Fil d'Ariane
LE COMITÉ CONTRE LA TORTURE ENTAME L’EXAMEN DU RAPPORT DU LUXEMBOURG
Le Comité contre la torture a entamé, ce matin, l'examen du cinquième rapport périodique du Luxembourg sur les mesures prises par ce pays pour se conformer aux dispositions de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
La délégation luxembourgeoise, dirigée par Mme Joëlle Schaack, juriste auprès du Ministère de la justice du Luxembourg, a notamment présenté des informations relatives aux nouvelles procédures d'asile; à la notion de pays tiers sûr dans le contexte de l'extradition, du refoulement ou de l'expulsion d'un individu; aux conditions de détention des étrangers en rétention administrative; au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière; à la durée du «droit de rétention»; aux mesures prises par le pays pour éviter les brutalités policières lors de l'interpellation de suspects; aux conditions de détention dans les quartiers d'isolement des établissements pénitentiaires.
Le Luxembourg n'a jamais eu recours à la pratique des assurances diplomatiques dans les cas d'extradition, de refoulement ou d'expulsion, a assuré la délégation. Elle a en outre rappelé que le Luxembourg n'a aucune loi spéciale ou loi antiterroriste qui limiterait les garanties accordées à la personne retenue. La délégation a par ailleurs fait savoir qu'aucune plainte pour torture ou traitement cruel n'a été enregistrée au cours de ces cinq dernières années.
La délégation luxembourgeoise était également composée du Représentant permanent et de la Réprésentante permanente adjointe du Luxembourg auprès des Nations Unies à Genève, M. Jean Feyder et Mme Christine Gay; de M. Jean-Marie Wagner, Directeur Organisation, Méthodes et Emploi (DOME); du Directeur du Centre pénitentiaire de Luxembourg, M. Vincent Theis; du Procureur d'État adjoint; M. Georges Heisbourg; et de M. Jean-Paul Reiter, Conseiller de direction auprès du Ministère des affaires étrangères et de l'immigration.
Le rapporteur du Comité pour l'examen du rapport luxembourgeois, M. Guibril Camara, a notamment demandé, s'agissant de la notion de «pays tiers sûr» employée dans le cadre des procédures de demande d'asile, comment on pouvait être sûr qu'un individu, quand bien même il proviendrait d'un pays offrant les meilleures garanties, n'encourt aucun risque dans son pays. La co-rapporteuse, Mme Essadia Belmir, s'est inquiétée de constater qu'une grande variété de personnes – mineurs en difficulté, mineurs délinquants, personnes placées en détention provisoire, entre autres – se trouvent dans les mêmes lieux de privation de liberté.
Le Comité entendra demain après-midi, à 15 heures, les réponses de la délégation luxembourgeoise aux questions qui lui ont été posées ce matin. Cet après-midi, à 15 heures, le Comité entamera les réponses de la délégation danoise aux questions qui lui ont été adressées hier matin.
Présentation du rapport
La Chef de la délégation luxembourgeoise, MME JOËLLE SCHAACK, juriste auprès du Ministère de la justice du Luxembourg, a brièvement pris la parole pour présenter sa délégation et indiquer qu'elle attend beaucoup de ce dialogue avec le Comité.
La délégation luxembourgeoise a ensuite fourni des renseignements complémentaires en réponse à une liste de questions écrites qui lui étaient adressées par le Comité.
La délégation a notamment attiré l'attention sur l'adoption en 2006 d'une nouvelle loi qui introduit notamment le concept de protection subsidiaire (ndlr: pour les personnes qui ne peuvent pas obtenir le statut de réfugié) et prévoit une procédure accélérée de traitement des demandes d'asile. Cette loi énonce des règles précises, qui jusqu'ici n'étaient pas écrites, sur le contenu des droits découlant de la protection des demandeurs d'asile. Pour ce qui est des mécanismes de recours existants, ils ont pour points communs d'être des recours visant à contrôler non seulement la légalité mais aussi l'opportunité de la décision et d'avoir un effet suspensif. Un requérant d'asile ne peut donc être éloigné du territoire tant que le recours qu'il a déposé n'a pas été examiné, a insisté la délégation.
