responsabilité de son auteur, quand bien même celui-ci agirait sur ordre d'une autorité légitime. C'est donc un acte que tout agent de l'Etat, civil ou militaire, a le droit et le devoir de refuser d'exécuter, a-t-il insisté.

Le Comité ne doit avoir aucun doute sur le fait que, ni l'état d'urgence, ni l'état de siège, ni l'usage des pouvoirs spéciaux prévus par l'article 16 de la Constitution française, ne sont susceptibles de remettre en cause le caractère absolu qui s'attache à la prohibition des disparitions forcées, a poursuivi le Représentant permanent de la France. Il en va des disparitions forcées comme d'autres droits dits « indérogeables », tels le droit à la vie, la protection contre la torture ou la protection contre l'esclavage qui, selon l'article 15 de la Convention européenne des droits de l'homme, ne sauraient souffrir aucune dérogation, en aucune circonstance, a insisté M. Niemtchinow. Par ailleurs, a-t-il ajouté, le crime de disparition forcée est d'ores et déjà réprimé par le droit pénal lorsqu'il est le fait de personnes agissant sans l'autorisation, l'appui ou l'acquiescement de l'Etat, ou lorsqu'il revêt le caractère d'un crime contre l'humanité.

Le cadre légal actuel, dans les conditions de droit commun, permet une mise en œuvre des grands principes de la Convention, a souligné le Représentant permanent, précisant que toute personne peut saisir la justice; que la justice peut conduire des enquêtes promptes et efficaces et recourir, en tant que de besoin, à la coopération et à l'entraide judiciaire internationale; que la justice peut, à cet égard, transmettre des demandes d'extradition ou répondre à des demandes d'extradition; et que la justice peut aussi informer les victimes et réparer leur préjudice dans le cadre des procédures prévues par la loi. C'est également ce même droit commun qui répond à d'autres dispositions de la Convention en matière de non-refoulement, de protection des données personnelles ou de garantie de l'intérêt supérieur de l'enfant, notamment dans le cas où ceux-ci auraient été adoptés après que leurs parents eurent été victimes de disparitions forcées, en France ou ailleurs.

Affirmant avoir connaissance des interrogations qui peuvent être celles du Comité lorsque le Gouvernement français rappelle qu'un dispositif antérieur à l'entrée en vigueur de la Convention satisfait néanmoins aux obligations de cet instrument, M. Niemtchinow a néanmoins expliqué qu'il « semble au Gouvernement français que plusieurs des droits garantis par la Convention peuvent être plus efficacement mis en œuvre par les dispositifs du droit commun que par des dispositifs exceptionnels ou dérogatoires ». Le droit national français apparaît d'ores et déjà conforme à la presque totalité des dispositions de la Convention, a insisté le Représentant permanent. « Mais cette situation n'est pas pour nous, comme l'affirme très clairement notre Ministre de la justice dans son message à votre Comité, une raison pour ne pas adapter notre droit pénal », a-t-il aussitôt ajouté.

