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LE COMITÉ POUR L'ÉLIMINATION DE LA DISCRIMINATION RACIALE EXAMINE LE RAPPORT DU CHILI

Compte rendu de séance
De nombreux membres du Comité s'inquiètent de la loi antiterroriste, qui semble être appliquée principalement aux Mapuches

Le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale a examiné, hier après-midi et ce matin, le rapport périodique du Chili sur les mesures prises par ce pays pour se conformer aux dispositions de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale.

Présentant le rapport de son pays, Mme Paula Quintana, Ministre de la planification du Chili, a souligné que depuis 1990 et le rétablissement de la démocratie, le Chili s'est engagé dans le long et difficile processus de reconnaissance de l'identité des peuples autochtones et de réparation, rencontrant des difficultés et réalisant des avancées. Des progrès ont été réalisés en particulier s'agissant de la restitution de terres aux communautés autochtones, a-t-elle notamment souligné, précisant que depuis 1994, quelque 650 000 hectares de terres ont été transférés aux communautés autochtones. Surtout, pour la première fois, les Chiliens admettent qu'ils appartiennent à un pays dans lequel vivent des peuples ayant des ethnies et des cultures distinctes et dont les droits doivent être défendus et respectés par tous. La Ministre a par ailleurs souligné que, de pays d'émigration, le Chili est devenu au cours des dernières décennies un pays accueillant un nombre croissant de citoyens étrangers; elle a attiré l'attention à cet égard sur «l'extraordinaire processus de régularisation» dont ont bénéficié plus de 47 600 immigrants. Mme Quintana a reconnu que d'importants défis restent à relever pour que le principe de non-discrimination soit une réalité au Chili et pour avancer sur la voie d'une société plus juste, plus tolérante et plus inclusive. Néanmoins, ces avancées doivent s'effectuer de manière pacifique et conformément aux procédures démocratiques; le Gouvernement rejette la voie de la violence qui ne peut qu'être préjudiciable à la cause autochtone. Le Directeur national de l'Office national de développement autochtone (CONADI), M. Álvaro Marifil, ainsi que des représentants du Secrétariat général du Gouvernement, du Ministère de la planification et du Ministère de l'intérieur ont complété la présentation du rapport chilien.

La délégation chilienne était également composée de M. Carlos Portales, Représentant permanent du Chili auprès des Nations Unies à Genève et d'autres représentants du Ministère des relations extérieures, notamment. Elle a répondu aux questions soulevées par les membres du Comité s'agissant, entre autres, du processus de réforme constitutionnelle visant la reconnaissance expresse des peuples autochtones du Chili; de la politique foncière de la CONADI; des conséquences d'une proposition de modification de la loi sur la pêche sur la loi sur l'espace côtier marin des peuples natifs; de la politique de santé interculturelle; des prérogatives de la justice militaire; des Afro-descendants chiliens et du processus en cours visant leur reconnaissance en tant qu'ethnie dotée du droit de préserver, renforcer et développer son identité, ses institutions et ses traditions culturelles; du projet de loi antidiscrimination actuellement examiné; ou encore de l'application de la loi antiterroriste.

À cet égard, répondant à la préoccupation de plusieurs membres du Comité qui, – à l'instar du rapporteur du Comité pour l'examen de ce rapport, M. Alexei S.Avtonomov – se sont inquiétés de l'application de la loi antiterroriste aux Mapuches, un expert ayant notamment relevé que le problème des Mapuches semble s'envenimer s'agissant de la reconnaissance de ses droits sur sa terre, la délégation a assuré que les gouvernements démocratiques du pays n'ont jamais appliqué la législation antiterroriste à des demandes ou revendications sociales émanant de la population autochtone, mais seulement à des actes délictueux graves ayant provoqué des troubles publics. Sous l'administration chilienne actuelle, la loi antiterroriste n'a été invoquée qu'à deux occasions par le Gouvernement, s'agissant de faits violents délictueux ayant causé des troubles à l'ordre public, qui sont intervenus dans les régions du Biobío et de l'Araucanie, a précisé la délégation.

Le Comité adoptera, dans le cadre de séances privées, des observations finales sur ce rapport, qui seront rendues publiques à l'issue de la session, le vendredi 28 août prochain.


Mardi après-midi, le Comité entame l'examen du rapport périodique des Philippines (CERD/C/PHL/20). L'examen du rapport du Tchad, initialement prévu pour le lundi 17 août, a été reporté au jeudi 20 dans l'après-midi, pour se terminer vendredi matin.



