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LE KAZAKHSTAN RÉPOND AUX QUESTIONS DU COMITÉ CONTRE LA TORTURE

Compte rendu de séance

Le Comité contre la torture a entendu, cet après-midi, les réponses apportées par la délégation du Kazakhstan aux questions que lui avaient adressées hier matin ses experts s'agissant des mesures prises par le pays pour se conformer aux dispositions de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Dirigée par M. Dulat Kusdavletov, Vice-Ministre de la justice du Kazakhstan, la délégation a notamment apporté des éclaircissements sur les mesures visant à garantir l'indépendance des juges, indiquant que les candidatures sont évaluées par concours et à la suite d'un stage et après entretien avec le collège des juges. Les nominations et révocations de magistrats sont soumises à des procédures préalables complexes, garantissant leur indépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif. D'autre part, la garde à vue au Kazakhstan ne peut excéder 72 heures sans décision judiciaire. L'autorisation de mise en garde à vue implique le respect des conditions et des délais de cette démarche, notamment la notification officielle sous trois heures et par procès-verbal officiel dûment daté. La délégation a également répondu aux demandes de précision sur l'institution de l'ombudsman national, sur les conditions d'extradition, sur la définition de la torture dans le Code pénal, le contrôle des procédures de garde à vue et les relations entre les magistrats et le ministère public, notamment.

Les deux rapporteurs du Comité pour l'examen du rapport du Kazakhstan se sont dits satisfaits des réponses données par la délégation, l'impression générale étant excellente. Ceci confirme le fait que le Kazakhstan consent des efforts particulièrement méritoires et dignes d'éloges pour éradiquer la torture. D'autres experts ont observé que le Président du Kazakhstan dispose, outre du pouvoir de nommer les magistrats, de la prérogative d'orienter les travaux de l'appareil judiciaire. Dans quelle mesure cette prérogative est-elle compatible avec les dispositions de la Convention contre la torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants, a-t-il été notamment demandé.

Le Comité adoptera en séance privée des observations finales sur le rapport du Kazakhstan, qu'il rendra publiques à la fin de la session, le vendredi 21 novembre.


Lundi matin, à 10 heures, en salle XII du Palais des Nations, le Comité entendra les réponses de la délégation de la Chine (et Régions administratives spéciales de Hong-Kong et Macao) aux questions posées ce matin par les experts.



Réponses de la délégation du Kazakhstan

Conduite par M. DULAT KUSDAVLETOV, Vice-Ministre de la justice, la délégation kazakhe a notamment indiqué que le Kazakhstan étudie en ce moment même l'opportunité d'une ratification du Statut de Rome de la Cour pénale internationale. Cependant, il reste des discordances entre les exigences de la Cour et l'ordre juridique interne kazakh, qui devront être aplanies préalablement à toute ratification du Statut. Le Kazakhstan est prêt à collaborer au plan bilatéral avec les autres États en matière de justice internationale.

Le Kazakhstan accorde la plus grande importance au problème du transit par son territoire de personnes victimes de la traite des êtres humains. Le Ministère de la justice a mis sur pied, en 2003, une cellule de gestion de ce problème composée de représentants des organes étatiques concernés et d'organisations non gouvernementales. La cellule a adopté pour 2008 un plan de travail dans les domaines de l'assistance juridique, de la coopération internationale dans le domaine des migrations et de la lutte contre la criminalité organisée, de l'étude de l'expérience internationale dans le domaine de l'aide aux victimes de la traite, par exemple. Le Code pénal a été amendé sur la base de ces travaux. La protection des victimes est réglementée au niveau national par la loi pénale, une aide matérielle étant prévue. En outre, les victimes se voient garantir le droit de résidence temporaire et sont exonérées de toute incrimination relative à l'entrée et au séjour irrégulier sur le territoire. Les médias diffusent des informations pertinentes, une ligne téléphonique d'urgence permanente est opérationnelle. Des visites ont été réalisées en Italie pour étudier le fonctionnement de centres d'accueil d'urgence et de réinsertion des victimes de la traite des êtres humains.

La délégation a ajouté que le Kazakhstan a signé la Convention des Nations Unies sur la protection des personnes victimes de la traite des êtres humains, ainsi que son Protocole facultatif. D'autre part, un programme de coopération avec les autres pays de la Communauté des États indépendants est appliqué pour la prise en charge des victimes de la traite des êtres humains. Les autorités kazakhes ont en outre ouvert un centre de formation des fonctionnaires de l'État confrontés à ce problème.

