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COMITÉ DES DROITS ÉCONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS : JOURNÉE DE DISCUSSION GÉNÉRALE SUR LE DROIT À LA SÉCURITÉ SOCIALE

Compte rendu de séance

Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a tenu toute la journée de ce lundi une discussion générale sur le thème du droit à la sécurité sociale, dont traite l'article 9 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et qui doit faire l'objet d'une observation générale adoptée par le Comité. À ce titre, il a entendu des interventions d'experts, de représentants d'associations professionnelles, d'institutions de recherche et d'institutions des Nations Unies.

Introduisant le débat, M. Alessio Bruni, représentant du Haut Commissaire aux droits de l'homme, responsable des traités et du suivi, a souligné que les débats thématiques du Comité favorisent la compréhension du contenu et des implications de certains articles du Pacte international sur les droits économiques, sociaux et culturels. Ces débats ont déjà permis l'adoption d'observations générales permettant au Comité de clarifier le contenu normatif du Pacte, d'aider les États partie à remplir leurs obligations à cet égard et à d'autres acteurs de contrôler la réalisation pratique des droits. Or, le contenu de ce droit est encore méconnu des praticiens du droit et sa dimension «droits de l'homme» est négligée.

Mme Maria Virginia Bras Gomes, Rapporteur du Comité pour l'observation générale sur l'article 9, a souligné que la formulation du Pacte correspond à une certaine conception de la sécurité sociale. L'arrivée d'un grand nombre de femmes sur le marché du travail, la mondialisation, les nouvelles modalités d'emploi et de chômage, l'existence de filets de sécurité sociale et le problème de l'accès à la sécurité sociale par les travailleurs du secteur informel sont autant de problèmes qui se posent à l'échelle mondiale, a dit Mme Bras Gomes.

Le débat a notamment porté sur les droits à la sécurité sociale des personnes appartenant au secteur informel et des personnes migrantes; sur le rôle des acteurs non étatiques dans le système de l'organisation internationale du travail; et sur les perspectives régionales africaines, notamment.

Outre les membres du Comité, se sont exprimés des experts et représentants des associations et institutions suivantes: Organisation internationale du travail, Association internationale pour la sécurité sociale, Comité européen des droits sociaux, Université du Québec, Centre on Housing Rights and Evictions (COHRE), Confédération internationale des syndicats, Organisation internationale des employeurs, Commission internationale des juristes, Institut Tata des sciences sociales, ainsi que d'autres représentants d'organisations internationales et organisations de la société civile.


Déclarations d'introduction

M. ALESSIO BRUNI, représentant du Haut Commissariat aux droits de l'homme, a souligné que les débats thématiques auxquels se livre le Comité favorisent la compréhension du contenu et des implications de certains articles du Pacte international sur les droits économiques, sociaux et culturels. Ces débats ont déjà permis l'adoption d'observations générales permettant au Comité de clarifier le contenu normatif du Pacte, d'aider les États parties à s'acquitter de leurs obligations à cet égard et à d'autres acteurs de contrôler la réalisation pratique des droits.

Le droit à la sécurité sociale, a souligné M. Bruni, est une garantie juridique importante visant à assurer à chacun et chacune le droit de vivre dignement dans des situations de détresse économique, qu'elle soit due au grand âge, au handicap, au chômage ou à la maladie, entre autres causes. L'application de ce droit est aussi une condition sine qua non de la réalisation des autres droits humains, comme par exemple la protection de la mère et de l'enfant, le droit à la santé et d'autres encore. La reconnaissance du système de sécurité sociale en tant que droit humain est une étape essentielle vers le passage d'une approche charitable de l'assistance à celle d'une véritable justice sociale fondée sur des droits. Or, le contenu de ce droit est encore méconnu des praticiens du droit et sa dimension «droits de l'homme» est négligée. Ce débat général tombe donc à point nommé, si l'on en juge par les très nombreuses violations dont le droit à la sécurité sociale est régulièrement l'objet, ainsi que le montrent régulièrement certaines institutions des Nations Unies.