Évoquant précisément les travaux législatifs en cours, M. Niemtchinow a souligné que « le droit national français ne sera pleinement conforme aux dispositions de la Convention que lorsque auront été adoptées les dispositions du projet de loi d'adaptation pénale dont est actuellement saisi le Parlement ». A cet égard, le Représentant permanent a assuré les experts du Comité de la détermination des autorités françaises à aller vite. La Commission des lois de l'Assemblée nationale a adopté ce projet le 27 mars dernier et l'Assemblée nationale en débattra le 18 avril prochain, c'est-à-dire dans une semaine, a-t-il indiqué. Ce projet de loi sera ensuite soumis au Sénat, pour une lecture unique, conformément à la procédure d'urgence que le Gouvernement a décidé d'engager sur ce texte, a-t-il précisé. Ce texte, a-t-il expliqué, vise à inscrire, dans le Code pénal, l'infraction autonome de disparition forcée; à en retenir une définition unique – que celle-ci soit visée en tant que crime autonome ou en tant que crime contre l'humanité; à prévoir des peines, ainsi qu'un délai de prescription, conformes aux dispositions de la Convention; à établir un régime de responsabilité spécifique du supérieur hiérarchique; à instaurer une compétence quasi-universelle au profit des juridictions françaises pour connaître des crimes de disparition forcée; à élargir les conditions de mise en œuvre du principe « extrader ou juger ». Une fois cette loi promulguée, le crime de disparition forcée sera inscrit dans un nouvel article 221-12 du Code pénal. La disparition forcée y sera définie comme « l'arrestation, la détention, l'enlèvement ou toute autre forme de privation de liberté d'une personne, dans des conditions la soustrayant à la protection de la loi, par un ou plusieurs agents de l'Etat ou par une personne ou un groupe de personnes agissant avec l'autorisation, l'appui ou l'acquiescement des autorités de l'Etat, lorsque ces agissements sont suivis de sa disparition et accompagnés soit du déni de la reconnaissance de la privation de liberté, soit de la dissimulation du sort qui lui a été réservé ou de l'endroit où elle se trouve ». Cette définition comporte l'ensemble des éléments constitutifs qui figurent à l'article 2 de la Convention, y compris l'élément de « soustraction à la protection de la loi » que la France entend dans un sens matériel, a fait valoir M. Niemtchinow.

Examen du rapport

Questions et observations des membres du Comité

M. ALVARO GARCÉ GARCÍA Y SANTOS, rapporteur du Comité pour l'examen du rapport français, a fait observer que le rapport initial de la France a été soumis dans les délais et est conforme aux directives du Comité pour la présentation des rapports. Dès la deuxième moitié des années 1970 et en réaction aux témoignages atroces alors en provenance de nombreux pays latino-américains, la France s'est positionnée comme le pionnier d'une réaction juridique et éthique contre les violations des droits de l'homme, a-t-il rappelé.

M. Garcé García y Santos a ensuite souhaité en savoir davantage au sujet de la participation de la société civile au processus d'élaboration du présent rapport initial de la France.
Relevant par ailleurs que selon l'article 55 de la Constitution française, « les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie», le rapporteur s'est enquis du sens de l'expression « sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie» : cela implique-t-il une condition de réciprocité ?

D'autre part, a demandé M. Garcé García y Santos, existe-t-il en droit français une disposition qui interdise expressément la disparition forcée en toutes circonstances, y compris dans des situations exceptionnelles comme l'état d'urgence, l'état de guerre, l'instabilité politique ou l'attribution de pouvoirs exceptionnels au Président de la République ?

Le rapporteur a ensuite voulu savoir dans quels cas le droit français considère qu'un ordre est « manifestement illégal » et, partant, quel est le critère précis qui permet d'établir une distinction entre ce qui est « illégal » et ce qui est « manifestement illégal ». De quels recours disposent les subordonnés qui refusent d'obéir à un ordre impliquant la commission d'un acte de disparition forcée, a également demandé M. Garcé García y Santos ?

Le rapporteur a par ailleurs souhaité connaître la peine minimale dont sont et seront passibles les auteurs de disparition forcée, dans la législation actuelle comme dans le projet de loi en cours d'examen au Parlement. Qu'en est-il du régime de responsabilité pénale des personnes morales dans les cas de disparitions forcées, a-t-il demandé ?

M. Garcé García y Santos a souligné que la prévention des disparitions forcées est une question clef à laquelle le Comité accorde beaucoup d'importance. Le Gouvernement français affirme que la détention au secret est rarement utilisée dans la pratique; la délégation peut-elle fournir des statistiques en la matière et préciser dans quelles conditions une détention au secret est possible, a demandé le rapporteur?

