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COMITÉ CONTRE LA TORTURE: LA COLOMBIE RÉPOND AUX QUESTIONS DES EXPERTS

Compte rendu de séance

Le Comité contre la torture a entendu, cet après-midi, les réponses apportées par la délégation de la Colombie aux questions qu'il avait posées, hier matin, s'agissant des mesures prises pour appliquer les dispositions de la Convention.

Dirigée par le Représentant permanent de la Colombie auprès des Nations Unies, M. Angelino Garzón, la délégation a précisé que l'application de la loi «justice et paix» avait permis la démobilisation de plus de 47 000 personnes et de lancer des procédures de recherche de la vérité et d'octroi d'indemnisations aux victimes. Une Commission nationale de réparations et de réconciliation a d'ailleurs été créée. Le chef de la délégation a également souligné que le recrutement de mineurs de moins de 18 ans dans les forces de l'ordre était expressément interdit par la loi et que le Gouvernement luttait contre le recrutement de mineurs par les groupes illégaux armés. Avec l'aide de la communauté internationale, 3800 enfants ont été démobilisés et ont été pris en charge par l'Institut colombien pour le bien-être familial. Un expert s'étant inquiété, du nombre élevé d'actes de violence domestique, la délégation a fait part de l'adoption de dispositions qui augmentent les peines pour délit de violence familiale et modifient les articles du code pénal relatifs aux abus sexuels. En outre, une stratégie de lutte contre la violence à l'encontre des femmes a été mise en place pour les années 2008-2011.

Au cours de la discussion de cet après-midi, la délégation a également apporté un complément d'information s'agissant de l'indépendance de la justice et des prérogatives de la justice militaire; du nombre d'affaires de torture et de mauvais traitement actuellement devant la justice; des assassinats de syndicalistes; du programme de protection des victimes et des témoins; et des droits des détenus. Elle a tenu à souligner que le Gouvernement colombien ne niait pas la situation de violence et de criminalité organisée qui perdure dans le pays, mais estimé que la Colombie devait être considérée comme un pays en progrès; le Gouvernement souhaite poursuivre ces progrès.

Le rapporteur du Comité pour l'examen du rapport de la Colombie, M. Fernando Mariño Menéndez, a observé que les sentences prononcées sur les cas de torture sont peu nombreuses par rapport au nombre de cas soulevés, estimant que ces chiffres trahissent une certaine lenteur de la justice. Il a également réitéré son inquiétude s'agissant de la protection des juges, une préoccupation également partagée par le corapporteur, M. Claudio Grossman.

Les conclusions et recommandations du Comité sur le rapport de la Colombie seront rendues publiques à la fin de la présente session, le vendredi 20 novembre.


Demain, à 10 heures, le Comité entendra les réponses de la délégation de la République de Moldova aux questions posées ce matin par les experts.


Fin de l'examen du rapport de la Colombie

Réponses de la délégation

La délégation a expliqué que la branche judiciaire du pouvoir public était un organisme autonome composé de 4454 juges et magistrats et 18 441 fonctionnaires administratifs, nommés et embauchés sur concours et au mérite. Elle a précisé que seuls trois candidats à l'élection peuvent être présentés par le pouvoir exécutif. Le budget prévu pour le système de justice est, pour l'année 2009, de 795 millions de dollars. Il était de 415 millions en 2002. La délégation a par ailleurs indiqué qu'il n'existait pas de juges ordinaires exerçant leurs fonctions dans des casernes militaires et de police, sauf les juges d'instruction pénale militaire dont les fonctions sont définies par la loi. Elle a reconnu que deux magistrats avaient fait une demande de protection auprès système interaméricain de protection des droits de l'homme. Il s'agit toutefois d'une demande à titre personnel, a-t-elle précisé.

En Colombie, a poursuivi la délégation, toute extradition exige une étude préalable de la Cour suprême. Sur les 1467 demandes qui ont été formulées sous l'actuel gouvernement, 1088 ont été approuvées, 1032 desquelles ont été exécutées, 958 à destination des États-Unis.

La justice pénale militaire suit ses propres procédures, a souligné la délégation. Elle ne s'occupe pas des délits de violations des droits de l'homme, de crimes contre l'humanité ou des délits sexuels. En cas de conflit de compétences, il appartient au Conseil supérieur de la magistrature de trancher, a précisé un représentant colombien.

La délégation a également précisé que la Colombie disposait d'une juridiction spéciale pour les questions de justice impliquant les peuples autochtones.

D'autre part, la délégation a confirmé que la loi colombienne interdisait expressément tout recrutement de mineurs de moins de 18 ans dans les forces de l'ordre. En outre, le concept d'objection de conscience pour le service militaire obligatoire a été accepté cette année, a-t-elle ajouté. Le Gouvernement s'atèle à empêcher le recrutement de mineurs par les groupes illégaux armés. Avec l'aide de la communauté internationale, 3800 enfants ont été démobilisés et ont été pris en charge par l'Institut colombien pour le bien-être familial.

