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LE COMITÉ POUR L'ÉLIMINATION DE LA DISCRIMINATION À L'ÉGARD DES FEMMES EXAMINE LE RAPPORT D'HAÏTI

Compte rendu de séance

Le Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes a examiné aujourd'hui les mesures prises par Haïti pour se conformer aux dispositions de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes.

Présentant le rapport de son pays, Mme Marie Laurence Jocelyn-Lassègue, Ministre à la condition féminine et aux droits des femmes, a indiqué que les stéréotypes imprègnent encore très fortement les mentalités en Haïti, et cela en contradiction avec le rôle prépondérant que jouent les femmes dans l'économie et dans la famille. Aussi son ministère a-t-il entrepris une vaste campagne d'éradication des stéréotypes sexistes dans les écoles, les médias, la publicité. Par ailleurs, compte tenu du fait que le phénomène de la violence spécifique faite aux femmes est mal appréhendé, l'élaboration d'une loi-cadre sur toutes les formes de violence à l'égard des femmes, incluant la violence domestique, est prévue cette année. Par ailleurs, des décisions sont prises pour une réforme du système de sécurité sociale au profit d'une meilleure couverture des femmes. Dans le domaine sanitaire, une proposition de politique de santé pour les femmes tient compte tant des résultats obtenus que des difficultés rencontrées dans la mise en œuvre des plans et programmes de santé publique. Des stratégies susceptibles d'aplanir les contraintes dans les réponses à apporter aux besoins spécifiques des femmes sont à l'étude, a indiqué Mme Jocelyn-Lassègue.

La délégation de haut niveau d'Haïti était composée également de M. Kelly Bastien, Président de l'Assemblée nationale, et de Mme Adeline Chancy, ancienne Ministre à la condition féminine. Elle comptait en outre plusieurs représentants des Ministères de la condition féminine et des droits des femmes, de la santé et de la population et des affaires étrangères, ainsi qu'un journaliste. La délégation a répondu aux questions des membres du Comité s'agissant notamment des modalités de la coopération interministérielle autour du traitement et de la réparation des violations des droits des femmes, des mesures temporaires prises pour favoriser la participation des femmes, telle l'instauration de quotas, et sur les mesures prises pour augmenter le nombre de femmes à tous les échelons de l'administration publique.

La Présidente du Comité, Mme Naéma Gabr, a observé que la préparation d'un rapport engendre des conditions très propices à une interaction fructueuse entre les autorités et la société civile d'un pays. Le Comité espère que cet effort se prolongera en Haïti et se concrétisera par des progrès juridiques et matériels au bénéfice des femmes rurales notamment. Le Comité s'est félicité de l'engagement, du franc-parler et de la passion de la délégation, qui témoignent d'un véritable engagement politique.


Le Comité se réunira demain, à 10 heures, pour examiner le troisième rapport périodique du Cameroun (CEDAW/C/CMR/3).


Présentation du rapport d'Haïti

MME MARIE LAURENCE JOCELYN-LASSÈGUE, Ministre à la condition féminine et aux droits des femmes d'Haïti, a indiqué que l'égalité des sexes est consacrée par la Constitution haïtienne depuis 1987. Haïti a ratifié et signé plusieurs des instruments internationaux relatifs aux droits des femmes. Selon la Constitution, les traités et conventions ratifiés font partie du cadre juridique du pays et ont priorité sur les lois nationales. L'adoption d'une politique nationale d'égalité des sexes, prochaine étape pour le Gouvernement, sera assortie d'une loi d'égalité intégrant expressément la notion de discrimination fondée sur le sexe et l'obligation de non discrimination dans tous les domaines de la vie sociale. Avec la création du Ministère de la condition féminine et aux droits des femmes en 1994, l'État haïtien s'est doté d'un mécanisme national chargé d'assurer d'élaborer des politiques d'égalité et de promotion des droits des femmes, et de s'assurer de leur application; une Direction de coordination des Bureaux départementaux assure la décentralisation des politiques gouvernementales.

Mme Jocelyn-Lassègue a indiqué que les stéréotypes, c'est à dire la représentation sociale du rôle des femmes et des hommes, imprègnent encore très fortement les mentalités en Haïti, et cela en contradiction avec le rôle prépondérant que jouent les femmes dans l'économie et dans la famille. Intériorisés souvent par les femmes elles-mêmes, ces stéréotypes sont à la racine des comportements discriminatoires et, en conséquence, des violations spécifiques à l'égard des femmes. Le Ministère de la condition féminine a entrepris une vaste campagne d'éradication des stéréotypes sexistes dans les écoles, les médias, la publicité. Par ailleurs, compte tenu du fait que le phénomène de la violence spécifique faite aux femmes est mal appréhendé, l'élaboration d'une loi-cadre sur toutes les formes de violence à l'égard des femmes, incluant la violence domestique, est prévue cette année.

