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LE COMITÉ CONTRE LA TORTURE ACHÈVE L'EXAMEN DU RAPPORT DE LA FRANCE

Compte rendu de séance

Le Comité contre la torture a poursuivi, cet après-midi, l'examen du troisième rapport périodique de la France sur les mesures d'application des dispositions de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Le Comité adoptera, en séance privée, des conclusions et recommandations concernant le rapport de la France qu'elle rendra publiques à la fin de la semaine prochaine.

Cet après-midi, la délégation française, dirigée par l'Ambassadeur de France pour les droits de l'homme, M. Michel Doucin, a répondu aux questions que lui avaient posées hier matin les membres du Comité, s'agissant notamment du droit d'asile; de l'encadrement juridique de la privation de liberté; de la surpopulation carcérale; des sanctions accompagnant l'interdiction de la torture; et enfin des récentes violences urbaines.

À cet égard, la délégation a notamment confirmé que le Ministre français de l'intérieur avait invité les préfets à faire preuve de fermeté à l'égard des auteurs de troubles, précisant que les mesures de reconduite à la frontière ou d'expulsion pour trouble à l'ordre public seront prises dans le respect de la législation en vigueur. Les mineurs ne peuvent en aucune manière faire l'objet d'une mesure d'éloignement, quelle qu'elle soit, a souligné la délégation. Une mesure d'expulsion ne peut être prononcée que si l'ensemble du comportement d'un étranger constitue une menace grave pour l'ordre public, a-t-elle ajouté. Certains étrangers sont protégés contre l'expulsion en raison de leurs attaches familiales en France ou en raison de l'ancienneté de leur séjour dans le pays, a par ailleurs rappelé la délégation. À ce jour, deux arrêtés de reconduite à la frontière ont été prononcés pour séjour irrégulier et une interdiction judiciaire du territoire; trois procédures d'expulsion sont en cours. «Les revendications des "jeunes" - entre guillemets - portent non pas sur leur reconnaissance en tant que communauté, mais bien sur leur volonté d'intégration», a déclaré M. Doucin.

S'agissant des mesures prises pour lutter contre la surpopulation carcérale, la délégation a affirmé que le bracelet électronique est une façon récente d'exécuter une courte peine sans être en prison. C'est aussi une façon nouvelle d'exécuter un contrôle judiciaire en évitant le placement en détention provisoire; cette dernière utilisation est une mesure qui sera amenée à se développer, a indiqué la délégation.

Le Comité doit entamer lundi matin, à 10 heures, l'examen du rapport initial de la République démocratique du Congo (CRC/C/37/Add.6).

Réponses de la délégation française

Fournissant des renseignements complémentaires en réponse aux questions posées hier par le Comité, la délégation a notamment souligné, s'agissant de la compétence territoriale, que le principe de l'unicité des lois de la République rend superflue la spécification de la portée géographique d'une convention internationale. Il est donc évident que la Convention est pleinement applicable aux collectivités d'outre-mer, du Pacifique, de l'Océan indien, des Terres australes et antarctiques et de Saint-Pierre et Miquelon. C'est pourquoi le rapport n'a pas jugé opportun de distinguer la métropole et l'outre-mer.

La Convention encadre juridiquement l'action des troupes françaises en opérations extérieures, a poursuivi la délégation. L'ensemble des militaires français reçoit une formation initiale comprenant un enseignement de droit des conflits armés et des droits de l'homme, a-t-elle précisé. Si les troupes françaises bénéficient statutairement d'une immunité juridictionnelle à l'étranger, la commission d'une infraction pénale, ce qui recouvre bien entendu les violations de la Convention, fait l'objet de poursuites devant la juridiction compétente. C'est dans ce contexte, «pour nous limiter à un exemple récent et heureusement exceptionnel», que des militaires en poste en Côte d'Ivoire ayant commis des faits criminels font l'objet de poursuites criminelles et qu'un général français vient d'être sanctionné d'un blâme pour ne pas les avoir dénoncés aux autorités judiciaires.

