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LE COMITÉ DES DROITS DE L'HOMME EXAMINE LE RAPPORT DU NICARAGUA

Compte rendu de séance

Le Comité des droits de l'homme a examiné aujourd'hui le troisième rapport périodique du Nicaragua sur les mesures prises par ce pays pour se conformer aux dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Présentant en fin de journée des observations préliminaires sur ce rapport, le Président du Comité, M. Rafael Rivas Posada, s'est félicité du processus dynamique de réformes internes a engagé par le Nicaragua et de la détermination du pays à aborder ces dernières années un certain nombre de problèmes qui, aux yeux de la communauté internationale, constituaient des violations des droits des citoyens nicaraguayens. Il faut toutefois reconnaître que parmi toutes les normes existantes, il est très difficile de discerner ce qui fonctionne efficacement et d'appréhender l'impact réel de ces normes sur la vie des citoyens. M. Rivas Posada a souligné que, du point de vue du Comité, le fait que l'on puisse emprisonner une personne au motif qu'elle n'aurait pas respecté ses obligations civiles constitue une violation du Pacte. En ce qui concerne la question de l'avortement, le Président a souligné qu'il convient pour tout pays d'honorer ses obligations en vertu du Pacte, s'agissant en l'occurrence de l'intégrité des femmes; les lois nicaraguayennes sur l'avortement sont trop strictes et vont à l'encontre de ce qui est énoncé dans le Pacte, a déclaré M. Rivas Posada. Des observations finales sur le rapport du Nicaragua seront rendues publiques à la fin de la session, le 31 octobre prochain.

Présentant le rapport de son pays, M. Iván Lara Palacios, Procureur pénal au bureau du Procureur général du Nicaragua, a souligné qu'entre 1990 et 2007, période couverte par le présent rapport, le Nicaragua a procédé à de nombreuses modifications législatives et institutionnelles afin d'instaurer un véritable État de droit. Depuis 1998, un processus de modification et de réforme du système de justice a été engagé, et un programme de facilitateurs judiciaires ruraux a été lancé en mars 2003. M. Lara Palacios a également souligné que le nouveau Code de procédure pénale adopté a permis de passer de la procédure inquisitoire à la procédure accusatoire. M. Lara Palacios a en outre attiré l'attention sur le nouveau Code pénal de 2007 qui incrimine nombre de conduites qui ne l'étaient pas auparavant. Un de ses articles porte sur les délits contre l'ordre international en traitant des crimes contre l'humanité que sont la torture, l'apartheid et la disparition forcée, a-t-il souligné. La nouvelle législation en vigueur incrimine également la traite de personnes à des fins d'esclavage, d'exploitation sexuelle ou d'adoption, a-t-il ajouté. M. Lara Palacios a par ailleurs indiqué que le Parlement a approuvé le 11 septembre 2008 le deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte, conformément à la norme constitutionnelle interdisant la peine de mort.

La délégation nicaraguayenne était également composée de M. Carlos Robelo Raffone, Représentant permanent du Nicaragua auprès des Nations Unies à Genève, et d'autres membres de la Mission permanente. Elle a fourni aux experts des compléments d'information en ce qui concerne, entre autres, les mesures prises en matière de lutte contre la violence faite aux femmes; l'interdiction de avortement; les conditions carcérales; la question des réparations aux victimes d'abus policiers; l'indemnisation des victimes du pesticide Nemagon; l'emprisonnement pour non-paiement de la pension alimentaire; les allégations d'exécutions extrajudiciaires d'enfants de la rue; la situation relative à l'exploitation sexuelle des enfants; la situation des journalistes - dont certains ont été assassinés - et des défenseurs des droits de l'homme; l'indépendance de la justice; le droit de grève; les mesures prises pour remédier à la situation de marginalisation des populations autochtones des régions de la côte atlantique.
À sa prochaine séance publique, lundi après-midi à 15 heures, le Comité examinera le rapport de l'Espagne (CCPR/C/SPA/5).


