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LE COMITÉ POUR L'ÉLIMINATION DE LA DISCRIMINATION À L'ÉGARD DES FEMMES EXAMINE UN RAPPORT SPÉCIAL DE L'INDE SUR LES ÉVÉNEMENTS SURVENUS AU GUJARAT EN 2002

Compte rendu de séance

Le Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes a examiné ce matin un rapport complémentaire présenté par l'Inde s'agissant des répercussions sur les femmes des événements survenus au Gujarat en 2002.

La soumission de ce rapport, présenté à titre exceptionnel, fait suite aux observations finales adoptées en février 2007 sur le rapport périodique de l'Inde, dans lesquelles le Comité déplorait qu'aucune information ne lui ait été fournie sur les conséquences des massacres du Gujarat sur les femmes et demandait donc au pays de lui présenter en janvier 2008 un rapport de suivi. Le Comité a reçu ce rapport en juillet 2009.

Le Représentant permanent de l'Inde auprès des Nations Unies à Genève, M. Achamkulangare Gopinathan, a rendu compte de la situation actuelle s'agissant des demandes d'enquêtes complémentaires que la Cour suprême indienne avait ordonnées en 2004 concernant 2017 affaires qui avaient été précédemment closes. Il a indiqué que c'est un comité composé d'une cellule spéciale de onze membres dirigée par le Directeur général de la police qui a mené ces enquêtes complémentaires. Ce comité a conclu que 1958 affaires étaient recevables; sur ce nombre, des actes d'accusation ont été rédigés dans 104 affaires. Sur les 1854 affaires restantes, des enquêtes restent à conclure dans trois affaires alors que 1851 affaires ont été closes pour manque de preuves mais pourraient être rouvertes si des preuves venaient à être versées aux dossiers et si la Cour suprême demandait aux tribunaux de s'en saisir.

M. Gopinathan a insisté sur la ferme résolution du Gouvernement indien de faire en sorte que justice soit rendue et que les coupables soient punis pour les crimes répugnants commis au Gujarat en 2002. Le pays est également déterminé à assurer que ce qui s'est passé au Gujarat ne se reproduise jamais où que ce soit en Inde, a-t-il ajouté.

La délégation indienne était également composée de représentants du Ministère de l'intérieur, du Ministère des femmes et du développement de l'enfant et de la Mission permanente de l'Inde auprès des Nations Unies à Genève.

Le rapport examiné aujourd'hui révèle des manquements et une grande passivité de la part de l'État indien dans cette affaire, a déclaré ce matin un membre du Comité, estimant que le terme de déni de justice devait s'appliquer pour qualifier cette situation. Une autre experte a aussi déploré la passivité du Gouvernement indien, dont témoigne le fait que le Gouvernement indien a attendu six ans pour nommer une équipe d'enquête spéciale.


La prochaine réunion publique du Comité sera la séance de clôture de sa session, le vendredi 22 octobre à 16 heures. Le Comité présentera alors ses observations finales sur les cinq rapports périodiques examinés durant cette quarante-septième session, ainsi que sur le rapport spécial présenté ce matin par l'Inde.


Présentation du rapport

M. ACHAMKULANGARE GOPINATHAN, Représentant permanent de l'Inde auprès des Nations Unies à Genève, a souhaité placer ce rapport dans un contexte historique plus large en rappelant que l'Inde a toujours été un pays exceptionnellement tolérant. Comme toute société, l'Inde a ses franges extrémistes qui sont du mauvais côté de l'histoire; mais cela n'altère en aucune manière la réalité fondamentale de l'Inde en tant que pays particulièrement pluraliste et tolérant où le syncrétisme culturel l'emporte sur l'homogénéité culturelle, a-t-il ajouté. Il a en outre rappelé que la partition du pays s'était accompagnée de l'un des échanges de population les plus grands et les plus sanglants de l'histoire humaine, ce qui n'a pas manqué de laisser des traces durables et de contrarier le progrès socioéconomique. Pour autant, l'Inde ne s'est jamais départie de la vision de ses pères fondateurs d'assurer le respect des droits de l'homme et des principes démocratiques, a indiqué le Représentant permanent, avant de rappeler le caractère fédéral du pays, qui est composé de 28 États et de sept Territoires de l'Union. Des systèmes et garanties adéquats existent pour remédier aux aberrations et aux franges extrémistes de différents groupes religieux, tant du point de vue législatif et administratif que du point de vue des recours judiciaires disponibles, a poursuivi M. Gopinathan. La violence qui s'est produite dans le Gujarat en 2002 doit être déplorée dans les termes les plus fermes; il s'agit d'une aberration et cela ne devrait jamais se reproduire, a déclaré le Représentant permanent. Mais cela ne doit pas nous détourner du véritable esprit de notre nation, a-t-il ajouté.

