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LE COMITÉ CONTRE LA TORTURE ENTAME L'EXAMEN DU RAPPORT DU MONTÉNÉGRO

Compte rendu de séance

Le Comité contre la torture a entamé, ce matin, l'examen du rapport initial du Monténégro sur les mesures prises par ce pays pour se conformer aux dispositions de la Convention contre la torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Conduite par le Ministre de la justice du Monténégro, M. Miraš Radović, la délégation a indiqué que la Constitution nationale, adoptée en 2007, dépolitise les principales institutions de l'État, notamment la police, tout en garantissant l'inviolabilité des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que l'obligation de respecter les droits d'autrui. Le Monténégro a adopté, un nouveau Code pénal qui fait de la torture un crime distinct, inscrit au chapitre des crimes contre les droits et libertés humaines. Parallèlement, le Monténégro s'est doté d'un appareil juridique propre à améliorer les mécanismes de surveillance dont le fonctionnement doit permettre d'éviter les cas de torture et d'autres formes de traitement inhumain ou dégradant, y compris des mécanismes de contrôle des forces de police. Les lois adoptées à cet égard entre 2003 et 2005 sont basées sur les principes d'interdiction et de justiciabilité des actes de torture, de garantie des droits individuels garantis par la Constitution, le droit et les instruments de droit international. Enfin, un projet a été lancé, en coordination avec l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, visant la mise en œuvre anticipée du Protocole facultatif à la Convention. Grâce à ce projet, le Parlement est maintenant saisi d'une loi autorisant la ratification du Protocole facultatif, probablement avant la fin de cette année.

La délégation du Monténégro était également composée du Vice-Ministre de l'intérieur du Monténégro, du Représentant permanent auprès des Nations Unies à Genève, d'un haut fonctionnaire de police et de représentants des Ministères de la justice, de la santé, du travail et des affaires sociales, des affaires étrangères, ainsi que des services pénitentiaires du pays.

M. Fernando Mariño Menéndez, rapporteur du Comité pour l'examen du rapport du Monténégro, a observé qu'une série de modifications juridiques, dont au premier chef l'adoption d'une nouvelle Constitution en 2007, a rendu la situation législative mouvante; il a prié la délégation de donner des détails sur les réformes de la justice en cours, notamment sur la dénonciation et la poursuite d'abus commis par des agents l'État, sur le traitement juridique des personnes déplacées se trouvant sur son territoire et sur les suites juridiques données à des allégations de tortures commises par des policiers monténégrins. La corapporteuse, Mme Myrna Kleopas, a voulu savoir si la formation dispensée aux magistrats s'étend à tous les échelons hiérarchiques et si elle contient un enseignement sur la détection des traces matérielles de torture. Mme Kleopas a également fait état d'allégations concernant l'absence d'enquête sur des brutalités commises par des policiers contre des défenseurs de droits de l'homme et des journalistes. D'autres questions ont porté notamment sur la lutte contre les disparitions forcées et comment les autorités comptent mettre un terme à l'impunité des auteurs de ces crimes.


La délégation du Monténégro répondra demain mercredi, à 15 heures, aux questions posées ce matin par les experts. Lors de sa prochaine réunion publique, demain matin à 10 heures, le Comité entamera l'examen du rapport de la Belgique (CAT/C/BEL/2).
Présentation du rapport du Monténégro

M. MIRAŠ RADOVIĆ, Ministre de la justice du Monténégro, a présenté le rapport de son pays en indiquant que sa Constitution, adoptée en 2007, dépolitise les principales institutions de l'État, notamment la police, tout en garantissant l'inviolabilité des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que l'obligation de respecter les droits d'autrui. Cette conception s'inscrit dans un ensemble de dispositions assurant la dignité des êtres humains au regard de l'application de la médecine et de la biologie, la dignité et la sécurité de la personne humaine, le respect de la sphère privée et de la personnalité ainsi que la protection des droits individuels dans le cadre des procédures judiciaires et de l'exécution des peines. C'est ainsi que nul ne peut soumette à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants une personne privée de liberté et que tout aveu ou confession obtenue par de tels moyens entraîne des poursuites. Le Monténégro a adopté, en 2003, un nouveau Code pénal qui fait de la torture un crime distinct, inscrit au chapitre des crimes contre les droits et libertés humaines. Cette disposition a été aménagée en 2005 sur la base de l'évolution du droit international dans ce domaine: la portée et la définition de la torture ont été élargies et les sanctions prévues alourdies. Un agent de l'État convaincu d'actes de torture dans le cadre de ses fonctions officielles encourt ainsi jusqu'à huit ans de réclusion. Le Code pénal réprime également les crimes commis contre l'humanité ou certains groupes protégés par le droit international. L'adoption du Code pénal s'est accompagnée d'un nouveau Code de procédure pénale, basé en particulier sur les principes d'interdiction de l'utilisation de la force contre des personnes privées de liberté et l'interdiction de l'extorsion d'aveux. Le Code de procédure pénale interdit en outre les violations de la dignité et de l'intégrité corporelle des personnes placées en détention. De cette manière, il instaure les conditions procédurales préalables à la prévention de la torture et garantit que les preuves obtenues par la torture ne seront pas admises.

