Aller au contenu principal

LE COMITÉ POUR L'ÉLIMINATION DE LA DISCRIMINATION RACIALE EXAMINE LE RAPPORT DU TCHAD

Compte rendu de séance
Les membres du Comité saluent la franchise du dialogue avec la délégation

Le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale a examiné, hier après-midi et ce matin, le rapport périodique du Tchad sur les mesures prises par ce pays pour se conformer aux dispositions de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale.

Présentant le rapport de son pays, M. Abderaman Djasnabaille, Ministre chargé des droits de l'homme et de la promotion des libertés du Tchad, a souligné que depuis son indépendance, il y a 49 ans, le pays n'a cessé de connaître des guerres civiles. Aujourd'hui, la guerre du Darfour influence l'évolution politique, économique et sociale du Tchad. Le Ministre a par ailleurs reconnu que, si l'homme et la femme sont reconnus dans la législation nationale comme étant égaux, ce n'était pas le cas dans la réalité. Il a par ailleurs estimé que le Tchad ne connaissait pas de problème de race; «il y a plutôt des problèmes de cohabitation et de compréhension, eu égard au fait que chaque communauté à ses propres valeurs». Des problèmes religieux entrent également en ligne de compte, a-t-il ajouté. La question de la discrimination touche aussi les «enfants bouviers», que certains parents mettent à disposition des éleveurs. Il y a également des problèmes d'enlèvements d'enfants, notamment à la frontière du Cameroun. M. Djasnabaille a par ailleurs reconnu l'existence d'un problème en ce qui concerne les enfants qui sont envoyés pour leur formation auprès de marabouts, précisant que le pays avait décidé qu'il ne serait plus autorisé d'envoyer des enfants suivre des formations religieuses à l'étranger.

La délégation tchadienne était également composée du Représentant permanent du Tchad auprès des Nations Unies à Genève, M. Bamanga Abbas Malloum, ainsi que de représentants du Ministère de l'action sociale, de la solidarité nationale et de la famille; du Ministère chargé des droits de l'homme et de la promotion des libertés; du Ministère de la justice. Elle a répondu aux questions soulevées par les membres du Comité s'agissant notamment du prix du sang (diya); de la question des castes; de la promotion de la réconciliation nationale; de la législation relative à la liberté de la presse; de l'implication des chefs religieux et traditionnels dans la lutte contre le sida; de la situation des réfugiés; de la tragédie du Darfour et de ses conséquences pour le Tchad.

Le rapporteur du Comité pour l'examen du rapport du Tchad, M. Kokou Mawuena Ika Kana Ewomsan, a noté la volonté du pays de tirer profit des recommandations du Comité pour engager des réformes sur tous les plans afin de combattre les pratiques discriminatoires qui constituent des obstacles au développement du Tchad. Au cours du dialogue, il a notamment relevé qu'aucune loi n'intègre la notion de discrimination raciale telle que définie à l'article premier de la Convention. Il a aussi noté que le système juridique traditionnel s'impose au détriment du droit positif et consacre les pratiques discriminatoires fondées sur l'ascendance, avec le système de castes – système qu'ont dénoncé de nombreux membres du Comité. Le rapporteur s'est par ailleurs enquis des mesures envisagées pour créer les conditions d'une véritable réconciliation nationale en vue de l'instauration d'une paix durable au Tchad. Nombre d'experts ont salué la rare franchise du dialogue qui s'est noué autour de l'examen du rapport tchadien.


Le Comité adoptera, dans le cadre de séances privées, des observations finales sur ce rapport, qui seront rendues publiques à la fin de la session.


La prochaine séance publique du Comité est prévue pour le vendredi 28 août prochain, afin de clore les travaux de la session. À cette occasion, le Comité rendra publiques les observations finales sur l'ensemble des rapports examinés, ainsi que d'autres décisions prises au cours de la présente session.