Il ne serait pas juste d'affirmer que l'indépendance des juges kazakhs est totale, a admis la délégation, mais des progrès importants ont été réalisés dans ce domaine. Des efforts importants ont été consentis notamment au plan de la formation et de la formation continue des magistrats. Depuis le 1er janvier 2010, l'éventail des affaires soumises à procès avec jury sera élargi. Les juges de la Cour suprême sont élus par le Sénat et nommés par le Président. Cette nomination étant permanente, elle garantit leur indépendance. Les candidatures sont évaluées par concours, par les résultats d'un stage et par un entretien avec le collège des juges. La révocation, également signifiée par le Président, est soumise à une procédure préalable complexe. Motivée par une infraction, elle est initiée par le collège des juges de régions; le juge peut faire appel de la décision auprès du collège de juges de la République. Motivée par un manque de compétences, la révocation est initiée par les sept juges de la Cour suprême. Le chef de l'exécutif, le Premier ministre, n'assure que le financement de la justice, par le biais du budget du Ministère de la justice, sur avis de la commission financière de la Cour suprême. La loi sur le statut des juges a été amendée dans le sens d'un renforcement de leurs fonctions et de leur indépendance, d'une amélioration salariale et d'aménagements des plans de carrière. La formation et le professionnalisme des juges sont garantis par l'exigence de stages et d'accumulation progressive d'expérience, en fonction des postes visés.

La justice des mineurs fait l'objet de nombreux travaux au Kazakhstan, a assuré la délégation, indiquant qu'un nouveau concept a été adopté en juin dernier. Un nouveau système sera progressivement mis en place jusqu'à 2010 pour améliorer la prise en charge des mineurs: des unités spéciales ont été constituées dans les ministères concernés ainsi qu'auprès du Parquet et des collèges d'avocats. Des tribunaux pour mineurs sont créés au plan régional, traitant d'affaires concernant des mineurs auteurs et victimes d'infractions pénales. Des structures de curatelle et d'accueil ont également été ouvertes, permettant aux tribunaux de décider le placement d'enfants hors de la famille, le cas échéant. Des locaux sont ouverts permettant aux médecins et psychologues d'avoir des entretiens confidentiels avec les jeunes justiciables.

La délégation a déclaré qu'il était inexact que les relations entre les magistrats et le ministère public sont marquées par une relation de dépendance des premiers vis-à-vis du second, la Constitution affirmant l'indépendance de la magistrature. Les procureurs sont parties prenantes aux procès de première instance et supérieure. Il n'est nulle part fait mention d'une prépondérance des procureurs, dont les comportements peuvent être dénoncés en cas d'abus. Les procureurs contrôlent les organes chargés des enquêtes préliminaires et des instructions, dont ils peuvent orienter le cours dans la mesure où ils ont la possibilité de lancer des poursuites. Le contrôle des actes des agents de l'État chargés des enquêtes est réglementé par la loi, qui prévoit des indemnisations en cas d'abus par ces personnes. Le Code de procédure pénale prévoit ainsi qu'une personne incarcérée de manière illégale, ou victime de mesures de coercition ou de violences psychologiques ou physiques illégitimes, est pleinement indemnisée par l'État. Le montant de l'indemnisation est déterminé dans le cadre d'une procédure civile.

Le Kazakhstan a transféré le contrôle des procédures d'incarcération au Ministère de la justice, a fait savoir la délégation. La garde à vue ne peut excéder 72 heures sans décision judiciaire. L'autorisation de mise en garde à vue implique le respect des conditions et des délais de cette démarche, notamment la notification officielle sous trois heures et par procès-verbal officiel dûment daté. Tous les faits relatifs au placement en détention sont mentionnés au procès-verbal, notamment le chef d'accusation. Le ministère public doit être informé. Au cours des 72 heures de la garde à vue, le juge chargé de l'instruction doit ensuite formuler une demande de placement en détention. Cette démarche doit être faite en présence du procureur et de l'inculpé ou de son avocat, à peine de nullité de toute la procédure. La décision de mise en détention peut elle-même être contestée dans un délai de trois heures par le prévenu.

