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COMITÉ CONTRE LA TORTURE: LA DÉLÉGATION DU MAROC RÉPOND AUX QUESTIONS DES EXPERTS

Compte rendu de séance

Le Comité contre la torture a entendu, cet après-midi, les réponses de la délégation marocaine aux questions que lui ont posées les experts hier matin.

Dirigée par M. Mahjoub El Haiba, Délégué interministériel aux droits de l'homme du Maroc, la délégation a notamment indiqué que, pour ce qui est de la peine de mort, la position du Maroc est clairement l'abrogation progressive de cette sanction. La délégation a reconnu qu'après plusieurs années de stagnation, le nombre de détenus dans les prisons marocaines a enregistré une augmentation ces dernières années, précisant qu'environ 48% des prisonniers marocains se trouvent en détention provisoire.

La délégation a par ailleurs souligné que le mandat de l'Instance Vérité et Réconciliation a couvert un large éventail de violations graves, systématiques et massives perpétrées par le passé: disparitions forcées, détentions arbitraires, tortures, viols, entre autres. Quatre formes de réparation sont prévues: les indemnisations - notamment pour les cas de torture-, la couverture médicale, la réinsertion sociale des victimes et de leurs familles, et l'approche communautaire de la réparation, dont l'objectif est la restauration de la confiance entre les autorités locales et publiques. Le nombre de bénéficiaires d'indemnisations entre 2006 et 2011 a atteint 17 461. L'Instance a achevé son mandat en novembre 2005, mais le suivi de la mise en œuvre de ses recommandations a été dûment assuré.

La délégation marocaine a également fourni des informations complémentaires en ce qui concerne la place de la Convention dans l'ordre juridique interne marocain; les compétences du nouveau Conseil national des droits de l'homme; l'administration de la justice, s'agissant notamment de la définition de la torture, de l'imprescriptibilité de ce crime, ou encore de la définition du terrorisme et des procédures applicables en la matière; le viol, y compris le viol conjugal; l'usage de la force dans le contexte de manifestations sur la voie publique; les questions d'asile et de migration; le cas de l'extradition d'un ressortissant russe; ainsi que les décès en détention.


Demain matin, à 10 heures, le Comité entamera l'examen du rapport du Paraguay (CAT/C/PRY/4-6).


Réponses de la délégation

La délégation du Maroc , répondant aux questions des membres du Comité suite à la présentation de son rapport (CAT/C/MOR/4), a notamment souligné que l'Instance Vérité et Réconciliation a été chargée d'établir la vérité sur ce qui s'est passé durant une longue période. Le mandat de cette Instance a couvert un large éventail de violations graves, systématiques et massives perpétrées dans le passé: disparitions forcées, détentions arbitraires, tortures, viols, entre autres. Quatre formes de réparation sont prévues, a précisé la délégation: les indemnisations, la couverture médicale, la réinsertion sociale des victimes et de leurs familles, et l'approche communautaire de la réparation, dont l'objectif est la restauration de la confiance entre les autorités locales et publiques. En ce qui concerne les indemnisations, six critères ont été retenus aux fins de leur obtention, parmi lesquels la torture et les séquelles physiques et psychiques. Le nombre de bénéficiaires d'indemnisations entre 2006 et 2011 a atteint 17 461, a précisé la délégation. L'Instance a achevé son mandat en novembre 2005, mais le suivi de la mise en œuvre de ses recommandations a été dûment assuré. La réparation par le biais de la couverture médicale, elle, est basée sur les principes fondamentaux de la solidarité et du respect de la dignité, a ajouté la délégation. À ce jour, a-t-elle en outre indiqué, 1205 personnes ont bénéficié de la réparation axée sur la réinsertion sociale. Pour ce qui est de l'établissement de la vérité, la délégation a indiqué que le nombre de cas élucidés s'élève à ce jour à 929, alors que neuf cas restent encore non élucidés.