Présentation du rapport du Tchad

M. ABDERAMAN DJASNABAILLE, Ministre chargé des droits de l'homme et de la promotion des libertés du Tchad, a souligné que les pays qui ont finalisé leur processus démocratique existent depuis longtemps. De ce point de vue, à ceux qui reprochent au Tchad de ne pas progresser assez vite, voire de faire du sur-place depuis son indépendance, il convient de rappeler que le Tchad n'est indépendant que depuis 49 ans et que depuis son indépendance, le pays n'a cessé de connaître des guerres civiles. Aujourd'hui, la guerre du Darfour influence l'évolution politique, économique et sociale du Tchad, a souligné le Ministre, ajoutant que le Soudan s'efforce depuis longtemps d'«installer à N'Djamena un régime sous sa dévotion».

Il n'y a pas à vrai dire aujourd'hui d'enfants soldats au Tchad, a poursuivi M. Djasnabaille; il arrive que des enfants se retrouvent dans un environnement militaire et portent des habits militaires lorsque des membres de leur famille élargie sont eux-mêmes officiers, à l'instar de ce qui arrive aux enfants de familles de cultivateurs, qui se retrouvent vite dans un environnement agricole, dans les champs.

Il est indéniable que dans la Constitution et dans les lois de la République, l'homme et la femme sont reconnus comme étant égaux mais que dans la réalité, tel n'est pas le cas, a reconnu le Ministre chargé des droits de l'homme et de la promotion des libertés. Dans un milieu musulman, la femme est en effet soumise à une réglementation différente, a-t-il ajouté. Il n'en demeure pas moins que le Tchad est en train d'avancer pour aller dans le sens de ce que souhaite le monde en général, dans le sens des valeurs communes reconnues par tous, a assuré M. Djasnabaille.

La justice, encore jeune au Tchad, doit encore être acceptée par tous, a poursuivi le Ministre. À ce sujet, il s'est dit préoccupé par la réalité que constitue la corruption de la justice au Tchad dont attestent nombre de rapports. Il y a incontestablement un problème de justice au Tchad, a-t-il reconnu.

On ne peut pas dire qu'il y ait des problèmes de race au Tchad; il y a plutôt des problèmes de cohabitation et de compréhension, eu égard au fait que chaque communauté à ses propres valeurs, a poursuivi le Ministre. Des problèmes religieux entrent également en ligne de compte, certains estimant par exemple que «l'on est plus performant lorsque l'on est chrétien», a-t-il ajouté. La question de la discrimination touche aussi ce qu'on appelle les «enfants bouviers» que certains parents mettent à disposition des éleveurs, a poursuivi le Ministre. Il y a également des problèmes d'enlèvements d'enfants au Tchad, notamment à la frontière du Cameroun, a-t-il ajouté. Les autorités ont pris la dimension de ce phénomène et une brigade motorisée de prévention - par le biais de la sensibilisation - et de répression a été mise en place pour combattre ce problème. M. Djasnabaille a par ailleurs reconnu l'existence d'un problème en ce qui concerne les enfants qui sont envoyés pour leur formation auprès de marabouts. Il a précisé que la décision vient d'être prise au Tchad de ne plus envoyer d'enfants suivre des formations religieuses, notamment coranique, à l'étranger.

Le Ministre chargé des droits de l'homme et de la promotion des droits de l'homme a indiqué qu'au mois de novembre prochain, un Forum national des droits de l'homme allait se tenir dans la capitale tchadienne. De ce Forum devrait jaillir un plan d'action qui sera présenté au Gouvernement. M. Djasnabaille a fait part de son souhait de voir des membres du Comité être présents à ce Forum. Il a en outre indiqué que son pays avait invité la Haut-Commissaire aux droits de l'homme à participer à cet événement.

L'objectif du Tchad est de devenir un exemple pour la sous-région, ce qui, pour l'instant, est loin d'être le cas, a admis le Ministre, même si beaucoup a déjà été fait. Le pays est aujourd'hui confronté à la question de l'agression du Soudan, a rappelé M. Djasnabaille. «Nous voulons que cette question du Darfour soit prise en compte aussi par la communauté internationale; nous voulons que le Darfour retrouve la paix. Le régime d'el-Béchir nargue la communauté internationale en continuant de voyager malgré la décision de la Cour internationale de justice; si l'impunité demeure au niveau international, comment peut-on nous demander de la combattre chez nous?». Il en va de même pour le cas d'Hissène Habré, a poursuivi le Ministre, soulignant que le Tchad a mis à disposition deux milliards de francs CFA pour couvrir les frais du procès.