En ce qui concerne les affaires de torture et de mauvais traitement, la délégation a précisé que 10 597 instructions avaient été menées, sur lesquelles 6088 se trouvent au stade préliminaire, 422 en instruction, et sept en jugement; 4060 ont été présentées sous forme de dénonciation devant des mécanismes nationaux et internationaux et ne font, par conséquent, pas l'objet d'investigations de la part de la Fiscalía General. Trois sentences anticipées ont été prononcées. Pour ce qui est du système actuellement en vigueur, soit le nouveau régime accusatoire, 419 affaires impliquant des actes de torture ont été présentées. 382 sont au stade préliminaire d'investigation; huit en instructions; 21 en jugement. Huit condamnations ont été prononcées.

Invitée à s'exprimer sur la loi «justice et paix», la délégation a précisé que l'application de cette loi avait mené à la démobilisation de 47 490 personnes. 31 671 ont fait l'objet d'une démobilisation collective et 15 819 de démobilisations individuelles. Outre désarmer des groupes illégaux et criminels, cette loi a permis de faire la lumière sur la cruauté de la tragédie qu'a connu la Colombie, a précisé la délégation. Des procédures de recherche de la vérité et d'octroi d'indemnisations aux victimes ont été initiées. En outre, 2778 cadavres ont été extraits de 2267 fosses; 758 corps ont été identifiés, dont 647 ont été rendu aux familles concernées. La délégation a également informé le Comité de la création d'une Commission nationale de réparation et de réconciliation. En ce qui concerne les groupes d'autodéfense, les 19 000 personnes démobilisées ne faisaient l'objet de poursuites pour crimes de guerre ou crimes contre l'humanité, a assuré un membre de la délégation.

S'agissant de la violence à l'encontre des femmes, la délégation a fait part de l'adoption d'une loi de 2007 qui aggrave les peines pour délit de violence familiale et d'une loi de 2008 qui modifie les articles du code pénal relatifs aux abus sexuels. De surcroît, une stratégie de lutte contre la violence à l'encontre des femmes 2008-2011 a été mise en place. Cette stratégie comporte trois volets: la prévention, l'attention aux victimes et le cadre normatif. Enfin, un observatoire sur les affaires de genre a été créé, a indiqué la délégation.

Le programme de protection des victimes et des témoins du Ministère de l'intérieur et du Ministère de la justice fonctionne depuis décembre 2007, a précisé la délégation en réponse à une question. Aucune des personnes concernées par ce programme n'a été victimes d'homicide. En tout, 191 personnes bénéficient de ce programme, parmi lesquelles 112 femmes et 79 hommes.

Interrogée sur la situation des citoyens colombiens réfugiés ou déplacés à la frontière équatorienne, la délégation a indiqué que son Gouvernement avait proposé l'élaboration d'un programme de coopération commun entre la Colombie et l'Équateur pour assurer les besoins sociaux et humanitaires de ces personnes. Plus généralement, un programme d'assistance aux personnes déplacées a été mis sur pied, a-t-elle précisé. Elle a souligné que la Colombie a octroyé, en 2009, un budget d'un milliard de dollars pour les besoins de cette catégorie de la population. Le budget pour 2010 devrait se monter à 1,25 milliards de dollars.

Réagissant au problème des assassinats de syndicalistes, la délégation a rappelé que son pays avait signé, en 2006, un accord de coopération tripartite avec les entreprises et les syndicats, qui a permis la mise en place d'une politique de dialogue social et de protection des syndicalistes, a fait valoir la délégation.

Invitée à fournir des précisions sur l'Institut national pénitentiaire et carcéral, la délégation a indiqué qu'il s'agissait d'un établissement public dépendant du Ministère de l'Intérieur et du Ministère de la justice. Son budget était en 2009 de 360 millions de dollars et devrait être de 500 millions de dollars en 2010. Il se compose de 11 092 fonctionnaires chargés de fonctions de surveillance et de 1994 fonctionnaires administratifs. Il est chargé de 139 prisons nationales et de 114 prisons municipales.

Pour ce qui est des droits des détenus, la délégation a précisé que les prisonniers ont accès à des soins de santé 24 heures sur 24, sont nourris, ont la possibilité de recevoir des visites et de téléphoner, et ont accès à des programmes éducatifs et culturels. Elle a également indiqué que des comités de droits de l'homme composés de représentants de prisonniers existent dans tous les centres de détention. En outre, un «Consul des droits de l'homme» est présent dans tous les établissements: il s'agit, dans la majorité des cas, d'un membre du personnel de garde qui joue le rôle d'intermédiaire entre les détenus et les organes de contrôle.

Pour conclure, la délégation a affirmé que le Gouvernement colombien ne niait pas la situation de violence et de criminalité organisée qui perdure dans le pays. Elle a fait valoir que la Colombie était un pays en progrès et que le Gouvernement est prêt à poursuivre ces progrès.