Répondant plus spécifiquement aux huit questions adressées à l'Inde par le Comité en vue de l'examen de ce rapport exceptionnel, M. Gopinathan a rappelé que les experts avaient demandé des informations concernant environ deux mille cas de violence qui avaient été rouverts sur ordre de la Cour suprême de l'Inde. Cela se rapporte aux demandes d'enquêtes complémentaires que la Cour suprême avait ordonnées en 2004 concernant 2017 affaires qui avaient été précédemment closes, a précisé le Représentant permanent. Il a indiqué qu'un comité composé d'une cellule spéciale de onze membres dirigée par le Directeur général de la police avait mené les enquêtes complémentaires requises sur ces 2017 affaires et que l'information à ce sujet avait fait l'objet d'une large publicité. Ce comité (ou cellule) a conclu que 1958 affaires étaient recevables pour être examinées en détail. À ce jour, a ajouté M. Gopinathan, aucune objection n'a été portée relativement aux 59 affaires restantes qui avaient été jugées non recevables pour une réouverture. Sur les 1958 affaires jugées recevables, des actes d'accusation ont été rédigés dans 104 affaires, entraînant l'arrestation de 1185 personnes. Sur les 1854 affaires restantes, des enquêtes restent à conclure dans trois affaires alors que 1851 affaires ont été closes pour manque de preuves mais pourraient être rouvertes si des preuves venaient à être versées aux dossiers et si la Cour suprême demandait aux tribunaux de s'en saisir. Il convient de souligner qu'outre les 1958 affaires examinées par la cellule spéciale, 15 nouvelles affaires ont été enregistrées sur la base de fait révélés durant l'examen et la recherche des preuves; sur ces 15 nouvelles affaires, 13 ont abouti à des actes d'accusation à l'encontre 92 personnes et deux font encore l'objet d'enquêtes.

À l'heure actuelle, a poursuivi M. Gopinathan, 120 affaires sont enregistrées en vertu de diverses dispositions du Code pénal indien; sur ce nombre, huit ont trait à des délits sexuels relevant de l'article 376 du Code pénal relatif au viol. Sur ces huit affaires, deux ont abouti à des condamnations; une à un acquittement; quatre sont en attente de jugement; et une a été classée.

Des mesures ont été engagées contre les agents de police jugés coupables ou responsables de manquement au devoir durant les émeutes, a poursuivi le Représentant permanent. Au mois de juin 2010, des poursuites pénales ou des enquêtes administratives, voire les deux, avaient été engagées contre 167 agents d'enquête et de supervision de la police, a-t-il précisé, ajoutant que des peines ont été infligées à 46 agents, alors que 33 agents étaient acquittés et que les procédures restaient en cours pour 86 autres, deux agents étant décédés.

Le Gouvernement indien a pris des mesures pour assurer la protection des témoins et des victimes des violences à chaque fois que cela était nécessaire, a par ailleurs assuré M. Gopinathan. Ainsi, a-t-il précisé, 80 femmes témoins au total se sont-elles vu accorder une protection gouvernementale. Pour ce qui est des mesures de secours et de réhabilitation, y compris les mesures d'indemnisation, le Représentant permanent de l'Inde a notamment indiqué que les familles de 338 femmes décédées se sont vu octroyer 500 000 roupies (soit environ 10 000 dollars). En outre, 326 femmes se sont vu octroyer l'équivalent de 800 dollars chacune pour les blessures qu'elles avaient subies et 480 veuves se sont vu accorder des pensions de veuvage alors que 200 veuves ont bénéficié d'emplois du Gouvernement dans ses centres de soins maternels et infantiles.

Les familles affectées par l'émeute se sont essentiellement installées dans 86 sites, ou colonies, en différents endroits du Gujarat, a poursuivi M. Gopinathan. Au total, ces 86 colonies comptent 4122 familles pour un total de 21 461 personnes. Dans ces colonies, un travail considérable a été mené afin d'assurer les services de santé, d'éducation, d'eau, d'assainissement et d'électricité requis.

En conclusion, M. Gopinathan a insisté sur la ferme détermination du Gouvernement indien de faire en sorte que justice soit rendue et que les coupables soient punis pour les crimes répugnants commis au Gujarat en 2002. Le pays est également déterminé à assurer que ce qui s'est passé au Gujarat ne se reproduise jamais où que ce soit en Inde, a-t-il ajouté.