En ce qui concerne la définition de la torture, la délégation a rappelé que le droit français punit de 20 ans de réclusion criminelle le fait de «soumettre une personne à des actes de torture ou de barbarie» lorsque ce fait est commis «par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions ou de sa mission». Quant à la définition jurisprudentielle de la torture, elle renvoie aux «actes de barbarie qui supposent la démonstration d'un élément matériel consistant dans la commission d'un ou plusieurs actes d'une gravité exceptionnelle qui dépasse de simples violences et occasionnent à la victime une douleur ou une souffrance aiguë et d'un élément moral consistant dans la volonté de nier dans la victime la dignité de la personne humaine». Le principe du monisme qui caractérise le système juridique français implique la prise en compte directe des instruments internationaux par le juge, a précisé la délégation. La Convention contre la torture fait partie des éléments régulièrement pris en compte par les cours françaises, a-t-elle insisté.

Abordant «un sujet qui a été évoqué à plusieurs reprises, sans que le mot soit prononcé», à savoir le communautarisme, la délégation rappelé la position constante de la France en vertu de laquelle la République française étant constitutionnellement une et indivisible, les communautés ne sont pas reconnues en tant que telles. «Dans la période de violences urbaines que nous venons de connaître», a déclaré l'Ambassadeur de France pour les droits de l'homme, M. Michel Doucin, «les revendications des "jeunes" - entre guillemets - portent non pas sur leur reconnaissance en tant que communauté, mais bien sur leur volonté d'intégration». Cette position ne nous a, bien entendu, jamais empêché de lutter contre toutes les formes de discriminations, qu'elles soient raciales, sexistes ou de toute autre sorte, a ajouté M. Doucin.

En réponse aux experts qui avaient exprimé des préoccupations sur les conditions dans lesquelles sont examinés, à la frontière, les risques de mauvais traitements allégués en cas de refoulement dans le pays d'origine, la délégation a tenu à préciser que la loi du 23 novembre 2006 avait certes supprimé le caractère automatique du délai d'un jour franc avant tout rapatriement mais n'avait en revanche pas supprimé, en tant que tel, le droit au délai d'un jour franc. Ce délai d'un jour franc reste donc de droit dès lors que l'étranger le demande, a insisté la délégation; la notification du refus d'entrée indique précisément à l'étranger son droit à ne pas être rapatrié avant l'expiration du délai d'un jour franc. En ce qui concerne la notification des droits d'une personne faisant l'objet d'un refus d'entrée, la délégation a indiqué que, conformément à la loi, cette notification doit être faite dans une langue que l'étranger comprend. Cette information peut se faire au moyen de formulaires écrits ou par l'intermédiaire d'un interprète. L'assistance d'un interprète est obligatoire si l'étranger ne parle pas le français et ne sait pas lire. Lorsque l'étranger présente une demande d'asile à la frontière, il est entendu par un agent de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) parlant sa langue ou, à défaut, en présence d'un interprète. Dans des cas particuliers de langues rares, et en l'absence de disponibilité d'interprète, il est fait appel à un interprétariat par téléphone. Dans tous les cas, a souligné la délégation, les frais d'interprétation sont pris en charge par les autorités françaises.

La décision du refus d'asile, si elle est prise, l'est par le Ministre de l'intérieur sur la base de l'avis de l'OFPRA; dans la pratique, cet avis est suivi dans 99,9% des cas, a par ailleurs indiqué la délégation. Un refus d'asile à la frontière ne peut être décidé, conformément à la loi, que si la demande est «manifestement infondée», c'est-à-dire clairement non susceptible de se rattacher à une problématique d'asile (par exemple si la demande n'est assortie d'aucun élément circonstancié. si elle comporte des contradictions ou des invraisemblances manifestes ou si elle présente des motivations essentiellement économiques.