Le quinzième rapport périodique du Tchad (CERD/C/TCD/15) souligne que si la Constitution consacre son titre 13 aux autorités traditionnelles et coutumières, elle précise toutefois que les coutumes contraires à l'ordre public ou celles qui prônent l'inégalité entre les citoyens sont interdites. Bien que la définition de la discrimination telle qu'énoncée à l'article premier de la Convention ne soit contenue dans aucun texte de loi précis, l'interdiction de la discrimination se retrouve dans plusieurs lois nationales, notamment dans le Code du travail, la charte des partis politiques ou encore le Code électoral.

Le Tchad compte plus d'une centaine d'ethnies dénombrées lors du recensement d'avril 1993, poursuit le rapport. En raison de la multitude et de la diversité des groupes ethniques, il a été procédé à un regroupement fondé sur des critères linguistiques et géographiques, le mode de vie, les us et coutumes; ce regroupement fait apparaître 14 grands groupes ethniques, y compris le groupe des étrangers et celui des indéterminés. Les groupes ethniques les plus nombreux sont constitués de Sara (12,3%) et Mayo Kebbi (11,5%), précise le rapport. Certains groupes représentent entre 5 et 10% de la population totale: il s'agit en l'occurrence des Kanem-Bornou (9%), Ouaddaï (8,7%), Hadjaraï (6,5%), Tandjilé et Gourane ayant respectivement 6,5% et 6,3%. Par contre, d'autres groupes représentant chacun moins de 5% de la population totale constituent des groupes minoritaires: Fitri-Batha (4,7%), Peul (2,4%), Baguirmien (1,5%) et Lac Iro (0,5%). Les groupes «autres» et «divers» - qui sont formés des ethnies non classées ailleurs parce que difficilement intégrables dans les autres grands groupes de par leurs particularités linguistiques et leurs mœurs, ainsi que les ethnies des étrangers naturalisés tchadiens – représentent ensemble 1,2% de la population totale. En considérant les ethnies par rapport à leur mode de vie, les Peuls, suivis des Arabes et des Gouranes sont de loin les ethnies les plus représentées parmi les nomades. Il faut souligner que 9,6% des «étrangers» et 8,4% des «autres» sont des nomades; ces nomades «étrangers» seraient la plupart des Peuls (bororo) venus des pays d'Afrique de l'Ouest. Selon les données du recensement de la population de 1993, plus de la moitié de la population tchadienne (53,9%) se déclare musulmane, 34,7% appartiennent au christianisme et l'animisme, qui regroupe toutes les religions traditionnelles, est représenté par 7,4% de la population.

La résurgence des rébellions armées, les affrontements intercommunautaires et le conflit du Darfour sont à l'origine du déplacement massif des populations dans les zones touchées, poursuit le rapport. Ces conflits portent un coup certain à la situation des droits de l'homme au Tchad, reconnaît-il. Car dans ces conditions, les libertés et droits fondamentaux subissent forcément les graves violations perpétrées aussi bien par les forces de l'opposition armée que par les milices civiles. Cette instabilité s'ajoute aux difficultés créées par la coexistence de plusieurs règles coutumières en même temps que le droit positif. À défaut de Code de la personne et de la famille, toutes ces coutumes sont d'application dans les communautés où elles sont reconnues sauf celles qui sont contraires à l'ordre public (l'appréciation en la matière relève de la souveraineté du juge). Le Code pénal en vigueur est muet sur la question des sanctions relatives aux pratiques discriminatoires, reconnaît le rapport.


Examen du rapport

Questions et observations des membres du Comité

M. KOKOU MAWUENA IKA KANA EWOMSAN, rapporteur du Comité pour l'examen du rapport du Tchad, a d'emblée remercié le pays pour avoir créé un Ministère des droits de l'homme comme l'avait recommandé le Comité. Il a également remercié le Tchad pour avoir renoué le dialogue avec le Comité, près de quinze ans après l'examen de son précédent rapport.