En ce qui concerne l'action des forces militaires en rapport avec des situations de détention de prisonniers, le rapporteur s'est enquis des données qui sont transmises dans de tels cas au supérieur hiérarchique. Quelles sont les circonstances et données, techniques ou autres, qui font obstacles à la transmission d'information sur la capture ou la détention d'un prisonnier, a-t-il demandé ?

Le droit à la vérité est-il expressément codifié et reconnu dans la législation interne française, a en outre voulu savoir M. Garcé García y Santos ?

MME SUELA JANINA, corapporteuse du Comité pour l'examen du rapport de la France, s'est réjouie de la décision du Gouvernement français de recourir à une procédure accélérée, conformément à l'article 45 de la Constitution, pour l'adoption du projet de loi (n°736) visant l'adaptation de la législation interne aux obligations découlant de la Convention. Sous quel délai la France prévoit-elle que le projet de loi n°736 entre en vigueur, a-t-elle demandé ? Des changements pourront-ils encore être apportés au projet de loi afin de refléter, en particulier, des recommandations du Comité, a demandé la corapporteuse ?

Mme Janina s'est enquise de la manière dont la France entend s'acquitter de ses obligations au titre de l'article 3 de la Convention en l'absence, dans le projet de loi n°736, de toute disposition relative à la commission d'une disparition forcée par une personne ou un groupe de personnes agissant sans l'autorisation, le soutien ou l'acquiescement de l'Etat. La corapporteuse a en outre relevé que dans ce projet de loi, est prévu un délai de prescription de 30 ans et a souhaité savoir si les autorités françaises envisageaient d'inclure dans le texte du projet de loi une disposition stipulant que le délai de prescription ne commence qu'à partir du moment où le délit de disparition forcée a cessé, comme le prévoit l'article 8.1.b de la Convention. D'autre part, le même délai de prescription s'applique-t-il dans les procédures civiles pour ce qui est des recours dont disposent les victimes de disparition forcée? Par ailleurs, le projet de loi n°736 prévoit-il la juridiction universelle pour les cas présumés de disparition forcée ?

Qu'en est-il des actions que pourraient entreprendre les autorités françaises si un étranger présumé responsable de disparition forcée était présent sur le territoire français, en l'absence de toute demande d'extradition contre cette personne, a en outre demandé Mme Janina ?

La corapporteuse s'est ensuite enquise des dispositions légales et des procédures effectives qui garantissent l'interdiction de l'expulsion, du renvoi ou de l'extradition d'une personne qui encourt le risque d'être soumise à une disparition forcée. Ces procédures s'appliquent-elles dans les zones dites d'attente et quelle est l'autorité qui prend la décision concernant la demande d'asile d'une personne entrant dans une zone d'attente, a-t-elle demandé ? Mme Janina s'est également enquise des recours suspensifs d'une décision d'expulsion dont disposent les personnes qui affirment encourir un risque d'être soumises à une disparition forcée.

Mme Janina a par ailleurs souhaité savoir si la France avait recours aux assurances diplomatiques pour le transfert ou l'extradition d'une personne encourant un risque de disparition forcée. La législation et la pratique concernant le terrorisme, les situations d'urgence et la sécurité nationale que la France a adoptées ont-elles un impact sur l'application effective de l'interdiction du refoulement d'une personne encourant un risque d'être soumise à une disparition forcée, a également demandé la corapporteuse ?

Enfin, Mme Janina a rappelé que l'article 25 de la Convention requiert des Etats qu'ils préviennent et répriment la soustraction d'enfants soumis à une disparition forcée ou dont les parents sont soumis à une disparition forcée, ainsi que la falsification, la dissimulation ou la destruction de documents attestant la véritable identité de ces enfants. Aussi, a-t-elle relevé que la législation française, si elle incrimine l'enlèvement d'enfants, ne codifie pas le crime énoncé à l'article 25 de la Convention; dans ce contexte, a-t-elle demandé, sous quelles conditions est-il possible de revoir et d'annuler une adoption, en vertu de la législation interne française ?