Présentation du rapport

M. IVÁN LARA PALACIOS, Procureur pénal au bureau du Procureur général du Nicaragua, a réitéré le ferme engagement du Gouvernement de réconciliation et d'unité nationale que préside Daniel Ortega en faveur de la promotion et de la protection des droits de l'homme. Il a en outre remercié le Comité pour l'esprit de coopération et la souplesse dont il a fait preuve à l'égard du Nicaragua face au retard de 15 années qu'accuse la présentation de ses rapports périodiques. Aux fins de l'élaboration du présent rapport, un groupe de suivi des conventions internationales a été créée au sein du Ministère des relations extérieures, a précisé M. Lara Palacios.

Entre 1990 et 2007, période couverte par le présent rapport, le Nicaragua a procédé à de nombreuses modifications législatives et institutionnelles afin d'instaurer un véritable État de droit, a poursuivi M. Lara Palacios. Depuis 1998, un processus de modification et de réforme du système de justice a été engagé. En 1998, a été adoptée la loi organique du pouvoir judiciaire et, en 2004, la loi organique sur la formation judiciaire. Parmi les autres avancées, il convient de citer la mise en place du bureau du Défenseur public, en 1999, l'objectif étant de veiller au respect de l'égalité et des droits de tous. En mars 1998, l'Assemblée nationale a adopté le Code de l'enfance et de l'adolescence, établissant notamment un système de justice pénale pour les adolescents. À l'heure actuelle, le pays compte au total 14 juges pénaux spécialisés pour mineurs, a précisé M. Lara Palacios. En mars 2003, le programme des facilitateurs judiciaires ruraux a été lancé; ces facilitateurs ont permis de mieux faire connaître la justice et les droits en milieu rural et ont fait office d'arbitres ou de médiateurs pour les conflits entre citoyens. En 2001, les fonctions du Ministère public et du bureau du Procureur général ont été séparées, a poursuivi M. Lara Palacios, qui a également attiré l'attention sur le Code de procédure pénale adopté dans le cadre de cette réforme globale du système de justice, qui a permis de passer de la procédure inquisitoire à la procédure accusatoire, abandonnant ainsi les procès judiciaires secrets et privés. En 1996, a ajouté M. Lara Palacios, la Procurature pour la défense des droits de l'homme a été créée, qui opère comme si elle était commissionnée par l'Assemblée nationale pour promouvoir et défendre les garanties constitutionnelles et les droits de l'homme. Elle mène à cette fin un travail de contrôle de l'administration publique.

La police nationale est parvenue à porter des coups importants au crime organisé lié au trafic international de stupéfiants, a poursuivi M. Lara Palacios, faisant valoir que cela a eu un grand impact sur la perception des questions de sécurité par la population. Il convient de souligner que la Police nationale a également mené un travail de prévention dans les communautés urbaines marginalisées – travail qui comporte des volets sociaux et récréatifs destinés à prévenir la violence juvénile. Il est significatif que le Nicaragua, contrairement à l'autres pays de la région, n'ait pas à affronter le problème des maras, ou bandes de jeunes enracinés dans le crime organisé transnational, qui implique souvent de nombreux adolescents dans des activités délictueuses. Le Nicaragua se considère comme l'un des pays les plus sûrs de l'Amérique centrale, a insisté M. Lara Palacios. Il y a eu une responsabilisation de la police, du point de vue de ses modes opérationnels, à tous les niveaux; la police nationale a retrouvé la confiance de la population, a-t-il fait valoir.

S'agissant de la préoccupation exprimée par le Comité en ce qui concerne des violences qui auraient été commises par la Police nationale et des cas d'abus d'autorité avec usage excessif de la force ou avec des violations de domicile sans mandat judiciaire, M. Lara Palacios a indiqué qu'en 2007, la police nationale a reçu 363 plaintes pour ce type de violations des droits de l'homme; sur ce nombre, 37,5% ont été considérés comme fondées. Sur les 712 fonctionnaires de la police dénoncés, 221 ont été sanctionnés, a-t-il précisé.

La loi sur l'égalité des droits et des chances a été approuvée le 14 février dernier, a poursuivi M. Lara Palacios. Des campagnes massives de sensibilisation sont en train d'être menées afin de faire comprendre socialement que la violation des droits de la femme constitue une violation des droits humains, a-t-il ajouté.

