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LE KENYA RÉPOND AUX QUESTIONS DU COMITÉ CONTRE LA TORTURE

Compte rendu de séance

Le Comité contre la torture a entendu, ce matin, les réponses apportées par la délégation du Kenya aux questions qu'il lui avait adressées hier matin s'agissant des mesures prises par le pays pour se conformer aux dispositions de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Conduite par Mme Amina Mohamed, Secrétaire permanente au Ministère des affaires étrangères du Kenya, la délégation a notamment reconnu que l'incorporation des dispositions de la Convention contre la torture dans le droit interne n'est pas complète, notamment s'agissant de la définition du crime de torture. Mais le Gouvernement reconnaît cette difficulté et est engagé à adapter le droit interne aux exigences de la Convention. Il prépare un plan national d'action en matière de droits de l'homme, qui permettra de régler le problème des disparités qui figurent encore dans la législation. La délégation a aussi précisé que les plaintes contre le comportement de la police doivent être recensées puis transmises par la voie hiérarchique, les lésions constatées par un médecin et les fonctions des policiers incriminés suspendues jusqu'à la fin de l'enquête. Un procès pénal est établi si l'enquête montre qu'un délit a été commis; des sanctions administratives sont également possibles, qui vont du blâme au renvoi. Les autorités kényanes accordent la plus grande importance à la nécessité de mener des enquêtes promptes et impartiales sur les allégations de torture. Elles escomptent, dans ce contexte, que l'opérationnalisation de l'organe de surveillance des activités de la police permettra d'améliorer la qualité des enquêtes. La police est responsable de ses actes, mais aussi de son inaction le cas échéant, a fait valoir la chef de la délégation.

Les rapporteurs du Comité pour l'examen du rapport du Kenya, Mme Nora Sveaass et M. Xuexian Wang, ont notamment relevé que les abus du passé récent en matière d'extradition doivent être traités afin d'éviter qu'ils ne se reproduisent, et des dédommagements octroyés aux personnes concernées. À ce titre, le risque de subir des tortures doit être pris en compte lors de l'examen des demandes d'expulsion. La question a été posée de savoir si le Kenya met en œuvre un plan de sécurité nationale lui permettant d'évaluer les menaces pesant sur lui et d'appliquer des mesures de protection adaptées à cet égard. D'autre part, il est bon que les autorités aient décidé de mener des enquêtes approfondies au sujet, entre autres, des violences commises au Mont Elgon et dans la période post-électorale en 2007. Il n'est dans ce contexte pas nécessaire que toutes les allégations se révèlent exactes: une seule suffit pour motiver les enquêtes, a-t-il été souligné. Le Comité se déclare par ailleurs très sensible à l'action du Kenya en faveur des réfugiés.

Le Comité adoptera en séance privée des observations finales sur le rapport du Kenya, qu'il rendra publiques à la fin de la session, le vendredi 21 novembre, en même temps que ses observations finales concernant les autres rapports examinés au cours de cette session, dont celui du Kenya était le dernier au calendrier de cette session.


À 15 heures cet après-midi, le Comité se penchera sur le suivi de l'examen de communications faisant état de violations, par un État partie, des dispositions de la Convention contre la torture.


Examen du rapport du Kenya

Réponses de la délégation

Conduite par MME AMINA MOHAMED, Secrétaire permanente au Ministère des affaires étrangères du Kenya, a indiqué que le premier rapport du Kenya depuis que le pays a accédé à la Convention en 1997 a été rédigé en collaboration avec de nombreuses organisations de la société civile et de la Commission nationale des droits de l'homme, sous l'impulsion du Ministère de la justice et avec l'appui technique du Danemark, notamment.

L'incorporation dans le droit interne des dispositions de la Convention contre la torture n'est pas complète, a admis la délégation, notamment au chapitre des délits et de la définition du crime de torture. Le Gouvernement reconnaît cette difficulté et est engagé à adapter le droit interne aux exigences de la Convention. Le Kenya est confronté au même problème avec les autres instruments internationaux qu'il a ratifiés. Le Gouvernement met en ce moment la dernière main à l'adoption d'un Plan national d'action en matière de droits de l'homme, permettant en particulier de régler, d'un même mouvement, toutes les disparités juridiques dans ce domaine. Un expert juridique de la délégation a notamment indiqué à cet égard que le Plan d'action abordera la question de l'âge de la responsabilité pénale, actuellement fixé à 8 ans au Kenya.