Dans la vie sociale et politique, les femmes sont très peu présentes, a ajouté Mme Jocelyn-Lassègue, bien que quelques unes aient accédé au plus hauts postes de l'État. Cependant, le maintien de mesures incitatives non contraignantes, tels les avantages économiques offerts aux partis politiques, ne suffira pas à renverser une situation déséquilibrée. La politique d'égalité des sexes prendra en compte des mesures temporaires spéciales qui s'imposent dans les cas de postes électifs (quota, formation et soutien direct aux candidatures) aussi bien que dans les cas de recrutement et de postes nominatifs, comme pour le recrutement dans la Police nationale. Dans le domaine de l'éduction, le protocole d'accord signé en 2007 par le Ministère à la condition féminine et le Ministère de l'éducation et de la formation professionnelle porte sur le maintien des filles à l'école et l'élimination des stéréotypes dans les manuels scolaires. L'un des résultats de cet accord a été d'obtenir que 50% des bourses scolaires sont attribuées aux filles.

Par ailleurs, des décisions sont prises pour une réforme du système de sécurité sociale au profit d'une meilleure couverture des femmes. Dans le domaine sanitaire, les statistiques soulignent la répartition inégale des ressources disponibles, selon le milieu rural ou urbain, et les difficultés matérielles du secteur. Le taux de mortalité maternelle, qui passe de 523 pour cent mille en 2003 à 630 pour cent mille en 2007, ainsi que la féminisation du sida, sont préoccupants. Une proposition de politique de santé pour les femmes tient compte tant des résultats obtenus que des difficultés rencontrées dans la mise en œuvre des plans et programmes de santé publique. Des stratégies susceptibles d'aplanir les contraintes réelles dans les réponses à apporter aux besoins spécifiques des femmes sont à l'étude, a indiqué Mme Jocelyn-Lassègue.

La Ministre a également esquissé un bilan des progrès réalisés depuis la soumission du rapport dans les domaines législatif et de la coopération internationale, ainsi qu'en matière de mise en place de mécanismes de soutien et de prise en charge sociomédicale des femmes, notamment au profit des femmes victimes de viol. À l'avenir, Haïti se donne notamment pour objectifs de mobiliser les plus hautes instances du pouvoir dans la mise en place de structures garantes de l'égalité entre hommes et femmes, de poursuivre son renforcement institutionnel et d'améliorer son cadre juridique, ainsi que de mobiliser la société civile et les institutions de l'État.

Le rapport d'Haïti (CEDAW/C/HTI/7, combinant les premier à septième rapports) indique, dans un état des lieux des discriminations faites aux femmes et des progrès enregistrés dans leur élimination, que la violence à l'égard des femmes en général, et en particulier la violence conjugale, ne font l'objet d'aucune législation spécifique. Le seul recours possible est celui des dispositions du Code civil (mauvais traitements et sévices, pouvant constituer une cause de divorce pour la femme mariée) et du Code pénal, sous les qualifications de coups et blessures volontaires, voies de fait, et sous la condition pour la répression qu'il en soit résulté une maladie ou incapacité de plus de vingt jours. Le viol et la tentative de viol, ainsi que le harcèlement sexuel, peuvent faire l'objet d'une plainte sur le fondement des dispositions du Code pénal relatives au viol et aux attentats aux mœurs avec la circonstance aggravante liée à la qualité de leur auteur - mais, dans la réalité, le harcèlement sexuel est pour ainsi dire toléré par la société et par l'État. Dans la pratique, outre l'atteinte à son intégrité physique, ce sont les préjugés défavorables à l'égard de la femme, la pression de l'auteur de la violence ou de sa famille, voire celle de la propre famille de la victime, qui la freinent dans son élan de saisine de la justice, par peur de représailles, ou par des scrupules a parler en public d'un sujet revêtant un caractère a la fois intime et humiliant.