S'agissant des données, ventilées par sexe, sur les affaires, au nombre de 2000 environ, relatives aux massacres, qui ont été rouvertes et sur leur issue, le rapport (complémentaire) présenté à titre exceptionnel par l'Inde sur les répercussions sur les femmes des événements survenus au Gujarat en 2002 (CEDAW/C/IND/SP.1) indique que les dossiers concernant 169 personnes (146 hommes et 23 femmes) tuées en 2002 au Gujarat ont été rouverts et des actes d'accusation ont été déposés dans 12 affaires concernant des hommes et une affaire concernant une femme. En ce qui concerne le nombre d'agressions sexuelles et d'actes de violence commis contre des femmes qui ont été signalés et la suite qui y a été donnée, le rapport indique qu'en tout, 19 cas d'agression sexuelle et de violence ciblant des femmes ont été signalés. Une protection policière a été fournie aux victimes à Ahmadabad, Surat et Godhra, ainsi que dans les districts de Dahod et de Valsad, afin d'éviter d'autres souffrances aux victimes, souligne le rapport. Il fournit en outre des informations détaillées sur le nombre d'arrestations effectuées et de peines prononcées. Il précise ainsi que sur 160 personnes accusées qui ont été arrêtées, 12 ont fait l'objet de condamnations, 11 autres ont été reconnues coupables et 100 sont en attente de jugement.

Examen du rapport

Questions et observations des membres du Comité

Un membre du Comité a remercié la délégation indienne pour sa collaboration avec le Comité dans le contexte de la procédure d'examen du présent rapport exceptionnel. À cet égard, il s'est félicité que la délégation de l'Inde ait fourni au Comité des informations complémentaires – reçues avant-hier – afin de compléter le rapport exceptionnel quelque peu succinct que le pays lui avait transmis en 2009. L'expert a rappelé que les événements survenus au Gujarat en 2002 se sont soldés par au moins 762 décès et environ deux milles disparitions de personnes, sans compter les destructions de très nombreuses boutiques et de quelque 10 000 logements et le déplacement d'une partie importante de la population. L'expert a souligné que dans ce contexte, il n'était pas possible d'accepter l'assertion selon laquelle l'État serait parvenu à maîtriser la situation en trois jours; on ne peut pas non plus qualifier ces événements d'accidents sporadiques, a souligné l'expert.

À la lecture des informations fournies par l'Inde, l'impression se dégage que l'État indien n'a pas respecté ses obligations en vertu de la Convention, a déclaré l'expert; en effet, la procédure visant à rendre justice aux femmes victimes est extrêmement lente, la Cour suprême classe puis rouvre des affaires et il semble que le terme de déni de justice soit le plus approprié pour qualifier cette situation. Ce que le Comité espère, c'est un plan et un calendrier visant à réhabiliter et réinsérer les victimes dans la société; le Comité attend aussi que soit présenté un calendrier pour la fermeture progressive des camps d'accueil des personnes touchées par les événements de 2002. Il y a très peu de dynamisme et de volonté de la part de l'État indien, qui a réagi très tard et très faiblement aux événements de 2002, a insisté l'expert. Le rapport examiné aujourd'hui révèle des manquements et une grande passivité de la part de l'État indien, a conclu l'expert.

Une experte a rappelé qu'un rapport intermédiaire de mars 2002 de la Commission nationale des droits de l'homme, suivi d'un autre rapport de la Commission au mois de juillet suivant avaient révélé que, dans le contexte du carnage perpétré dans la région du Gujarat en 2002, les femmes avaient été les principales victimes; en outre, ces rapports pointaient les responsabilités de l'État Pourquoi l'État indien n'a-t-il pas agi face aux recommandations de la Commission nationale des droits de l'homme et autres plaintes et pétitions qui lui étaient adressées afin que justice soit rendue, a demandé l'experte? «Je ne comprends toujours pas la passivité du Gouvernement indien» dans ce contexte, a-t-elle insisté. Pourquoi le Gouvernement indien a-t-il attendu six ans pour nommer une équipe d'enquête spéciale, a demandé l'experte? De quoi accuse-t-on les personnes coupables d'abus et de violences sexuels dans le contexte des événements de 2002, s'est-elle par ailleurs interrogée? Il faut tout faire pour éviter qu'à l'avenir un tel carnage ne se reproduise, a conclu l'experte.

Il est important que le Gouvernement indien agisse de son propre chef et n'attende pas les décisions de la Cour suprême pour agir – par exemple dans des domaines tels que l'aide juridictionnelle ou encore de la protection des victimes et témoins, a-t-il en outre été souligné.

