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LE COMITÉ CONTRE LA TORTURE ENTAME L'EXAMEN DU RAPPORT PÉRIODIQUE DE LA FRANCE

Compte rendu de séance

Le Comité contre la torture a entamé, ce matin, l'examen du troisième rapport périodique de la France sur les mesures prises par ce pays pour se conformer aux dispositions de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Présentant le rapport de son pays, M. Michel Doucin, Ambassadeur de la France pour les droits de l'homme, a notamment reconnu que la surpopulation actuelle des prisons françaises entraîne des situations difficiles en termes de promiscuité, de manque d'hygiène et de violences. Il a rappelé que la France a pris l'engagement solennel de réaliser l'enfermement individuel d'ici à la fin de 2008. La surpopulation carcérale a augmenté de 30% entre le 1er janvier 2001 et le 1er janvier 2004; elle s'est stabilisée depuis. M. Doucin a par ailleurs attiré l'attention sur la création de la Commission nationale de déontologie de la sécurité, institution efficace et rigoureuse, a-t-il souligné.

La délégation française était également composée de représentants du Ministère des affaires étrangères, du Ministère de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, du Ministère de la justice et du Ministère de l'Outre-Mer. Elle a notamment rappelé qu'un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées.

Plusieurs membres du Comité ont salué la modération dont a fait preuve la police face aux émeutes qui se sont répandues dans de nombreuses villes françaises ces trois dernières semaines, l'un d'eux soulignant que l'information reçue laisse apparaître qu'il y aurait eu très peu de recours excessif à la force de la part de la police. Un expert a toutefois relevé les pressions exercées sur le Gouvernement pour exiger des mesures plus strictes face à ces émeutes et a fait part de sa préoccupation suite à la déclaration du Ministre de l'intérieur demandant aux préfets d'ordonner l'expulsion immédiate des personnes condamnées durant ces émeutes, indépendamment de leur statut administratif, cette mesure pouvant être considérée comme ayant un caractère discriminatoire puisqu'elle va cibler les ressortissants étrangers. Un autre membre du Comité a relevé des informations faisant état d'excès commis par la police.

Le membre du Comité chargé de l'examen du rapport de la France, M. Guibril Camara, a pour sa part demandé comment, du point de vue de la Convention, la France gère les troupes qui se trouvent sous commandement français dans un territoire étranger. Tout en louant la bonne foi et la volonté de la France en matière de lutte contre la torture, il a insisté pour qu'une distinction soit faite entre les violences perpétrées dans le cadre du processus pénal de la violence en général.

La délégation répondra demain après-midi, à 15 heures, aux questions que lui ont adressées les membres du Comité ce matin.

Cet après-midi, à 15 heures, le Comité entendra les réponses de la délégation autrichienne aux questions que lui ont posées les experts hier matin.

Présentation du rapport

Présentant le rapport de son pays, M. MICHEL DOUCIN, Ambassadeur de la France pour les droits de l'homme, a souligné que la Commission nationale consultative des droits de l'homme avait été associée à la préparation du rapport. En ce qui concerne les conditions matérielles de la privation de liberté, il a rappelé que le Commissaire européen aux droits de l'homme, M. Alvaro Gil-Robles, a évoqué, à l'issue de sa visite de différents types de lieux privatifs de libertés en France voici quelques semaines, la surpopulation de certaines prisons et centres de rétention pour étrangers, l'état physique et sanitaire de certains locaux assignés à la garde à vue, la coexistence entre adultes et mineurs. Le Commissaire européen a également souligné l'action volontariste de la France pour transformer cette situation, saluant notamment la qualité des nouveaux centres fermés destinés à accueillir les délinquants mineurs et celles des prisons nouvellement construites dans le cadre du troisième plan pluriannuel lancé en 2002, lequel prévoit la création de 13 200 places supplémentaires en détention à l'horizon 2008.