M. Lara Palacios a en outre attiré l'attention sur le nouveau Code pénal qui a été approuvé par l'Assemblée nationale en novembre 2007 et qui incrimine nombre de conduites qui ne l'étaient pas auparavant, notamment la violation de domicile familial sans mandat. Un article du nouveau Code pénal porte sur les délits contre l'ordre international en traitant des crimes contre l'humanité que sont la torture, l'apartheid et la disparition forcée, a par ailleurs indiqué M. Lara Palacios. La nouvelle législation en vigueur incrimine également la traite de personnes à des fins d'esclavage, d'exploitation sexuelle ou d'adoption, a-t-il ajouté.

M. Lara Palacios a aussi indiqué que le Parlement nicaraguayen a approuvé le 11 septembre 2008 le deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte, conformément à la norme constitutionnelle interdisant la peine de mort.

Les droits énoncés dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques peuvent être invoqués directement devant les tribunaux, conformément à l'article 46 de la Constitution, a poursuivi M. Lara Palacios, citant, à l'appui de cette affirmation, un certain nombre d'affaires dans lesquelles le Pacte a effectivement été directement invoqué devant les tribunaux nicaraguayens.

En réponse aux préoccupations exprimées par le Comité face à des affaires d'exécutions extrajudiciaires dont auraient été victimes des enfants et jeunes de la rue, M. Lara Palacios a affirmé qu'il y a effectivement eu une telle affaire portée devant des «mécanismes extra-conventionnels des Nations Unies» mais que le plaignant a été débouté car il a été jugé que cette affaire était fondée sur des spéculations.

S'agissant des préoccupations exprimées par le Comité au sujet de personnes touchées par un pesticide commercialisé sous le nom de Nemagon, M. Lara Palacios a notamment indiqué que, conformément à une loi ad hoc adoptée en vue de régler cette question, certaines victimes ont été indemnisées, parfois à hauteur de plus de 30 millions de dollars; il s'agit là de résultats positifs et non définitifs.

Le droit de grève et les registres officiels des grèves déclarées légales sont réglementés par la Constitution et par le Code du travail, a par ailleurs indiqué M. Lara Palacios. La Police nationale a notamment pour fonction d'octroyer des permis pour les activités impliquant un rassemblement sur la voie publique et d'intervenir pour rétablir l'ordre lorsque les droits des citoyens sont violés, a-t-il ajouté.

En 2007, a-t-il poursuivi, a été adoptée la loi sur la responsabilité paternelle et maternelle, qui est fondée sur l'intérêt supérieur de l'enfant; cette loi favorise les droits de l'enfant en veillant à ce que les obligations des géniteurs soient respectées, que l'enfant soit né hors mariage ou pas. Un plan d'action est en cours concernant la mise en œuvre de cette loi, a précisé M. Lara Palacios.

En ce qui concerne enfin la situation des populations autochtones dans les régions autonomes de la Côte atlantique, M. Lara Palacios a souligné que cette question a été examinée par le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale au début de cette année. Il a néanmoins souligné que le Gouvernement du Nicaragua a pris une série d'initiatives visant l'intégration économique et sociale des régions autonomes à travers un Plan de développement spécifique.

Le troisième rapport périodique du Nicaragua (CCPR/C/NIC/3) souligne que la Constitution politique de la République du Nicaragua est le principal cadre réglementaire général de protection des droits de l'homme dans le pays. La Constitution prime toute autre norme, ajoute le rapport. Si une personne estime qu'il a été porté atteinte aux droits ou libertés inscrits dans le Pacte, la loi d'amparo de 1988 prévoit les trois moyens constitutionnels qui garantissent la validité et l'effet utile de la Constitution, à savoir le recours pour inconstitutionnalité, l'amparo administratif proprement dit et l'habeas corpus qu'évoquent les articles 187 à 189 de la Constitution. La Constitution établit en outre que dans des situations d'exception, lorsque la sécurité nationale, les conditions économiques ou une catastrophe l'exigent, le Président de la République peut, en Conseil des Ministres, suspendre les droits et garanties consacrés par la Constitution sur tout ou partie du territoire national et pour une durée déterminée renouvelable. Cette suspension ne peut porter que sur certains droits et garanties consacrés par la Constitution.