En attendant l'adoption et l'entrée en vigueur du projet de loi visant l'adaptation de la législation interne aux obligations découlant de la Convention, quelle est la législation actuellement applicable en France s'agissant de ces questions, a demandé un autre membre du Comité ?

Qu'en est-il de la portée du principe d'opportunité (d'engager des poursuites) dans le cas de crimes aussi graves que les disparitions forcées, a pour sa part demandé un autre expert ? Qu'en est-il de la possibilité pour la France d'extrader ses propres ressortissants s'ils étaient poursuivis dans un pays non européens pour un délit de disparition forcée, a également voulu savoir cet expert ?

Face au risque de voir des interventions d'agents de l'Etat s'accompagner d'une dissimulation des faits, il est nécessaire que des organes spécialisés puissent engager des enquêtes; qu'en est-il à cet égard, a demandé un expert ?

Un membre du Comité s'est enquis des sanctions encourues par les personnes physiques dirigeant les personnes morales.

Plusieurs membres du Comité se sont enquis de la fréquence avec laquelle la détention au secret est utilisée en France. La détention au secret peut être assimilée à un traitement cruel, a pour sa part souligné un expert, avant de rappeler que la disparition forcée est intimement liée à la lutte contre le terrorisme.

Un autre expert a souhaité savoir si la France avait envisagé d'amender l'article L.513.2 du Code d'entrée et de séjour des étrangers et du droit d'asile afin d'y inclure une référence aux disparitions forcées.

La France a-t-elle envisagé de mettre en place un recours en habeas corpus, a demandé un membre du Comité ?

La possibilité pour la victime d'un délit de se porter partie civile qu'offre l'article 2 du Code de procédure pénale de la France ne correspond pas pleinement aux prescriptions de l'article 24 de la Convention, a souligné un expert.

Un autre expert a insisté sur l'importance de prévoir des circonstances atténuantes au crime de disparition forcée, eu égard à la nécessité éthique de privilégier la possibilité que la victime d'une disparition forcée soit retrouvée vivante.

Déclaration de la Commission nationale consultative des droits de l'homme de la France

Un représentant de la Commission nationale consultative des droits de l'homme de la France a rappelé que, conformément à sa méthode de travail commune pour l'ensemble des organes de traités ainsi que pour l'examen périodique universel, la Commission nationale consultative des droits de l'homme reçoit le projet de rapport préparé par la France pour chaque organe de traité, réunit les représentants de la société civile, examine le projet de rapport concerné, organise une réunion de travail avec les représentants des ministères pour commenter avec eux les éventuelles lacunes et faiblesses du projet de rapport et, lorsqu'elle reçoit la version définitive du rapport, rédige une note qu'elle envoie au Comité concerné pour l'alerter sur les points qui méritent une attention particulière.

S'agissant du présent rapport initial de la France, les préoccupations de la Commission « portent essentiellement sur la loi d'adaptation aux stipulations de la Convention qui méritait, selon notre analyse, d'être revue sur quatre points afin d'être pleinement conforme aux stipulations de la Convention : la définition du crime de disparition forcée, la responsabilité du supérieur hiérarchique, la compétence extraterritoriale, la prescription et les dispositions qui n'ont pas été reprises dans l'avant-projet de loi », a poursuivi le représentant. Selon le nouvel article 221-13 du Code pénal, a-t-il notamment précisé, le régime de responsabilité du supérieur hiérarchique est assimilé à celui de la complicité, alors que, en droit international, la responsabilité du supérieur hiérarchique est généralement considérée comme une forme sui generis de responsabilité par omission et non comme une forme de complicité. Il serait en outre souhaitable que le projet de loi (d'adaptation aux stipulations de la Convention) précise que le point de départ du délai de prescription commence à courir à partir du moment où l'infraction a cessé dans tous ses éléments.