L'aveu de culpabilité constituait la preuve essentielle de la procédure sous l'ancien régime juridique. Actuellement, le principe prévalant est celui de la présomption d'innocence. Les aveux obtenus par la contrainte, et notamment la torture, ne sont pas pris en compte par la justice, comme l'a confirmé une décision de la Cour suprême. De même, les sentences fondées sur les seules déclarations de l'accusé et non corroborées par des éléments de preuve objectifs, ne sont pas valides. Le procureur doit étayer de même son acte d'accusation. Le Code de procédure pénale autorise en outre l'examen de plaintes contre les fonctionnaires chargés de l'application des lois; il définit aussi les délais de prise en compte de telles plaintes, l'exigence de célérité étant affirmée. La délégation a cité un exemple d'annulation de procédures pénales pour cause de mauvais traitements infligés à un prévenu lors de la recherche d'éléments de preuve. Les agents de police ayant eu recours à des méthodes illégales lors de l'interrogatoire ont été poursuivis.

La dernière loi d'amnistie date de janvier 2006, à l'occasion de la célébration de l'indépendance du pays, a précisé la délégation kazakhe. Des mineurs ont été graciés à cette occasion, de même qu'une femme enceinte et des personnes invalides. Au cours de l'affaire Aliev, nom d'une bande armée dont les membres ont été condamnés pour faits de banditisme et d'enlèvements de deux personnes dont on est toujours sans nouvelles, toutes les personnes inculpées ont été condamnées et écrouées, a encore indiqué la délégation. Certains complices ont été condamnés à des peines moins lourdes.

En 2001, conformément aux exigences légales internationales, la législation kazakhe a consacré le principe de l'interdiction de tout acte de torture ou de mauvais traitement dans le cadre des procédures légales et administratives. Le Code pénal kazakh précise le rôle d'incitation des fonctionnaires, soit des personnes agissant à titre officiel, à la commission d'actes de torture et prévoit en outre la notion de complicité. Cependant, il n'y a pas de prise en compte uniforme de la qualité des personnes incriminées, a admis la délégation, ni de pratique judiciaire uniforme dans ce domaine. Cependant, les textes qui prévoient des sanctions plus lourdes en cas de torture sont les plus souvent invoqués devant les tribunaux, ce qui démontre l'absence de volonté de taire ces agissements. La délégation a indiqué d'autre part que si le Code de procédure pénale intègre la notion d'«arrestation factuelle» (premier contact avec les fonctionnaires), exigeant la rédaction d'un procès-verbal sous trois heures, on connaît des cas d'abus commis par des fonctionnaires entraînant des retards dans l'accomplissement de cette formalité importante. À cet égard, le Parlement est saisi d'un projet de loi visant à garantir le droit à l'assistance juridique. Cette loi contient des dispositions réglementant en détail les aspects de présentation des dossiers et de participation de la défense dans la phase avant jugement de l'enquête. Les avocats commis d'office ne dépendent pas de l'État et offrent des services payants, rétribués par l'État. Conformément au code déontologique de la profession, les avocats assument à tour de rôle la défense d'office des inculpés. Le contrôle qualitatif de ces services est assuré par les organes professionnels autonomes, les avocats étant inscrits aux barreaux régionaux.

Les questions d'extradition relèvent du procureur général, a par ailleurs indiqué la délégation. Elles sont traitées en fonction des accords bilatéraux conclus par le Kazakhstan. Au plan législatif, le Code de procédure pénale contient une définition claire des motifs justifiant un refus d'extrader: si la personne a obtenu l'asile politique et si le délit justifiant la demande n'est pas criminalisé au Kazakhstan, notamment. Après le renvoi, des vérifications sont faites pour garantir que la personne n'est inculpée par l'État de renvoi que pour les faits ayant justifié l'extradition.

