Aller au contenu principal

LE COMITÉ DES DROITS DE L'HOMME TIENT UNE DISCUSSION GÉNÉRALE SUR L’ARTICLE 9 DU PACTE

Compte rendu de séance

Le Comité des droits de l'homme a tenu, cet après-midi, une séance de discussion générale sur l’article 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, prélude à l’adoption ultérieure par le Comité d’une observation générale sur cet article. Une douzaine d’organisations non gouvernementales ont pris part à cette discussion avec les membres du Comité.

L’article 9 du Pacte stipule que « Tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne. Nul ne peut faire l'objet d'une arrestation ou d'une détention arbitraire. Nul ne peut être privé de sa liberté, si ce n'est pour des motifs, et conformément à la procédure prévus par la loi ». Il ajoute que « Tout individu arrêté sera informé, au moment de son arrestation, des raisons de cette arrestation et recevra notification, dans le plus court délai, de toute accusation portée contre lui ». Cet article stipule en outre que « Tout individu arrêté ou détenu du chef d'une infraction pénale sera traduit dans le plus court délai devant un juge ou une autre autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions judiciaires, et devra être jugé dans un délai raisonnable ou libéré. La détention de personnes qui attendent de passer en jugement ne doit pas être de règle, mais la mise en liberté peut être subordonnée à des garanties assurant la comparution de l'intéressé à l'audience, à tous les autres actes de la procédure et, le cas échéant, pour l'exécution du jugement ». Dans un quatrième alinéa, l’article 9 précise que « Quiconque se trouve privé de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d'introduire un recours devant un tribunal afin que celui-ci statue sans délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale ». Enfin, un cinquième alinéa souligne que « Tout individu victime d'arrestation ou de détention illégale a droit à réparation ».

Au cours de la discussion, il a été maintes fois souligné que la détention au secret non seulement comporte des risques accrus de torture pour l’individu qui y est soumis mais constitue en soi une forme de torture. Les garanties de procédure énoncées à l’article 9 du Pacte doivent être respectées dans tous les contextes, y compris en cas d’état d’urgence, a-t-il également été souligné. Parmi les questions particulièrement débattues, figurent notamment la responsabilité des acteurs non étatiques dans le contexte de l’article 9 du Pacte ; la détention de personnes aux seuls motifs de leur statut de migrant, de leur toxicomanie ou de leur handicap ; ou encore la pratique consistant à maintenir sous garde des patients insolvables en les empêchant de quitter l’hôpital dans lequel ils ont reçu des soins.

Concluant la discussion, le rapporteur du Comité pour le projet d’observation générale sur l’article 9 du Pacte, M. Gerald L.Neuman, a souligné que cette discussion a notamment permis de voir quelle relation cet article du Pacte doit établir avec d’autres traités comme la Convention sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées ; la Convention contre la torture ; la Convention relative aux droits des personnes handicapées ; la Convention relative aux droits de l'enfant ; ainsi que les Conventions de Genève.

Les organisations non gouvernementales ci-après sont intervenues : Amnesty International ; Association pour la prévention de la torture ; Fédération internationale de l’action des chrétiens pour l’abolition de la torture ; Human Rights Watch ; Commission internationale de juristes ; TRIAL ; International Rehabilitation for Torture Victims ; Child Rights International Network ; International Disability Alliance ; Advocates for Human Rights ; Friends World Committee for Consultation – Quakers.
Un représentant de la Finlande et une représentante du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) sont également intervenus.


Lors de sa prochaine séance publique, qui doit se tenir mercredi prochain, 31 octobre, à 16H30 au Palais Wilson, le Comité devrait se pencher sur le suivi de ses vues (sur les communications qui lui sont soumises) et sur ses méthodes de travail. Le Comité clora les travaux de sa session vendredi 2 octobre prochain, en rendant publiques ses observations finales sur les rapports d’Etats parties examinés durant cette session.


Aperçu des déclarations

M. Gerald L.Neuman, rapporteur du Comité pour le projet d’observation générale sur l’article 9 du Pacte, a rappelé que l’article 9 du Pacte est un article bien particulier, très riche et au sujet duquel le Comité a estimé que l’élaboration d’une observation générale revêtait une grande importance. Il s’est réjoui de l’opportunité offerte par cette demi-journée de discussion de débattre des questions relatives à cet article.

Un représentant d’Amnesty International a insisté sur l’importance de la prévention pour assurer la liberté des individus et prévenir la disparition forcée, la torture et les autres formes de traitements inhumains. Il a souligné que nombre de dispositions du Pacte contiennent des garanties et sauvegardes importantes de ce point de vue. Les disparitions forcées et la détention au secret sont des cas de détention arbitraire et la détention arbitraire mène à la torture et aux mauvais traitements, tout en constituant en soi une forme de torture, a-t-il rappelé. Il a attiré l’attention sur les garanties explicitement mentionnées à l’article 9 pour prévenir la détention arbitraire et la torture. Les sauvegardes doivent être renforcées dans le contexte des états d’urgence, a-t-il en outre fait observer. Le représentant d’Amnesty International a en outre mis l’accent sur l’application extraterritoriale de l’article 9. Les mécanismes de contrôle judiciaire sont importants dans le contexte de toutes ces questions et il convient alors d’assurer l’indépendance et l’impartialité de l’appareil judiciaire, a ajouté le représentant.

