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PERSONNES HANDICAPÉES: DÉBAT SUR LA RECONNAISSANCE DE LA PERSONNALITÉ JURIDIQUE DANS DES CONDITIONS D'ÉGALITÉ

Compte rendu de séance

Le Comité des droits des personnes handicapées a tenu aujourd'hui une journée de débat général sur l'article 12 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées, qui porte sur la reconnaissance de la personnalité juridique dans des conditions d'égalité.

Le débat a été ouvert par le Président du Comité, M. Mohammed Al-Tarawneh, qui a rappelé que partout dans le monde, les personnes handicapées ont de tous temps eu relativement peu accès au recours juridique. Être reconnu comme une personne à part entière devant la loi implique à la fois la capacité d'exercer et de réclamer des droits et la capacité de détenir des droits. Pour les personnes ayant certaines formes de handicap et qui ne sont pas en mesure d'exercer leur capacité juridique par elles-mêmes, la Convention exige que les États prennent des mesures appropriées pour les soutenir dans la réalisation de leur capacité d'agir. La forme que doit prendre ce soutien est l'un des thèmes de la discussion d'aujourd'hui. Même dans les cas où un tribunal désigne un ou plusieurs intermédiaires, il doit y avoir un mécanisme de contrôle pour s'assurer que ces intermédiaires œuvrent dans le seul intérêt des personnes assistées, a souligné M. Al-Tarawneh.

Le Chef du Service des traités au Haut Commissariat aux droits de l'homme, M. Ibrahim Salama, a pour sa part souligné l'opposition entre le soutien au processus de prise de décision devant les tribunaux et la substitution au processus de prise de décision. Dans certains cas, il peut s'avérer que certaines personnes handicapées ne soient pas en mesure d'utiliser l'assistance au processus de prise de décision; il convient alors de s'interroger sur des mesures normatives à même d'assurer un équilibre entre la capacité d'agir et la réalité de certaines formes graves de handicap mental. La question se pose également de la reconnaissance par les tribunaux que, dans certaines situations, certaines formes de handicap peuvent équivaloir à une irresponsabilité pour les crimes commis, a suggéré M. Salama.

Une consultante du Haut Commissariat, Mme Amita Dhanda, a notamment fait part d'un projet en cours de réalisation d'un manuel du Haut Commissariat sur la capacité juridique. Elle a également rendu compte de deux projets de réformes législatives particulièrement pertinents dans le cadre de cette journée de débat général, menés par l'Inde et la Hongrie.

Des membres du Comité ainsi que des représentants d'États membres et de la société civile ont ensuite pris part au débat, qui s'est organisé dans le cadre de deux groupes de travail chargés respectivement d'examiner les questions relatives au contenu du droit à la personnalité juridique dans des conditions d'égalité et aux mesures pratiques qui doivent être prises pour mettre en œuvre l'obligation de promouvoir ce droit.

En fin de journée, M. Al-Tarawneh a exprimé l'espoir que l'importante présence et participation des États parties à ce débat augurait de la promotion, dans le monde entier, d'une harmonisation adéquate des législations et des mesures s'agissant des questions couvertes par l'article 12 de la Convention. Il a précisé que les observations et recommandations qui ont été faites durant cette journée seront dûment examinées, en particulier celle ayant trait à la possibilité d'élaborer une observation générale sur l'article 12 de la Convention.


Le Comité tiendra vendredi prochain, 23 octobre, la séance de clôture de sa deuxième session.

Déclarations liminaires

M. Mohammed Al-Tarawneh, Président du Comité, a rappelé que le débat général d'aujourd'hui se tiendrait dans le cadre de deux groupes de travail chargés, l'un, d'examiner les questions relatives au contenu du droit à la personnalité juridique dans des conditions d'égalité et, l'autre, les mesures pratiques qui doivent être prises pour mettre en œuvre l'obligation de promouvoir ce droit. Il a exprimé l'espoir que ce débat permettrait de parvenir à des interactions et des dialogues fructueux aux fins de la réalisation de l'article 12 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées.