Présentation du rapport du Chili

MME PAULA QUINTANA, Ministre de la planification du Chili, a souligné que le Chili centrait sa démocratie sur les principes de dignité et d'égalité inhérents à tous les êtres humains. La non-discrimination est essentielle pour atteindre l'objectif qui consiste à garantir à chacun le respect, la protection et la promotion de ses droits, a-t-elle ajouté. Aussi, le Chili s'efforce-t-il de renforcer la prise de conscience citoyenne concernant ce principe fondamental, a-t-elle affirmé.

Depuis 1990 et le rétablissement de la démocratie, a poursuivi Mme Quintana, le Chili s'est engagé dans le long et difficile processus de reconnaissance de l'identité des peuples autochtones et de réparation. Dans cette tâche, le pays a rencontré des difficultés et réalisé des avancées. S'il est incontestable qu'un long chemin reste à parcourir, la balance de la politique à l'égard des peuples autochtones penche du côté positif, a-t-elle assuré. Aujourd'hui, il existe au Chili un Office national de développement autochtone (CONADI) qui fait office d'organisme public chargé de la promotion, de la coordination et de l'exécution de la politique publique autochtone, a-t-elle souligné. En outre, des progrès ont été réalisés en termes de restitution des terres aux communautés autochtones et une commission de haut niveau a reconnu la réalité de l'histoire des peuples natifs et des dommages qui leur ont été causés. Par ailleurs, des actions interculturelles ont été entreprises dans les domaines de la santé, de l'éducation, du logement, de l'agriculture et autres programmes sociaux. Surtout, pour la première fois, les Chiliens admettent qu'ils appartiennent à un pays dans lequel vivent des peuples ayant des ethnies et des cultures distinctes et dont les droits doivent être défendus et respectés par tous. Cette réalité s'est récemment manifestée à travers l'adoption de la convention n°169 de l'Organisation internationale du travail sur les peuples autochtones et tribaux, a souligné Mme Quintana. On est ainsi passé d'une politique d'assistance à l'égard des peuples autochtones à une politique fondée sur la reconnaissance de leurs droits, a-t-elle insisté.

Dans ce contexte, a poursuivi Mme Quintana, le Gouvernement de la Présidente Michelle Bachelet s'est fixé au nombre de ses objectifs celui de mettre en place un schéma de gouvernance qui crée les conditions favorables à l'instauration d'un Pacte social pour la multiculturalité dans le cadre duquel chacun assume la part de responsabilité et d'activité qui lui correspond. En avril 2008, fut ainsi mis en place le Plan d'action Re-Conocer (Re-Connaître), un pacte social pour la multiculturalité.

L'engagement du Gouvernement à l'égard de toutes les personnes qui s'auto-identifient comme autochtones touche un million de personnes, soit 6,6% de la population totale appartenant aux peuples aymara, colla, diaguita, kawésqar, likan antai, mapuche, quechua, rapanui et yágan, a poursuivi Mme Quintana, ajoutant que 70% de cette population autochtone vivent dans les zones urbaines. La Ministre de la planification a par ailleurs attiré l'attention sur la promulgation de la loi instaurant l'espace côtier marin des peuples natifs et la réglementation y afférente. Depuis 1994, a-t-elle en outre indiqué, quelque 650 000 hectares de terres ont été transférés aux communautés autochtones. D'autre part, le programme de bourses et de résidence à l'intention des étudiants autochtones a été renforcé. Ont également été améliorés le programme de santé interculturelle pour les peuples autochtones et la construction de jardins d'enfants interculturels dans les principales villes du pays, a ajouté Mme Quintana. Elle a en outre attiré l'attention sur l'avancée primordiale que constitue la promulgation de la convention n°169 de l'OIT qui entrera en vigueur au Chili dans un mois. Depuis juin 2008, a poursuivi Mme Quintana, l'administration publique a le devoir de mener des processus de consultations autochtones sur les questions qui les affectent directement.

