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LE COMITÉ CONSULTATIF TIENT UN DÉBAT INTERACTIF SUR LA CRISE ALIMENTAIRE MONDIALE AVEC UN REPRÉSENTANT DE LA CNUCED

Compte rendu de séance

Le Comité consultatif du Conseil des droits de l'homme a tenu ce matin, dans le cadre du débat sur le droit à l'alimentation, un débat interactif avec M. Heiner Flassbeck, Directeur de la division de la mondialisation et des stratégies de développement de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED).

M. Flassbeck a fait une présentation sur les causes de la spéculation sur les prix des denrées alimentaires, estimant notamment que le moyen de lutte le plus simple contre ce phénomène consiste en une intervention des pouvoirs publics sur les marchés. Il a également répondu aux questions des experts du Comité consultatif et des représentants de deux organisations non gouvernementales qui ont participé au débat: Mouvement indien «Tupaj Amaru» et Comisión Jurídica para el Autodesarollo de los Pueblos Originarios Andinos (CAPAJ).

Le Président du Comité consultatif a ensuite déclaré close la phase des débats généraux consacrés aux différentes demandes qui lui été soumises par le Conseil des droits de l'homme. Les experts des deux groupes de rédaction désignés devront maintenant avancer dans la formulation, à l'intention du Conseil, de recommandations s'agissant des questions relatives au droit à l'alimentation et à l'éducation dans le domaine des droits de l'homme. Le Comité consultatif décidera ultérieurement de la procédure à suivre pour rendre compte des débats menés au sein du Comité consultatif sur les autres demandes du Conseil, qui concernent la promotion d'un ordre international démocratique et équitable, les personnes disparues, les droits de l'homme des personnes handicapées, l'élimination de la discrimination à l'encontre des personnes touchées par la lèpre et les droits fondamentaux des femmes.


Lundi prochain, le Comité consultatif se réunira à 10 heures pour étudier des questions d'organisation et ses méthodes de travail.


Débat interactif sur la crise alimentaire mondiale

Présentation

M. HEINER FLASSBECK, Directeur de la division de la mondialisation et des stratégies de développement à la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED), a présenté au Comité consultatif une analyse sur les effets de la spéculation sur les prix des aliments. La théorie économique explique que sur le long terme, les prix de produits de base n'évoluent pas en fonction de l'offre et de la demande. Après la fin de la bulle spéculative et la crise des crédits immobiliers à risque (subprimes) aux États-Unis, des fonds importants ont été transférés vers le secteur des matières premières. Le problème actuel tient notamment aux instruments financiers utilisés pour les opérations sur les marchés. Les acheteurs physiques ont la possibilité d'acheter maintenant, à un prix fixe, sur le marché à terme d'instruments financiers (futures market), ce qui est une manière pour eux de garantir le prix de denrées dont ils auront besoin. Les spéculateurs, eux, utilisent les mêmes instruments mais pour mieux revendre les contrats et en tirer des bénéfices. Sur une grande échelle, le marché à terme d'instruments financiers peut entraîner des modifications des prix des marchandises réelles, et non plus seulement de l'instrument financier.

Cependant, un tournant est inévitable à un moment ou à un autre, a souligné M. Flassbeck. Comme on l'a vu dans l'immobilier, une offre pléthorique entraîne un effondrement du marché. De même, en cas de menace de récession, les spéculateurs se détournent des contrats à terme et on constate un relâchement des prix. Dans ce domaine, les informations et les rumeurs jouent un rôle très important. Par exemple, il est difficile de démontrer l'effet direct des biocarburants sur les prix des aliments. Par contre, l'annonce par les pouvoirs publics qu'ils souhaitent investir dans ce domaine est un facteur fortement incitatif à l'entrée des spéculateurs sur des marchés où ils flairent de bonnes affaires à réaliser. Ces informations exacerbent en réalité les tendances du marché et il est très difficile de quantifier les conséquences en termes de prix.

M. Flassbeck a déclaré que, pour lutter contre le caractère explosif de la spéculation, le moyen d'intervention le plus simple pour les gouvernements consiste à adopter des mesures anticycliques et à mettre leurs stocks sur leur marché afin d'enrayer les envolées de prix. Le fait est que ces douze derniers mois, on ne voit aucune raison de considérer la spéculation comme permettant de stabiliser ou de réguler le marché. Au contraire, elle a déstabilisé les producteurs qui ne disposent plus, à cause d'elle, de prévisions fiables quant à une évolution normale des prix, ce qui les aurait peut-être encouragés à investir pour accroître au final la production. Du côté de la demande, la situation est claire, les gouvernements doivent subventionner les personnes incapables de payer les prix demandés. Une certaine stabilité des prix des aliments est en réalité vitale.

Débat

M. JEAN ZIEGLER, expert du Comité consultatif, a évoqué la question posée par Che Guevara devant la CNUCED en 1964 sur l'obligation des gouvernements de créer des stocks pour contrer la spéculation. Le système mis au point en 1964 par la CNUCED est-il toujours adéquat aujourd'hui? Il a ensuite évoqué une autre manière de lutter contre la spéculation, soit le code pénal, qui punit le délit d'usure. M. Ziegler a demandé si les échanges sur les marchés à terme sont assimilables au délit d'usure. Finalement, il a suggéré une troisième voie de lutte contre la spéculation sur les produits alimentaires, soit l'interdiction des marchés à terme. Il a demandé si cette mesure serait efficace pour briser la spéculation. Il a ensuite attiré l'attention sur les agissements du monde bancaire, qui s'est précipité ces dernières années sur la spéculation sur les denrées alimentaires de base.