Le Président a rappelé que partout dans le monde, les personnes handicapées ont de tous temps eu relativement peu accès au recours juridique. Le bon équilibre n'a souvent pas été trouvé entre la protection du droit à la prise de décision individuelle et l'assistance à cette prise de décision pour les personnes qui n'ont pas les moyens de la prendre sans soutien, a-t-il poursuivi. Les personnes handicapées, a-t-il souligné, subissent des formes de discrimination qui touchent à toutes les sphères de la vie et qui vont du domaine des communications à l'architecture en passant par les transports. Il y a une hésitation, à travers le monde, à modifier les pratiques institutionnelles qui tendent à placer les personne handicapées dans une situation vulnérable, à lever les barrières physiques existantes et à mettre fin à l'exclusion ou à reléguer les personnes handicapées à des emplois marginaux, par exemple.

Le Président a souligné le caractère inacceptable des inégalités devant la loi pour les personnes handicapées. L'article 12 de la Convention garantit une égale reconnaissance de tous devant la loi, a rappelé M. Al-Tarawneh. En cinq paragraphes, cet article souligne que tous les individus doivent être reconnus comme des personnes devant les tribunaux et dans toutes les formes d'interaction avec ceux-ci. Être ainsi reconnu comme une personne à part entière devant la loi implique à la fois la capacité d'exercer et de réclamer des droits (il s'agit de la capacité d'agir) et la capacité de détenir des droits. Pour les personnes ayant certaines formes de handicap qui ne sont pas en mesure d'exercer leur capacité juridique par elles-mêmes, la Convention exige que les États prennent des mesures appropriées pour les soutenir dans la réalisation de leur capacité d'agir. La forme que doit prendre ce soutien est l'un des thèmes de la discussion de cette journée de débat général. Même dans les cas où un tribunal désigne un ou plusieurs intermédiaires (pour l'interaction entre le tribunal et l'individu concerné), il doit y avoir un mécanisme de contrôle pour s'assurer que les parties assistantes œuvrent dans le seul intérêt des personnes assistées, a souligné M. Al-Tarawneh. Il convient notamment de s'assurer qu'aucun conflit d'intérêt n'existe, ce qui signifie que des garanties doivent être mises en place pour s'assurer qu'aucun intérêt personnel ou financier n'interfère avec les personnes recevant l'assistance. Il convient également de s'assurer que les personnes recevant une assistance comprennent dans la plus grande mesure possible le processus et les conséquences du processus juridique. Il convient en outre d'assurer l'impartialité des personnes ayant autorité pour déterminer la capacité juridique d'une personne.

Il faut par ailleurs être conscient de la nécessité de rester objectif en permettant à la justice de se réaliser tout en reconnaissant les réalités des handicaps mentaux graves, a poursuivi M. Al-Tarawneh, soulignant qu'il y a des cas où le bénéfice du placement en établissement correctionnel ou en prison pourrait être préjudiciable à l'individu et devrait être remplacé par des soins fournis par des personnels dûment qualifiés.

M. IBRAHIM SALAMA, Chef du Service des traités au Haut Commissariat aux droits de l'homme, a insisté sur l'importance que revêt, dans le contexte de la Convention relative aux droits des personnes handicapées, la notion de procès équitable. L'un des débats qui se trouve au centre des questions soulevées aujourd'hui est celui a trait au soutien au processus de prise de décision par les tribunaux versus la substitution au processus de prise de décision. Dans le cas du handicap mental, dans quelles circonstances serait-il acceptable de prendre des décisions au nom d'un individu par le biais de la tutelle ou de tout autre service et comment ces services doivent-ils être assurés? Si l'article 12 de la Convention ne mentionne pas spécifiquement le recours au soutien pour les personnes handicapées dans les procédures juridiques, il demande néanmoins aux États d'utiliser les moyens appropriés pour assurer l'accès des personnes handicapées au soutien dont elles peuvent avoir besoin dans l'exercice de leur capacité juridique, a rappelé M. Salama.