Ce qui s'est produit en 2002 au Gujarat est une catastrophe, a souligné une autre experte. Mais nous ne parlons pas ici de catastrophe naturelle; nous parlons d'un massacre au cours duquel de nombreuses personnes ont été tuées, a-t-elle fait observer. Aussi, ceux qui ont contribué à ce massacre doivent être condamnés publiquement, a-t-elle rappelé.

Une experte a fait observer que selon certains, ce qui s'est produit en 2002 au Gujarat constitue un génocide commis à l'encontre d'un groupe religieux minoritaire. Selon certaines sources, a insisté cette experte, les victimes et les témoins auraient été terrorisés par les auteurs des crimes commis et n'auraient de ce fait pu faire entendre leurs voix. Des allégations existent également selon lesquelles des preuves auraient été falsifiées, a-t-elle ajouté.

Il semble que la situation des musulmans au Gujarat soit identique à celle des autres musulmans en Inde mais pas à celle des hindous au Gujarat, a fait observer un membre du Comité.

Réponses de la délégation

La délégation de l'Inde a souligné que la Cour suprême de l'Inde s'est saisie de l'ensemble des faits ici incriminés, qu'il s'agisse des procédures pénales ou des questions de réhabilitation. Ainsi, la situation est-elle directement suivie et supervisée par la Cour suprême. Les affaires sont donc rouvertes et de nouvelles enquêtes ont lieu; il en va de même pour ce qui est du relogement et de la réinstallation des populations concernées, des réparations et de la réhabilitation des victimes. La Cour suprême s'est donc saisie de des deux importants problèmes, à savoir des affaires pénales et de la réhabilitation des victimes, a insisté la délégation.

Le fait même qu'elle se présente aujourd'hui devant le Comité montre bien le sérieux avec lequel l'Inde appréhende les obligations qui sont les siennes en vertu de la Convention, a ajouté la délégation.

Le Gouvernement indien a respecté les recommandations tant de la Commission nationale sur les minorités que de la Commission nationale des droits de l'homme, a par ailleurs assuré la délégation.

Les autorités indiennes attendent toute instruction que pourrait donner la Cour suprême concernant les 1851 affaires - sur les 1958 cas examinés - qui ont été closes pour manque de preuve mais qui peuvent être rouvertes si la Cour suprême venait à le décider, a rappelé la délégation.

La délégation a par ailleurs rappelé qu'un projet de loi sur la violence communautaire est examiné par le Gouvernement depuis plus de cinq ans, ce qui s'explique par la volonté des autorités indiennes de parvenir en la matière à une loi qui satisfasse l'ensemble de la population. Cela requiert la tenue d'un vaste processus de consultations; or, pour l'heure, persiste un certain mécontentement au sujet du contenu de ce projet de loi, a précisé la délégation. Une fois le processus de consultation achevé, le Ministère concerné soumettra le projet au Cabinet qui le soumettra lui-même au Parlement, a-t-elle indiqué.

Les 121 camps de secours de fortune, qu'il ne faut pas confondre avec les colonies, ont tous été fermés, a par ailleurs indiqué la délégation. Il serait peu sage de se prononcer de façon prématurée sur un calendrier pour le transfert depuis les colonies existantes, a ajouté la délégation; ce sera aux habitants de ces colonies de dire eux-mêmes à quel moment ils jugent qu'il est possible pour eux de les quitter.

Il n'y a aucune discrimination systématique à l'encontre de quiconque pour ce qui est de l'accès aux emplois de la fonction publique en Inde, a en outre affirmé la délégation. Elle a assuré le Comité de la volonté des autorités indiennes d'améliorer la situation de la communauté musulmane dans tout le pays.

La délégation, par la voix du Représentant permanent de l'Inde auprès des Nations Unies à Genève, s'est déclarée incompétente pour décider de la qualification qu'il convient de donner aux événements qui se sont produits au Gujarat en 2002 et a indiqué qu'elle se bornerait donc ici à parler d'émeute. La délégation s'est également déclarée incompétente pour dire si la police locale a manqué à ses devoirs pour aider telle ou telle communauté à protéger ses biens dans le cadre des émeutes de 2002.

Certes, le Gouvernement doit agir; mais c'est plutôt un signe de bonne santé démocratique que de voir la Cour suprême agir et donner des directives que suivra le Gouvernement, a par ailleurs fait observer la délégation.

Nous avons pris toutes les mesures judiciaires ou autres pour que les problèmes qui se posent à la suite des émeutes de 2002 se résolvent peu à peu, a conclu la délégation.


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CEDAW10/026F