Au niveau des coutumes et pratiques traditionnelles discriminatoires à l'endroit des femmes, on note que les religions ont tendance à prôner un traitement différent pour les femmes et les hommes, en prêchant la soumission de la femme dans les liens du mariage, en s'opposant à la reconnaissance légale des autres formes d'union, et en maintenant la non mixité dans les écoles. Par contre, la religion vodou a toujours admis les femmes dans la fonction de prêtresse, et celles-ci y jouent un rôle égal a celui des prêtres. Il n'existe pas en Haïti de pratique systématique de mariages forcés ou précoces. Toutefois, le règlement de cas de viols de mineures s'opère souvent par un mariage de la victime avec l'agresseur. Ce mariage arrangé par les parents s'effectue sous le prétexte de contraindre l'agresseur à offrir un gîte, un couvert, et de subvenir aux besoins de la victime ainsi qu'à ceux de l'enfant à naître. Ces arrangements se concluent parfois à l'insu du juge qui est déjà saisi d'une plainte, et qui s'oppose alors rarement a son retrait.

Entre autres mécanismes de promotion des femmes et de suivi de l'application de la Convention au plan national, le Ministère à la condition féminine et aux droits des femmes (MCFDF) a été créé en 1994 suite aux revendications des femmes et dans la mouvance de la préparation de la quatrième Conférence de Beijing (septembre 1995). Le Ministère a souffert de l'instabilité politique à laquelle le pays a été en proie, et son maintien est le fruit de la mobilisation des organisations de femmes. Le MCFDF, entité à caractère transsectoriel, est aujourd'hui bien implanté et s'emploie à la mise en œuvre de sa mission qui est «de formuler, d'appliquer, d'orienter et de faire respecter la politique du Gouvernement, en œuvrant à l'émergence d'une société égalitaire pour ses composantes des deux sexes; d'orienter la définition et l'exécution des politiques publiques équitables à l'échelle nationale». Les moyens financiers du MCFDF. En 2004 le budget de fonctionnement alloué au MCFDF était de treize millions de gourdes; en 2007, ce budget est passé à 44 millions de gourdes. Les grandes lignes de la politique nationale d'égalité, contenues dans les positions de principe énoncées dans la Politique générale du Gouvernement et dans celles que définit le MCFDF, au nom du Gouvernement, dans son programme ministériel sont notamment de concevoir et mettre en application une politique d'égalité des sexes basée sur la généralisation de l'analyse des rapports sociaux de sexe, en vue d'assurer un développement durable; et d'assurer par des actions spécifiques la promotion et la défense des droits des femmes. Le rapport attire aussi l'attention sur l'importance de la société civile, notamment les organisations de femmes et féministes, qui ont toujours été à l'origine des grandes luttes pour la promotion des droits des femmes.


Examen du rapport

Cadre général d'application de la Convention, coordination de l'action, mesures temporaires

Un membre du Comité a observé que le rapport d'Haïti n'a pas été soumis dans les délais impartis, reconnaissant cependant le cheminement ardu et douloureux du peuple haïtien expliquant sans doute ce retard. L'experte a demandé si un mécanisme était prévu pour garantir à l'avenir la présentation dans les temps des documents requis. Elle a par ailleurs souligné l'importance de disposer d'une définition de la discrimination. Elle a demandé si la rédaction du projet de loi contenant une telle définition est prête et si, le cas échéant, cette définition correspondra à celle figurant dans la Convention. La lecture du rapport et de sources extérieures indique que les femmes haïtiennes ne connaissent pas leurs droits, d'une manière générale, a observé l'experte, qui a demandé quelles mesures spécifiques sont ou seront prises à cet égard. D'autre part, la loi haïtienne contient encore des dispositions manifestement discriminatoires: existe-t-il une vraie volonté politique, notamment au niveau du cabinet du Premier ministre, de faire voter des lois abolissant ces dispositions, a enfin demandé l'experte.

D'autres membres du Comité se sont demandé dans quelle mesure le pouvoir judiciaire est bien conscient des obligations internationales d'Haïti dans le domaine du respect des droits de l'homme, et quelles mesures sont prises pour sensibiliser la population, et les femmes en particulier, au contenu des lois. Il a aussi été demandé si les femmes ont pleinement accès aux procédures judiciaires visant à garantir leurs droits. Une experte a demandé dans quelle mesure les policiers connaissent la procédure à suivre lorsqu'une femme se présente pour déposer plainte pour violation de l'un de ses droits.

Le rapport indique que le mandat du Médiateur national est très limité: l'État envisage-t-il de le renforcer, compte tenu de son rôle potentiel en faveur des femmes, a demandé un membre du Comité.

Une experte a demandé quelles étaient les modalités de la coopération multisectorielle indispensable au traitement et à la réparation des violations des droits des femmes. D'autres questions ont porté sur l'existence d'un organisme intersectoriel de suivi des initiatives gouvernementales, sur le degré de volonté politique à l'appui de l'action du Ministère de la condition féminine, et sur l'accès de ce Ministère aux sources de financement.