Un grand nombre de travailleurs agricoles nicaraguayens des bananeraies ont subi les méfaits de l'utilisation de pesticides tels que le Nemagon, qui provoquent de graves atteintes à la santé, notamment des cancers, des malformations génétiques, la stérilité ou des dermatoses, poursuit le rapport. Parmi les victimes, plus de 3000 ont entamé un combat pour obtenir une indemnisation équitable devant les tribunaux tant au Nicaragua qu'aux États-Unis. Au Nicaragua, ce combat a remporté un succès partiel, quand, en décembre 2002, un juge a condamné trois sociétés nord-américaines – Dow Chemical, Standard Fruit Company et Shell Oil Company – à verser 490 millions de dollars. En 2004, un accord a été signé entre le Gouvernement et les représentants des victimes («Accord du Raizón»), selon lequel il a été convenu de créer une commission spéciale chargée d'informer périodiquement des progrès réalisés dans les mesures de suivi pour aider les victimes, en coordination avec la Commission institutionnelle créée en novembre 2002.

Le rapport indique en outre que le taux de mortalité maternelle se situe entre 150 et 200 pour mille naissances vivantes. Les organisations féministes du pays ont protesté auprès du Ministère de la santé au sujet des indices élevés de mortalité maternelle, poursuit le rapport. Cependant, selon le Ministère, ces indices ont diminué par rapport à 2003, puisque de 2004 à 2005, le nombre de décès chez les femmes est tombé de 40 à 33. Malheureusement, ajoute le rapport, au Nicaragua, une naissance sur quatre résulte d'une grossesse d'adolescente.

Examen du rapport

Renseignements complémentaires

Répondant à une liste de questions écrites du Comité adressée au Gouvernement nicaraguayen, la délégation a notamment fait part des mesures prises pour lutter contre la violence faite aux femmes. Le Nicaragua considère que la violence contre les femmes est une violation des droits de l'homme. Il s'agit d'un problème de sécurité publique, de sécurité des citoyennes, qui est sanctionné par la loi, notamment par la loi sur les délits sexuels et la loi complémentaire du Code pénal visant à sanctionner la violence au sein de la famille, a précisé la délégation. Il existe actuellement à travers le pays 32 bureaux du Commissariat de la femme et de l'enfance

Priée de dire si depuis l'interdiction, en 2006, de l'avortement thérapeutique, il y a eu recrudescence d'avortements clandestins, la délégation a indiqué que les décès de femmes liés à l'avortement n'ont pas particulièrement augmenté ces dernières années au Nicaragua. Pour 2007, il y a eu deux cas de décès maternels liés à l'avortement sur un total de 49 décès maternels.

S'agissant des mesures prises pour améliorer les conditions carcérales, la délégation a indiqué que des visites sur le terrain ont été menées dans les différents centres pénitentiaires. Le Gouvernement de réconciliation et d'unité nationale a décidé d'accroître le budget consacré à l'amélioration de la qualité des infrastructures carcérales.

S'agissant des donados - ces personnes «données» au système pénitentiaire – la délégation a tenu à souligner que ce sont les personnes concernées qui se nomment elles-mêmes donados. Le problème en la matière est principalement un problème de manque de fonctionnaires par rapport au nombre de ces donados, a déclaré la délégation. En 2006, 1110 personnes étaient détenues en tant que donados, a-t-elle précisé; pour 2007, ce nombre s'établissait à 1024.

Observations et questions des membres du Comité

Un membre du Comité a salué les progrès indiscutables réalisés par le Nicaragua depuis l'examen du deuxième rapport périodique. Un autre expert s'est réjoui de l'abolition de la peine de mort au Nicaragua. Il a également félicité le pays pour les efforts qu'il déploie afin de promouvoir l'égalité entre les hommes et les femmes. Il a toutefois été souligné que le présent rapport est présenté avec retard et un expert a exprimé le souhait qu'à l'avenir, le Nicaragua maintienne un meilleur contact avec le Comité pour lui signaler les mesures qui sont prises en matière de droits de l'homme.

Un autre membre du Comité s'est inquiété de cas de mauvais traitements à l'encontre de défenseurs des droits de l'homme. On considère qu'environ 70 000 femmes ont porté plainte pour des violences, notamment au sein de la famille, s'est également inquiété cet expert, alors que, souvent, les femmes n'osent pas se plaindre.

Un autre expert a indiqué avoir reçu des informations selon lesquelles les campagnes contre les trafics ou celles visant à lever les tabous relatifs aux stéréotypes visant les femmes sont menées par des organisations non gouvernementales. Il a plaidé en faveur d'un accès plus efficace à la justice pour les femmes victimes de violence et a insisté sur la nécessité de veiller à ce que la législation en la matière soit dûment respectée.