MME MARIA VIRGINIA BRAS GOMES, Rapporteur du Comité pour l'observation générale sur l'article 9, a présenté le texte de l'observation générale étudiée ce jour, observant à cet égard que ce genre de documents permet aux États membres de mieux interpréter les dispositions du Pacte et d'adopter une approche commune des droits de l'homme. La formulation du Pacte correspond à une certaine conception de la sécurité sociale. L'arrivée d'un grand nombre de femmes sur le marché du travail, la mondialisation, les nouvelles modalités d'emploi et de chômage, l'existence de filets de sécurité sociale et le problème de l'accès à la sécurité sociale par les travailleurs du secteur informel sont des problèmes qui se posent à l'échelle mondiale, a dit Mme Bras Gomes.


Organisations internationales

M. G. LÓPEZ MORALES, Organisation internationale du travail, a déclaré que l'OIT apprécie tout particulièrement le projet d'observation générale élaboré par le Comité s'agissant de l'article 9 du Pacte. En effet, cette disposition est encore sujette à interprétation: les observations devraient permettre de définir clairement le niveau des obligations des États en matière de protection sociale. Ces observations, selon M. López Morales, devraient consister à souligner une obligation de résultats ainsi que des obligations de conduite - ou de comportement. L'OIT estime que les États doivent offrir à chacun et chacune une protection de base minimale et non négociable - c'est l'obligation de résultats. Comment peut-elle être définie, telle est la question, dans un monde où le chômage va croissant. L'accès aux soins de base, au travail, sont des droits inaliénables, comme la protection de la famille. Les obligations de comportements visent, quant à elles, à l'application des autres droits que ceux définis plus haut, autrement dit à améliorer la protection de base. La Convention 102 de l'OIT est à cet égard particulièrement importante. Ratifiée par certains États parties, elle n'a pas de fonction prescriptive mais fixe plutôt des objectifs en matière de niveaux acceptables de protection sociale, chaque État devant définir son modèle propre sur cette base et en fonction de ses possibilités et besoins.

M. YANNICK DEHAENE, Association internationale pour la sécurité sociale (AISS), a déclaré que la sécurité sociale, principale innovation du XXe siècle, n'est certes pas encore généralisée, au contraire: le taux de couverture et de protection des populations a diminué depuis dix ans. Selon l'OIT, seuls 20% de la population mondiale bénéficieraient d'une protection adéquate tandis que 50% seraient exclus de toute forme de protection. La raison de cette érosion est le développement de l'économie informelle. Dans le même temps, la sécurité sociale s'est vidée de sa substance: on lui reproche en effet son coût, son inefficacité et son poids financier. Ces critiques viennent en particulier de la Banque mondiale, qui a élaboré sa propre doctrine en la matière, banalisant les risques sociaux. Dans cette conception, le fondement de l'action devrait reposer sur l'individu, la part dévolue au secteur public étant fort restreinte.

Pratiquement, estime donc l'AISS, compte tenu de l'attention dont jouissent actuellement ces doctrines, il faut certes affirmer des droits formels mais il faut aussi convaincre que le maintien et le développement d'une sécurité sociale forte et couvrant l'ensemble de la population est le meilleur investissement possible. Il convient donc de donner un contenu concret aux normes nationales et internationales. L'AISS plaide aussi, entre autres, pour une politique d'information et de conseils aux personnes protégées et pour la participation des bénéficiaires à la gestion et au contrôle du système.