Le Comité ayant souhaité savoir si un individu provenant d'un État tiers déclaré «sûr» par le Grand-Duché du Luxembourg peut faire valoir qu'il risque d'être soumis à la torture en cas d'extradition, de refoulement ou d'expulsion, la délégation a indiqué que la notion de «pays tiers sûrs» relève de la transposition dans la législation nationale d'une directive européenne. Quoi qu'il en soit, le Luxembourg n'a jamais utilisé cette notion de «pays tiers sûrs», a-t-elle précisé. Elle a en outre souligné que, en tout état de cause, chaque demande d'asile fait l'objet d'un examen individuel. Aucune assurance diplomatique n'a jamais été demandée dans ce contexte par le Luxembourg, a par ailleurs assuré la délégation.
Priée de fournir des indications détaillées sur les cellules situées au sous-sol des locaux de police et des services de douane dans lesquelles sont placés des étrangers en rétention administrative, la délégation a indiqué que les personnes arrêtées provisoirement par la police sont principalement enfermées dans les cellules d'arrêt provisoires des six centres d'intervention principaux qui fonctionnent 24 heures sur 24. En outre, a poursuivi la délégation, certains commissariats de proximité disposent de locaux de sécurité qui servent à retenir des personnes passagèrement, par exemple avant un interrogatoire. Les cellules d'arrêt provisoires sont constituées de façon à ce qu'elles ne donnent aucune possibilité de se blesser ou de se suicider, a souligné la délégation; une attention particulière est accordée à leur entretien, afin qu'elles soient dans un état de propreté impeccable.
Le Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière a été créé en 2002, a par ailleurs rappelé la délégation. Ce Centre a été créé provisoirement au sein du Centre pénitentiaire de Luxembourg, unique centre fermé du pays. Pour l'instant, il reste situé dans ce Centre pénitentiaire, en tant que solution intermédiaire. La décision politique a été prise de ne plus placer de femmes dans ce Centre de séjour provisoire jusqu'au jour où le centre définitif aura ouvert ses portes, étant donné qu'en l'état actuel des choses, il serait impossible de séparer ces femmes des détenues de droit commun.
Un étranger en séjour irrégulier au Luxembourg peut être «mis à la disposition du Gouvernement» pendant une durée d'un mois, renouvelable à deux reprises, donc pour une durée maximale de trois mois, a par ailleurs indiqué la délégation.
Aucune plainte pour torture ou traitement cruel n'a été enregistrée au cours de ces cinq dernières années, que ce soit par les deux parquets (organes de poursuites) ou par la police des polices, a fait savoir la délégation. Elle a ajouté qu'une association privée a adressé une lettre de protestation dans le cas d'espèce de M. Igor Beliatskii, un requérant d'asile d'origine bélarusse dont la demande a été rejetée comme étant incohérente, vague et contradictoire.
Après les années 2003-2004, où le pays avait connu une forte croissance des demandes d'asile – en particulier en provenance d'Afrique de l'Ouest -, le nombre de demandes a beaucoup diminué à compter de 2005, tendance qui s'est confirmée en 2006.
Interrogée sur la compétence des tribunaux luxembourgeois pour engager des poursuites à l'encontre d'un citoyen luxembourgeois pour des actes de torture commis à l'étranger, la délégation a souligné que les actes de torture sont punis de «peines criminelles» et que, par voie de conséquence, le Luxembourg en déduit une compétence universelle.
S'agissant de la durée de la garde à vue, la délégation a indiqué que la législation du Luxembourg ne prévoit pas, à proprement parler, la garde à vue au sens de la notion française de ces termes. Elle prévoit en revanche un «droit de rétention» dont la durée est de 24 heures et ne peut en aucun cas excéder ce délai. Pour qu'une décision de rétention soit prise, il faut qu'il existe des indices graves et concordants de nature à motiver l'inculpation ultérieure de l'individu. Le délai de 24 heures court à compter du moment où la personne est retenue en fait par la police.
Il y a lieu de noter que la pratique de la mise au secret (interdiction de communiquer) a été abandonnée depuis la fin des années 1990, a par ailleurs fait valoir la délégation.