Cet expert a par ailleurs affirmé que si l'avortement était légal, nombre de décès maternels ne surviendraient pas. Un autre membre du Comité a fait état d'informations selon lesquelles les mortalités en couche, mais aussi les suicides pour grossesses non désirées, sont en augmentation. En fait, le terme de suicide n'est pas toujours approprié car il résulte parfois de tentatives de ces femmes d'interrompre elles-mêmes leur grossesse, a précisé l'expert. À cet égard, un autre membre du Comité a relevé que le Nicaragua est une démocratie qui se veut laïque; c'est pourquoi il est difficile de comprendre comment on peut concilier cette laïcité avec ce qui constitue le fondement religieux de l'interdiction de l'avortement.

Quelles mesures concrètes ont-elles été prises pour améliorer l'infrastructure, en particulier sanitaire, dans les centres de détention, a demandé un expert? Il semblerait que la population carcérale, y compris le nombre de personnes placées en détention préventive, a plutôt augmenté que diminué, a souligné un expert. Il a en outre affirmé rester perplexe face à la situation générale des donados. D'après la loi, personne ne peut rester en prison après avoir purgé sa peine; or les donados ne semblent pas bénéficier de cette norme légale, a-t-il déploré.

Un autre membre du Comité s'est enquis du nombre de personnes placées en détention préventive et de la durée de leur détention. Un autre expert a demandé quelles garanties sont prévues dans le cadre de la garde à vue.

Un membre du Comité s'est en outre enquis du suivi des résultats de la commission d'enquête sur les plaintes déposées par les victimes du pesticide Nemagon.

D'après le rapport, aucune grève légale n'a eu lieu au Nicaragua, a relevé un expert, soulignant que cela semble attester que le droit de grève a été considérablement restreint, même si aucune plainte n'a été déposée à ce sujet. L'expert a fait état d'informations selon lesquelles à la fin du mois de mars 2008, une grève des transports a été cassée par la police qui a arrêté nombre de grévistes, ce qui constitue non seulement une violation du droit de grève, mais aussi une violation du devoir de proportionnalité régissant l'intervention des forces de l'ordre. Cela témoigne des effets que peut avoir une loi restrictive en matière de droit de grève comme celle qui prévaut au Nicaragua, a insisté l'expert.

Réponses de la délégation

La délégation a souligné qu'avant même la signature par le Nicaragua du deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte, une disposition constitutionnelle interdisait la peine de mort. Ainsi, aucune loi n'étant supérieure à la Constitution, aucune loi ne pourrait être adoptée qui remettrait en cause l'interdiction de la peine capitale, a souligné la délégation. Lorsqu'il extrade une personne, le Nicaragua doit s'assurer que la personne ne sera pas exécutée, a-t-elle précisé.

Le Gouvernement nicaraguayen actuel s'est fixé pour objectif de compter au moins 50% de femmes aux postes de direction de la fonction publique, a par ailleurs indiqué la délégation. C'est la première fois qu'un Gouvernement nicaraguayen décide d'octroyer aux femmes la place qui leur est due dans l'administration, et notamment aux postes de direction, a-t-elle fait valoir.

La délégation a d'autre part indiqué que la disposition législative qui autorisait l'avortement thérapeutique a été abrogée en 2006. Toutefois, si un médecin interrompt une grossesse pour sauver la vie d'une femme qui se présente subitement à lui, il ne sera pas pénalisé, a assuré la délégation. Environ 90% des habitants du Nicaragua sont chrétiens et la culture d'une population ne va pas sans influence sur le législateur, a admis la délégation.

En ce qui concerne l'indemnisation des victimes d'abus policiers, la délégation a souligné que changer la culture juridique d'un pays est très difficile et requiert notamment de prendre des mesures en matière de formation des magistrats. Le Code de procédure pénale contient désormais un article (l'article 81 dudit Code) qui traite de l'exercice de l'action civile et en vertu duquel une victime peut demander une indemnisation dès le début de la procédure.