Un représentant de l’Association pour la prévention de la torture (APT) a invité le Comité à se pencher sur la définition des formes atypiques de détention (détention pour des raisons de réhabilitation ou détention par des groupes rebelles, par exemple), qui deviennent de plus en plus courantes et posent des risques accrus de mauvais traitements. Ces formes atypiques de détention ne doivent pas échapper aux garanties de procédure énoncées dans l’article 9 du Pacte, a-t-il souligné. Il a invité le Comité à examiner les mesures de protection susceptibles de permettre une surveillance indépendante de tous les lieux de détention. La torture est fréquemment utilisée contre les personnes détenues incommunicado (au secret) et la détention au secret est en elle-même une torture, a poursuivi le représentant. Les garanties énoncées à l’article 9 du Pacte sont non dérogeables, a-t-il rappelé.

Un représentant de la Fédération internationale de l’action des chrétiens pour l’abolition de la torture (FIACAT) a rappelé que son organisation fait régulièrement état de cas de détention arbitraire. Tel est notamment le cas depuis que la situation sécuritaire dans le nord Kivu s’est détériorée, a-t-il précisé. Tous les Etats parties au Pacte reconnaissent que la détention arbitraire est illégale mais n’hésitent pas à la justifier lorsque nécessaire en invoquant des contextes particuliers. En ce qui concerne la garde à vue, les termes « dans le plus court délai » à l’alinéa 2 de l’article 9 laissent place à interprétation et donc à abus, a poursuivi l’orateur. Ainsi, a-t-il indiqué, en Côte d’Ivoire, la garde à vue dépasse régulièrement les 96 heures légales. Au Sénégal, a poursuivi le représentant de la FIACAT, la durée de la détention provisoire reste à l’appréciation des seuls juges. L’orateur a par ailleurs fait observer qu’un détenu béninois est resté des années en détention préventive avant d’être condamné à une peine dont la durée était inférieure au temps qu’il avait passé en détention préventive. Le droit à réparation n’englobe pas seulement l’aspect pécuniaire et doit comprendre l’aspect psychologique, a-t-il ajouté.

Une représentante de Human Rights Watch a souligné que l’existence d’un conflit armé ou la menace terroriste, par exemple, ne doivent pas avoir d’incidence quant à l’obligation des Etats de protéger la liberté et la sécurité des individus. Les dispositions de l’article 9 doivent être respectées même en cas d’état d’urgence déclaré. En outre, les procédures d’expulsion et de détention dans le contexte de politiques d’immigration ne doivent pas être utilisées pour contourner les exigences d’un système de justice adéquat. Par ailleurs, personne ne devrait être détenu au seul motif de sa dépendance à la drogue, a poursuivi la représentante. Elle a par ailleurs attiré l’attention sur l’importance de veiller au respect des dispositions de l’article 9 du Pacte dans le contexte du traitement des personnes handicapées. Il convient en outre pour le Comité de veiller à ce que son observation générale sur l’article 9 fournisse davantage de détails sur les circonstances en vertu desquelles la détention avant jugement peut être justifiée. D’autre part, il faudra clarifier le fait que la privation de liberté inclut la pratique consistant à maintenir sous garde des patients insolvables en les empêchant de quitter l’hôpital dans lequel ils ont reçu des soins, a ajouté la représentante.

Un représentant de Commission internationale de juristes a relevé l’avis du Comité selon lequel le délai entre l’arrestation d’une personne et sa présentation devant un juge doit être déterminé au cas par cas et ne pas excéder quelques jours : or, il faudrait que le Comité soit plus précis, a estimé cet orateur. Il conviendrait en outre, dans le contexte de l’élaboration d’une observation générale sur l’article 9 du Pacte, d’accorder une attention particulière aux questions thématiques telles que la détention des requérants d’asile et migrants en situation irrégulière, a-t-il poursuivi. Les entités qui gèrent des centres de détention doivent rendre des comptes, tout comme les sociétés privées, par exemple celles qui gèrent la sécurité dans le contexte de projets d’exploitation minière, a-t-il en outre souligné.

Un représentant de TRIAL a attiré l’attention sur les problématiques en rapport avec la privation de liberté dans les lieux de détention non officiels, les détentions au secret et les disparitions forcées, au regard des dispositions de l’article 9 du Pacte. Conformément à la jurisprudence internationale, la privation de liberté dans les lieux de détention non officiels est en soi une infraction au Pacte et à la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, a-t-il souligné. La détention au secret constitue en soi un acte de torture, a-t-il en outre rappelé.