Une experte du Comité a relevé les mesures ponctuelles prises pour favoriser la participation des femmes, notamment pas l'instauration de quotas. La réflexion des autorités a-t-elle déjà porté sur l'application de mesures temporaires spéciales? Quelles mesures sont-elles envisagées par le Gouvernement pour remédier aux insuffisances de la loi électorale s'agissant de la participation des femmes?

Répondant aux questions du Comité, la délégation a indiqué que la définition de la discrimination n'est pas inscrite dans les textes, qui contiennent néanmoins le principe de l'égalité entre les sexes. Le projet de loi contiendra une définition conforme à la Convention a ssuré la délégation. Elle a aussi indiqué que l'assistance judiciaire fait l'objet de mesures officielles de généralisation et de gratuité sur l'ensemble du territoire. Haïti a donné préséance au droit international sur son droit interne: tous les instruments ratifiés deviennent ipso facto opposables en droit interne.

La Convention a été traduite en langue créole, a indiqué la délégation, de même que toute une documentation indispensable au respect des droits des femmes. Le Ministère de la justice a tenu, en 2008, quatre réunions avec les procureurs et chefs de juridiction afin de prolonger et de donner corps à l'effort de vulgarisation des principes contenus dans les Conventions. Un Conseil supérieur du pouvoir judiciaire a été institué afin de prendre une certaine distance avec les services exécutifs qui supervisaient traditionnellement la justice.

Une formation systématique de l'appareil judiciaire et de la police est menée, en collaboration avec le Ministère de la condition féminine, afin d'assurer le bon accueil de femmes et la prise en compte effective de leurs doléances.

La délégation a indiqué que le Ministère de la condition féminine a été créé pour coordonner l'action de l'État en matière de droits des femmes. Le Ministère a également pour mission de faire connaître le contenu de la Convention. Il lance pour ce faire des campagnes permanentes et ponctuelles, axées sur les campagnes et les villes. Une autre action consiste à institutionnaliser les enseignements dans ce domaine. Cependant, dans un pays où tous les problèmes sont prioritaires, on peut parfois avoir l'impression que les droits des femmes ne bénéficient pas de toute l'attention nécessaire, a admis la délégation. Quoi qu'il en soit, le Gouvernement s'implique activement dans l'élaboration d'une politique d'égalité entre les sexes, dont la première concrétisation sera une Loi sur l'égalité. Les lois encore discriminatoires vont être soumises à révision.

La délégation a indiqué que la ratification du Protocole facultatif à la Convention sera soumise ce printemps au Parlement national.

Répondant à d'autres questions, la délégation a rappelé l'importance du plan de concertation nationale et systématique autour de la violence contre les femmes, lancé il y a quatre ans, impliquant la société civile, les ministères et des institutions internationales. Au terme de ce processus de consultation, la violence contre les femmes fera l'objet d'une loi spécifique améliorant encore la situation issue du décret adopté en 2005, et qui criminalisait pour la première fois le viol en Haïti. Entre-temps, certains nouveaux protocoles interministériels facilitent d'ores et déjà le dépôt des plaintes pour viol. Le Ministère de la santé a ainsi mis en œuvre, dans le cadre d'un partenariat entre trois ministères, un train de mesures pour assurer la prise en charge médicale et psychologique de femmes violées, avec établissement d'un certificat médical gratuit, mise à disposition d'un protocole de soins visant à offrir un test de dépistage contre le VIH en particulier, préparation d'un kit de prophylaxie de base et octroi d'un soutien psychosocial.

Il a été déterminé que l'efficacité des Bureaux départementaux est insuffisante, a admis la délégation. Les budgets prévoient désormais la présence d'une personne par bureau chargée de faire connaître les droits des femmes.

La transversalité est une préoccupation constante du Ministère de la condition féminine qui, comme en témoigne la présence à sa tête de femmes engagées, bénéficie de l'engagement de l'État à cet égard.

La société civile revendique depuis longtemps l'application d'une véritable structure de l'égalité entre les sexes, a indiqué la délégation. Le Gouvernement a pris cette revendication à son compte et proposé une structure complète à quatre niveaux, de l'affirmation d'une politique générale d'égalité des sexes à la mise en place d'un conseil consultatif de la condition des femmes, en passant par l'action au niveau ministériel et la coordination et l'appui technique par le biais de feuilles de route. Le conseil consultatif serait notamment chargé de travailler, en collaboration étroite avec les organisations de la société civile, sur des indicateurs reflétant l'impact réel des politiques d'action, a expliqué une experte de la délégation haïtienne.