Mme Quintana a par ailleurs évoqué la situation des immigrants au Chili en faisant observer que le pays est aujourd'hui confronté à un processus nouveau d'immigration caractérisé par l'aspect régional du phénomène migratoire, essentiellement motivé par l'emploi. De pays d'émigration, le Chili est devenu au cours de ces dernières décennies un pays accueillant un nombre croissant de citoyens étrangers qui ont choisi d'y mener leur projet de vie, a-t-elle souligné. Elle a mis l'accent sur l'extraordinaire processus de régularisation dont ont bénéficié plus de 47 600 immigrants qui se sont vu octroyer une autorisation de résidence d'un an et qui ont maintenant déposé leurs candidatures pour obtenir une autorisation de séjour définitive au Chili. Au nombre des efforts déployés par l'État pour intégrer ces personnes, Mme Quintana a cité l'initiative permettant la régularisation de tout enfant immigrant enregistré dans un établissement d'éducation et l'initiative permettant aux enfants réfugiés et immigrants d'avoir accès à l'éducation préscolaire. Pour autant, a admis la Ministre, il subsiste des situations de discrimination auxquelles sont confrontés les immigrants.

Mme Quintana a reconnu que d'importants défis restent à relever pour que le principe de non-discrimination soit une réalité dans le pays et pour avancer sur la voie d'une société plus juste, plus tolérante et plus inclusive. Néanmoins, ces avancées doivent s'effectuer de manière pacifique et conformément aux procédures démocratiques, a-t-elle souligné. La politique autochtone s'inscrit dans le cadre d'un dialogue avec les communautés concernées, a-t-elle insisté. Il existe cependant quelques foyers de conflit qui sont absolument minoritaires parmi les quelque 3000 communautés autochtones que compte le pays, a-t-elle poursuivi, déplorant l'événement douloureux qui s'est produit hier, où un Mapuche a trouvé la mort dans l'un de ces foyers de conflit. Le Gouvernement rejette la voie de la violence qui ne peut qu'être préjudiciable à la cause autochtone, a conclu la Ministre.

M. CARLOS ZANZI, Chef de Cabinet du Directeur de la Division des organisations sociales au Ministère Secrétariat général du Gouvernement du Chili, a indiqué que la Constitution chilienne garantit le principe de l'égalité de tous devant la loi. Depuis le mois dernier, le Chili a adopté une loi portant sur les délits de crime contre l'humanité, de génocide et de crime de guerre, conformément au Statut de Rome de la Cour pénale internationale, a indiqué M. Zanzi, ajoutant que la loi prévoyait que la discrimination ethnique est une circonstance aggravante.

M. Zanzi a par ailleurs attiré l'attention du Comité sur un projet de loi antidiscrimination dont l'examen est en cours. Ce projet de loi sanctionne notamment toute forme de distinction ou de préférence portant atteinte aux droits énoncés dans la Constitution ou dans la législation en vigueur. Ce projet prévoit que les individus pourront saisir les tribunaux de deuxième instance en cas de violation de leurs droits. Au pénal, est considéré comme une circonstance aggravante d'un délit toute motivation fondée sur une discrimination arbitraire, a ajouté M. Zanzi.

M. ÁLVARO MARIFIL, Directeur national de l'Office national de développement autochtone (CONADI), a pour sa part indiqué que la convention n°169 de l'OIT entrera en vigueur au Chili le 15 septembre 2009. Il a fait part des différents processus, notamment des processus de consultations, engagés aux fins de la mise en œuvre des dispositions de cet instrument. Le Chili est en train d'organiser une nouvelle consultation – la deuxième de ce type – portant sur la reconnaissance constitutionnelle des autochtones, a notamment indiqué M. Marifil.

M. Marifil a ensuite indiqué que la politique autochtone Re-Conocer prévoit un ensemble de mesures visant la reconnaissance et la consolidation des droits autochtones. À l'heure actuelle, a-t-il souligné, il n'existe aucun mécanisme dans le pays permettant d'assurer la représentation et la participation des autochtones par le biais de leurs propres représentants au Congrès national; aussi, un projet a-t-il été élaboré afin de remédier à cette lacune.

M. ÁLVARO DURÁN, Conseiller juridique au Ministère de la planification, a pour sa part évoqué la question de la propriété de la terre des communautés autochtones en soulignant que depuis l'adoption de la loi de 1993 relative aux autochtones, le Chili a reconnu le droit des populations autochtones de récupérer la propriété sur des terres et des étendues d'eau. À ce jour, pour la période 1994-2009, le total des terres ainsi obtenues par les communautés autochtones représente 657 620 hectares, a-t-il notamment indiqué. La loi relative aux autochtones reconnaît comme autochtones les terres qui historiquement ont été occupées par les autochtones, à condition que leurs droits soient inscrits dans le registre pertinent, l'occupation ancestrale étant ainsi protégée et reconnue.