M. FLASSBECK a répondu qu'il existe déjà des fluctuations énormes et incontrôlées, sur les marchés des États Unis par exemple. Le marché fonctionne en enduisant les gens en erreur, en laissant croire à une évolution réaliste des prix. Les banques fonctionnent effectivement de plus en plus comme des fonds spéculatifs. Par les moyens modernes de communication, les banques d'investissement savent en temps réel quel investissement a été fait par d'autres spéculateurs, ce qui entraîne des réactions rapides et violentes des marchés au niveau mondial. Cela était fort rare jadis, hormis le crash de 1929, ou encore la crise - anecdotique - de la tulipe en Hollande.

Comme le montre le Rapport sur le commerce et le développement, la constitution de stocks alimentaires reste le moyen le plus direct de pallier la spéculation. Mais un petit pays ne peut agir seul et demeure donc vulnérable; cette action nécessite une bonne coordination entre les pays. Grâce à cette coopération, il est possible de limiter les excès spéculatifs. Les États doivent être vigilants et ne pas hésiter à intervenir pour rester crédibles.

Un investisseur, selon la logique de la redistribution dans l'économie de marché, peut s'attendre à un rendement proche de l'évolution du marché, soit de 2 à 5% environ, a poursuivi M. Flassbeck. Un profit supérieur correspond à de l'argent soutiré au détriment des partenaires économiques. Une promesse de rendement 25% sera toujours le résultat d'un investissement très risqué. S'agissant de la question de M. Ziegler sur l'interdiction de l'usure, M. Flassbeck a suggéré qu'il serait peut être possible d'imposer le principe qu'un produit acheté à terme ne soit pas revendu avant une délai minimum, afin d'éviter le jeu spéculatif d'achats et reventes nombreuses et rapides, ce qui entraîne une explosion artificielle des prix.

M. JOSÉ BENGOA, expert du Comité consultatif, a rappelé que le Conseil des droits de l'homme a donné pour mandat au Comité consultatif de présenter des orientations sur la question du droit à l'alimentation. L'expert a demandé à M. Flassbeck s'il existe ou non un problème de disponibilité des aliments de base; l'apparition de nouveaux gros importateurs tels que l'Inde ou la Chine entraîne-t-elle une diminution des stocks d'aliments disponibles?

M. WOLFGANG HEINZ, expert du Comité consutatif, a voulu des précisions sur les prises de position et réactions des gouvernements et de l'Organisation mondiale du commerce quant aux phénomènes décrits par M. Flassbeck. Peut-on s'attendre à une évolution politique dont pourrait tirer parti le Comité consultatif dans l'examen de cette question?

M. LÁZARO PARY (Mouvement indien «Tupaj Amaru») a déclaré que la mondialisation s'inscrit dans un nouvel ordre économique voulu par la communauté internationale. Or, les lois du marché ont conduit à des catastrophes telles que la faim et la spéculation, la destruction de l'environnement et des communautés autochtones. Il faudrait imposer un code de conduite international aux grandes sociétés transnationales et, notamment aux banques, qui s'adonnent à la spéculation.

M. TOMÁS ALARCÓN (Comisión Jurídica para el Autodesarollo de los Pueblos Originarios Andinos - CAPAJ) a demandé à M. Flassbeck ce qu'il pensait des traités de libre-échange entre les États-Unis et les pays d'Amérique du Sud, qui ouvrent un terrain favorable aux spéculateurs au détriment des populations autochtones, notamment.

M. FLASSBECK a indiqué que les évolutions des régimes alimentaires peuvent expliquer une augmentation lente et progressive des prix, mais pas des explosions de prix. L'évolution régulière des marchés alimentaires devrait permettre aux petits entrepreneurs d'améliorer leurs revenus et donc leurs investissements, pour une augmentation de la production au final. Le monde est capable de faire face à une telle évolution. Au plan politique, les réactions sont très contrastées. Par exemple, le Congrès des États-Unis a organisé des auditions très intéressantes sur les causes de la crise alimentaire et du rôle de la spéculation. La théorie économique dominante estime que le phénomène est transitoire: mais cette explication n'est pas suffisante si cette période transitoire entraîne des décès. Le pouvoir politique dispose d'un pouvoir régulateur pour faire face aux conséquences des fluctuations des prix sur les marchés. D'une manière générale, les rôles respectifs de l'État et des marchés doivent être rééquilibrés, tel est en tout cas le point de vue de la CNUCED.

Quant aux accords de libre-échange, il est difficile de dire s'ils favorisent la spéculation, a déclaré le représentant de la CNUCED. La CNUCED milite depuis longtemps pour une plus grande marge de manœuvre des gouvernements des pays du Sud en matière de maîtrise des ressources de base et des financements nécessaires à la diversification. Enfin, l'imposition d'un code de conduite est une bonne idée, a estimé M. Flassbeck, mais il devrait d'abord concerner tout d'abord les États et viser à susciter de leur part une réaction coordonnée face aux difficultés du marché.



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