La surpopulation actuelle des prisons françaises entraîne des situations difficiles en termes de promiscuité, de manque d'hygiène et de violences, a reconnu M. Doucin. La France a pris l'engagement solennel, consigné dans la loi du 12 juin 2003, de réaliser l'enfermement individuel d'ici à la fin de 2008. «Nous pourrons alors régler, en grande partie, le problème des locaux de privation de liberté et fermer plusieurs établissements insalubres», a déclaré M. Doucin. Un programme de rénovation porte, parallèlement, sur les commissariats de police et leurs locaux de garde à vue, a-t-il ajouté, précisant que 524 cellules sont en cours de modernisation. Des normes définies par une circulaire du Ministère de l'intérieur du 11 mars 2003 relative à la garantie de la dignité des personnes en garde à vue, directement inspirées des préconisations du Comité européen contre la torture du Conseil de l'Europe, encadrent cette rénovation.

Les raisons de la surpopulation carcérale qui caractérise la situation française aujourd'hui retiennent toute l'attention du Gouvernement, a par ailleurs indiqué M. Doucin, qui a souligné que c'est un phénomène qui interroge tout d'abord du fait de son caractère relativement récent. La surpopulation carcérale a augmenté de 30% entre le 1er janvier 2001 et le 1er janvier 2004; elle s'est stabilisée depuis. M. Doucin a fait observer que le taux d'occupation est très variable selon le type d'établissement, les prisons où sont incarcérés les condamnés étant beaucoup moins peuplées que les maisons d'arrêt où les prévenus attendent d'être jugés. C'est tout d'abord l'augmentation de la délinquance en bandes organisées, dont l'instruction des procès nécessite souvent d'isoler de la société des nombres importants de prévenus, qui explique cette différence, a déclaré M. Doucin. Parmi la population carcérale des condamnés, a-t-il ajouté, 21% l'étaient, en 2004, pour délits et crimes sexuels - un taux quatre fois plus élevé que ce qu'il était il y a moins de dix ans. Parmi les autres types de condamnations qui se développent beaucoup plus vite que la moyenne, apparaissent les condamnations pour violences, en particulier au sein de la famille. Une autre explication, complémentaire, du soudain engorgement de l'institution carcérale résulte donc du fait que la société française est beaucoup plus sensible que précédemment au respect des droits des femmes et des enfants. La Commission nationale consultative des droits de l'homme a pu noter que le nombre de détenus purgeant des peines égales ou supérieures à cinq ans a plus que doublé au cours des vingt dernières années pour atteindre aujourd'hui près de 45% de la population pénitentiaire.

Priver de liberté n'est pas une fin en soi, a poursuivi M. Doucin, l'incarcération a aussi pour finalité la réinsertion. C'est un sujet difficile et la France cherche des solutions. Les débats actuels sur le bracelet électronique et sur le suivi sociojudiciaire des détenus comprenant éventuellement une injonction de soins sont à replacer dans ce contexte, a souligné l'Ambassadeur pour les droits de l'homme.

M. Doucin a par ailleurs attiré l'attention sur la création de la Commission nationale de déontologie de la sécurité, institution efficace et rigoureuse, dont le nombre et le champ des saisines se sont accrus de façon significative en quatre ans. Il s'agit d'une institution qui joue un rôle clef dans la régulation du fonctionnement de la mission publique de sécurité. En application de la loi du 15 juin 2000, a rappelé M. Doucin, outre le procureur de la République et le juge des libertés et de la détention, les députés et sénateurs peuvent également visiter à tout moment tout lieu de privation de liberté. Si, pour quelques cas, dont la participation à des actes de terrorisme et le trafic de drogues, la durée de la garde à vue a été allongée récemment jusqu'à un maximum de 92 heures, le prévenu peut toujours et à tout moment demander à être examiné par un médecin, a souligné l'Ambassadeur. Une loi de novembre 2003 a en outre institué une Commission nationale de contrôle des centres et locaux de rétention et des zones d'attente chargée de veiller au respect des droits des étrangers détenus ainsi qu'au respect des normes relatives à l'hygiène, à la salubrité, à l'aménagement et l'équipement des lieux de rétention; le décret d'application nécessaire à la mise en place de cette Commission a été publié le 31 mai 2005.

Les agents publics qui s'écartent des lois et codes éthiques de leur profession, notamment en ce qui concerne l'interdiction de tout acte revêtant le caractère de torture ou de traitement inhumain ou dégradant, encourent une double sanction: pénale et disciplinaire. Certains ont pu s'étonner de ce que les peines qui leur sont attribuées par les tribunaux soient souvent assorties de sursis, a ajouté M. Doucin. Cela s'explique non par une supposée indulgence des juges, mais par le fait que, soumis simultanément à une sanction disciplinaire qui peut aller jusqu'à la radiation de leur emploi, les condamnés sont presque toujours des primo-délinquants qui bénéficient des sursis habituels appliqués à cette catégorie.