S'agissant des résultats de la commission chargée de l'affaire des victimes du pesticide Nemagon, la délégation a souligné qu'il s'agit d'une affaire délicate. En effet, les personnes touchées sont essentiellement des personnes défavorisées. Or les frais d'avocat sont élevés. Les États-Unis ont été impliqués dans cette affaire et chacun sait combien peut coûter un avocat américain. Le Ministère public était dans cette affaire le représentant légal de l'État nicaraguayen, ce dernier se trouvant en effet, en vertu de la loi, dans l'obligation de représenter les victimes qui n'avaient pas les moyens de s'offrir une assistance juridique dans les tribunaux nationaux comme étrangers. La procédure a pu être accélérée pour l'indemnisation des victimes, a fait valoir la délégation.

Les abus policiers ou la torture ne sont en aucun cas des phénomènes généralisés au Nicaragua, a assuré la délégation. Lorsque de tels comportements se produisent, les autorités veillent à ce qu'ils ne soient pas traités par la police elle-même et soient rendus publics.

Toute personne détenue doit être présentée devant un juge dans les 24 heures, a par ailleurs souligné la délégation. Le nombre, élevé, de personnes emprisonnées sans avoir été encore condamnées, c'est-à-dire placées en détention préventive, a beaucoup diminué, a assuré la délégation. En tout état de cause, la durée de la détention préventive est toujours retranchée de la durée de la peine à laquelle le détenu est finalement condamné, a souligné la délégation.

La détention pour dette n'est pas autorisée au Nicaragua, a poursuivi la délégation. Mais cela n'empêche pas l'action des autorités compétentes face à des cas de non-paiement de la pension alimentaire. En effet, la procédure en cas de non-paiement de la pension alimentaire est une procédure à caractère pénal et il faut, dans ce contexte, prouver qu'il s'agit, de la part de la partie soumise à l'obligation de paiement, d'une omission délibérée. Le nouveau code pénal établit une peine allant de six mois à deux ans d'emprisonnement pour toute personne reconnue coupable de non-paiement délibéré de la pension alimentaire.

La délégation a expliqué que les donados sont des personnes privées de liberté auxquelles les familles ne rendent jamais visite et qui se retrouvent de ce fait totalement abandonnées.

En ce qui concerne les allégations d'exécutions extrajudiciaires d'enfants des rues, la délégation a assuré qu'il n'y a pas au Nicaragua de politique d'exécution extrajudiciaire d'enfants. Les personnes commettant de tels délits, qu'il s'agisse de simples citoyens ou de fonctionnaires de l'État, sont soumises aux règles juridiques pour faire valoir le droit et faire respecter les droits de l'homme, a insisté la délégation.

Priée de fournir des informations sur les cas dans lesquels des personnes ou des organismes liés à l'appareil d'État sont soupçonnés d'avoir menacé ou agressé des journalistes, la délégation a indiqué que trois plaintes ont été déposées auprès du bureau des Défenseurs des droits de l'homme par des journalistes contre l'État.

Priée de commenter les informations transmises au Comité selon lesquelles des membres d'organisations de défense des droits de l'homme ont fait l'objet de mauvais traitements physiques, de menaces et de diffamation par les autorités gouvernementales, la délégation a indiqué ne pas disposer de références concernant un cas spécifique. Face à une situation présumée de mauvais traitements, il existe des normes juridiques permettant à tout citoyen s'estimant victime d'un tel traitement de déposer plainte, a souligné la délégation.

En ce qui concerne l'exploitation sexuelle des enfants et, d'une manière générale, la violence à leur encontre, la délégation a indiqué que le Commissariat de la femme et de l'enfance a, pour les années 2006 et 2007, rapporté des cas dans douze districts municipaux, totalisant 11 cas de délits sexuels liés à l'exploitation à des fins commerciales, 5 cas de corruption de mineurs et 6 cas de traite de personnes. La Sécurité publique a pour sa part rapporté un cas où un local a été fermé en raison de la présence, dans ce local, d'un adolescent en situation d'exploitation sexuelle à des fins commerciales. Le Ministère public, en ce qui le concerne, a rapporté 15 cas durant la même période et dans les mêmes districts municipaux, tous enregistrés dans la catégorie de la traite de personnes. Enfin, le Ministère de la famille, de l'adolescence et de l'enfance a pour sa part enregistré, pour 2006 et 2007, un total de 159 plaintes pour délits sexuels en rapport avec l'exploitation sexuelle à des fins commerciales.