M. REGINALDO FLORES, chef de la Section études du Département des étrangers et des migrations au Ministère de l'intérieur du Chili, a indiqué qu'en septembre 2008, le pays a adopté une politique nationale de l'immigration dont l'objectif est de parvenir à l'intégration des immigrants. Pour ce qui est de protéger les travailleurs migrants, cette politique migratoire assouplit les normes qui risquaient de placer les travailleurs migrants dans des conditions de travail précaires. Ainsi, la fin d'un contrat de travail n'implique-t-elle pas la caducité du visa octroyé, a-t-il indiqué. Il a en outre attiré l'attention sur les processus de régularisation des migrants menés à bien par le Chili.

Le rapport périodique du Chili (CERD/C/CHL/15-18, rassemblant les quinzième à dix-huitième rapports) souligne que dans son ensemble, le Chili se doit de lutter en particulier contre le racisme, qui a frappé de tout temps les peuples aborigènes. La politique gouvernementale relative aux peuples autochtones a engagé à titre prioritaire des ressources financières pour résoudre la question de l'accès de ces populations à la propriété des terres ancestrales, parallèlement aux mesures leur permettant de progresser dans leur développement économique pour surmonter l'état de pauvreté qui les touche. Il existe une ferme détermination à réaliser des mesures visant à favoriser et encourager les communautés autochtones dans le nord et le sud du pays, poursuit le rapport. Parallèlement, il importe de plus en plus d'attirer l'attention de l'État sur les autochtones urbains, qui représentent une proportion notable du total de la population appartenant aux ethnies indigènes reconnues par le Chili. Durant la dernière décennie, la société chilienne, le gouvernement et les peuples autochtones ont réalisé les efforts nécessaires pour appliquer le programme convenu à Nueva Imperial en 1989. Le bilan des réalisations atteste des progrès notables dans de nombreux domaines, notamment en matière d'application de la loi relative aux autochtones, mais aussi en ce qui concerne l'œuvre accomplie par l'Office national de développement autochtone (institution publique chargée de veiller au respect de ladite loi) ou encore l'exécution de politiques publiques destinées à protéger et restituer les terres et les étendues d'eau et à favoriser un développement productif et l'affirmation culturelle et éducative.

Depuis quinze ans, poursuit le rapport, les peuples autochtones aspirent sans conteste pour l'essentiel à revendiquer leurs terres ancestrales; c'est pourquoi la politique autochtone porte nettement sur le thème de la récupération et de la protection de ces terres. Il a été confié à la Commission consultative présidentielle pour la coordination des politiques et programmes autochtones (créée en 2002) la tâche d'étendre cet objectif, indique le rapport. En avril 2004, se fondant sur les recommandations du rapport de la Commission de la vérité historique et politique de la nouvelle donne envers les populations autochtones, le Président Lagos a annoncé la politique de la nouvelle donne pour la période 2004-2010, dont le présent rapport rend compte des mesures.

L'État reconnaît, par la loi relative aux autochtones, neuf peuples autochtones au Chili: aymara, quechua, atacameño (ou likan antai), colla, rapanui, kawésqar, yámana (ou yágan) et mapuche (ce dernier avec ses particularismes lafquenche, pehuenche et huilliche). Par une modification de la loi relative aux autochtones, la reconnaissance de la diversité ethnique et culturelle dans le pays a été récemment étendue à l'existence et aux caractéristiques de l'ethnie diaguita, ainsi qu'à la qualité autochtone diaguita. La population du Chili qui déclare appartenir aux peuples autochtones représente 1 060 786 personnes, soit 6,6% de la population totale. Ce pourcentage a crû de 2,2 points durant la dernière décennie, précise le rapport, ajoutant que la population autochtone est en majorité urbaine. En 2006, 19% de la population autochtone et 13,7% de la population non autochtone se trouvaient dans une situation de pauvreté; néanmoins, la pauvreté a diminué plus rapidement dans la population autochtone, ce qui a permis de réduire cet écart. Quant au taux d'analphabétisme, il est de 6,8% dans la population autochtone pour 3,7% dans la population non autochtone. D'après les recensements et les registres du Département des étrangers et des migrations du Ministère de l'intérieur, en 2008, 290 901 étrangers résident au Chili. On estime qu'environ 10% d'entre eux sont des migrants en situation irrégulière, qui, à raison de 50%, proviennent en majorité du Pérou.