En ce qui concerne l'effectivité des recours juridictionnels contre des refus d'entrée ou d'asile à la frontière, la délégation a affirmé qu'il est exact qu'il n'existe pas à la frontière un mécanisme de recours systématiquement suspensif des refus d'admission analogue à celui qui existe à l'intérieur du territoire pour les arrêtés de reconduite à la frontière pour séjour irrégulier. Le volume des refus d'entrée - plus de 20 000 par an - conjugué aux délais d'attente - qui ne peuvent excéder 24 jours - ne permettent pas d'envisager un tel recours systématiquement suspensif, a expliqué la délégation. Reste que le juge administratif saisi en référé peut suspendre, si les conditions sont remplies, l'exécution d'une décision de refus d'entrée ou d'asile jusqu'à ce que le juge du fond, saisi, ait statué.

La délégation a par ailleurs fait observer que la loi du 10 décembre 2003 consacre le principe selon lequel les persécutions prises en compte pour le statut de réfugié ou les menaces graves pouvant donner lieu à la protection subsidiaire peuvent être le fait des autorités de l'État ou d'acteurs non étatiques, dans les cas où les autorités refusent ou ne sont pas en mesure d'offrir une protection.

S'agissant de l'extradition, la délégation a précisé qu'en vertu de ses engagements internationaux, la France ne peut pas extrader une personne exposée à la torture ou à la peine de mort en l'absence de garanties liant l'État requérant. La France ne pratique absolument jamais les «assurances diplomatiques», a précisé la délégation. Évoquant un cas avec la Pennsylvanie, la délégation a toutefois admis qu'il peut néanmoins y avoir un engagement ponctuel et précis en réponse à un engagement donné par un État de ne pas mettre à exécution telle ou telle peine.

En ce qui concerne la surpopulation carcérale, la délégation a indiqué que le nombre total de personnes écrouées s'élevait, au 1er janvier 2005, à 59 197. Ce chiffre est en baisse au 1er octobre 2005, puisqu'il s'établit à cette date à 57 163. Le nombre de personnes en détention provisoire, c'est-à-dire détenues en attente d'un jugement, représente 34% de l'ensemble de la population écrouée. La durée moyenne de la détention provisoire se situe à 4,3 mois pour l'année 2004, a précisé la délégation. Au 1er janvier 2005, le taux d'occupation des établissements est de 116 détenus pour 100 places, soit une baisse par rapport à 2004, lorsqu'il était de 122 détenus pour 100 places. Ce taux est encore en baisse au 1er octobre 2005, puisqu'il se situe à 111,8 détenus pour 100 places; il est néanmoins trop important, a reconnu la délégation. La densité carcérale est plus forte en maisons d'arrêt que dans les centres de détention, a-t-elle précisé. Conscient des difficultés que peut poser cette surpopulation, le Gouvernement cherche des réponses satisfaisantes, dont certaines consistent à construire de nouveaux établissements, comme le prévoit le programme de construction de 13 200 places pour 2008. Si certains ont pu trouver les échéances de ce programme trop lointaines, la délégation a attiré l'attention sur l'état d'avancement d'autres programmes qui arrivent en fin de parcours ou qui se mettent en place et qui, tous, augmentent la capacité d'accueil. Il a notamment été prévu, dès l'été 2003, la création dans des délais rapides, de places supplémentaires de détention au sein des établissements existants. Ainsi, 700 places supplémentaires ont-elles déjà été livrées fin 2004 et au total, 1300 places de détention seront livrées d'ici la fin de 2005.

D'autres solutions que la construction de nouveaux établissements sont utilisées par les autorités nationales, a poursuivi la délégation. Ainsi, les mesures de fins de peine, telles que la libération conditionnelle ou le placement à l'extérieur, permettent-elles de favoriser la réinsertion des détenus et de libérer des places de détention dans les établissements pour peine. Mais c'est surtout au niveau des maisons d'arrêt qu'il faut agir, a rappelé la délégation. C'est pourquoi il importe de prononcer des mesures alternatives aux courtes peines et à la détention provisoire. Une politique volontariste a été menée à cet égard, a affirmé la délégation.