Observations des membres du Comité

M. FERNANDO MARIÑO MENÉNDEZ, rapporteur du Comité pour l'examen du rapport de la Colombie, a fait part de ses inquiétudes qui persistent en dépit des informations fournies par la délégation. Il s'est notamment intéressé au système de sécurité dont dispose la justice et s'est demandé s'il fonctionne en cas de harcèlement des juges.

Le rapporteur a également attiré l'attention sur le nombre de sentences prononcées sur les cas de torture, un nombre peu élevé par rapport au nombre de cas soulevés. Il a fait remarquer que ces chiffres trahissent une certaine lenteur de la justice.

M. Mariño Menéndez a réitéré sa préoccupation s'agissant de l'octroi de la responsabilité d'extraire les dépouilles des fosses communes aux militaires. Il a fait remarquer que d'autres organes - non soumis à la discipline militaire - pourraient se charger de cette tâche.

Le pays a-t-il l'intention de ratifier le Protocole facultatif, a-t-il aussi demandé ? Il a rappelé qu'en vertu de ce texte, la Colombie aurait l'obligation de créer un organisme interne complètement indépendant qui pourrait visiter tous les lieux de privation de liberté sur le territoire colombien. Il a observé que l'Institut national pénitentiaire et carcéral est une alternative, mais a déploré que cet organe ne se charge que des prisons.

L'expert a également demandé des précisions sur le régime de réparations à l'intention des personnes déplacées, ainsi que sur l'apparente paralysie du système d'alertes précoces censé informer le Gouvernement des violations des droits de l'homme et, notamment, des risques de déplacements de populations.

M. CLAUDIO GROSSMAN, corapporteur du Comité pour l'examen du rapport colombien, a réitéré sa préoccupation face aux intimidations dont seraient victimes des juges. Il a rappelé que des juges de la Cour suprême ont demandé une protection et que ce fait ne saurait être négligé.

Le corapporteur a insisté à nouveau sur l'importance d'assurer la protection des victimes et des témoins, un appel qu'il avait déjà lancé lors de la séance d'hier matin.

M. Grossman a par ailleurs relevé la nécessité, dans l'application de la Convention, de déceler les violations de ses dispositions. Il s'est enquis de l'existence d'un cadre permettant une telle évaluation.

Notant, enfin, que la délégation a annoncé que trois sentences anticipées ont été rendues pour des cas de torture, il a souhaité obtenir davantage de détails. S'agit-il de sentences fermes et définitives?

La délégation a par ailleurs été invitée par un membre du Comité à fournir un complément d'explications sur la juridiction spéciale pour les peuples autochtones et comment ses compétences se différencient des autre juridictions.

Réponses complémentaires de la délégation

La délégation a assuré au Comité que les personnes qui faisaient partie des groupes d'autodéfense et qui ont été extradées vers les États-Unis ont été entendues librement dans le cadre de l'application de la loi «justice et paix». Une coopération internationale a d'ailleurs été demandée pour entendre la version de six d'entre eux encore récemment.

Pour ce qui est de l'autonomie des juges se trouvant dans les garnisons militaires, la délégation a expliqué que les juges y résident pour des raisons de sécurité. Ils doivent en effet travailler dans des localités parfois dangereuses et pour les protéger, ainsi que les membres de leur famille, il leur est proposé de s'installer dans les garnisons militaires. Leurs décisions n'en sont pas moins autonomes, a assuré la délégation.

En ce qui concerne les prisons de haute sécurité, la délégation a reconnu que des personnes peuvent se retrouver dans des cachots ou être détenues au secret, mais elle a assuré que ce type de détention ne concerne pas de nombreux cas. Ces cellules peuvent aussi être utilisées en cas de maladie contagieuse ou, parfois, à la demande des prisonniers, dans le cas de problèmes d'entente entre détenus. L'emprisonnement dans ces cellules ne signifie pas que les droits des détenus sont suspendus, a insisté la délégation. Les détenus ont toujours droit à une heure de sortie à l'extérieur, à l'accès à un avocat, à l'alimentation et aux soins de santé.

Un système d'alerte précoce permet de porter les violations des droits de l'homme à la connaissance du Gouvernement. Ce système est une fierté pour la Colombie, a affirmé la délégation.

S'agissant de l'aide apportée aux personnes déplacées, la délégation a expliqué que l'aide est double: une aide d'urgence, tout d'abord, au moment du déplacement, puis une aide à la stabilisation des déplacés dans le lieu où ils sont replacés. Elle a souligné que des procédures de retour sont organisées. Toutefois, il n'existe pas de lien automatique entre la condition de déplacés et le retour car il est possible que le déplacé choisisse de rester dans le lieu où il a été déplacé et parce qu'il est parfois impossible de garantir des conditions de sécurité pour le retour. Le retour n'est, dès lors, pas garanti, a souligné un représentant colombien.


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