Interrogée sur les mesures prises par le pays pour éviter les brutalités policières lors de l'interpellation de suspects, la délégation a invoqué la formation de base ainsi que la formation continue dispensée aux policiers durant leur carrière. Elle a également invoqué le contrôle exercé par la hiérarchie et le contrôle externe exercé par l'Inspection générale de la police, ainsi que le contrôle de la part des autorités judiciaires compétentes.
Au Luxembourg, a souligné la délégation, le système répressif ne s'applique pas aux mineurs qui sont, par définition, pénalement irresponsables jusqu'à l'âge de 18 ans et ne font pas l'objet de sanctions répressives mais de mesures de protection.
La délégation a par ailleurs rappelé que le Luxembourg n'a aucune loi spéciale ou loi antiterroriste qui limiterait les garanties accordées à la personne retenue.
Priée de décrire les conditions de détention dans les quartiers d'isolement des établissements pénitentiaires, la délégation a expliqué que le règlement grand-ducal concernant l'administration et le régime interne des établissements pénitentiaires prévoit le placement en «régime cellulaire strict» pour les détenus réputés dangereux et pour les détenus faisant l'objet d'une mesure disciplinaire et ce, pour une durée maximale de six mois voire de douze mois en cas de récidive dans les trois ans. La mesure de placement en régime cellulaire strict doit faire l'objet d'une révision obligatoire tous les trois mois, a précisé la délégation. Elle a par ailleurs indiqué que le placement en «cellule de punition» peut être prononcé pour une durée de trente jours au maximum.
En ce qui concerne le système de l'opportunité des poursuites tel qu'il est en vigueur au Luxembourg pour les magistrats des poursuites, la délégation a expliqué que ce système offre la possibilité au parquet de classer une affaire. Toutefois, a assuré la délégation, il ne viendrait à l'idée d'aucun procureur au Luxembourg de classer sans suite une affaire de torture. La délégation a rappelé que toute décision de classement sans suite d'une affaire doit être motivée par le procureur à l'attention de son supérieur.
Il ne saurait être question qu'un aveu obtenu sous la torture puisse valoir en tant qu'élément de preuve, a par ailleurs souligné la délégation. Toute preuve doit être obtenue de manière non seulement légale mais loyale, a-t-elle insisté.
Le cinquième rapport périodique du Luxembourg (CAT/C/81/Add.5) rappelle que les actes de torture au sens de la Convention sont réprimés par les articles 260-1 à 260-4 du Code pénal, et cela qu'ils soient commis par des particuliers envers des particuliers ou par des personnes dépositaires de l'autorité publique. Le Code pénal prévoit une aggravation des peines qui seront échelonnées selon le préjudice subi par la victime et résultant des actes de torture. Sont visées par ces articles tant les tortures physiques que psychiques. Même si, à l'heure actuelle, de tels comportements restent inconnus au Luxembourg, il n'en demeure pas moins que par son arsenal de textes législatifs efficace le Luxembourg est en mesure de réprimer de tels comportements. Le Règlement grand-ducal du 9 septembre 1992 portant sur la sécurité et la discipline dans les centres socio-éducatifs de l'État, ainsi que la loi du 16 juin 2004 portant réorganisation des Centres socio-éducatifs de l'État, interdisent formellement les châtiments corporels, ajoute le rapport.
Un règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 a créé un centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière, indique par ailleurs le rapport. En vertu de ce texte, les étrangers qui subissent une mesure privative de liberté sur base de la loi sur l'entrée et le séjour des étrangers sont retenus dans une section spéciale dans le cadre du Centre pénitentiaire de Luxembourg. Durant leur séjour au Centre, ils sont strictement séparés des autres détenus et sont soumis à un régime spécial adapté à leur situation spécifique comportant certains droits. Les centres socio-éducatifs de l'État (CSEE) accueillent les mineurs, filles ou garçons, présentant des troubles du comportement. Ces jeunes sont placés dans les CSEE par les instances judiciaires compétentes pour une durée indéterminée et, en règle générale, jusqu'à l'âge de 18 ans accomplis. Le nombre de mineurs placés au Centre pénitentiaire dans le cadre de la loi sur la protection de la jeunesse se situe au nombre de 10. Le 20 mai 2003, le Premier Ministre a déposé un projet de loi relatif à la réorganisation des CSEE et à la création d'une unité de sécurité fermée pour mineur(e)s sur le site du CSEE de Dreiborn; cette loi a été adoptée en juin 2004. Le régime cellulaire strict est applicable aux détenus prévenus et condamnés et est susceptible d'être prononcé à l'encontre de personnes en raison de leur caractère dangereux, d'une part, et à titre de sanction disciplinaire pour punir les fautes les plus graves, d'autre part.