S'agissant de la place de la Convention dans l'ordre juridique interne, la délégation a indiqué que les recommandations de l'Instance Vérité et Réconciliation relatives à l'ordre constitutionnel ont été suivies et que désormais, les conventions internationales seront donc directement applicables au Maroc dès leur ratification par le pays.

Le texte portant création du nouveau Conseil national des droits de l'homme - qui remplacera l'ancienne commission nationale consultative des droits de l'homme - attribue à ce dernier des compétences nouvelles. En particulier, il sera compétent en matière de mise en œuvre des mécanismes prévus dans les conventions internationales et protocoles auxquels le Maroc a souscrit.

En ce qui concerne l'administration de la justice, la délégation a d'emblée souligné que la décision de son pays de combattre la torture était irréversible. Pour ce qui est de la définition de la torture dans la législation marocaine, qui ne serait pas, selon certains, conforme à celle énoncée dans la Convention, la délégation a indiqué que le Maroc allait réexaminer sa législation en la matière, dans le contexte d'un réexamen global du Code pénal. La délégation a par ailleurs fait état d'un projet de loi portant amendement du Code de procédure pénale afin que soient qualifiés d'imprescriptibles les crimes considérés comme imprescriptibles en vertu de conventions internationales ratifiées par le Maroc.

Par ailleurs, un subordonné se doit de ne pas respecter l'ordre d'un supérieur qui viserait à lui faire commettre un acte de torture; la législation marocaine protège le subordonné dans ce contexte, a assuré la délégation.

La présence d'un avocat est obligatoire lors d'un procès, a en outre assuré la délégation. Si l'accusé n'a pas d'avocat, les tribunaux sont tenus de désigner un avocat chargé de défendre le suspect; un projet de loi visant la rémunération de l'avocat ainsi désigné est à l'étude.

La définition des crimes terroristes figurant dans la loi marocaine est claire, transparente et sans équivoque, a en outre assuré la délégation. Un meurtre devient acte terroriste lorsqu'il est commis afin d'attenter à l'ordre public ou d'intimider la population, a-t-elle fait observer. Comme cela est le cas dans bien d'autres pays, une personne soupçonnée de terrorisme peut rester en garde à vue plus longtemps qu'une personne soupçonnée de crime ordinaire, a-t-elle ajouté.

Répondant à des questions sir le viol conjugal, la délégation a assuré qu'une épouse soumise à des actes de torture peut porter plainte. Aucun texte de loi au Maroc n'exonère le violeur de sanctions sous prétexte qu'il aura épousé la femme violée, a-t-elle par ailleurs indiqué.

Si les médecins sont certes tenus au secret professionnel, une nouvelle loi les protège néanmoins contre toute sanction lorsqu'ils décident de faire état d'actes de violence commis contre des enfants mineurs ou contre une femme, par exemple; c'est à leur libre arbitre qu'est laissée la décision de dénoncer ou non de tels actes s'ils en ont connaissance, mais ils ne sont pas légalement tenus de les dénoncer, a indiqué la délégation.

Pour ce qui est de la peine de mort, la délégation a indiqué que la position du Maroc est clairement l'abrogation progressive de cette sanction, comme l'a recommandé l'Instance Vérité et Réconciliation. Bien que la loi continue de prévoir la possibilité de cette peine, on constate une réduction des cas où cette peine a été appliquée, grâce à des amnisties royales et à des commutations de peine capitale en peine d'emprisonnement à vie ou de longue durée.

Après plusieurs années de stagnation, a poursuivi la délégation, le nombre de prisonniers arrivant chaque année dans les prisons marocaines a enregistré une hausse importante ces dernières années. Environ 48% des prisonniers marocains, soit environ 30 000 personnes, se trouvent en détention provisoire, a-t-elle précisé.