La délégation a confirmé le décalage entre les responsabilités des femmes haïtiennes et leur absence de l'espace politique et judiciaires, et ce en dépit du travail des organisations de femmes pour abattre les obstacles traditionnels à leur participation. Dans ces conditions, le Ministère travaille sur une proposition de quotas, compte tenu des enseignements tirés d'expériences d'autres pays dans ce domaine. Ajoutée aux recommandations du Comité, cette réflexion devrait porter des fruits, a estimé la délégation, et permettre aux femmes de franchir les obstacles qui demeurent. Mais la présence des femmes comme des hommes dans la fonction publique dépend aussi de leur formation, a observé la chef de délégation. Quant à l'application d'un quota de 30% dans le secteur des travaux publics, très intensif en main-d'œuvre, il a notamment permis de réduire la féminisation du chômage. Au plan de la gestion des carrières, les femmes de la fonction publique sont souvent reléguées aux fonctions subalternes. On s'efforce de renforcer la présence des femmes aux niveaux intermédiaires de l'administration publique, en mettant l'accent d'une part sur l'éducation, d'autre part sur les promotions internes dans le respect du principe de salaire égal à travail égal. À cet égard, les autorités suivent de près l'action des organisations de femmes auprès des employeurs du secteur privé.

Le Gouvernement a pris des mesures temporaires spéciales suite aux conséquences des cyclones qui ont dévasté le pays. Une aide spéciale et prioritaire a été accordée aux femmes et aux enfants. Un certain nombre de femmes de la «Cité Soleil» ont d'autre part eu accès à des crédits et à des bourses scolaires pour leurs enfants. Les mesures temporaires de correction des inégalités sont fortement encouragées par le Ministère de la condition féminine, qui bénéficie du soutien de la Première ministre et des autres ministères.

Lutte contre la violence, les stéréotypes, la discrimination, la traite

Une experte du Comité a déclaré que les stéréotypes sont à la fois des symptômes et des causes directes des violences commises contre les femmes. L'experte a demandé si une évolution de ces stéréotypes est perceptible chez les hommes, mais aussi dans l'esprit des femmes d'Haïti. Des stratégies spécifiques ont-elles été déployées en direction des hommes et des femmes?

Plusieurs expertes ont demandé si Haïti avait été en mesure de publier de nouveaux manuels scolaires et de former des enseignants capables de fournir un enseignement autonome par rapport aux stéréotypes qui pourraient être véhiculés par certains «manuels problématiques», le cas échéant. Compte tenu du taux d'illettrisme très élevé, surtout chez les femmes, comment les autorités envisagent-elles de lutter contre les stéréotypes?
D'autre part, l'intolérance raciale en Haïti s'ajoute-t-elle à la discrimination contre les femmes?

Une experte a demandé comment la loi sur les violences s'articule avec la loi générale sur l'égalité, notamment sous les aspects de la protection des victimes, du niveau des sanctions et de la formation des magistrats.

La délégation a indiqué que l'instrument fondamental de la politique d'éradication de la violence est la consultation nationale déjà évoquée. La préoccupation du Gouvernement est telle dans ce domaine qu'il est parfois accusé de ne s'occuper de rien d'autre. Au niveau des sanctions, le leitmotiv des associations de femmes est «les femmes osent parler», ce qui explique sans doute, pour partie, l'augmentation du nombre des dénonciations et, donc, des condamnations. Le décret de 2005 a permis de renforcer les sanctions pénales pour viol, a-t-il été rappelé. L'accueil dans les commissariats a été amélioré grâce à une formation spécifique des policières et policiers, sur un modèle inspiré d'expériences brésiliennes. Les victimes de viol sont d'autre part prises en charge par des services spécialisés des hôpitaux. Quant aux budgets, ils sont encore insuffisants et Haïti doit compter sur des partenariats avec des pays donateurs. Cependant, la désignation d'une agente par circonscription devrait améliorer l'action de l'État.

La lutte contre les stéréotypes est menée avec une aide de la France. Dans ce domaine, l'action doit porter sur les manuels et sur la formation du corps enseignant. Parmi d'autres protocoles interministériels, une équipe des Ministères de l'éducation et de la condition féminine se penche actuellement sur le contenu des manuels scolaires; d'autres projets concernent, par exemple, la modification de l'image stéréotypée des femmes véhiculée pendant les festivités du carnaval. Les autorités veillent à ce que leurs directives dans ces domaines soient suivies au niveau local.

La situation des enfants domestiques, si elle est réglée du point de vue strictement juridique, est toujours problématique, compte tenu des habitudes et traditions, a reconnu la délégation. L'Institut du bien-être social doit ainsi procéder régulièrement à la remise à leur famille d'enfants mineurs domestiques soumis à des actes de violence.