Réponses de la délégation

La France a toujours considéré qu'il y a quatre éléments constitutifs d'une disparition forcée : le fait d'arrêter ou d'enlever une personne, le fait que cet acte soit le fait d'un agent de l'Etat, le fait qu'il s'accompagne du déni de révéler le lieu où elle se trouve, et le fait que la victime soit soustraite à la protection de la loi. Ce dernier élément est celui qui caractérise particulièrement la disparition forcée, a rappelé la délégation.

La responsabilité du supérieur hiérarchique est une responsabilité sui generis, a poursuivi la délégation. Si le texte de la loi parle en la matière de complicité, il convient de rappeler qu'en droit français, le complice est passible de la même peine que l'auteur principal, a souligné la délégation. D'ailleurs, a-t-elle ajouté, les juridictions sanctionnent souvent plus lourdement les complices ayant commandité un crime que les auteurs mêmes du crime, comme l'attestent les jugements rendus dans de nombreuses affaires, comme celle de l'attentat du Petit Clamart contre le général de Gaulle.

Un ordre « manifestement illégal » est un ordre dont « le caractère illégal est tellement visible que n'importe qui peut détecter qu'il est illégal », a par ailleurs expliqué la délégation.

Si un subordonné refuse d'exécuter un ordre illégal, soit il ne sera pas poursuivi – et alors il n'y aura pas de problème – soit il sera poursuivi et il pourra alors invoquer l'article pertinent du Code pénal relatif aux ordres illégaux.

Le délit de disparition forcée est un crime continu, en ce sens que sa prescription ne commence à courir que lorsqu'il a cessé, comme cela est le cas pour de nombreux autres crimes réputés continus, tels que le recel de vol, par exemple, a d'autre part expliqué la délégation.

La délégation a indiqué que la loi actuellement en vigueur en France concernant la disparition forcée est celle afférente à l'article 224, alinéa 1, du Code pénal, qui dispose que « le fait, sans ordre des autorités constituées et hors les cas prévus par la loi, d'arrêter, d'enlever, de détenir ou de séquestrer une personne, est puni de vingt ans de réclusion criminelle ». Sous peu, comme cela a été dit, la loi va être modifiée grâce à l'adoption prochaine du projet de loi portant adaptation de la loi française aux dispositions de la Convention, a rappelé la délégation.

Le projet de loi qui sera prochainement adopté aux fins de l'adaptation de la loi française aux dispositions de la Convention intègre une disposition qui prévoit que le régime de compétence des juridictions françaises sera le même que le crime de disparition forcée constitue ou non un crime contre l'humanité.

À ce stade, des amendements peuvent encore être apportés au projet de loi, conformément aux prérogatives qui sont celles des représentants du peuple siégeant à l'Assemblée nationale, a indiqué la délégation.

Une juridiction française qui, demain, aura à se fonder sur la Convention dans quelque cas de disparition forcée que ce soit, ne se posera pas la question de savoir si d'autres Etats appliquent ou non cet instrument, a en outre souligné la délégation, en réponse à la question d'un expert concernant l'existence d'une éventuelle condition de réciprocité à cet égard.

Il n'y a pas de juridictions spécialisées pour les disparitions forcées; toutes les juridictions en France sont habilitées à poursuivre les disparitions forcées, a par ailleurs souligné la délégation.

Il n'y a pas de peine minimale à proprement parler; c'est un principe fondamental des droits de l'homme que les juridictions puissent librement choisir la peine devant être infligée, a expliqué la délégation. Il n'y a pas de peine minimale en droit français, a-t-elle insisté.

Les personnes morales ne peuvent être condamnées qu'à une amende qui, dans tous les cas, est cinq fois supérieure au montant de l'amende encourue par une personne physique, a en outre expliqué la délégation. Néanmoins, a-t-elle souligné, la responsabilité de la personne morale n'est pas exclusive de la responsabilité du dirigeant de cette personne morale, comme l'atteste l'affaire actuelle du Mediator, en France, où sont poursuivis à la fois la société Servier et son dirigeant.