La délégation a par ailleurs évoqué le cas de deux officiers de police accusés de maltraitance lors de la garde à vue de deux détenus en précisant que cette affaire avait abouti à la sanction de ces deux agents, qui ont été condamnés à des peines d'emprisonnement. Des enquêtes sont aussi menées lorsque les actes de torture allégués visent des personnes soupçonnées ou accusées de terrorisme, a assuré la délégation.

La délégation a par ailleurs souligné que les personnes qui ont été condamnées pour terrorisme en 2003 ont bénéficié de garanties judiciaires équitables. Parmi les accusés, figurait une personne qui avait été prise en flagrant délit, a précisé la délégation.

En ce qui concerne l'usage de la force dans le contexte de manifestations sur la voie publique, la délégation a souligné que l'exercice des libertés publiques a connu une indéniable évolution ces dernières années au Maroc. Il y a bien sûr un risque d'exploitation du climat de liberté dans ce contexte, ce qui a parfois conduit à des tensions dans certaines villes du Royaume, en dépit des médiations parfois engagées - notamment par des organisations non gouvernementales - afin de mettre un terme à ces tensions, a souligné la délégation. Afin de préserver l'ordre public, le recours à l'usage de la force est permis, notamment pour disperser toute manifestation pouvant constituer une menace pour l'ordre public; mais ce recours à la force a été réglementé, a souligné la délégation.

En ce qui concerne les questions d'asile et de migration, la délégation a notamment souligné que les expulsions de ressortissants étrangers – des missionnaires – qui dirigeaient un orphelinat au Maroc se sont déroulées conformément aux procédures en vigueur, dans le respect des droits et de la dignité des personnes concernées. La délégation a dénoncé dans ce contexte une «entreprise de prosélytisme», qui n'hésitait pas à recourir à tous les moyens, y compris illégaux, pour convertir des enfants, sous couvert d'œuvres de bienfaisance.

La délégation a souligné que le Maroc a toujours été une terre d'asile. Elle a attiré l'attention sur la difficulté à laquelle sont confrontés tous les pays s'agissant des questions de migrations, à savoir la distinction qu'il convient d'opérer entre requérants d'asile de bonne foi et migrants économiques. Le triptyque de base de la politique du Maroc en la matière s'articule autour du respect des engagements internationaux souscrits par le pays, du renforcement de la souveraineté nationale et du renforcement du partenariat et de la coopération avec le Haut Commissariat pour les réfugiés. Les conditions d'octroi du droit d'asile sont définies par la loi, a souligné la délégation. Le recours contre une décision de reconduite à la frontière est suspensif, a-t-elle précisé.

La protection des migrants et des victimes de la traite de personnes est au centre des préoccupations des autorités marocaines, lesquelles établissent une distinction fondamentale entre les commanditaires du trafic et les victimes, a par ailleurs fait valoir la délégation.

La délégation a par ailleurs fait état des résultats de visites effectuées dans les locaux de la Direction générale de la surveillance du territoire (DST) à l'issue desquelles il a été conclu qu'aucun local de ces bâtiments ne pouvait être considéré comme lieu de détention secrète pouvant être attentatoire aux droits de l'homme.

En ce qui concerne les «événements tragiques de Ceuta et Melilla», la délégation a dénoncé les «réseaux de trafic» qui ont «instrumentalisé les migrants irréguliers dans cette affaire».

Répondant aux questions du Comité sur le cas Alexey Kalinichenko, la délégation a indiqué que les autorités marocaines avaient donné au Comité toutes les informations nécessaires dans cette affaire et que c'est après un emprisonnement de 17 mois que le Maroc avait décidé d'extrader cette personne vers la Russie. Elle a ajouté que le Comité avait alors été immédiatement averti de cette extradition. Aucun organe, aucune partie ni institution des Nations Unies n'a indiqué aux autorités marocaines que l'intéressé serait torturé dans son pays, a ajouté la délégation. Elle a en outre fait valoir que préalablement à l'extradition de M. Kalinichenko, le Maroc avait obtenu des garanties des autorités russes – notamment pour ce qui est de son droit à la défense et de son droit de ne pas être soumis à la torture.