Débat

Lors de la discussion qui a suivi ces interventions, un expert du Comité a demandé dans quelle mesure il était réaliste d'exiger de pays dotés de très peu de moyens de mettre «immédiatement» en place des systèmes de sécurité sociale. Un autre membre a fait valoir que certains pays en développement, le Costa Rica par exemple, ont bel et bien réussi à introduire un système social minimal; le problème, outre le manque de ressources, est que l'idéologie libérale actuellement dominante a tendance à déstabiliser l'idée même du droit à la sécurité sociale et à en imposer une interprétation «a minima». D'autres membres du Comité ont dit leur préoccupation devant la tendance à la privatisation de la sécurité sociale. Un autre a rappelé que la reconnaissance du principe du droit à la sécurité sociale ne pose pas véritablement de problème au plan international, mais que c'est au niveau des États que le travail d'application reste à accomplir. Il a relevé notamment les nombreux obstacles bureaucratiques qui empêchent la réalisation des droits sociaux dans certains pays en voie de développement. Un autre membre du Comité, revenant sur le faible nombre de personnes dans le monde effectivement couvertes par la sécurité sociale, a dit craindre que le Pacte ait été rédigé dans la perspective des «États providence»: à l'heure de la mondialisation, il faut tenir compte de l'expression d'autres points de vue et prendre en considération l'importance croissante de l'économie informelle.

Une représentante de l'Organisation internationale du travail a précisé que des études ont montré qu'il existe, dans les pays pauvres, un espace fiscal permettant l'introduction de prestations sociales minimales. La question est de savoir comment profiter de cette possibilité. Il faut aussi mobiliser la volonté politique nécessaire, a dit la représentante.


Présentations d'experts internationaux

M. JEAN-MICHEL BELORGEY, Président du Comité européen des droits sociaux, a déclaré que la Charte sociale européenne était un instrument beaucoup plus développé que le Pacte. Il a aussi relevé que les systèmes contemporains sont, contrairement à une opinion formulée un peu plus tôt, de nature mixte, et comportent une part caritative et une part fondée sur l'application des droits. La Charte constate que les financements sont diversifiés, les institutions de gestion privées ou publiques. Une certaine conception actuelle postule que les prestations doivent couvrir les besoins élémentaires, mais que dans le même temps il ne faut pas hésiter à proportionner les revenus et les prestations à leurs coûts. La posture de la Charte n'est par réductible à cette position, a dit M. Belorgey. Il a également observé que beaucoup d'indicateurs ont des significations ambivalentes suivant les pays, et que les données précisées font souvent défaut. La question de l'égalité de traitement entre bénéficiaires n'est pas encore résolue, ni celle de l'étendue des prestations. Ceci correspond à une segmentation du marché du travail, certaines catégories de personnes s'en voyant exclues. Mais le problème essentiel tient à l'exclusion des non-nationaux et des migrants des systèmes sociaux.

MME LUCIE LAMARCHE, Université du Québec, a relevé que l'article 9 du projet d'observation générale précise bien que «toute personne» (et non tout homme ou femme) doit bénéficier des droits à la sécurité sociale: cette précision est une bonne chose, car dans les questions de sécurité sociale la formulation des concepts est très importante, a fait observer Mme Lamarche. L'enjeu linguistique est aussi évident dans le cas des travailleurs qualifiés de «marginaux», confondus avec les travailleurs «atypiques» et «informels». Il pourrait être intéressant d'accorder une attention plus grande à cette dernière catégorie de travailleurs. Mme Lamarche s'est dite préoccupée par la tendance à tirer vers le bas les droits à la sécurité sociale. Il faut distinguer la mise en œuvre progressive des droits de l'adoption de mesures régressives à cet égard, a-t-elle dit.