Parallèlement, le Monténégro s'est doté d'un appareil juridique propre à améliorer les mécanismes de surveillance dont le fonctionnement doit permettre d'éviter les cas de torture et d'autres formes de traitement inhumain ou dégradant, y compris des mécanismes de contrôle des forces de police. Les lois adoptées à cet égard entre 2003 et 2005 sont basées sur les principes d'interdiction et de justiciabilité des actes de torture, de garantie des droits individuels garantis par la Constitution, le droit et les instruments de droit international. Des mécanismes de contrôle ont été définis pour assurer le contrôle du traitement des personnes privées de liberté par les autorités de l'État. Le Monténégro a, en outre, pris des mesures pour assurer la formation continue de ses fonctionnaires afin qu'ils témoignent d'une parfaite compréhension des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Les autorités monténégrines ont d'autre part pris des mesures visant à assurer la continuité de l'amélioration des structures étatiques, en menant une planification stratégique de leur réforme. Cette planification s'est concrétisée notamment dans l'adoption d'une «Stratégie de réforme du pouvoir judiciaire 2007-2012», au sein de laquelle le système carcéral, traité dans un chapitre distinct, est lié à des objectifs spécifiques: instauration d'un mécanisme de contrôle des peines suspendues, des conditions de mise en liberté conditionnelle et d'application de services d'intérêt général, amélioration des conditions de sécurité et du traitement des détenus, prise en compte de la violence domestique, entre autres. Une planification stratégique est également à l'œuvre dans d'autres secteurs du système social du Monténégro: santé mentale, protection de l'enfance et des personnes handicapées, en particulier.

M. Radović a encore rappelé que son pays a reçu, en 2004, alors qu'il faisait encore partie de l'État de Serbie-et-Monténégro, une visite du Comité de prévention de la torture du Conseil de l'Europe, dont le rapport subséquent a été approuvé par le Monténégro. Les autorités ont pris des mesures concrètes pour en mettre en œuvre les recommandations, le sérieux de l'action du Monténégro dans le domaine de l'application des sanctions pénales, notamment, ayant été reconnu par la vice-présidente du Comité, suite à une nouvelle visite effectuée en septembre dernier. Cette visite a donné lieu à la formulation d'autres recommandations, a précisé le Ministre. La mise en œuvre de ces recommandations sera assurée par une Commission interministérielle créée à cette fin et dont la mission sera, notamment, de rédiger un Plan d'action de prévention pour la torture. Enfin, conscient de ses obligations au regard de la Convention contre la torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants, le Monténégro a pris des mesures pour améliorer son action en matière de protection des personnes privées de liberté contre la torture. Un projet a été lancé, en coordination avec l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe et l'Agence d'application des dispositions pénales du Monténégro, visant la mise en œuvre anticipée du Protocole facultatif à la Convention. Grâce à ce projet, le Parlement est maintenant saisi d'une loi autorisant la ratification du Protocole facultatif, probablement avant la fin de cette année. Un mécanisme national de protection contre la torture pourra alors être mis sur pied.