Examen du rapport
Le rapporteur du Comité pour l'examen du rapport luxembourgeois, M. GUIBRIL CAMARA, a relevé la décision prise par le tribunal administratif du Luxembourg qui a considéré qu'un requérant d'asile ne doit pas être placé en prison mais plutôt dans une chambre d'un foyer ou dans tout autre local similaire approprié et, quoi qu'il en soit, sous surveillance policière afin d'éviter qu'il ne se soustraie à la mesure d'éloignement ultérieure. De quel degré de liberté une telle personne, qui n'a commis aucune infraction, dispose-t-elle alors si sa liberté de mouvement est ainsi entravée, s'est interrogé M. Camara ?
Quand bien même il proviendrait d'un pays offrant les meilleures garanties, de quel droit peut-on dire qu'un individu n'encourt aucun risque dans ce pays, a par ailleurs demandé M. Camara, revenant ici sur la notion de «pays tiers sûr» ?
M. Camara a pris note des propos de la délégation luxembourgeoise selon lesquels le Luxembourg ne connaît aucun cas de torture; mais encore faudrait-il, pour pouvoir affirmer cela, que la torture soit définie dans ce pays dans les mêmes termes que ceux de l'article premier de la Convention, a-t-il souligné.
MME ESSADIA BELMIR, co-rapporteuse du Comité pour l'examen du rapport du Luxembourg, s'est inquiétée de constater qu'une grande variété de personnes – mineurs en difficulté, mineurs délinquants, personnes placées en détention provisoire, entre autres – se trouvent dans les mêmes lieux de privation de liberté. Elle a notamment déploré que soient «mis dans le même sac» les mineurs en difficultés et les mineurs en conflit avec la loi.
Mme Belmir a par ailleurs réitéré ce qu'a déjà dit le Comité, à savoir que le régime cellulaire devrait être expressément réglementé par la loi et que le contrôle judiciaire en la matière devrait être renforcé. D'une manière générale, Mme Belmir s'est enquise du contrôle juridictionnel exercé sur les différentes décisions prises à l'égard des personnes privées de liberté.
Mme Belmir a également soulevé le problème des châtiments corporels qui, semble-t-il, seraient tolérés au Luxembourg et ne feraient pas l'objet d'une répression stricte.
Un autre membre du Comité a souhaité en savoir davantage sur les garanties offertes par le Luxembourg en matière de protection du principe de non-refoulement.
Un expert s'est réjoui des bons liens existant entre les autorités et la société civile luxembourgeoises. Cet expert s'est toutefois inquiété d'informations selon lesquelles l'adhésion au Protocole facultatif se rapportant à la Convention ne serait pas, pour l'heure, une question prioritaire pour le Luxembourg.
Les dispositions de la Convention sont-elles directement applicables au Luxembourg, a demandé un expert ?
Un autre membre du Comité a fait état d'informations en provenance de l'organisation non gouvernementale ACAT (Action des chrétiens pour l'abolition de la torture) selon lesquelles un citoyen de la République démocratique du Congo a été interrogé par le Ministère des affaires étrangères au Luxembourg et exposé à des violences physiques. Deux rapports médicaux décrivent les blessures conséquentes à cet interrogatoire; mais en dépit de ces deux rapports, il n'y a pas eu de plainte, le citoyen concerné ayant alors directement soumis son cas à la Cour européenne des droits de l'homme, a fait observer l'expert. Il a souhaité les commentaires de la délégation à ce sujet.
Il existe au Luxembourg une situation très saine en ce qui concerne la protection et la promotion des droits de l'homme, a souligné le Président du Comité, M. Andreas Mavrommatis. Ce dialogue avec le Comité pourrait néanmoins mettre en lumière quelques lacunes en matière de protection, a-t-il ajouté.
Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas un document officiel
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