Dans certains cas, a poursuivi le représentant du Secrétariat, il peut s'avérer que certaines personnes handicapées ne soient pas en mesure d'utiliser l'assistance au processus de prise de décision; il convient alors de s'interroger sur la manière dont nous devrions œuvrer à mettre en place des mesures normatives assurant un équilibre entre la capacité d'agir et la réalité de certaines formes graves de handicap mental, a-t-il souligné. Il existe une autre question qui a trait à la nécessité de savoir si les tribunaux devraient reconnaître que dans certaines situations, certaines formes de handicap peuvent équivaloir à une irresponsabilité pour les crimes commis, a poursuivi M. Salama. Certains estiment que ce type de défense devrait être aboli devant les tribunaux, étant donné la reconnaissance de la capacité d'agir, a-t-il fait observer. Il n'en demeure pas moins que les choses ne sont pas totalement claires quant à ce qui doit être fait dans les cas de crimes dont l'auteur souffre d'une perte véritable de toute volonté propre, a-t-il ajouté. Peut-être l'équilibre réside-t-il dans la recherche de ce qui constitue une perte de faculté, a-t-il indiqué, avant de souligner que toutes ces questions revêtent une importance significative pour l'interprétation de l'article 12.

Mme Amita Dhanda, Consultante du Haut Commissariat aux droits de l'homme sur l'article 12 de la Convention, a pour sa part rappelé que l'exclusion des personnes handicapées ne procédait pas seulement de barrières juridiques mais aussi de «barrières dans la tête». L'article 12 a été formulé pour signifier l'acceptation de la capacité juridique totale de la personne handicapée, afin d'assurer l'inclusion de tous, a-t-elle souligné. Le débat général d'aujourd'hui est important tant pour les membres du Comité que pour les États et les membres de la société civile, a-t-elle poursuivi. Mme Dhanda a ensuite fait part du projet en cours de réalisation que constitue le manuel du Haut Commissariat aux droits de l'homme sur la capacité juridique. Ce manuel devrait permettre de comprendre ce concept de capacité juridique, de souligner les discriminations existantes dans les lois actuelles, de mettre en lumière les obligations découlant de l'article 12 de la Convention, d'aider à planifier les réformes législatives et politiques nécessaires et de faire tout cela de manière participative, a-t-elle précisé. Elle a ensuite exposé deux projets de réformes législatives particulièrement pertinents dans le cadre de cette journée de débat général, qui ont été engagés par l'Inde et par la Hongrie - deux pays parmi les premiers à avoir ratifié la Convention relative aux droits des personnes handicapées.

Aperçu des discussions au sein des deux groupes de travail

Le groupe de travail consacré au contenu du droit à la personnalité juridique dans des conditions d'égalité était présidé par M. Monsur Choudhury, membre du Comité. Les discussions au sein de ce groupe entendaient notamment éclaircir les questions relatives à la construction de la capacité juridique; à la capacité juridique universelle; aux réserves à l'article 12 de la Convention; à la portée du droit à la reconnaissance de la personnalité juridique devant les tribunaux sur un pied d'égalité et au lien de ce droit avec les autres droits.

Il a été rappelé que 80% des personnes handicapées à travers le monde vivaient dans les pays en développement et que les personnes handicapées subissaient de nombreuses formes de discrimination. Parmi les personnes handicapées, celles qui sont particulièrement cachées, occultées et n'ont pas accès à la justice sont les personnes souffrant de handicaps mentaux, a-t-il également été souligné.

L'assistance au processus de prise de décision, c'est-à-dire la capacité juridique assistée, signifie-t-elle que certaines personnes ne vont être autorisées à exercer leur capacité juridique que si elles bénéficient d'un soutien, s'est interrogée une intervenante de la société civile, avant de souligner que la décision de savoir si on a besoin d'un soutien doit être une décision qui doit être prise par la personne concernée pour elle-même?

Le groupe de travail consacré aux mesures pratiques qui doivent être prises pour mettre en œuvre l'obligation de promouvoir le droit à la personnalité juridique dans des conditions d'égalité était présidé par Mme Jia Yang, Vice-Présidente du Comité. Les discussions au sein de ce groupe englobaient les défis liés à l'incorporation, dans les normes juridiques, du droit à la reconnaissance égale devant les tribunaux; les défis liés à la mise en œuvre des obligations découlant de l'article 12 de la Convention; et le rôle de l'autorité d'examen indépendante et impartiale prévue au paragraphe 4 de l'article 12 de la Convention et autres garanties possibles.