M. MALCOLM LANGFORD (Centre on Housing Rights and Evictions - COHRE) a estimé que le droit à la sécurité sociale est probablement le moins bien appliqué au plan international, à commencer par l'Europe, où certains migrants sont discriminés à cet égard.. Il a aussi déploré une absence d'obligation de rendre des comptes dans ce domaine. M. Langford a commenté l'article 3 du projet, estimant qu'il marginalise les personnes au chômage. Revenant sur la capacité des États pauvres à financer des systèmes sociaux, il a fait remarquer que le système de sécurité sociale de l'Afrique du Sud, par exemple, est incapable, pour des raisons structurelles qui sont communes à bien d'autres pays, d'éradiquer la pauvreté. M. Langford a aussi estimé que le Comité devrait adopter une position plus tranchée vis-à-vis du secteur privé, qui devrait être soumis à une surveillance plus étroite, le droit à la sécurité sociale étant, par définition, davantage «collectif» que d'autres. Le recours au secteur privé pose également la question de la couverture des besoins des femmes et des groupes les plus pauvres, les coûts d'assurance étant en général transférés sur les assurés eux-mêmes. M. Langford a évoqué la question de l'application des droits aux illégaux, relevant que les jurisprudences européennes sont en train d'évoluer dans ce domaine, dans un sens inclusif.

Débat

Un membre du Comité a demandé à M. Langford s'il estimait que les réfugiés fuyant des conflits avaient les mêmes droits en matière de couverture sociale que les résidents des pays où ils trouvaient asile: la charge risquerait de devenir trop lourde pour certains États, ce qui pourrait les décourager d'accueillir des réfugiés. Un autre expert a estimé que les demandeurs d'asile devraient eux aussi bénéficier de mesures différenciées. Un membre du Comité a relevé l'existence, dans le projet de commentaire général, de discriminations indirectes à l'encontre de certaines catégories de bénéficiaires de droits.

Un représentant du Haut Commissariat des Nations Unies aux réfugiés, a souligné que l'accès aux droits sociaux était déjà limité, dans une certaine mesure, pour plusieurs catégories de personnes. Il a commenté certains articles du projet d'observation générale et a notamment recommandé qu'il fasse mention des personnes déplacées internes et qu'il envisage l'introduction d'un paragraphe sur les personnes déplacées ou réfugiées retournant dans leur lieu d'origine.

Un autre intervenant a relevé le problème de l'inclusion dans le secteur informel de catégories entières de travailleurs et demandé quelle était la portée, à cet égard, des articles 9 et 11 du Pacte. Il faut aussi se poser la question de la formulation des programmes d'aide à l'alimentation et à la couverture des personnes qui n'ont pas accès au travail et qui ne sont pas marginalisées pour autant, a dit l'intervenant. La situation des femmes dans les zones rurales, victimes de double discrimination, devrait aussi être abordée par les articles 16 et 17 du projet.

Le représentant de l'Institut allemand des droits humains a pour sa part estimé que le projet d'observation générale insiste trop lourdement sur la notion de «risques sociaux», lesquels n'entraînent pas automatiquement des injustices. Celles-ci interviennent en présence d'un élément supplémentaire, tel que la discrimination d'un groupe particulier. Il s'agit donc de lutter avant tout contre toutes les formes de discrimination et d'exclusion. Le représentant a aussi fait valoir que les questions de sexospécificité n'étaient pas assez intégrées au projet, et notamment la notion de discrimination multiple.

Un représentant de l'Institut indien des sciences sociales, a déploré une déconnexion entre les notions d'avantages collectifs et de sécurité sociale, au détriment de la seconde; cet aspect devrait être souligné par le projet d'observation générale. Il a observé que les stratégies structurelles de certains organismes financiers sont autant d'obstacles à la pleine instauration du droit à la sécurité sociale. L'observation générale devrait par ailleurs inclure des considérations sur les capacités macroéconomiques des États pauvres.

Un représentant de Global Alliance for Improved Nutrition - GAIN a notamment attiré l'attention sur des exemples de micro-assurance destinée aux personnes dépourvues de couverture sociale.