La compétence universelle permet (aux juridictions françaises) d'agir contre toute personne se trouvant en France, sans condition de résidence ou autre, a indiqué la délégation.

La France n'extrade pas ses nationaux, mais elle les juge, a rappelé la délégation.

En droit français, a en outre rappelé la délégation, les victimes peuvent se constituer partie civile et ont alors entièrement accès aux dossiers de la procédure.

S'agissant des préoccupations exprimées par plusieurs membres du Comité concernant l'absence, dans la législation française, d'une référence expresse à l'interdiction de l'éloignement d'une personne vers un pays où elle encourt un risque de disparition forcée, la délégation a admis qu'une telle mention expresse fait défaut dans la législation interne. Néanmoins, lorsque des conventions fixent des dispositions précises et inconditionnelles, ces dispositions s'imposent à la France, a fait valoir la délégation. Or, en l'espèce, la disposition de l'article 16 de la Convention est suffisamment précise et inconditionnelle pour que l'invocation d'un risque tel que celui ci-dessus mentionné devant un juge ou une entité administrative soit prise en compte, a indiqué la délégation.

Interrogée sur les conditions du maintien en zone d'attente, la délégation a indiqué que seule l'autorité administrative peut prononcer le maintien d'un étranger en zone d'attente, pour une durée de quatre jours. Cette décision est susceptible d'un recours. Au bout de quatre jours, seule l'autorité judiciaire peut décider du maintien de cette personne en zone d'attente; elle peut le prolonger pour une durée de 12 jours, prorogeable une seconde fois de 8 jours. Parallèlement à ce contrôle lié au maintien en zone d'attente, il y a un contrôle des décisions de refus d'entrée, a poursuivi la délégation. Une personne qui prétend être exposée à un risque de disparition forcée en cas de renvoi dans un pays tiers peut déposer une demande d'asile, entendue comme une demande de protection face à un risque encouru; cette demande est déposée devant l'Office français de protection des réfugiés et requérants d'asile (OFPRA), lequel rend un avis après avoir entendu l'étranger concerné. La décision finale est prise il est vrai par le Ministre de l'intérieur, mais dans la pratique, celui-ci se range toujours à l'avis de l'expert de l'OFPRA, a indiqué la délégation.

Suite à un avis de la Cour européenne des droits de l'homme, la France a mis en place un recours pleinement suspensif contre les décisions de refus d'une demande d'asile, a par ailleurs rappelé la délégation. Certes, en droit français, tous les recours doivent être présentés en français; mais en zone d'attente, existe une présence associative qui aide les étrangers à préparer leur recours, a-t-elle en outre indiqué, avant de souligner que le moment essentiel de ce recours c'est l'audience.

Pour l'année 2012, ce sont 30% des demandes d'asile qui ont été examinée en vertu de la procédure prioritaire, a par ailleurs indiqué la délégation, après avoir expliqué que cette procédure est essentiellement appliquée aux demandes abusives et à celles émanant d'étrangers en provenance de pays dits d'origine sûre. La liste des pays d'origine sûre est arrêtée par le conseil d'administration de l'OFPRA, où siègent des représentants de l'Etat et du Parlement; assistent également à ce conseil d'administration, sans voix de délibération toutefois, des représentants du Haut Commissariat pour les réfugiés (HCR). Le Conseil d'Etat exerce un contrôle attentif sur les pays inscrits sur cette liste et en a radié l'Albanie, le Kosovo et plus récemment le Bangladesh, a ajouté la délégation.

Contrairement à d'autres pays, la France ne pratique pas d'assurances diplomatiques, a souligné la délégation.

L'article 66 de la Constitution interdit la détention arbitraire, a par ailleurs rappelé la délégation. Du point de vue de la France, a-t-elle ajouté, toute détention au secret est une détention arbitraire; il n'y a aucune détention au secret en France, a assuré la délégation. La France n'utilise jamais la détention au secret, a-t-elle insisté.