À cet égard, le bracelet électronique est une façon récente d'exécuter une courte peine - inférieure ou égale à un an - sans être en prison. Le recours à cette mesure, après une phase d'expérimentation, est en augmentation depuis 2003, a précisé la délégation; de 90 mesures de placement sous surveillance électronique, on en est actuellement à 972 mesures. Depuis le 20 mars 2004, le bracelet électronique est aussi une façon nouvelle d'exécuter un contrôle judiciaire en évitant le placement en détention provisoire. Cette dernière utilisation est encore trop récente pour qu'il y ait des chiffres significatifs mais c'est une mesure qui sera amenée à se développer, a indiqué la délégation.

Concernant le regroupement des détenus en fonction de leurs origines, la délégation a assuré que l'affectation des personnes détenues ne s'opère pas selon des critères discriminants. Les détenus de nationalité étrangère sont soumis au même régime que les détenus nationaux appartenant à leur catégorie pénale. C'est au chef d'établissement qu'il appartient d'organiser la répartition des détenus au sein de son établissement, a expliqué la délégation. Dans la pratique, le critère de la nationalité est généralement pris en compte, mais au même titre que d'autres indicateurs, a-t-elle déclaré. Dans cette hypothèse, le regroupement de détenus d'une même origine résulte de choix strictement individuels. Le détenu a la possibilité de demander son affectation dans une autre cellule. Chaque demande de ce type fait l'objet d'un examen obligatoire par le responsable de l'unité de détention qui reçoit le détenu en audience et donne une suite, favorable ou non, sous réserve de demandes abusives.

En 2004, 52 cas de tuberculose ont été enregistrés, ce qui correspond à une proportion effectivement supérieure à celle enregistrée dans la population générale, a par ailleurs indiqué la délégation en réponse aux inquiétudes des experts. En dehors des soins prodigués par les services médicaux intervenant en milieu pénitentiaire, la prévention se fait à travers un dépistage systématique de la tuberculose dans les huit jours suivant l'incarcération. En cas de suspicion de tuberculose, des mesures d'isolement et de soins, éventuellement à l'extérieur, sont mises en œuvre. La délégation a précisé qu'il n'y a pas augmentation des cas de tuberculose en milieu carcéral, probablement grâce au système de dépistage mis en place dès les premiers jours de l'incarcération. Par contre, il y a augmentation claire des incidents de violences en milieu carcéral, tant entre détenus qu'à l'encontre du personnel pénitentiaire, a indiqué la délégation.

Interrogée sur les mesures administratives et judiciaires prises suite aux violences urbaines intervenues récemment en France, la délégation a indiqué qu'au total, ce sont 2646 personnes qui ont été placées en garde à vue. Au total, 842 poursuites ont été engagées contre des personnes majeures, dont 622 selon des procédures rapides; et 486 mandats de dépôt ont été décernés contre des majeurs. Pour ce qui est des mineurs, 480 ont été présentés à un juge des enfants; parmi eux, 107 ont été placés sous mandat de dépôt.

Il est exact que le Ministre de l'intérieur a invité les préfets à faire preuve de fermeté à l'égard des auteurs de troubles, a poursuivi la délégation; dans les instructions qu'il leur a données, il est précisé que les mesures de reconduite à la frontière ou d'expulsion pour trouble à l'ordre public seront prises dans le respect de la législation en vigueur - législation qui préexistait et qui n'est pas modifiée. Les mineurs ne peuvent en aucune manière faire l'objet d'une mesure d'éloignement, quelle qu'elle soit, a précisé la délégation. Une mesure d'expulsion ne peut être prononcée que si l'ensemble du comportement d'un étranger constitue une menace grave pour l'ordre public, a-t-elle ajouté. Certains étrangers sont protégés contre l'expulsion en raison de leur attache familiale en France ou en raison de l'ancienneté de leur séjour dans le pays, a par ailleurs rappelé la délégation. À ce jour, a-t-elle conclu, ont été prononcés deux arrêtés de reconduite à la frontière pour séjour irrégulier et une interdiction judiciaire du territoire; de plus, trois procédures d'expulsion sont en cours.

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CAT05033F