Depuis son accession à la souveraineté internationale, le Tchad a connu une crise institutionnelle et politique pendant trois décennies, caractérisée par des rébellions armées et des conflits intercommunautaires qui ont favorisé et entretenu de graves violations des droits de l'homme, a poursuivi M. Ewomsan. Cette situation a malheureusement conduit à la guerre civile en 1979, dont les conséquences hypothèquent encore le développement du Tchad. En dépit de la Conférence nationale de 1993 qui a permis au pays d'amorcer un processus démocratique, la situation reste fragile, avec la récurrence des conflits et des rébellions armées, au point que l'on peut se demander si la culture de la rébellion n'est pas devenue une forme d'expression politique, a suggéré l'expert.

Dans un rapport de 2005, a-t-il rappelé, l'experte indépendante sur la situation des droits de l'homme au Tchad, Mme Monica Pinto, affirmait que le Tchad était un pays où l'identité nationale passe après l'identité ethnique voire clanique. Les dichotomies y sont à l'ordre du jour: nordistes/sudistes, musulmans/chrétiens, nomades/sédentaires, Arabes/Africains. En 1995, le Comité, pour sa part, s'inquiétait de la dimension ethnique des violations des droits de l'homme constatées; de l'influence prédominante de certaines minorités proches de l'État au sein de l'administration et de l'armée; et de l'aggravation de l'antagonisme entre le nord et le sud du pays.

Après avoir relevé des écarts, selon les sources et parfois même dans le rapport présenté par le pays, dans le dénombrement des ethnies voire groupes ethniques au Tchad, M. Ewomsan a souhaité savoir dans quels groupes le Tchad classe les Toubous et les Zaghawa. Le Tchad envisage-t-il de réaliser un nouveau recensement en vue de réactualiser ses données démographiques et fournir des renseignements fiables sur la composition ethnique de la population, a-t-il demandé?

En ce qui concerne les réformes entreprises par l'État, il y a lieu de souligner les efforts du Gouvernement quant à l'amélioration de son cadre législatif par l'adoption d'une Constitution en 1996 et par sa révision en 2005, a poursuivi M. Ewomsan. Ces efforts procèdent de la volonté du Gouvernement de rompre avec un passé marqué par le régionalisme, le tribalisme, le népotisme et les inégalités sociales pour bâtir une nation unie fondée sur le respect des principes de l'État de droit et des droits fondamentaux tels que définis dans les instruments pertinents, a-t-il ajouté.

Néanmoins, en dépit de ces efforts louables, il semble que le respect des dispositions législatives pertinentes ne soit pas effectif, comme l'a lui-même reconnu le Ministre chargé des droits de l'homme, a souligné le rapporteur. Plusieurs organes conventionnels font état de harcèlement et d'intimidation à l'encontre de journalistes, a déploré M. Ewomsan. En février dernier, le Gouvernement aurait publié une ordonnance aggravant les peines encourues pour délits de presse, a-t-il ajouté, demandant à la délégation de fournir des informations à ce sujet.

M. Ewomsan s'est inquiété des conclusions de la Commission d'enquête sur les événements de février 2008 (attaques de rebelles) qui font état d'exécutions sommaires, de viols, de traitements cruels, inhumains et dégradants imputés aux forces et services de sécurité de l'État. Quels renseignements le Tchad peut-il fournir à ce sujet? Quelles mesures ont-elles été prises ou est-il envisagé de prendre pour sanctionner les auteurs de ces violations? Quelles sont les mesures que l'État envisage de prendre pour créer les conditions d'une véritable réconciliation nationale pour instaurer une paix durable au Tchad?

M. Ewomsan a par ailleurs rappelé que le Comité des droits de l'homme avait recommandé au Tchad de réformer son institution nationale des droits de l'homme conformément aux Principes de Paris et de la doter de moyens adéquats pour lui permettre de conduire ses activités.