Par la loi du 17 juin 1998, complétée par une ordonnance de septembre 2001 modifiant le Code pénal, le Parlement français a mis fin à une pratique enracinée dans des traditions initiatrices douteuses qui faisait subir chaque année à plusieurs milliers d'adolescents les rites parfois barbares du bizutage.

M. Doucin a par ailleurs rappelé que la France a été à l'origine de l'élaboration des Orientations pour la politique de l'Union européenne à l'égard des pays tiers en ce qui concerne la torture et les autres traitements ou peines cruels, inhumains ou dégradants, adoptées en avril 2001.

L'Ambassadeur de la France pour les droits de l'homme a confirmé la récente signature par la France du protocole se rapportant à la Convention contre la torture, dont la ratification devrait intervenir prochainement.

M. Doucin a enfin déclaré que sa présentation n'a pas cherché à cacher, au contraire, les difficultés rencontrées par la France. Elle ne veut pas non plus dissimuler que certaines erreurs ont pu être commises et, «malgré notre divergence d'interprétation avec votre Comité sur certains cas, nous reconnaissons un certain nombre de dysfonctionnements», dont plusieurs ont valu à la France des condamnations par la Cour européenne des droits de l'homme ou des décisions du Comité relatives à des situations individuelles, a-t-il ajouté.

Le troisième rapport périodique de la France (CAT/C/34/Add.19) souligne que la loi nationale française ne contient pas de définition de la torture, au sens de la Convention, qui lui soit propre. Il convient toutefois de souligner que les dispositions du nouveau Code pénal ont une portée beaucoup plus large que celles de cette convention qui ne vise que les actes perpétrés par un agent public pour certains mobiles. Par ailleurs, les juridictions françaises ont compétence pour poursuivre et juger, si elle se trouve en France, toute personne qui s'est rendue coupable de tortures hors du territoire de la République. S'agissant d'actes de torture qui seraient commis par des fonctionnaires, ils tomberaient spécialement sous le coup des dispositions des articles 222-1 et 222-3 du nouveau Code pénal, qui disposent que le fait de soumettre une personne à des tortures ou à des actes de barbarie est puni de 15 ans de réclusion criminelle et que cette infraction est punie de 20 ans de réclusion criminelle lorsqu'elle est commise par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public. S'agissant plus particulièrement des actes de torture qui seraient imputés à des militaires, suite à la réorganisation de la justice militaire en 1999, le ministère public exerce ses attributions sous le seul contrôle du Ministère de la justice.

Le rapport précise en outre que l'état d'urgence est régi par la loi du 3 avril 1955. Il peut être décidé en Conseil des ministres en cas de péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public ou de calamités publiques. Il comporte une extension des pouvoirs de police compensée par des garanties spécifiques. Selon l'article 700 du Code de procédure pénale, «en cas d'état de siège ou d'état d'urgence déclaré, un décret en Conseil des ministres (…) peut établir des tribunaux territoriaux des forces armées dans les conditions prévues par le Code de justice militaire. La compétence de ces tribunaux résulte des dispositions du Code de justice militaire pour le temps de guerre et des dispositions particulières des lois sur l'état d'urgence et l'état de siège». Les divers régimes d'exception, selon des modalités particulières à chacun d'eux, modifient donc la répartition normale des compétences, notamment en matière de police et, dans certains cas, de procédure judiciaire. Cependant, leur instauration n'a aucune incidence sur les dispositions légales et réglementaires interdisant la torture. Les actes de torture qui viendraient à être commis sous l'emprise de ces états d'exception devraient donc être réprimés aussi sévèrement qu'en temps normal.