Les plaintes contre le comportement de la police doivent être recensées puis transmises par la voie hiérarchique, a indiqué la délégation. Les lésions doivent être constatées par un médecin et les activités des policiers incriminés sont suspendues jusqu'à la fin de l'enquête. Un procès pénal est intenté si l'enquête montre qu'un délit a été commis. D'autres sanctions administratives sont possibles, qui vont du blâme au renvoi des forces de police. En 2007, 224 officiers de police ont ainsi été soumis à des sanctions administratives. La détention de personnes dans des unités de détention spéciales est régie par la loi. Les suspects doivent être présentés devant un officier de police de rang supérieur dans les 24 heures. Les inscriptions au registre d'écrou doivent mentionner l'état de santé des détenus.

La nécessité de mener des enquêtes promptes et impartiales sur les allégations de torture est considérée comme étant de la plus haute importance par les autorités kényanes. Elles escomptent dans ce contexte que l'opérationnalisation de l'organe de surveillance des activités de la police permettra d'améliorer la qualité des enquêtes. L'équipe spéciale créée pour enquêter sur les allégations de violences sexuelles commises pendant les troubles post-électoraux en 2007 bénéficie de l'aide d'organisations de la société civile, qui lui permettra de mieux remplir sa mission. L'équipe spéciale force sera chargée de formuler des recommandations générales sur le comportement des officiers de police. Elle a ouvert des antennes dans plusieurs provinces du pays et a ouvert 44 dossiers d'instruction contre des personnes soupçonnées de crimes.

Le Kenya étant un grand pays, et les magistrats instructeurs étant localisés dans un nombre limité de juridictions, il se pose un problème de transport pour mener les instructions, a reconnu la délégation.

La corruption est problématique au Kenya, en particulier au sein des forces de police. Les autorités ont pris des mesures énergiques contre le phénomène, notamment au plan juridique. Quant aux rapports indépendants publiés par plusieurs organisations au sujet des comportements de la police, ils ne sont pas toujours fiables, a déclaré la délégation. En particulier, l'accusation selon laquelle les policiers seraient responsables de 500 disparitions forcées est infondée. Cependant, les autorités ont pris des mesures juridiques contre les policiers dont le comportement a pu donner lieu à des plaintes.

Le formulaire d'examen médical «P3» exigé pour porter plainte contre des mauvais traitements par la police est gratuit, a assuré la délégation, qui a toutefois reconnu qu'il est arrivé que des médecins fassent payer l'établissement de ce formulaire. Des solutions à ce problème sont recherchées en collaboration avec le Ministère de la santé.

Le Kenya compte aujourd'hui 44 000 personnes détenues dans ses prisons, dont la capacité n'est que de 16 000 places. Plus de trois mille d'entre elles sont condamnées à mort, dont six femmes. L'application de la peine de mort est actuellement suspendue au Kenya. Les prisonniers concernés sont informés de leurs droits et de la possibilité de bénéficier d'une assistance juridique.

Les mesures de lutte contre la surpopulation sont notamment les remises de peine, la libération sous caution et les travaux d'utilité publique. Cinq nouvelles prisons sont en construction, plusieurs établissements étant en cours de réfection. Les sentences sont examinées par un Conseil permanent. Un service d'inspection des prisons est chargé de vérifier les conditions, notamment sanitaires, dont bénéficient les personnes détenues. L'accès aux prisons est ouvert aux familles; les autres visiteurs doivent demander une autorisation. Aucune organisation dûment accréditée ne s'est vue refuser l'accès aux prisons, a assuré la délégation. Les visites de magistrats ne sont pas fréquentes, a observé la délégation. Cinquante-quatre plaintes pour torture ont été déposées devant les tribunaux. Un fonctionnaire de prison soupçonné de ce délit est suspendu jusqu'à sa mise hors de cause. L'accès des détenus aux services médicaux est prévu par la loi sur les prisons. Cependant, on ne compte que cinq médecins, détachés du Ministère de la santé, dans tout le système pénitentiaire, a indiqué la délégation: il n'est donc pas possible de recenser l'état de santé de chacune des personnes incarcérées. Les cas médicaux exigeant des soins spécialisés sont traités dans les hôpitaux civils régionaux.

Le personnel des prisons reçoit une formation de base ainsi qu'une formation continue dans le domaine des droits de l'homme, a indiqué la délégation. La loi sur les prisons régit le comportement des gardiens envers les détenus. Il est notamment précisé qu'aucun fonctionnaire ne doit user arbitrairement de son pouvoir pour punir des détenus. La dénonciation de violences et brutalités entraîne une enquête interne, éventuellement une enquête de police, avec des sanctions disciplinaires pour les coupables et une remise de peine pour le détenu. Les autorités carcérales s'efforcent de séparer les détenus vulnérables des autres détenus, ce qui est difficile compte tenu du surpeuplement des prisons. Les prisonniers ayant besoin de béquilles ou cannes sont placés dans des cellules médicalisées, séparés des détenus ordinaires, a fait valoir la délégation.