Examen du rapport

Questions et observations des membres du Comité

M. ALEXEI S.AVTONOMOV, rapporteur du Comité pour l'examen du rapport du Chili, a relevé que le rapport du Chili est complet, sincère et critique. L'État partie reconnaît lui-même qu'il y a discrimination raciale au Chili, mais, d'après les informations disponibles, cette discrimination n'est pas le fait de l'État ni du Gouvernement. C'est en effet un problème qui a des racines profondes, historiques, a noté M. Avtonomov. Nous avons donc à faire à une discrimination structurelle ayant des caractéristiques socioéconomiques, voire psychologiques, a-t-il souligné.

M. Avtonomov s'est par ailleurs réjoui de la reconnaissance des peuples autochtones au Chili – idée qui avait en son temps été rejetée au Parlement, a-t-il rappelé. À cet égard, il a salué la ratification par le Chili de la convention n°169 de l'Organisation internationale du travail, qui entrera en vigueur le 15 septembre prochain. Il s'est en outre réjoui de l'instauration de la Commission de la vérité historique et politique, de la nouvelle donne envers les populations autochtones et des nouvelles relations établies entre l'État et les peuples autochtones chiliens.

Néanmoins, des informations contradictoires ont été reçues des organisations non gouvernementales, émanant notamment des ONG des communautés autochtones chiliennes, a poursuivi M. Avtonomov. Tout en se réjouissant d'apprendre que les droits ancestraux d'utilisation du littoral avaient été juridiquement reconnus pour le peuple mapuche, par exemple, il a fait observer qu'il a fallu près de deux ans avant qu'une réglementation de mise en œuvre puisse être élaborée et que finalement, ces dispositions pourraient être amendées en raison d'une nouvelle législation sur la pêche présentée entre temps et limitant la portée des dispositions dont aurait dû profiter le peuple mapuche. Aussi, M. Avtonomov a-t-il souhaité savoir si la législation reconnaissant des droits aux peuples autochtones avait préséance sur les autres textes législatifs.

Le rapporteur a par ailleurs souhaité en savoir davantage au sujet de la loi de lutte contre le terrorisme. Il a indiqué ne pas bien comprendre dans quel contexte elle s'applique; en effet, beaucoup de Mapuches ont été condamnés par des tribunaux en vertu de cette loi pour avoir provoqué des incendies. Il est important de distinguer les terroristes des délinquants, a souligné l'expert.
M. Avtonomov a par ailleurs indiqué avoir reçu des informations laissant apparaître que des autochtones ont été abattus par des carabiniers et autres représentants des forces armées et que les agents des forces de l'ordre en cause ont été jugés en vertu de la procédure pénale spéciale, les garanties des victimes n'ayant pas été pleinement respectées.

Des informations en provenance d'ONG indiquent que les communautés autochtones ne sont pas satisfaites du projet de loi sur la reconnaissance constitutionnelle, qu'elles ont rejeté à l'unanimité parce qu'il ne tiendrait pas compte des consultations antérieures menées sur la question, a ajouté l'expert.

Aucune excuse ne saurait suffire pour les souffrances infligées à un peuple qui a pratiquement été amené à disparaître, a pour sa part déclaré un membre du Comité, ajoutant aussitôt que le problème des Mapuches semble s'envenimer et qu'il semble qu'il y ait une très grande colère de ce peuple au sujet de ses terres. L'expert a notamment dénoncé les déchetteries toxiques qui ont été placées sur des terres occupées par des Mapuches ainsi que les lois antiterroristes draconiennes qui ont été adoptées dans le pays. Sur le plan politique, de nombreux progrès ont été réalisés au Chili, a poursuivi cet expert, en dépit de groupes, notamment l'armée, réfractaires à la démocratisation.

De nombreux membres du Comité se sont inquiétés de l'application de la loi antiterroriste aux Mapuches. Les personnes masquées qui s'opposent violemment aux revendications des Mapuches sont-elles elles aussi tombées sous le coup de la loi antiterroriste, a demandé un expert? Il semble que les dispositions de la législation antiterroriste, qui datent de l'ère Pinochet, soient exclusivement appliquées aux Mapuches, s'est lui aussi inquiété un membre du Comité. Des dirigeants mapuches sont traduits en justice alors qu'ils ne font qu'exercer leurs droits constitutionnels, a déploré cet expert, avant de s'inquiéter de la pratique des témoins sans visage dont on prend les dépositions et déclarations sans les soumettre à un débat contradictoire.