La délégation a par ailleurs souligné que, dans une autre affaire, le Maroc avait décidé, comme le lui avait demandé le Comité, de surseoir à l'extradition d'un ressortissant étranger – un Algérien en l'occurrence.

S'agissant des conditions carcérales, la délégation a notamment indiqué qu'en cas de décès d'un détenu, sa famille est prévenue, ainsi que le Procureur. Une enquête est immédiatement lancée par le Parquet et une autopsie toujours pratiquée, a-t-elle ajouté. Il convient de souligner que la plupart des décès de détenus interviennent dans les hôpitaux et sont dus à des maladies, a précisé la délégation. Elle a par ailleurs précisé que les détenus qui se suicident sont souvent dépressifs; près de la moitié des suicides en détention touchent des détenus qui ont violenté voire tué des membres de leur famille, a-t-elle ajouté. Personne n'est décédé en 2007 des suites d'une grève de la faim et aucune année n'a connu 13 décès de détenus suite à une grève de la faim, a déclaré la délégation, en réponse à certaines allégations à ce sujet.

Questions complémentaires des experts

M. ABDOULAYE GAYE, rapporteur du Comité pour l'examen du rapport du Maroc, a déclaré que, pour ce qui est des questions qu'il avait posées, il avait obtenu des réponses tout à fait satisfaisantes. Il a notamment relevé que désormais, les conventions internationales ratifiés par le pays sont directement applicables au Maroc. M. Gaye a toutefois relevé qu'aucune réponse précise n'avait été fournie au sujet de l'existence d'un texte de loi stipulant que des circonstances exceptionnelles ou l'ordre d'un supérieur ne peuvent être invoqués pour justifier un acte de torture. L'expert a par ailleurs indiqué qu'il persistait à penser qu'il faudrait que le Maroc dispose d'une loi spécifique sur les réfugiés. Des incertitudes persistent en outre quant à l'évaluation du risque de torture dans le contexte de la procédure de refoulement d'un étranger, a-t-il ajouté.

M. CLAUDIO GROSSMAN, corapporteur pour l'examen du rapport du Maroc, a pour sa part souhaité en savoir davantage sur le nombre de mineures violées qui auraient refusé l'offre de mariage qui leur est faite après leur viol. Est-il vrai, comme l'affirment certaines organisations non gouvernementales, que les avocats ne peuvent entrer en contact avec les personnes condamnées à la peine capitale? D'autre part, les étudiants qui se sont plaints d'avoir été victimes de torture ont-ils pu avoir accès à des médecins indépendants?

Les questions qui avaient été posées au sujet des droits et de la situation des personnes se trouvant dans les hôpitaux psychiatriques n'ont pas trouvé de réponses, a relevé un autre membre du Comité.

Réagissant aux informations fournies par la délégation au sujet des visites effectuées dans les locaux de la DST aux fins de la détection d'éventuels lieux de détention au secret, un membre du Comité a souligné que l'on sait par expérience qu'il y a en général deux catégories de lieux de détention secrets: les bureaux administratifs et les hôpitaux.

Qu'en est-il des éventuelles enquêtes menées au sujet des 89 décès de détenus recensés par l'Instance Vérité et Réconciliation, a demandé un expert ?

Réponses complémentaires de la délégation

La délégation a souligné que le Maroc se trouve actuellement dans un processus de codification du droit d’asile. Aux termes de ce processus, une loi sera préparée, a-t-elle précisé. Le pays a effectivement besoin de se doter d'un cadre juridique pour le droit d'asile, a-t-elle reconnu.

Les condamnés à mort ont droit aux visites des membres de leur famille et de leurs proches ainsi que de leur représentant, a par ailleurs indiqué la délégation. Ils ont également le droit de contacter leur avocat.



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CAT11/030F