Le rapporteur a relevé avec intérêt que le Tchad a intégré dans son corpus législatif national les dispositions des traités ratifiés et que ces derniers ont une valeur supérieure à la législation nationale, en vertu de la loi fondamentale. Néanmoins, aucune loi n'intègre la notion de discrimination raciale telle que définie à l'article premier de la Convention, a-t-il déploré.

Force est de constater que le Tchad est encore très marqué par le poids de la tradition, a poursuivi M. Ewomsan, évoquant, entre autres, la pratique du prix du sang (diya). Le Tchad reconnaît, au paragraphe 152 de son rapport, que le principe de non-discrimination reste une utopie dans la pratique, a-t-il fait observer. Le système juridique traditionnel s'impose donc au détriment du droit positif et consacre les pratiques discriminatoires fondées sur l'ascendance, avec le système de castes, a-t-il ajouté. Aussi, a-t-il souhaité que la délégation tchadienne fournisse des renseignements sur le système de castes au Tchad. Les pratiques coutumières entravent la pleine jouissance des droits par les femmes, a en outre souligné M. Ewomsan, relevant que les femmes ne jouissent pas du droit à la propriété de la terre et à l'héritage. Quelles sont les mesures que le pays envisage de prendre afin de permettre aux femmes de jouir de leurs droits successoraux, a-t-il demandé? Le Comité contre la torture s'inquiète de ce que les cas de viols soient traités à l'amiable, a-t-il également fait observer, avant de s'interroger sur les mesures prises ou envisagées afin de veiller à ce que les viols soient traités en tant qu'affaires pénales. Selon plusieurs organes conventionnels et organisations de la société civile, il y a une exploitation des enfants bouviers à travers le système de contrat de louage de services conclu entre les parents ou tuteurs de l'enfant et un éleveur qui soumet l'enfant à un régime de semi-esclavage, a poursuivi M. Ewomsan, ajoutant que dans ce contexte, certains enfants âgés de 5 à 15 ans meurent et sont abandonnés dans la brousse.

M. Ewomsan s'est par ailleurs enquis des mesures envisagées par les autorités tchadiennes pour améliorer les conditions des personnes déplacées et permettre leur retour dans des conditions acceptables. Quelles sont les mesures que le Tchad entend prendre pour garantir la sécurité des personnes déplacées et celle des travailleurs humanitaires qui, dans l'est du Tchad, sont victimes d'attaques, a-t-il demandé?

Le rapporteur a en outre noté une volonté de l'État de redoubler d'efforts pour réformer son appareil judiciaire. Toutefois, il a également noté que la corruption, le manque d'indépendance du judiciaire, les conditions de travail des magistrats et la pratique de l'impunité constituent la faiblesse du système.

Enfin, M. Ewomsan a souligné que le Tchad est un pays pauvre mais doté d'immenses richesses naturelles, notamment de pétrole à présent exploité. «Je souhaite que le pétrole ne contribue pas à aggraver les divisions mais à favoriser un développement et une distribution équitable des revenus», a-t-il conclu.

Plusieurs membres du Comité ont salué la franchise rare - voire «incomparable» - de la déclaration d'introduction prononcée par le Ministre des droits de l'homme du Tchad. L'un d'eux a affirmé qu'il s'agit de l'une des présentations les plus étonnantes et franches qu'il ait jamais entendues devant ce Comité.

Des préoccupations ont été exprimées par de plusieurs experts face à la discrimination fondée sur l'ascendance en raison du système de castes existant au Tchad. L'un d'entre eux a relevé qu'il semble que ces castes seraient davantage à caractère professionnel plutôt que fondées sur l'origine ou l'ascendance.