Acteurs non étatiques officiels dans le cadre du système de l'OIT

MME ANGELIKA NUSSBERGER, Comité d'experts de l'Organisation international du travail, a fait valoir que d'autres textes sont très importants pour la défense du droit à la sécurité sociale, mais que le Pacte contient lui aussi des dispositions très pertinentes. L'OIT a élaboré plusieurs concepts de sécurité sociale, dont il faudrait en sélectionner un à terme. Le premier concept est lié au travail, officiel ou informel. La sécurité sociale est le revers du droit au travail, ceci pour échapper à la pauvreté. Ce concept est étroit. Le concept «classique», élaboré par l'OIT, est aussi lié au travail mais inclut aussi le droit à la santé, et est valable pour tous. Un troisième concept inclut la notion d'assistance sociale. Un quatrième concept est celui de droit collectif visant à atténuer la pauvreté. L'observation générale reprend certaines de ces idées, comme par exemple lorsqu'il est fait mention du «droit à vivre dans la dignité», qui englobe de fait une série de droits distincts. Il serait souhaitable d'adopter une démarche cohérente, pour que les États sachent sur quelle base agir. À cet égard, il ne faut pas descendre sous le niveau existant au plan international, il faut donc étudier les acquis existants. Le passage concernant les travailleurs migrants, précisant que s'ils ont contribué à un système, ils «doivent pouvoir»jouir de leurs droits à ce titre, n'est assez clair, a dit Mme Nussberger.

Mme Nussberger a observé que le Comité et l'OIT ont des approches légèrement différentes s'agissant de la question du droit à la sécurité sociale. La seconde, aux termes de la Convention n° 102, évalue quelle est la proportion des personnes couvertes par le système social d'un pays. Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a choisi une approche globale, posant la nécessité de l'intégration générale de toutes les populations marginalisées, dans une optique «droits de l'homme». L'OIT estime qu'il n'est pas possible de traiter tous les risques simultanément, alors que l'approche du Comité est de couvrir tous les risques dans le même mouvement. Reste que l'objectif est le même, à savoir la couverture intégrale de la population.

MME ANNA BIONDI, Confédération internationale des syndicats, a rappelé que la protection sociale est un droit humain, comme le stipule la Convention n° 102 de l'OIT. Elle favorise la productivité, un avantage économique qu'il ne faut pas négliger. Elle contribue aussi au développement économique en général et à la prospérité à long terme des États. Il faut disposer de meilleures données statistiques, a dit la représentante, afin de dissiper la notion qu'il y aurait un hiatus entre la croissance économique et les dépenses de sécurité sociale, idée véhiculée par la Banque mondiale notamment. Un important effort de recherche est nécessaire en matière de bonnes pratiques; il faut aussi généraliser les concertations entre partenaires sociaux, a-t-elle fait valoir en écho aux constatations de l'orateur précédent.

M. MICHEL BARDE, Organisation internationale des employeurs, a fait remarquer qu'il n'y a pas de modèle unique en matière de sécurité sociale: les réformes envisagées dans ce cadre doivent tenir compte des réalités sociales et économiques nationales. La sécurité sociale dépend de la croissance économique et du taux d'emploi, a-t-il aussi expliqué, avant d'assurer que les employeurs ne doivent pas assumer seuls les coûts de la sécurité sociale, qui est de la responsabilité de la société dans son ensemble. M. Barde a aussi fait valoir qu'il n'est pas acceptable que les entreprises et travailleurs de l'économie formelle paient pour ceux du secteur informel, lesquels doivent être intégrés à l'économie générale. L'orateur a aussi mis en avant le rôle des États en matière de discipline fiscale, d'administration financière et de promotion d'une culture d'épargne personnelle.

En matière de financement des systèmes de sécurité sociale, M. Barde a dit que l'accroissement de l'âge des retraites et les politiques migratoires proactives sont des solutions possibles au problème de la pérennité des systèmes de retraite. Ces solutions peuvent être perçues comme une réduction des possibilités de travail pour les jeunes: ce problème doit être traité par des politiques en direction de la formation tout au long de la vie et la mobilité du travail, par exemple. La sécurité sociale étant une question de consensus social, M. Barde a fait valoir que la capacité des partenaires sociaux devrait être renforcée pour qu'ils participent à des discussions paritaires ou tripartites.