La délégation kényane a assuré le Comité que la Constitution garantit l'indépendance des magistrats et la pérennité de leur mandat, qui ne peut être remise en cause formellement que par le Président, suite à une plainte. Un débat est en cours autour d'une réforme déterminée visant une ouverture du système judiciaire et, surtout, sa crédibilisation. En effet, le système actuel ne jouit que de très peu de confiance parmi la population, ainsi qu'il a été constaté après les élections de 2007: les perdants de l'élection ont refusé d'avoir recours aux tribunaux qu'ils jugeaient peu fiables. D'autres mesures visent la modernisation du régime des peines, afin de mieux lutter contre le surpeuplement carcéral.

Le Code de procédure pénale a été aménagé et prévoit désormais le versement de dommages et intérêts dans les procédures civiles, a fait valoir la délégation. Une personne condamnée pour torture pourrait ainsi être contrainte, dans le cadre d'une telle procédure, à indemniser sa victime. Le tribunal définit le montant de l'indemnité et ses bénéficiaires, victime directe ou famille touchée par le décès d'un proche.

La délégation a indiqué que l'organisation de manifestations est soumise à une demande d'autorisation préalable. Les défenseurs des droits de l'homme mentionnés par le Comité sont au courant de cette disposition. Il est indispensable de défendre le rôle de ces personnes, estime le Gouvernement, comme en témoigne la création d'une Commission nationale des droits de l'homme, chargée précisément de cette mission.

Le Kenya est partie à la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'encontre des femmes, a rappelé la délégation. Le pays met en place un plan d'action pour l'élimination des mutilations génitales féminines, parmi d'autres pratiques traditionnelles dangereuses, en collaboration avec des organisations de la société civile. En 2006, une loi contre les violences sexuelles a été adoptée qui marque un tournant pour le Kenya. Le Procureur général a créé une équipe spéciale chargée de la mise en œuvre de la cette loi, qui prévoit notamment la création d'une banque de données de l'ADN des auteurs de délits sexuels. L'action de la police et de l'État s'appuie sur un manuel de bonnes pratiques dans le domaine de la lutte contre la violence sexuelle. Par ailleurs, quatre projets de loi sont devant le Parlement concernant la parité entre les sexes.

L'économie kényane est essentiellement agricole et pastorale, a indiqué la délégation, et 80% de la population vit sur les 20% fertiles du territoire national: aussi les conflits pour la terre sont-ils très fréquents. La situation est aggravée par le système des droits fonciers hérités de la période coloniale et par l'action d'hommes politiques ayant favorisé des comportements criminels sous couvert de lutte pour les terres. Pour remédier à ces conflits ayant entraîné des violences et des déplacements de population, le gouvernement de coalition s'attache à résoudre les conflits qui déchirent les communautés par une dépolitisation de la question des droits fonciers.

Le Gouvernement kényan a adopté une loi sur les réfugiés en 2006, a-t-il en outre été précisé. La loi prévoit que les personnes réfugiées ne peuvent être remises à des États où ils encourent un risque pour leur vie ou leur intégrité corporelle. Cette dernière condition couvre certainement la torture, bien qu'elle ne soit pas mentionnée explicitement par la loi. La loi régit aussi les décisions du Ministère des réfugiés. Le Kenya accueille depuis longtemps de nombreux réfugiés des pays voisins - Rwanda, Érythrée, Éthiopie, Soudan, Somalie - qui se sont succédés au fil des décennies. Ces personnes s'intègrent remarquablement bien à tous les niveaux de la société kényane, s'est félicitée la délégation. Il a fallu cependant que le Kenya prenne, très récemment, des mesures plus sévères à l'encontre de réfugiés dont les activités portaient atteinte à la sécurité du pays.

Observations et questions complémentaires des membres du Comité

MME NORA SVEAASS, membre du Comité et rapporteuse pour l'examen du rapport du Kenya, a insisté sur la nécessité de bien intégrer les personnes réfugiées. Les abus du passé récent en matière d'extradition doivent être traités afin d'éviter qu'ils ne se reproduisent, et des dédommagements octroyés aux personnes concernées. À ce titre, le risque de subir des tortures doit être pris en compte lors de l'examen des dossiers. Le Kenya met-il en œuvre un plan de sécurité nationale lui permettant d'évaluer les menaces pesant sur lui et d'appliquer des mesures de protection adaptées à cet égard? Le Comité souhaite par ailleurs connaître le délai prévu pour la mise en œuvre du Plan national d'action dans le domaine des droits de l'homme, une étape importante pour l'intégration des dispositions de la Convention contre la torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants dans le droit interne.