La Cour européenne des droits de l'homme autorise la détention d'une personne sans qu'elle soit présentée à un magistrat du siège pour une durée maximale de 5 jours et six heures, a ensuite rappelé la délégation. Or, en droit français, toute personne placée en garde à vue doit être présentée à un magistrat du siège dans un délai maximum de 48 heures (et à un avocat dans un délai qui ne saurait en aucune circonstance dépasser 12 heures – délai maximum autorisé dans les affaires de terrorisme); un tel délai ne saurait donc être assimilé à une détention au secret, a fait valoir la délégation. En outre, en France, le Procureur de la République est informé dès la première heure de tout placement d'une personne en garde à vue, a-t-elle rappelé.

Formellement, il est exact qu'il n'y a pas d'habeas corpus en droit français, a par ailleurs reconnu la délégation. Néanmoins, a-t-elle fait valoir, toute personne placée en garde à vue a droit à un entretien de 30 minutes avec son avocat, lequel a droit d'accès au dossier.

La législation pénale française prévoit déjà que les crimes énoncés à l'article 25 de la Convention constituent une infraction pénale, a poursuivi la délégation. Les articles 224-1 et suivants du Code pénal sanctionnent l'enlèvement et la séquestration d'enfants, a-t-elle précisé. Actuellement, la peine prévue pour ce crime peut aller jusqu'à la réclusion criminelle à perpétuité, assortie d'une période de sûreté pouvant aller jusqu'à 22 ans, lorsque la victime est un mineur de 15 ans.

Interrogée sur les circonstances qui font obstacles à la transmission d'information sur la capture ou la détention d'un prisonnier par les forces militaires, la délégation a déclaré qu' effectivement, il peut arriver que pour assurer la sécurité même d'une personne détenue, nous ne mentionnons pas aux autorités légitimes du pays où nous intervenons que nous avons capturé ou détenu une personne, notamment pour éviter que lorsque nous relâchons cette personne, elle soit placée dans des circonstances ou elle pourrait être exposée à la vindicte populaire.

En conclusion, la délégation française a souligné que le Comité peut compter sur la France pour œuvrer à ses côtés à l'adoption universelle de la Convention. A cet égard, a-t-elle précisé, la France lance, conjointement avec l'Argentine, une campagne diplomatique afin de promouvoir la ratification et l'adhésion à la Convention dans tous les pays qui ne sont pas encore parties.


Observations préliminaires

La corapporteuse, MME JANINA, a remercié la délégation pour le dialogue instructif et intense qui s'est noué entre elle et les experts. Elle a félicité la France pour les activités qu'elle mène en faveur de l'universalisation de la Convention. Le cadre juridique actuellement en vigueur en France n'est pas harmonie avec la Convention et le Comité espère que le projet de loi n°736 (portant adaptation de la loi française aux dispositions de la Convention) intégrera tous les éléments nécessaires pour assurer une pleine et entière conformité aux dispositions de la Convention, a poursuivi la corapporteuse. La France devrait adopter la définition de la disparition forcée en tant que crime distinct, conformément à l'article 2 de la Convention, a insisté Mme Janina. Elle a en outre recommandé à la France d'inclure dans le projet de loi susmentionné une disposition faisant de la disparition forcée un crime qui ne soit pas susceptible d'être amnistié.

Le rapporteur, M. GARCÉ GARCÍA Y SANTOS, a quant à lui recommandé à la France de soumettre la responsabilité du supérieur hiérarchique à un régime conforme à la Convention et non à un régime de complicité comme cela est actuellement le cas. La France doit en outre prévoir le droit des victimes de connaître la vérité quant aux circonstances des disparitions forcées, conformément aux dispositions pertinentes de la Convention, sans avoir pour cela à recourir aux services d'un avocat, a ajouté le rapporteur. M. Garcé García y Santos a en outre rappelé les préoccupations qui ont été exprimées au sujet des zones d'attente pour étrangers.


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CED13/004F