La délégation a indiqué que l'institution de l'ombudsman des droits de l'homme a été fondée en 2002 sur décret présidentiel. L'ombudsman est nommé par le Président pour une durée de cinq ans, reconductible une fois. Il doit être une personne neutre et renoncer, le cas échéant, à son engagement politique. L'ombudsman doit contrôler le respect des droits de l'homme et du citoyen. Il a le droit de saisir le Parlement, le Président et le Gouvernement en cas de violation des droits de l'homme, de même que de lancer des poursuites administratives et pénales. Sa participation aux enquêtes sur des allégations de torture est conditionnée aux résultats d'un vaste débat en cours entre experts au plan national. Il a d'autre part le droit de faire des déclarations dans les médias. L'ombudsman dispose d'un budget propre, tiré des fonds de l'État et validé par le Parlement. Il peut s'appuyer sur un Centre national des droits de l'homme, doté d'un effectif de cinquante personnes. La base juridique de son activité est insuffisante par rapport aux principes de Paris, a admis la délégation, faisant savoir qu'elle allait être bientôt révisée dans le sens d'une plus grande indépendance juridique, sur la base d'une recommandation de la Commission de Venise. Le projet de loi est à l'étude et donne actuellement lieu à des débats animés entre organisations non gouvernementales et représentants de l'État. La création d'un ombudsman pour les enfants, recommandée par le Comité des droits de l'enfant, est également à l'étude par le Parlement.

Observations et questions complémentaires

M. ALEXANDER KOVALEV, rapporteur du Comité pour l'examen du rapport du Kazakhstan, s'est dit satisfait dans l'ensemble des réponses fournies par la délégation, l'impression générale étant excellente. Ceci confirme le fait que le Kazakhstan consent des efforts particulièrement méritoires et dignes d'éloges pour éradiquer la torture. Le fait de prolonger la garde à vue à 72 heures n'est possible qu'en des circonstances exceptionnelles, a observé l'expert, qui a toutefois souhaité savoir qui prend la décision de ce prolongement.

M. XUEXIAN WANG, corapporteur pour l'examen du rapport du Kazakhstan, s'est félicité des réponses sincères apportées aux questions du Comité. Il a demandé des précisions sur les mesures prises dans le domaine de la formation des agents publics, une dimension cruciale de la lutte contre la torture. Le Comité n'ayant pas le droit d'exiger qu'un État souverain adhère à tel ou tel instrument international, la question sur l'accession au Statut de Rome n'était posée qu'à titre d'information, a précisé l'expert.

Une experte a regretté ne pas avoir reçu de réponse à ses questions sur la définition de la torture et sur l'intégration de la notion d'abus de pouvoir dans les textes juridiques kazakhs. Au sujet de ces derniers en particulier, l'experte a observé que pour la loi kazakh le fait pour un agent public de causer des souffrances morales ou physiques n'est pas considéré comme un acte de torture. La question est donc de savoir quelles sont les circonstances qui pourraient justifier l'atteinte à l'intégrité physique d'un prévenu. Un expert a demandé quelles indemnités sont prévues lors de règlements de différends à l'amiable par les tribunaux.

Le Comité est très sensible aux lacunes juridiques, a fait valoir un expert. Il est particulièrement préoccupé par les situations de non-droit qui risquent d'apparaître pendant la période floue qui s'étend entre le moment de l'arrestation d'un détenu à sa présentation devant un magistrat, d'où les questions qu'il pose à toutes les délégations à ce sujet, a précisé l'expert.

Une experte a observé que la délégation a fait savoir que le Président de la République dispose, outre du pouvoir de nommer les magistrats, de la prérogative de conduire les travaux de l'appareil judiciaire. Dans quelle mesure cette prérogative est-elle compatible avec les dispositions de la Convention contre la torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants, a demandé une experte.

L'examen du rapport sous l'angle des cas problématiques ne donne pas d'information statistique précise sur les abus tels que menaces, coups ou sévices, a regretté une experte. Elle a aussi souhaité obtenir des explications sur le fonctionnement et l'organisation des services dits de sécurité publique et sur les expulsions expéditives de personnes accusées de séparatisme vers d'autres États membres de l'Organisation de coopération de Shanghai. Quels sont à cet égard les critères de la définition du séparatisme, a voulu savoir l'experte.

Conclusion de la délégation

En conclusion, la délégation a réitéré que son pays étudie la possibilité de ratifier le Statut de Rome de la Cour pénale internationale. Cependant, la mise en œuvre effective de cet instrument dépend d'une part de l'adaptation de l'ordre juridique interne kazakh et, d'autre part, d'une évolution progressive des mentalités de la population kazakhe. Les autorités s'emploient activement à cette double tâche, comme en témoigne le rapport qui a été examiné par le Comité et qui montre, à côté des progrès réalisés, les domaines où des efforts supplémentaires doivent encore être consentis.


Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas un document officiel


CAT08029F