La privatisation de l'éducation peut poser de graves problèmes en termes d'accès à l'éducation et ne pas faire œuvre utile au plan national, a pour sa part souligné un expert. Le Chili reconnaît-il que certaines parties des terres autochtones sont des sites sacrés et, le cas échéant, comment ces sites sont-ils protégés par la loi chilienne, a-t-il demandé? S'agissant de la question de la restitution des terres autochtones, l'expert a souhaité savoir quand et comment les personnes concernées avaient perdu ces terres; cela a-t-il été le résultat d'une extinction des titres autochtones liée à une déclaration de souveraineté sur les terres visées?

Un membre du Comité a relevé qu'aucune disposition législative actuellement en vigueur au Chili ne prévoit expressément l'interdiction de la discrimination raciale, d'où l'importance du projet de loi qui est actuellement à l'étude et qui devrait incriminer la discrimination raciale en prévoyant en outre, semble-t-il, une circonstance aggravante pour la motivation raciale d'un crime. L'expert s'est par ailleurs inquiété des mauvais traitements dont, selon certaines informations, sont victimes les Mapuches dans le cadre d'opérations des forces de maintien de l'ordre. Il a par ailleurs relevé l'information faisant état de l'ancrage dans la culture nationale chilienne de la discrimination, de l'intolérance et d'un attrait pour l'autorité.

Un autre expert a rejeté la distinction entre discrimination arbitraire et non arbitraire que semble opérer le Chili, soulignant que la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale interdit toute discrimination.


Réponses de la délégation

En réponse à ces questions, la délégation a notamment rappelé que le Chili reconnaissait et assumait une dette historique de cinq siècles à l'égard des peuples autochtones. Elle a attiré l'attention sur le plan Re-Conocer (Re-Connaître) adopté par la Présidente Bachelet suite à la reconnaissance de cette dette historique. C'est dans ce contexte que le Chili a ratifié la convention n°169 de l'Organisation internationale du travail qui doit entrer en vigueur le 15 septembre prochain, a-t-elle rappelé. Pour ce qui est de la reconnaissance constitutionnelle des peuples autochtones, la délégation a estimé que les efforts déployés à cette fin sont sur la bonne voie.

Le 7 avril dernier, le Sénat, après une vingtaine d'années, a approuvé l'idée de légiférer sur une réforme constitutionnelle qui reconnaîtrait expressément les peuples autochtones du Chili, a poursuivi la délégation. Du point de vue de son contenu, cette proposition de reconnaissance constitutionnelle constitue un grand pas en avant en ce sens qu'elle incorpore une série de thèmes qui, pendant de nombreuses années, n'ont pas pu être abordés: reconnaissance du caractère multiculturel de la société chilienne; reconnaissance du concept de «peuple»; reconnaissance des droits collectifs et individuels des peuples autochtones, de leurs communautés et organisations à préserver, renforcer et développer leur identité, leur culture, leur langue, leurs institutions et traditions et à participer à la vie économique, sociale, politique et culturelle du pays; enfin, reconnaissance de leurs coutumes, pour autant qu'elles ne contreviennent pas à la Constitution et aux lois nationales. Depuis le 13 avril dernier et jusqu'au 21 août – c'est-à-dire vendredi prochain – des consultations nationales sont menées pour recueillir les points de vues des organisations des peuples autochtones au sujet du texte approuvé par le Sénat, afin de les transmettre au Congrès national. Le Conseil de l'Office national de développement autochtone (CONADI) mène actuellement un processus de consultation, a ajouté la délégation.