Les femmes ont des difficultés en matière d'accès à la justice, les policiers en première ligne étant probablement les premiers à devoir être sensibilisés à cet aspect, a souligné Mme Sveaass. Les informations données au public sur les procédures de plainte impliquent que les personnes chargées de recevoir ces plaintes soient parfaitement formées à cet effet. La gratuité du formulaire d'examen médical (P3) devrait être clairement appliquée, a souligné l'experte. Elle a noté avec intérêt les plaintes déposées et les mesures prises contre des agents de police responsables de brutalités. La police doit être consciente de la nécessité de respecter les droits de l'homme. Le nombre de policiers poursuivis pour torture est faible, a relevé Mme Sveaass, demandant à quelle raison on doit imputer cet état de fait. Le simple déplacement de gardiens de prison convaincus de violence contre des détenus n'est peut-être pas une mesure suffisante, a-t-elle ajouté. Les autorités doivent en outre assurer le plein accès de la commission nationale aux lieux de détention des commissariats.

Le problème de la terre, associé étroitement à la pauvreté et à la justice sociale, sont des éléments importants dans l'évaluation du problème de la torture, a relevé l'experte.

Mme Sveaass a déclaré apprécier les informations apportées par la délégation et l'a encouragée à poursuivre l'action importante qu'elle mène pour lutter contre la corruption à tous les niveaux.

M. XUEXIAN WANG, corapporteur du Comité pour l'examen du rapport du Kenya, a relevé que la délégation a admis qu'il n'existe pas vraiment de procédure de dépôt de plainte pour torture, et que le Kenya envisage d'instaurer des voies de droit dans ce domaine. Il est bon que les autorités aient décidé de mener des enquêtes approfondies au sujet, entre autres, des violences commises au Mont Elgon et dans la période post-électorale en 2007. Il n'est à cet égard pas nécessaire que toutes les allégations se révèlent exactes: une seule suffit pour motiver les enquêtes, a tenu à souligner l'expert. Le Comité se déclare par ailleurs très sensible à l'action du Kenya en faveur des réfugiés.


Un autre membre du Comité a recommandé la ratification par le Kenya de la Convention relative aux disparitions forcées. Des recommandations ont porté aussi sur l'instauration d'un médiateur garantissant l'aide juridique gratuite aux personnes victimes de torture.

Un membre du Comité a fait état des conclusions du «rapport Waki», selon lequel le risque de torture le plus grand est encouru dans les lieux de détention: plus de 80% des détenus disent avoir été victimes de brutalités. L'impunité pour ces crimes semble d'autre part généralisée, comme semble en témoigner le nombre des cas de décès en prison suite à des coups dont les auteurs ne sont pas identifiés. L'experte a souhaité savoir si les résultats d'enquêtes menées sur ces violences peuvent-ils être utilisés devant les tribunaux.

Le Président du Comité a insisté sur la nécessité de ne pas admettre comme élément de preuve les aveux extorqués par la torture.

Réponses complémentaires de la délégation

La délégation a indiqué que le Comité permanent de réception des plaintes contre des fonctionnaires publics est chargé d'examiner tous les comportements des agents de l'État, de la violence à la corruption en passant par la qualité du service au public. L'organe existe depuis un an et a déjà traité une centaine de plaintes, hors du système judiciaire. Les autorités espèrent qu'avec le temps, le Comité pourra servir de Bureau d'ombudsman.

Des projets pilotes ont par ailleurs été lancés dans le domaine de l'accès à la justice, visant notamment à une meilleure prise de conscience de leurs droits par les femmes, a aussi indiqué la délégation.

Le Kenya a mis au point une politique de sécurité nationale et dispose d'un service de renseignement, une nécessité compte tenu de la menace terroriste qui pèse sur le pays. La Somalie, état voisin en déliquescence, est source d'inquiétude. Le Kenya doit veiller à ce que l'accueil d'un flot de réfugiés provenant de ce pays ne mette pas en cause sa propre sécurité, ce qui explique les mesures qu'il a prises.

La Commission nationale des droits de l'homme a elle-même admis la nécessité d'instituer un tribunal pour juger d'allégations formulées dans le rapport Waki. La police est responsable de ses actes, mais aussi de son inaction le cas échéant, a observé la chef de délégation.

Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas un document officiel

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