Débat

Le représentant de COHRE a demandé comment l'expérience élémentaire de l'injustice évoquée par le représentant de l'Institut allemand des droits humains pouvait être intégrée en tant que telle dans l'appareil juridique.

Un membre du Comité a relevé que le projet d'observation générale a opté pour une approche globale semblable à la quatrième option proposée par la représentante de l'OIT. Pourquoi, a demandé l'expert, faudrait-il se rallier à l'optique préconisée par l'OIT, qui est plus restrictive que l'article 9 du Pacte ? Il n'y a pas d'autre choix que d'adopter des droits fondamentaux, car le problème n'est pas d'adopter des politiques sociales, mais bien de faire valoir des droits humains.

MME Nussberger a dit que l'idée de base des systèmes de pension est l'épargne: l'argent accumulé par les travailleurs en fonction d'un système de solidarité. Le problème est de traiter sur le même pied des travailleurs ayant cotisé et d'autres n'ayant jamais cotisé: les premiers se sentiront floués et refuseront de participer. L'assistance sociale doit figurer dans le Pacte. Pour convaincre tous les travailleurs d'entrer dans le système, il faut donner des incitations. Dans les pays en voie de développement, il faudrait sans doute commencer par des systèmes de micro-assurance, quitte à les élargir progressivement. L'OIT pose que la couverture doit s'adresser à tous, graduellement. L'approche «droits de l'homme» du Comité vise à 100% de couverture, alors que l'approche de l'OIT est basée sur une augmentation progressive des pourcentages de couverture. Les deux approches ne sont pas mutuellement exclusives et ne se mesurent pas en termes de plus ou moins d'exigence, a estimé l'intervenante.

Une experte du Comité a fait valoir que les droits sociaux devraient figurer à l'article 9 du Pacte afin que toutes les professions puissent formellement être couvertes par les systèmes sociaux. En effet, certains travailleurs sont exclus malgré eux de ces systèmes. Si l'on ne parle que d'atténuation de la pauvreté, on ne peut pas se baser sur le critère de défense des droits posé par l'article 9. Le Comité demande l'instauration de normes minimales permettant un niveau de vie décent. Les fins sont donc les mêmes pour l'OIT et le Comité des droits économiques, sociaux et culturels, mais pour des raisons différentes. La protection des droits sociaux dépend, en dernière analyse, du secteur public.

Une représentante de l'OIT a déclaré qu'il fallait tenir compte des différents stades de développement et de la situation du secteur informel. La Convention n° 102 est utile dans certaines circonstances, mais il y a des régions du monde où la ratification de cet instrument est encore impossible. Il est contre-productif de fragmenter la recherche de solutions, a estimé la représentante.

Mme Lamarche a fait observer que l'approche globale doit prévaloir, au risque de trop mettre l'accent sur les aspects normatifs. Il s'agit de défendre la dignité humaine.

Mme Biondi a relevé le problème des conditions d'emploi de plus en plus précaires - contrats à durée déterminée par exemple - interdisant la capitalisation des retraites; elle a aussi évoqué le problème de la gestion des fonds de pension, qui n'est pas sans risque. Elle a craint que beaucoup de temps ne soit perdu dans un débat opposant les droits de l'homme aux politiques sociales, les deux allant naturellement de pair.

Une experte du Comité a fait valoir que le système anciennement basé sur la solidarité s'était mué progressivement en un système de capitalisation, qui exclut les personnes incapables d'y cotiser et donc n'est pas solidaire par définition. Et comment l'État pourrait-il assumer la couverture sociale de ces personnes, sans moyens adéquats ?