La nécessité a été soulignée d'éliminer toutes les barrières qui empêchent les personnes handicapées de jouir des droits qui leur sont dus. Un représentant de l'Organisation mondiale des personnes handicapées (OMPH) a insisté sur l'importance de mener des campagnes d'information et de communication afin de faire évoluer les mentalités et d'obtenir l'accord des législateurs sur le nouveau paradigme découlant de la Convention. Il convient en outre de veiller à ce que l'application d'une peine de privation de liberté ne constitue pas un obstacle au droit d'accès aux soins pour les personnes handicapées. Les mesures de tutelle doivent être abandonnées et les Nations Unies doivent accompagner les États dans les démarches à suivre à cette fin, a poursuivi cet intervenant. Il a en outre estimé que les lois spéciales concernant les personnes handicapées devraient être abolies car elles sont discriminatoires. Citant Blaise Pascal, l'orateur a souligné que «les hommes sont si nécessairement fous que ce serait être fou par un autre tour de folie de n'être pas fou», ce qui revient à dire que la folie fait partie intégrante de la condition humaine. Or, a-t-il souligné, les comportements sociaux restent aujourd'hui extrêmement discriminatoires à l'égard des personnes en situation de handicap psychique, et ces dernières revendiquent l'accessibilité à la société humaine. L'intervenant a souligné, comme le rappelait Dostoïevski, que «ce n'est pas en enfermant son voisin qu'on se convainc de son propre bon sens». Notre société peut encore évoluer en humanité, en responsabilité et en respect des différences, a-t-il estimé.

Personne ne devrait être empêché d'exercer sa capacité juridique, a souligné une autre intervenante. Elle a affirmé que tout traitement médical obligatoire de nature intrusive ou irréversible qui n'obéirait pas à des objectifs thérapeutiques ou qui viserait à corriger ou à atténuer un handicap devrait être considéré comme une torture ou un mauvais traitement. Elle a plaidé en faveur de l'abolition de toute loi qui permettrait qu'un tel traitement (y compris l'avortement, la stérilisation, l'électrochoc, la psychochirurgie ou l'administration de médicaments tels que les neuroleptiques) soit appliqué à une personne handicapée sans son consentement. La capacité juridique implique des responsabilités pour les décisions prises, a par ailleurs souligné l'intervenante, précisant que cela inclut la responsabilité de respecter les obligations volontairement consenties ou imposées par la société. Soutenir l'exercice de la capacité juridique par les personnes handicapées implique avant tout qu'une information adéquate soit accessible à ces personnes par le biais de moyens de communications pertinents, comme le braille, par exemple.

Les réserves et autres déclarations interprétatives présentées par des États parties - notamment le Royaume-Uni et l'Égypte - entravent la bonne application de la Convention, a souligné un autre intervenant.

Déclaration de clôture du débat

M. Mohammed Al-Tarawneh, Président du Comité, a déclaré que les membres du Comité se félicitaient de l'opportunité qui s'est offerte de tenir cette première journée de débat général de l'histoire du Comité. Il a précisé que les observations et recommandations qui ont été faites durant cette journée seront dûment examinées, en particulier celles ayant trait à la possibilité d'élaborer une observation générale sur l'article 12.

Le Président a rappelé que l'an prochain, le Comité commencerait à examiner les premiers rapports émanant d'États parties à la Convention. À cet effet, les experts examineront les méthodes de travail du Comité et finaliseront les directives relatives aux procédures de présentation des rapports des États parties. M. Al-Tarawneh a exprimé l'espoir que les rapports que présenteront les États parties couvriront pleinement la mise en œuvre des dispositions de la Convention, y compris de l'article 12 de cet instrument. En tant qu'experts, a souligné M. Al-Tarawneh, les membres du Comité ne ménageront aucun effort pour interpréter les dispositions de la Convention de manière constructive et de manière à améliorer la vie et la situation des millions de personnes handicapées.

Le Président s'est dit convaincu, au vu de cette journée de discussion, que la Convention est appréhendée avec sérieux par toutes les parties prenantes. M. Al-Tarawneh a exprimé l'espoir que l'importante présence et participation des États parties durant cette journée de débat augurait de la promotion d'une harmonisation adéquate, dans le monde entier, s'agissant des questions couvertes par l'article 12 de la Convention.



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CRPD09006F