La délégation a également indiqué que le Ministère de la condition féminine travaille à l'octroi d'une protection sociale pour les prostituées, qui font partie des groupes de femmes les plus vulnérables. La réflexion du Ministère porte sur une double vision de la prostitution, comme travail et comme délit. Un recensement des personnes prostituées a donné lieu à l'établissement d'un fichier et à la prise de mesures de protection des femmes concernées, notamment au plan sanitaire.

Le Ministère agit par ailleurs contre la traite des êtres humains en s'inspirant de sa propre activité dans le domaine de violence contre les femmes, soit la concertation nationale déjà mentionnée. La traite est essentiellement due à la pauvreté. Un plan national de protection de l'enfance vulnérable, surtout en zones rurales, a été mis sur pied pour limiter l'envoi d'enfants en domesticité, en Haïti ou à l'étranger. Des mesures très concrètes de contrôle sont aussi prises aux frontières, avec l'aide de l'ambassade de France.

Répondant à des questions complémentaires posées par des membres du Comité, la délégation a souligné que la traite des êtres humains est associée à la contrainte et la restriction de la liberté d'une personne, ce qui doit être distingué du fait, pour des parents, de confier leurs enfants à des tiers afin qu'ils leur procurent une éducation. Cependant, cette pratique donne parfois lieu à des abus assimilables à la traite proprement dite.

Les lois sur l'égalité étant en chantier, il est difficile de se prononcer sur leurs intitulés et formulation précis, a aussi précisé la délégation. L'avant-projet de «loi sur la violence spécifique faite aux femmes» couvrira toutes les formes de violences, et prévoira des mesures de sanction et de réinsertion des coupables ainsi que de réparations aux victimes.

La délégation a confirmé que les budgets actuels consacrés à l'égalité sont insuffisants, ce qui rend nécessaire la recherche de coopération externe. Les partenaires approchés dans ce contexte doivent prendre en compte les priorités d'Haïti. Mais il n'y a pas que le problème du financement: l'action du Ministère de la condition féminine est aussi freinée par les autres priorités des autorités - notamment dans le domaine de la réduction de la dette. Aussi doit-elle sans cesse faire valoir l'importance de sa mission pour obtenir les arbitrages favorables à son propre programme.

Le suivi de la signature et de la ratification des instruments et traités internationaux par Haïti est parfois chaotique, compte tenu de ressources très limitées, a admis la délégation en réponse à l'observation d'un membre du Comité. Elle a ajouté que des mesures strictes de rassemblement de moyens financiers et humains vont être prises par le Parlement dans ce domaine.

Participation à la vie politique

Des experts du Comité ont observé que les femmes sont encore à peu près absentes de la vie politique haïtienne, et ont demandé quelles mesures sont prises pour lever les obstacles à cet égard. Le Gouvernement devrait montrer l'exemple en assurant un meilleur partage des postes de pouvoir. Dans ce contexte, des objectifs concrets ont-ils été fixés pour augmenter le nombre de femmes à tous les échelons de l'administration publique, en particulier aux postes décisionnels et dans la diplomatie?

La délégation a indiqué à cet égard que les constatations du rapport sont encore d'actualité, malgré les efforts du Ministère de la condition féminine dans le domaine de l'encadrement des femmes. Le Ministère a constaté que les mentalités et l'organisation administrative constituent des freins à l'engagement des femmes, les partis politiques notamment préférant renoncer aux avantages offerts par l'application du quota de représentation de 30% de femmes plutôt que de s'y prêter. D'autres obstacles sont la violence, le fait que les femmes sont chefs de ménage et le poids de la religion. Cependant, un intérêt est perceptible au sein de la population pour une meilleure participation des femmes. Une loi sur les quotas devra de toute évidence être adoptée, les mesures incitatives actuelles étant inopérantes. L'État haïtien pourra ainsi assurer une présence réelle des femmes au gouvernement et dans les listes électorales, a estimé la délégation.

Parité en matière de nationalité

Un expert du Comité a demandé si les dispositions du Cod'Haïtien en matière d'acquisition, de transmission et de perte de la nationalité par les hommes et par les femmes sont conformes à l'esprit de la Convention.

La délégation a répondu à cette question en indiquant que la nationalité en Haïti est liée au sang (jus sanguinis), il suffit donc d'avoir un père haïtien ou une mère haïtienne pour devenir ressortissant. Une femme étrangère mariée à un haïtien devient automatiquement ressortissante. Par contre, l'enfant né à l'étranger d'un parent haïtien a le choix d'une nationalité à sa majorité, Haïti n'admettant pas encore la double nationalité. Une réflexion est en cours pour faire évoluer d'ici à quelques mois la Constitution d'Haïti en matière de double nationalité.