M. Barde a fait valoir que les discussions «droits de l'homme ou droits sociaux» avaient peu de pertinence eu égard aux conditions réelles du marché du travail. Des problèmes de possibilités économiques existent, qui rendent impossible la couverture à 100%. Il faut par contre que toute la population puisse être intégrée à un système, même au niveau le plus bas possible.

Un autre intervenant a attiré l'attention sur la création, en Inde, d'un système de prévoyance à l'intention des populations rurales et qui respecte la double exigence évoquée dans les discussions. L'intervenant s'est aussi dit quelque peu inquiet devant la volatilité des marchés financiers, qui a des répercussions sérieuses pour la performance des fonds de pension. L'État doit jouer un rôle pour garantir les rendements de ces fonds.


Perspectives régionales

M. CHRISTIAN COURTIS, de la Commission internationale des juristes, a appuyé l'approche du Comité dans la rédaction de l'article 3, faisant observer que la situation économique et sociale actuelle exigeait une vision neuve. La situation des travailleurs formels est bien couverte par ce projet de commentaire, a dit M. Courtis. Ce dernier a salué l'effort perceptible de précision de situations délicates, notamment celle des femmes: les systèmes de sécurité sociale ne prévoient encore qu'un rôle secondaire des femmes, alors que la situation a complètement changé à cet égard. L'intervenant a aussi relevé que certaines lois établissent encore des différences entre femmes mariées et non mariées. Les personnes handicapées sont victimes de discrimination du même type. En matière de prestations familiales, le Comité devrait prévoir les cadres familiaux non traditionnels et suggérer des listes de bénéficiaires plus larges à ce titre.

En matière d'accès aux prestations, la différenciation sur la base de l'origine nationale devrait être justifiée par les États qui y recourent, a dit M. Courtis, demandant au Comité de prendre position dans ce sens. Enfin, en matière de droit de recours, il a fait remarquer qu'il s'agit d'un droit général que les cours de justice européennes, par exemple, ont consacré à plusieurs reprises. Les systèmes de retraite privés ne devraient certes pas interdits, mais l'État doit conserver la responsabilité ultime d'assurer la viabilité générale des retraites. Le Comité pourrait confirmer cette responsabilité et déterminer les conditions de transfert de certaines responsabilités sociales vers le secteur privé.

MME PAULINE BARRETT-RIED, experte, représentante de l'Organisation internationale du travail pour l'Afrique, a présenté la situation de la sécurité sociale en Afrique, le problème étant d'élargir la couverture sociale, notamment en matière de retraite et d'accès à la santé, à une population de plus en plus majoritairement jeune. Les difficultés tiennent au niveau des dépenses sociales, trop faibles, aux effets du sida et de la perte de confiance dans les institutions. L'essentiel de l'insécurité est à trouver dans le secteur informel et dans les zones rurales. La solidarité entre groupes sociaux est indispensable pour parvenir à une situation de cohésion sociale, de même que l'instauration d'un large dialogue social.

Est-il possible de disposer de normes sociales applicables au plan universel ? L'OIT a prévu pour l'Afrique un plan de normes sociales prévoyant notamment un système de transfert des prestations en nature, des subventions, un système fiscal aménagé, une assistance sociale (prévue par la Convention n° 102). Les problèmes de durabilité résident dans le manque de financement, y compris au niveau des rentrées fiscales et du contrôle des dépenses. Au plan local, il faut insister sur les micro-financements des soins de santé: le problème à cet égard est dans quelle mesure ces programmes affaiblissent les responsabilités des États. Le rôle de la communauté internationale n'est pas négligeable, qu'il s'agisse d'appui financier direct, de réduction de la dette.

Les solutions résident notamment dans l'adoption - et l'application - de certains textes internationaux par les lois nationales; dans l'instauration de règlements financiers stricts et le lancement de poursuites en cas de rupture des règles de gouvernance, dont l'État doit être garant; et dans le respect des droits humains des populations.