Une représentante de Child Rights International Network (CRIN) a insisté sur la nécessité de veiller à ce que les droits de l’enfant soient garantis dans l’observation générale que le Comité adoptera au sujet de l’article 9 du Pacte. La détention de l’enfant doit être utilisée seulement en tant que mesure de dernier recours et pour la plus courte période possible, a-t-elle rappelé. Les enfants doivent rester en marge du système de justice pénale, a-t-elle ajouté. Les enfants ne devraient pas être détenus en raison de leur statut de migrant et les abus de drogues devraient être traités comme un problème de santé, a par ailleurs déclaré la représentante.

Une représentante de International Disability Alliance a souligné combien les Etats parties ont besoin de directives claires du Comité quant à la manière de mettre en œuvre les dispositions, fondamentales, que recèle l’article 9 du Pacte. Le Comité ne doit pas perdre de vue que l’adoption de la Convention sur les droits des personnes handicapées a constitué un changement de paradigme en vertu duquel ces personnes sont désormais reconnues comme titulaires de droits et non plus seulement comme ayant besoin d’un traitement médicalisé.

Une représentante de Advocates for Human Rights a exprimé son point de vue quant au format, à la structure, que devrait avoir l’observation générale que le Comité se propose d’élaborer au sujet de l’article 9 du Pacte. Elle a relevé que 140 Etats ont ratifié le Protocole facultatif se rapportant au Pacte, de sorte que ce sont quelque deux milliards de personnes qui pourraient, potentiellement, soumettre des plaintes devant le Comité. Aussi, convient-il d’appréhender ce projet d’observation générale sur l’article 9 comme traitant de droits fondamentaux dont tout individu peut se prévaloir et dont il pourrait prendre connaissance par le biais de son téléphone portable, en téléchargeant le texte de l’observation générale, a souligné l’oratrice.

Dans le cadre de l’échange de vues qui a suivi ces présentations, une experte du Comité a rappelé que la question de la responsabilité des acteurs non étatiques reste mal résolue à ce jour ; aussi, peut-être faudrait-il, aux fins de la prise en compte des situations liées aux agissements de ces groupes, établir la liaison entre ces groupes et les Etats qui les financent.

L’article 9 est clair : il ne concerne pas les conflits internationaux, lesquels relèvent d’autres normes, parmi lesquelles les Conventions de Genève, a pour sa part souligné un expert.

Priée par un membre du Comité de fournir des précisions au sujet de la détention de patients dans les hôpitaux, une ONG a précisé que des hôpitaux publics burundais détiennent des patients dans des conditions inhumaines pour la seule raison que ces patients ne sont pas en mesure de payer leurs soins.

Une représentante du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a souligné que le CICR est disposé à débattre avec le Comité de la question de la responsabilité des acteurs non étatiques et plus largement de la question des conflits armés dans le contexte de l’application de l’article 9 du Pacte. La détention sécuritaire (c’est-à-dire à des fins de sécurité) est une exception dans le contexte des droits de l'homme mais reste une norme dans le contexte des conflits, la détention sécuritaire étant légale lorsqu’elle s’applique dans ce dernier contexte à une personne qui était membre des forces armées adverses, voire à un civil qui avait pris part au conflit aux côtés des forces adverses, a fait observer la représentante. La quatrième Convention de Genève prévoit néanmoins un processus pour l’évaluation des prisonniers civils, a-t-elle ajouté. Il convient de voir comment renforcer la protection des personnes détenues dans le contexte d’un conflit armé non international, c’est-à-dire d’un conflit entre un Etat et un groupe armé non étatique, a-t-elle en outre souligné.

Un membre du Comité est alors intervenu pour s’inscrire en faux contre les propos selon lesquels la détention sécuritaire serait la norme dans le cadre du droit des conflits armés.

Un représentant de International Rehabilitation for Torture Victims a invité le Comité à réfléchir à la mise en place de procédure spéciales pour les groupes les plus vulnérables tels que les requérants d’asile et les réfugiés.

Un représentant de la Finlande est intervenu pour souligner toute l’importance que son pays accorde à l’élaboration par le Comité d’observations générales. Il a souligné que les parquets devraient accélérer la procédure lorsqu’une personne est placée en détention préventive. Dans son observation générale sur l’article 9, le Comité devrait envisager des solutions de rechange à la détention préventive, a-t-il ajouté.

Un représentant de Friends World Committee for Consultation - Quakers a attiré l’attention sur les besoins particuliers de groupes spécifiques de détenus : femmes détenues, objecteurs de conscience ou encore enfants vivant en prison avec leurs parents.

L’article 9 du Pacte ne se lit jamais tout seul ; il se lit toujours à la lumière d’autres articles du Pacte indissociable de cet article, a souligné un membre du Comité.

Concluant la discussion en tant que rapporteur du Comité pour le projet d’observation générale sur l’article 9 du Pacte, M. Gerald L.Neuman a jugé particulièrement intéressante la discussion qui s’est nouée cet après-midi et a permis de soulever toute une série de questions de fond en rapport avec l’article 9. Cette discussion a notamment permis de voir quelle relation cet article du Pacte doit établir avec d’autres traités comme la Convention sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées ; la Convention contre la torture ; la Convention relative aux droits des personnes handicapées ; la Convention relative aux droits de l'enfant ; ainsi que les Conventions de Genève.


Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas un document officiel

CT12/024F