S'agissant des mesures prises pour remédier à la situation de marginalisation des populations autochtones des régions de la Côte atlantique, la délégation a souligné que dès son entrée en fonction, en 2007, le Gouvernement de réconciliation et d'unité nationale s'est proposé d'accorder une attention accrue à l'intégration et à la participation des populations autochtones dans la vie publique et économique par le biais, en particulier, des processus d'autonomie régionale. La délégation a attiré l'attention sur la mise en place récente du premier Gouvernement territorial autochtone avec la création du Régime spécial de Bocay. Le Gouvernement du Nicaragua est en train de procéder à la délimitation des territoires des communautés autochtones, a par ailleurs souligné la délégation, précisant qu'il est prévu que tous les titres de propriétés des populations autochtones auront été définis d'ici la fin de cette année.

Un membre du Comité ayant fait état d'allégations selon lesquelles le système judiciaire aurait été manipulé à maintes reprises par les pouvoirs politique, économique, voire religieux, la délégation a souligné que la loi énonce le principe de l'indépendance et de l'impartialité de la justice et que les juges ne doivent obéissance qu'à la Constitution et aux lois. Au mois de juin 2008, grâce à la pression des bailleurs de fonds de la communauté internationale, mais aussi des ONG, la Cour supérieure de justice a fini par adopter un règlement de la carrière judiciaire qui prévoit un processus de sélection au mérite pour l'attribution des postes de juges; ainsi, seuls ont désormais accès à la magistrature les juges qui réussissent un concours. La loi encadre strictement les raisons pour lesquels un procureur ou un juge peuvent être destitués, a ajouté la délégation.

Répondant à des questions sur les mesures prises pour veiller au respect des droits de l'homme des journalistes et des défenseurs des droits de l'homme et pour assurer la liberté d'expression, la délégation a notamment expliqué, pour ce qui concerne des agressions commises contre des journalistes, que l'auteur de l'assassinat de María José Bravo a été identifié, jugé et condamné et purge actuellement sa peine en prison. La délégation a mentionné un autre cas où les auteurs du crime contre un journaliste ont aussi été condamnés et purgent actuellement leur peine en prison. En revanche, a précisé la délégation, cette seconde affaire ne serait pas liée à la profession de la victime, contrairement à ce qui était le cas pour l'assassinat de Mme Bravo.

En ce qui concerne les arrestations qui ont eu lieu à la fin du mois de mars dernier dans le contexte d'une grève des transports, la délégation a affirmé que ces arrestations n'ont pas eu lieu en raison de la grève elle-même mais en raison des violences, contre des biens et des personnes, qui étaient sur le point d'être commises par des grévistes.


Observations préliminaires

M. Rafael Rivas Posada, Président du Comité, a déclaré qu'à l'issue de cette journée d'examen du rapport nicaraguayen, il est clair que le Nicaragua a mis en place un processus dynamique en engageant des réformes internes et en abordant ces dernières années un certain nombre de problèmes qui, aux yeux de la communauté internationale, constituaient des violations des droits des citoyens nicaraguayens. Il faut toutefois reconnaître que parmi toutes les normes existantes, il est très difficile de discerner ce qui fonctionne efficacement et d'appréhender l'impact réel de ces normes sur la vie des citoyens.

M. Rivas Posada a souligné que, du point de vue du Comité, le fait que l'on puisse emprisonner une personne au motif qu'elle n'aurait pas respecté ses obligations civiles constitue une violation du Pacte. En ce qui concerne la question de l'avortement – et tout en se disant conscient des paramètres religieux et politiques de cette question, M. Rivas Posada a souligné qu'il convient pour tout pays d'honorer ses obligations en vertu du Pacte, s'agissant en l'occurrence de l'intégrité des femmes. Les lois en vigueur au Nicaragua s'agissant de cette question de l'avortement sont trop strictes et vont à l'encontre de ce qui est énoncé dans le Pacte, a déclaré le Président du Comité.

Pour ce qui est des abus imputables à des agents de l'État, il serait bon que le Nicaragua fournisse au Comité des informations plus précises sur la façon dont sont menées les enquêtes dans de telles affaires, sur les poursuites qui sont engagées en la matière et sur la manière dont les responsables sont sanctionnés.


Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas un document officiel

CT08020F