Le rapport initial du Monténégro (CAT/C/MNE/1, à paraître en français) indique notamment que la loi pénale monténégrine interdit formellement la torture et autres formes de traitement cruel, inhumain ou dégradant. Le Code de procédure pénale contient des dispositions interdisant la torture et dénuant toute acceptabilité juridique aux confessions et aux preuves obtenues par la torture. La loi définit en outre strictement les conditions de l'exercice de la force par les agents de l'État, qui sont formés à l'utilisation correcte des armes à feu et des autres moyens de coercition à leur disposition. L'éducation aux droits de l'homme fait d'autre part partie intégrante de la formation des agents de police et gardiens de prison. Dans ce domaine, le Monténégro coopère avec des institutions internationales telles l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe. Le Ministère de l'intérieur organise avec cette dernière des cours à l'intention des formateurs de la police.

Le rapport précise par ailleurs que, dans les situations où il y a des raisons de craindre que l'expulsion d'une personne dans un État tiers lui ferait courir le risque de subir des tortures, les autorités monténégrines renoncent à toute mesure d'expulsion ou d'extradition. Compte tenu des conditions de conflit et de violations systématiques des droits de l'homme ayant prévalu dans la région, plusieurs milliers de personnes réfugiées et déplacées ont trouvé refuge au Monténégro. Un certain nombre de ces personnes sont retournées dans leur pays d'origine, avec l'aide des agences internationales compétentes. Le Ministère de l'intérieur, chargé de la reconnaissance du statut des personnes déplacées, évalue leur nombre à 13 000, sur la base d'un recensement opéré par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Le Ministère ne tient pas de statistique sur l'origine ethnique de ces personnes. Le Monténégro a signé un accord de réadmission avec 14 États européens, en vertu duquel 2 661 personnes ont pu regagner leur pays, dont 672 au Monténégro.


Observations et questions des membres du Comité

M. FERNANDO MARIÑO MENÉNDEZ, membre du Comité contre la torture et rapporteur pour le Monténégro, a relevé qu'une série de modifications juridiques récentes, au premier chef l'adoption d'une nouvelle Constitution en 2007, a rendu la situation législative monténégrine mouvante, ce qui appelle des précisions de la part de la délégation. L'expert a ainsi relevé que la définition de la torture du Code pénal monténégrin ne correspond pas à celle de la Convention contre la torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants, notamment dans la mesure où les tortures mentales ne semblent pas mentionnées. D'autre part, la Constitution indique que les tribunaux peuvent invoquer le droit international dans leurs décisions: cependant, en droit pénal, il peut être difficile d'alléguer d'une disposition internationale dans un cas non prévu par le Code, a fait remarquer M. Mariño Menéndez. Il semble en outre que l'«habeas corpus» ne figure pas dans la loi fondamentale. Par ailleurs, les soins médicaux dispensés aux personnes détenues sont d'une importance cruciale pour la prévention de la torture. Dans ce contexte, le droit de consulter un médecin est-il garanti? De même, quelles sont les modalités d'accès à un défenseur juridique prévues par la nouvelle loi de procédure pénale, a demandé l'expert. Existe-t-il des organes de sécurité de l'État ayant la capacité d'interroger une personne détenue avant sa présentation devant un magistrat? Le ministère public détient-il le monopole sur la mise en détention et de quelle manière le procureur entre-t-il en contact avec le juge ayant ordonné la mise en détention préventive, a encore voulu savoir M. Mariño Menéndez.

L'expert a observé que si le Monténégro compte plus de 3000 organisations non gouvernementales enregistrées, seules 10% d'entre elles semblent actives, aucune n'ayant demandé à s'entretenir avec le Comité, comme c'est en général le cas avant l'examen des rapports d'États parties. L'expert a demandé quelle était la raison de cette situation: satisfaction générale, manque de moyens pour se rendre à Genève ou pressions de l'État?

M. Mariño Menéndez a aussi voulu savoir quelles politiques ont été prises en faveur de la communauté rom. Il a prié la délégation de donner des détails sur les réformes de la justice en cours, notamment sur la dénonciation et la poursuite d'abus commis par des agents l'État. La vulnérabilité des personnes déplacées se trouvant sur le territoire du Monténégro, en majorité originaires du Kosovo et souvent roms, qui risquent à tout moment l'expulsion, a été soulignée par l'expert. D'autres personnes, d'origine bosniaque ou croate, ne bénéficient pas du statut de personnes déplacées. Dans quelle mesure la loi sur l'emploi des personnes déplacées tient-elle compte de ces situations? Des doutes demeurent en outre concernant l'impunité d'agents de police accusés d'avoir fait disparaître des musulmans bosniaques, ainsi que sur les suites données aux allégations de torture commises sur des citoyens albanais, à Podgorica en 2006, ou encore, plus récemment, sur des Roms, également par des policiers.