La première constatation générale qu'il revient au Comité de faire, à la lecture du rapport et après avoir écouté la déclaration d'introduction faite par le Ministre des droits de l'homme, est celle de la franchise des propos dans la reconnaissance des obstacles que rencontre le Tchad dans le domaine des droits de l'homme, a déclaré un expert. La deuxième constatation est que le rapport reste trop théorique et manque de données pratiques, a-t-il poursuivi. La troisième constatation est que ce rapport contient des informations très positives, au nombre desquelles les lois relatives à la lutte contre la corruption et à la lutte contre les mutilations génitales féminines. Il a par ailleurs suggéré que la Présidente du Comité, Mme Fatimata-Binta Dah, représente le Comité lors du Forum national des droits de l'homme qui se tiendra en novembre prochain à N'Djamena. L'expert a par ailleurs relevé l'absence, pour le moment, d'un Code de la famille au Tchad. Il s'est en outre enquis du bilan des états généraux de la justice, eu égard à tous les maux dont souffre l'institution judiciaire. Il s'est également voulu connaître le rôle des «cliniques juridiques» chargées d'assister les citoyens. Il a enfin demandé des précisions sur les dispositifs prévus pour assurer la sécurité des très nombreuses personnes déplacées au Tchad.

Un expert a relevé que la prévalence du VIH/sida était de 7% dans le pays et a souhaité savoir si, de l'avis des autorités tchadiennes, une donnée à caractère culturel était susceptible d'influer sur cette situation. Les institutions religieuses ont-elles soutenu les autorités dans la lutte contre le VIH/sida, a demandé un autre expert?

Un membre du Comité s'est inquiété de la pratique des réparations civiles pour des infractions pénales, en particulier pour ce qui a trait au prix du sang (diya), pratique en vertu de laquelle une personne appartenant à un groupe ethnique donné pourrait obtenir des réparations moindres à celles auxquelles pourrait prétendre une personne appartenant à un autre groupe ethnique.

Réponses de la délégation

La délégation a indiqué que le Tchad vient d'achever un recensement général de la population dont les résultats seront connus prochainement et seront communiqués au Comité dès que disponibles. En ce qui concerne les questions posées sur la composition ethnique du pays, la délégation a précisé, que l'on compte des Toubous au Tchad, au nord du Niger et au sud de la Libye; ils parlent tous la même langue. Quant aux Zaghawa – groupe auquel appartient le Président de la République – il s'agit d'un groupe sédentaire du centre du pays et de la zone frontalière avec le Tibesti et c'est ce même groupe que le Tchad partage avec le Soudan où ils sont présents dans la zone au Darfour.

Il n'y a pas de planification politique visant à exercer une discrimination intentionnelle du Gouvernement à l'encontre des Ouaddaïs ou d'un quelconque autre groupe ethnique, a par ailleurs assuré la délégation.

En ce qui concerne le prix du sang (diya), la délégation a expliqué que cette pratique est en quelque sorte une réparation civile qui ne suspend aucunement l'action civile, c'est-à-dire les poursuites qui peuvent être engagées au pénal. Dans les faits, les parties concernées indiquent généralement qu'elles ne souhaitent pas engager de poursuites dès lors qu'elles ont recouru à la diya. Il convient ici de prendre la mesure de la dimension culturelle de cette pratique, dans un pays où la violence est présente et où les individus sont souvent impatients d'obtenir réparation, jugeant la justice trop lente.

La question des castes relève d'une pratique coutumière que l'on retrouve ailleurs, en Mauritanie, notamment, a poursuivi la délégation. Pour ce qui est du Tchad, les forgerons, par exemple, constituent une caste privilégiée au sud, alors qu'au nord, ils constituent une basse caste – du type des intouchables en Inde, a-t-elle indiqué. Mais cette question n'a rien à voir avec la République car elle ne s'accompagne d'aucun privilège en termes, par exemple, d'accès aux emplois publics, a souligné la délégation.

Il n'y a pas de discrimination raciale au Tchad, a affirmé la délégation; mais il n'en demeure pas moins que les dispositions constitutionnelles en la matière sont insuffisantes et qu'il faudrait donc que le pays se dote d'une loi spécifique dans ce domaine, a-t-elle admis. La discrimination raciale peut exister au niveau des communautés, sous forme par exemple de préférences communautaires se manifestant dans certains domaines; mais au niveau de la politique officielle, au niveau de l'État, aucune différence ni aucune discrimination n'est opérée selon que l'on appartient à telle ou telle ethnie, a ensuite précisé la délégation.