En ce qui concerne la question des terres autochtones et la politique foncière de la CONADI, la délégation a souligné que nombreux sont ceux qui pensent que le problème des terres ne pourra être réglé que si son traitement est exempt de toute pression et si la résolution de ce problème est programmée sur plusieurs années. Pour cela, il convient de rétablir la confiance entre l'État et les communautés autochtones et d'améliorer constamment les méthodes de travail de la CONADI, a précisé la délégation. Elle a rappelé que la loi autochtone n°19.253, en son article premier, stipule qu'il est du devoir de la société en général et de l'État en particulier de respecter, protéger et promouvoir le développement des autochtones, de leurs cultures, de leurs familles et communautés, en adoptant les mesures adéquates à cette fin et de protéger les terres autochtones, de veiller à leur exploitation adéquate et à leur équilibre écologique. L'article 20 de cette loi crée un Fonds pour les terres et eaux autochtones, administré par la CONADI et ayant notamment pour objectif d'octroyer des subventions aux fins de l'acquisition de terres par des personnes ou communautés autochtones. La délégation a par ailleurs souligné que la direction d'une communauté autochtone peut demander à la CONADI de se pencher sur un problème de terres la concernant. Parmi les problèmes fonciers traités dans le cadre de l'application de la loi susmentionnée, figurent le problème des terres transférées à des familles et communautés autochtones durant la réforme agraire des années 1964-1973 et ensuite confisquées ou vendues par le régime militaire, ainsi que le problème des pertes de terres subies par les autochtones du fait des divisions, ventes ou cessions de droits ayant affecté leurs propriétés.

S'agissant de la loi sur l'espace côtier marin des peuples natifs, la délégation a rappelé que la loi portant création de l'espace côtier marin des peuples natifs a été publiée au Journal officiel le 16 février 2008; dans son article 16, cette loi prévoyait un délai de six mois à partir de sa date de publication pour l'élaboration de son règlement d'application. Ce règlement fut publié au Journal officiel le 26 mai 2009. Or, récemment, a expliqué la délégation, la Commission de la pêche du Sénat, saisie d'un projet de loi portant modification de la loi sur la pêche, a approuvé un texte soulignant que cet amendement apporté à la loi sur la pêche affectera les droits reconnus dans la loi sur l'espace côtier marin des peuples natifs. Néanmoins, a souligné la délégation, si le projet de loi portant modification de la loi sur la pêche prévoit la possibilité de relocaliser les concessions d'aquiculture existantes, cette relocalisation est soumise au respect de toutes les exigences prévues par la loi s'agissant d'une nouvelle demande et, en cas de conflit avec une demande présentée au titre de la loi sur l'espace côtier marin, c'est cette dernière qui prévaudra. Ainsi, il est clair que le projet de loi portant modification de la loi sur la pêche n'éteint pas l'effet des dispositions de la loi sur l'espace côtier marin.

La politique de santé interculturelle date de 1992 et se concrétise par l'intégration de facilitateurs interculturels bilingues dans les établissements de santé publique des régions ayant la plus forte concentration de population autochtone; par la mise en place de bureaux d'information; ainsi que par la revalorisation des pratiques sanitaires ancestrales, a poursuivi la délégation. Dans la ville de Nueva Imperial, dans la région de l'Araucanie, a été inauguré le premier hôpital interculturel du pays, a-t-elle ajouté.

S'agissant de l'application de la loi antiterroriste, la délégation a assuré que les gouvernements démocratiques du pays n'ont jamais appliqué cette législation à des demandes ou revendications sociales émanant de la population autochtone, mais seulement à des actes délictueux graves ayant provoqué des troubles publics. Cette loi est destinée à sanctionner des comportements délictueux graves et en aucun cas des catégories de personnes ou des groupes sociaux déterminés, a insisté la délégation. Entre 1999 et 2009, cette loi a été invoquée dans 16 affaires dont plusieurs concernent des personnes qui n'appartiennent pas à la population autochtone, a souligné la délégation. Sous l'administration chilienne actuelle, la loi antiterroriste n'a été invoquée qu'à deux occasions par le Gouvernement, s'agissant de faits violents délictueux ayant causé des troubles à l'ordre public, qui sont intervenus dans les régions du Biobió et de l'Araucanie. En outre, cette loi a été modifiée à diverses occasions sous les gouvernements démocratiques afin de garantir le droit à un procès équitable pour les personnes poursuivies en vertu de cette législation. La délégation a ajouté qu'un amendement a été apporté à cette loi afin de déclarer irrecevable toute déclaration émanant d'un témoin protégé sans que la défense n'ait pu exercer son droit au contre-interrogatoire de ce témoin.