Éducation

Une experte du Comité s'est félicitée de la franchise du rapport concernant les difficultés rencontrées par Haïti dans le domaine de l'éducation. L'experte a voulu savoir comment le Gouvernement peut garantir que le principe de scolarité gratuite est bien appliqué dans les régions rurales. L'experte a demandé des précisions chiffrées sur les effets de cette gratuité, ainsi que sur les mesures correctives prises par les autorités face à l'ampleur de l'abandon scolaire des fillettes et aux disparités éducatives entre zones rurales et urbaines. Une autre experte a évoqué des lacunes dans la formation des enseignants et le financement des services, observant qu'il s'agit là de problèmes perceptibles à l'échelle du continent. L'experte a demandé quels sont les premiers résultats des plans en faveur de l'éradication des stéréotypes sexistes dans les manuels scolaires menés depuis deux ans, et s'il est possible d'imaginer des mesures pour mettre immédiatement fin à la persistance de ces préjugés.

La délégation a affirmé que l'éducation constitue une priorité pour l'État haïtien. Le programme de formation des instituteurs et institutrices intègre une approche sexospécifique. Le maintien des filles et des filles mères à l'école passe par l'octroi de bourses ciblées. Les manuels scolaires sont conçus par le secteur privé, mais leur publication dépend de l'aval du Ministère de l'éducation. La délégation a confirmé que garçons et filles continuent de choisir des filières «traditionnelles» en fonction de leur sexe. L'action du Gouvernement vise actuellement à la rétention des filles dans l'enseignement secondaire supérieur et à leur orientation vers les filières occupées jusqu'ici par les garçons. D'autre part, les hommes sont nettement plus présents que les femmes dans l'enseignement universitaire. Haïti a besoin de ressources et d'appuis pour mener à bien ses politiques éducatives et pour réduire l'écart scolaire entre garçons et filles, ruraux et citadins. Haïti ne peut en effet consacrer que 8% de son budget à l'éducation, en regard des 25% préconisés.

Emploi

Une membre du Comité a demandé des précisions sur les mesures prises par l'inspection générale du travail et sur le résultat de ses enquêtes administratives. D'autres questions ont porté sur la mesure dans laquelle les dispositions du Code du travail en matière d'interdiction de la discrimination au travail sont réellement appliquées, sur la lutte contre le harcèlement sexuel au travail, sur la protection des femmes occupant des emplois précaires - notamment dans le domaine de l'assurance maternité -, et sur le problème du travail des fillettes placées comme domestiques, privées ainsi de l'accès à l'école.

La délégation a indiqué que les femmes sont effectivement employées dans les secteurs les plus difficiles. L'État s'efforce de mettre en œuvre des lois permettant de garantir leur protection dans ces conditions. La précarité des femmes sur le marché du travail est prise en compte par la loi sur le travail, qui met en œuvre un service chargé d'assurer du respect de leurs droits sur le lieu de travail. Les femmes bénéficient le cas échéant d'un appui juridique. Le Code du travail ne contient pas de disposition concernant le harcèlement sexuel, a indiqué la délégation, mais une refonte du Code est en chantier. Entre-temps, certains Bureaux régionaux préconisent et appliquent des mesures concrètes de lutte contre cette forme de violence. Le Ministère des affaires sociales veille par ailleurs à ce que toutes les femmes employées dans le secteur formel aient accès à l'assurance maternité et encourage les femmes du secteur informel à cotiser volontairement à ce régime.

Santé

Une membre du Comité a demandé les raisons de l'augmentation du taux de mortalité maternelle depuis six ans, dans le contexte d'une diminution des autres taux de mortalité, voulant savoir si l'avortement joue un rôle dans cette mauvaise statistique et quelles mesures de protection sont prises au profit des femmes enceintes. D'autres questions ont porté sur le prix et l'accessibilité des moyens contraceptifs, notamment dans la population rurale; sur les tendances de l'incidence du VIH/sida et d'autres maladies sexuellement transmissibles; sur le rôle de l'avortement en tant que moyen de contrôle des naissances; et sur la criminalisation de l'avortement.