MME MYRNA KLEOPAS, membre du Comité contre la torture et corapporteuse pour le Monténégro, a dit avoir pris note de l'organisation de séminaires de formation à l'intention des magistrats et procureurs monténégrins, demandant si cette formation s'étend à tous les échelons hiérarchiques, si elle contient un enseignement sur la détection des traces matérielles de torture et si elle prévoit un traitement différencié des personnes atteintes de handicap. Mme Kleopas a aussi voulu savoir si le personnel médical était lui aussi formé aux méthodes de documentation et de dénonciation des cas de torture. L'experte a observé que les institutions des Nations Unies disposent d'excellentes compétences dans la préparation de programmes de formation complets à tous ces égards. Mme Kleopas a demandé des précisions sur les soins de santé mentale pour personnes victimes de torture: les lieux de détention disposent-ils d'un médecin prêt à intervenir en cas d'urgence? Les personnes placées en détention dans les postes de police sont-elles nourries et, si oui, à titre gracieux ou payant?

La délégation a été priée de donner des renseignements sur la lutte contre le surpeuplement carcéral et sur les mesures de séparation entre femmes et hommes en milieu carcéral. L'experte a indiqué que le Comité contre la torture du Conseil de l'Europe relève, dans son dernier rapport, des insuffisances matérielles, des déficiences au plan de l'hygiène, le manque d'exercice et de visites familiales dans les prisons monténégrines; en outre, de l'avis des détenus, le médiateur des prisons ne procède pas à assez de visites de locaux. Mme Kleopas a également fait état d'allégations continues du Comité du Conseil de l'Europe et d'Amnesty International au sujet de l'absence d'enquêtes autour de brutalités commises et des menaces de mort proférées par des policiers contre des défenseurs de droits de l'homme et des journalistes. De même, les décisions des tribunaux monténégrins dans plusieurs procédures pour crimes de guerre et contre l'humanité se font attendre, a déploré la rapporteuse.

Les questions restent d'autre part ouvertes s'agissant des moyens de plainte à la disposition des citoyens en cas de torture, de l'accès aux dossiers médicaux et d'instruction, des modalités de protection des témoins et de l'indemnisation des victimes, laquelle dépend encore de la capacité des justiciables, alors qu'elle doit incomber à l'État. La situation des Roms est enfin très difficile, tant en termes de conditions de vie matérielles que d'emploi et d'alphabétisation. Les autorités ont lancé une stratégie d'action dont il faut espérer qu'elle porte des fruits, a conclu Mme Kleopas.


D'autres membres du Comité se sont félicités des efforts consentis par le Monténégro pour se doter des instruments juridiques fondamentaux garants de la primauté du droit. Un expert a observé que la définition de la torture du Code pénal est plus étroite que celle donnée par la Convention contre la torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants: en cas de plainte fondée sur la définition de la Convention, quelle peine sera prononcée par les tribunaux? Le même expert a estimé que les tribunaux monténégrins doivent tenir compte des principes de l'habeas corpus et a voulu savoir quels régimes d'exception existent au Monténégro. Un autre expert a voulu savoir si un justiciable peut invoquer directement les dispositions de la Convention lors d'une procédure judiciaire et à partir de quel moment commence la protection des personnes détenues.

Une experte a observé que toute codification de la législation pénale, telle qu'évoquée dans le rapport, suppose une forme d'harmonisation avec la situation antérieure: sa nouvelle loi pénale ne risque-t-elle pas de placer le Monténégro dans une situation particulière par rapport aux dispositions juridiques européennes auxquelles il tend à se conformer par ailleurs, notamment au regard des attributions respectives des magistrats du siège et des procureurs?

Un expert du Comité a voulu savoir si le Monténégro a ratifié la Convention pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées et comment ses autorités comptent mettre un terme à l'impunité des auteurs de ces crimes. D'autres experts ont rappelé l'obligation qui est faite aux États parties à la Convention contre la torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants d'indemniser les victimes de ces crimes. Un expert a rappelé que la torture se pratique toujours dans le secret: quelles conditions la loi impose-t-elle en matière de récolte des preuves?

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