M. VIJAY NAGARAJ, Institut Tata des sciences sociales de Mumbai, a rappelé que des pays comme l'Inde disposent d'une longue expérience en matière de développement social. Dans ces pays, les conditions d'emploi et de crédit, les taux d'imposition, l'irrégularité des revenus (sans parler des systèmes de castes dans les pays d'Asie du Sud) rendent très difficile le règlement du sort des personnes les plus pauvres. La pauvreté est très différenciée entre les pays pauvres, c'est pourquoi la sécurité sociale doit prendre en compte les notions d'assurances et d'autonomie. On a suggéré, à raison, que la protection sociale est un ensemble de mesures visant toute la population. Le Comité doit insister sur l'importance de cet aspect.

La sécurité sociale ne fonctionne bien que lorsqu'elle est associée à d'autres systèmes de lutte contre la pauvreté, a fait remarquer M. Nagaraj, donnant comme exemple certaines mesures de traitement de la pauvreté des populations rurales de l'Inde: éducation, mesures foncières notamment. Quant aux bénéficiaires des mesures de protection sociale, ils doivent participer aux prises de décisions les concernant.


Débat

Un expert du Comité a relevé, dans les explications données, l'exigence fondamentale - mais jamais formulée explicitement - de la démocratie comme condition nécessaire de la réussite des systèmes de protection sociale.

Sans vouloir répondre à cette question, Mme Biondi a fait valoir qu'il fallait prendre en compte une multiplicité de politiques convergentes pour la réussite de l'application des mesures de sécurité sociale.

Un autre intervenant a fait remarquer que les coûts de l'éducation étaient un facteur d'appauvrissement pour certaines personnes. Les expulsions forcées sont aussi dangereuses à cet égard.

Mme Lamarche a dit que le secteur informel (à ne pas confondre avec le travail au noir) devrait être pris en compte par des programmes de politique fiscale ad hoc. Il existe en effet des limites à ce que l'on peut exiger financièrement des travailleurs concernés. Ce secteur doit se voir conféré son propre espace car il n'est pas souhaitable de ne raisonner qu'en termes d'intégration au secteur régulier.

Mme Nussburger a relevé que seuls ceux qui possèdent quelque chose craignent de le perdre. Il faut donc que le premier paragraphe soit formulé différemment de manière à couvrir toutes les catégories de personnes.

M. Nagaraj a fait observer que le droit à l'alimentation est fondamental pour le respect de tous les autres droits. Il a volontiers admis que l'exigence de démocratie est centrale dans les débats, car en l'absence de normes de gouvernance et de contrôle, le respect des droits ne peut être garanti. La notion de secteur «informel» n'est pas significative pour de nombreuses personnes des pays pauvres, a aussi dit l'intervenant.


Conclusion

MME VIRGINIA BRAS GOMES, Rapporteur du Comité pour l'observation générale sur l'article 9, a souligné la portée relative des observations générales, tout en relevant que si la démocratie est un facteur essentiel, elle n'est pas une garantie absolue du respect des droits de l'homme. Mme Bras Gomes a fait valoir que le Comité avait décidé d'évoquer, plutôt que le droit de l'enfant en particulier, le droit de la famille. En matière de fiscalité, il apparaît que souvent l'État se décharge de ses responsabilités financières au profit du secteur privé.

M. EIBE RIEDEL, Vice-Président du Comité, a fait remarquer les difficultés de l'accès, par le secteur informel, des mesures sociales minimales telles que définies par le système des droits de l'homme et par l'OIT. Certaines remarques pertinentes ont été faites sur le droit à la santé, qui pourraient être reprises. En Afrique, a-t-on vu, le Comité devrait examiner de plus près si, véritablement, les États n'ont pas les moyens d'agir, comme ils le disent, tout n'étant pas une question de moyens financiers. Concernant le sujet délicat des migrants et des illégaux, le Rapporteur a constaté qu'une majorité des intervenants optaient pour une approche globale.

Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas un document officiel

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