Répondant à des questions sur la justice militaire, la délégation a souligné que la compétence de la justice militaire est l'un des principaux thèmes en suspens dans le cadre du processus de modernisation de l'administration de la justice au Chili. La tendance à limiter la compétence des tribunaux militaires dans les affaires civiles a été établie par plusieurs lois adoptées ces dernières années, a fait valoir la délégation. La suite logique de cette tendance est de progresser vers la réduction du champ de compétence de la justice militaire aux affaires purement militaires, ce qui signifie que la justice militaire, d'une manière générale, ne devrait porter que sur les seuls cas de militaires qui enfreignent gravement leurs principaux devoirs. Parallèlement, l'indépendance et l'impartialité de ces tribunaux militaires doivent être garanties. Aussi, a indiqué la délégation, le Gouvernement chilien a-t-il présenté au Congrès national, en juin 2007, un projet de loi visant à modifier substantiellement le Code de justice militaire pour ce qui est des questions de compétence juridictionnelle, afin que ne puissent relever de la justice militaire que les seuls militaires et en aucun cas des civils. Ce projet de loi se trouve actuellement à l'examen de la Commission de défense du Sénat, a fait savoir la délégation.


En ce qui concerne les Afro-descendants chiliens, la délégation a indiqué qu'ils sont au nombre de 3000 au Chili. Le pays compte en outre un nombre important d'immigrants originaires d'Afrique, a-t-elle ajouté. Hier, 13 août 2009, a été présenté à la Chambre des députés un projet de loi visant la reconnaissance de l'existence de l'ethnie afro-descendante et du droit des individus et communautés afro-descendants de préserver, renforcer et développer leur identité, leurs institutions et leurs traditions culturelles.

Le projet de loi antidiscrimination actuellement débattu devant le Sénat prévoit d'interdire expressément toute forme de distinction, d'exclusion, de restriction ou de préférence fondée sur des motifs de race, d'ethnie ou d'autres motifs, opérée par des agents de l'État ou par des particuliers et supprimant, perturbant ou menaçant l'exercice des droits établis dans la Constitution, dans la loi et dans les traités internationaux ratifiés par le Chili, a par ailleurs indiqué la délégation, ajoutant que du point de vue pénal, est considérée comme une circonstance aggravante la motivation de discrimination arbitraire d'un délit commis.

La délégation a par ailleurs indiqué qu'un processus de présentation de deux projets de loi visant à instaurer au Chili une institutionnalisation, indépendante des pouvoirs de l'État, de la promotion et de la protection des droits de l'homme est en cours. L'un de ces projets vise la création d'une institution nationale autonome visant la protection des droits de l'homme conformément aux Principes de Paris et l'autre la création d'un organe constitutionnel de défenseur du peuple.

Les traités internationaux ont un rang intermédiaire entre la Constitution et les autres lois nationales, a par ailleurs indiqué la délégation.


Observations préliminaires

Présentant des observations préliminaires à l'issue de cet examen, le rapporteur du Comité pour l'examen du rapport du Chili, M. ALEXEI S.AVTONOMOV, a salué les progrès réalisés par le Gouvernement chilien dans la lutte contre la pauvreté et l'indigence, notamment au sein des communautés autochtones. Il a relevé que le fossé se comble entre les revenus et les conditions de vie socioéconomiques des autochtones et ceux du reste de la société, rappelant à cet égard que les liens entre pauvreté et discrimination raciale sont évidents. M. Avtonomov a par ailleurs salué les progrès législatifs que pourrait constituer l'adoption de nombre de projets de lois en cours d'examen, s'agissant notamment de la reconnaissance des peuples autochtones et de l'ethnie afro-descendante. Il s'est également réjoui que le pays ait ratifié la convention n°169 de l'OIT sur les peuples autochtones et tribaux.

Des questions et des problèmes continuent de se poser et les recommandations que le Comité présentera dans ses observations finales seront utiles au Chili pour lui permettre de conforter la démocratie et de réaliser de nouveaux progrès en matière de lutte contre la discrimination raciale dans le pays, a estimé M. Avtonomov. Le Comité veillera à adapter ses recommandations à la situation réelle du pays, a-t-il assuré.

Toute en prenant note de l'information fournie par la délégation selon laquelle la loi antiterroriste a été appliquée à des non-autochtones, un autre membre du Comité a fait observer qu'il n'en demeure pas moins préoccupant que cette législation soit souvent utilisée contre des autochtones.

Eu égard au rôle pionnier qu'à joué le Chili dans le domaine de la reconnaissance des personnes d'ascendance africaine, la Présidente du Comité, Mme Fatimata-Binta Victoire Dah, a demandé au Chili d'œuvrer auprès de l'Assemblée générale des Nations Unies afin de faire accepter l'idée d'une décennie consacrée aux droits des personnes d'ascendance africaine.

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