La délégation a expliqué l'augmentation du taux de mortalité maternelle en Haïti par les infections, par les barrières économiques et, surtout, par le poids de l'avortement. Certains facteurs extrasanitaires n'ont pas été traités correctement, notamment dans la prise en compte des délais pour la fourniture de soins obstétricaux d'urgence; en outre, la majorité des accouchements intervient à domicile, ce qui empêche des interventions pointues en cas de complications. Des paquets de prestations sont offerts en matière de soins à la mère et à l'enfant (vaccination par exemple). La délégation a précisé que si l'avortement est toujours interdit, l'État prend néanmoins en charge les prestations en cas de complications des suites d'un avortement. L'État offre par ailleurs aux femmes enceintes des suites d'un viol la pilule dite du lendemain. D'autre part, la commercialisation des préservatifs est assurée par les autorités publiques et ce à un prix abordable. Enfin, le VIH touche en majorité des femmes, ce qui s'explique par son mode de transmission essentiellement hétérosexuelle dans le pays. On constate cependant, depuis quelques années, une diminution progressive de la prévalence du VIH chez les femmes suivies en cliniques prénatales. L'abstinence comme méthode de prévention di VIH est inopérante en Haïti comme dans toutes les Caraïbes, a précisé la délégation.

Prestations sociales, accès au crédit, femmes rurales, égalité devant la loi, égalité dans le mariage

Répondant à d'autres questions la délégation a indiqué que l'assurance sociale haïtienne est à deux vitesses: un volet est destiné aux fonctionnaires du secteur public, avec prélèvements à la source; un autre volet concerne les employés du privé, centré autour d'un régime de cotisations d'assurance-vieillesse, à raison de 12% du salaire brut (à parité entre employeur et employé). L'assurance maternité existe depuis 1967 en Haïti: les femmes ont droit à trois mois de congé maternité rétribué.

Une loi sur le concubinage, qui concerne la grande majorité des femmes rurales du pays, va améliorer leur couverture sociale et leurs droits. Dans le même sens, les autorités procèdent à une collecte de données concernant la situation particulière des femmes rurales, afin de pouvoir donner des précisions à ce sujet dans le prochain rapport au Comité.

Les femmes haïtiennes ont d'autre part accès au crédit indépendamment de leur mari. Cependant, les conditions réelles d'accès aux prêts sont difficiles, comme pour toutes les personnes de condition modeste, compte tenu des exigences en matière de garanties. Des projets d'octroi de microcrédits à l'intention des femmes des zones rurales désireuses de créer leur propre entreprise ont été lancés.

La délégation a enfin précisé que la vacance à la tête de la Cour de cassation, déplorée par plusieurs membres du Comité, n'empêche pas l'activité des différents niveaux décisionnels. Seule la fonction spécifique de Vice-Président du Conseil supérieur de la magistrature, dévolue au président de la Cour de cassation, rend problématique cette vacance. Mais le Conseil supérieur de la magistrature va être remplacé par un Conseil du pouvoir judiciaire, structuré différemment.

La délégation a aussi indiqué qu'une loi sera adoptée pour confirmer de manière expresse la pratique actuelle de majorité du mariage fixée à 18 ans pour les deux sexes, a-t-il été précisé en réponse à une interrogation sur une éventuelle discrimination à cet égard. La chef de délégation a rappelé que suite à la criminalisation du viol par décret en 2005, il n'est plus possible aux magistrats d'ordonner le mariage de la victime avec son agresseur à titre de réparation, comme cela se produisait auparavant.

Une experte ayant observé que la loi sur la protection des femmes contre le viol dans le mariage, très récente, doit s'accompagner d'un travail de sensibilisation et d'information, la délégation a indiqué qu'une campagne de sensibilisation a été lancée dans les médias afin de faire prendre conscience aux femmes des droits dont elles jouissent désormais. La délégation s'est déclarée consciente des lacunes que présente encore la loi actuelle en matière de discrimination contre les femmes, assurant que les mesures de révisions juridiques en cours contribueront d'aplanir ces difficultés.


Conclusion

MME MARIE LAURENCE JOCELYN-LASSÈGUE, Ministre à la condition féminine et aux droits des femmes, a fait part de l'émotion de sa délégation suite à la présentation du rapport, fruit de plusieurs années de travail dans des conditions très difficiles marquées par l'urgence et les catastrophes. Haïti compte sur l'appui du Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes pour l'aider à rendre aux femmes haïtiennes ce qui leur revient dans la vie politique, parlementaire et administrative du pays.

MME NAÉMA GABR, Présidente du Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes, a confirmé que la préparation d'un rapport engendre des conditions très propices à une interaction fructueuse entre les autorités et la société civile d'un pays. Le Comité espère que cet effort se prolongera et se concrétisera par des progrès juridiques et matériels au bénéfice des femmes rurales notamment. Le Comité se félicite enfin de l'engagement, du franc-parler et de la passion de la délégation, qui témoignent d'un véritable engagement politique.


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CEDAW09007F