Pour ce qui est du processus de réconciliation nationale, de jour en jour, le Tchad s'achemine vers le retour de tous les groupes armés à la paix, a assuré la délégation.

Pendant la période d'exception et d'état d'urgence de 2008, a poursuivi la délégation, il est vrai que le Gouvernement a publié une ordonnance modifiant la loi sur la liberté de la presse; mais un projet de révision de cette loi est actuellement en cours d'examen qui prévoit de revenir aux dispositions de la loi de 1994 en la matière.

La délégation a fait état d'une implication des chefs traditionnels et religieux pour surmonter les barrières culturelles et religieuses dans le cadre de la lutte contre la pandémie du VIH/sida. L'incidence du VIH/sida est passée de 7% en 2005 à 3,3% en 2008, a précisé la délégation.

Les «cliniques juridiques» sont un service fourni par des associations des droits de l'homme qui mettent à disposition des citoyens, à travers tout le pays, des petits bureaux leur permettant de mieux comprendre les processus de justice et d'en tirer pleinement parti.

Il n'existe pas de loi sur les réfugiés au Tchad, a par ailleurs indiqué la délégation. Un avant-projet de loi sur les réfugiés a été élaboré qui sera prochainement déposé auprès du Gouvernement, a-t-elle ajouté. Évoquant la tragédie du Darfour et ses quelque 300 000 réfugiés au Tchad, la délégation a notamment indiqué que le Programme des Nations Unies pour le développement a entrepris une étude concernant l'impact des réfugiés dans les zones d'accueil, notamment du point de vue des questions de propriété foncière et d'exploitation agricole. La délégation a mis l'accent sur les conséquences énormes de cette tragédie du Darfour qui touche non seulement l'est du Tchad mais aussi d'autres parties du pays, jusque dans la capitale. La question du Darfour touche gravement le Tchad, a insisté la délégation.

Pour ce qui est de la lutte contre l'impunité, la délégation a assuré que le Gouvernement veille à ce que les personnes ayant commis des infractions répondent de leurs actes, que ce soit sur le plan administratif ou sur le plan judiciaire.

Un membre du Comité ayant souhaité savoir quelle est, pour les autorités tchadiennes, la priorité des priorités, la délégation a indique que dans un pays comme le Tchad, la priorité est la sécurité. Il faut faire la paix avec le Soudan, a insisté la délégation. Le Gouvernement a la main tendue, a-t-elle par ailleurs déclaré, rappelant qu'un processus a été mis en place qui doit mener le Tchad à des élections libres et transparentes.

Tout sera fait pour clarifier l'affaire de la disparition d'Ibni Oumar, a assuré le Ministre tchadien chargé des droits de l'homme et de la promotion des libertés, M. Djasnabaille, après avoir rappelé les liens qui l'unissaient au disparu comme lequel il a longuement milité au cours de sa vie.


Observations préliminaires

Présentant des observations préliminaires à l'issue de cet examen, le rapporteur du Comité pour l'examen du rapport du Tchad, M. KOKOU MAWUENA IKA KANA EWOMSAN, a indiqué avoir suivi avec attention et grand intérêt la présentation du rapport et avoir apprécié la franchise et l'autocritique qui le caractérisent. L'examen de ce rapport a permis un dialogue on ne peut plus interactif entre le Comité et la délégation, a-t-il ajouté. Il a remercié la délégation pour la qualité des réponses qu'elle a apportées aux questions du Comité. M. Ewomsan a par ailleurs relevé la volonté du pays de tirer profit des recommandations du Comité pour engager des réformes sur tous les plans afin de combattre les pratiques discriminatoires qui constituent des obstacles au développement du Tchad.

Durant ce dialogue, a rappelé l'expert, ont notamment été notés les efforts engagés pour revenir sur certaines restrictions pesant sur la liberté - comme la liberté d'expression - et pour parvenir à la réconciliation nationale. A également été notée avec intérêt l'organisation prochaine d'un forum national sur les droits de l'homme.


Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas un document officiel

CERD09026F