En droit français, poursuit le rapport, l'éloignement du territoire français d'un étranger peut résulter soit d'une sanction judiciaire prononçant l'interdiction du territoire et entraînant la reconduite à la frontière, soit d'une mesure administrative de reconduite à la frontière pour entrée ou séjour irrégulier, soit d'une mesure administrative d'expulsion décidée lorsque la présence de l'étranger constitue une menace grave pour l'ordre public. S'agissant des mesures d'éloignement, le rapport précise que l'étranger doit être préalablement avisé, puis convoqué devant une commission de magistrats 15 jours au moins avant la réunion de cette commission, dont les débats sont publics. Dans le cadre de l'examen de la situation de l'étranger par cette commission, celui-ci a le droit d'être assisté d'un conseil ou de toute personne de son choix et d'être entendu avec un interprète. En outre, l'étranger peut demander le bénéfice de l'aide juridictionnelle, afin d'être assisté gratuitement d'un conseil, et cette faculté est mentionnée dans la convocation. Devant la commission, l'étranger peut faire valoir toutes les raisons qui militent contre son expulsion. Un procès-verbal enregistrant les explications de l'étranger est transmis avec l'avis motivé de la commission au Ministre de l'intérieur, qui statue. Si le Ministre de l'intérieur prend en définitive un arrêté d'expulsion, cet arrêté peut être déféré devant le juge pour qu'il prononce son annulation; un référé-suspension ou un référé-injonction peut également être formé devant le juge en vue de la suspension de la mesure, conformément à la loi du 30 juin 2000. La nécessité de recueillir l'avis de la commission est supprimée en cas d'urgence absolue. Mais, même dans ce cas, l'arrêté d'expulsion peut faire l'objet des mêmes voies de recours juridictionnelles que celles évoquées ci-dessus.


Examen du rapport

Fournissant des renseignements complémentaires en réponse à des questions du Comité, la délégation a notamment déclaré que la législation française en vigueur n'autorise pas la détention au secret. Dans les établissements pénitentiaires, les détenus ont la possibilité de prévenir immédiatement leurs familles de leur incarcération. Les condamnés incarcérés en centres pour peines aménagées ont un accès illimité au téléphone, a précisé la délégation. Les autres condamnés, notamment ceux détenus en maison centrale ou en centre de détention, y ont un accès plus restreint mais qui s'avère en pratique relativement large.

En ce qui concerne la garde à vue, a rappelé la délégation, le principe est de pouvoir avoir accès à un avocat dès le début du placement en garde à vue. En matière de terrorisme et de trafic de stupéfiants, une personne peut, dans certaines circonstances, être placée en garde à vue sans avoir accès à un avocat avant la 72ème heure de la garde à vue; mais il ne saurait s'agir pour autant de détention au secret. En effet, un magistrat du parquet est avisé dès le début de la garde à vue de cette mesure et est chargé de son contrôle et de son bon déroulement.

La délégation a par ailleurs souligné que le Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui a succédé à l'ordonnance du 2 novembre 1945 sur l'immigration, précise qu'un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme. Les autorités françaises n'ont pas recours à la pratique dite des assurances diplomatiques, contestée par le Comité contre la torture, a précisé la délégation.

En ce qui concerne l'usage de la contrainte lors d'exécution de mesures d'éloignement, la délégation a rappelé que de nouvelles instructions ont été données en juin 2003 sur ce sujet; elles soulignent notamment la nécessité d'un recrutement spécialisé et d'une formation adaptée pour les personnes chargées de procéder à l'éloignement. Ces instructions rappellent également que seule la force strictement nécessaire doit être appliquée et que seuls sont autorisés les gestes techniques professionnels en intervention précisés dans l'instruction et conformes aux prescriptions médicales. Sont notamment exclus les adhésifs, toute forme de bâillonnement, la compression du thorax, le pliage du tronc et le garrottage des membres.

La délégation a précisé que le régime de la rétention administrative des étrangers en instance de départ a été revu par la loi du 26 novembre 2003, rendue nécessaire pour assurer l'exécution effective des mesures d'éloignement, qui a allongé les délais du maintien en rétention en portant la durée maximale de la rétention de 12 à 32 jours. Elle s'est accompagnée d'un certain nombre de garanties juridiques. Dans la pratique, la durée moyenne de rétention n'excède pas 10 jours, a indiqué la délégation.

S'agissant des plaintes déposées suite aux décès de Ricardo Barrientos et de Getu Hagos K'Mariame, la délégation a indiqué que ces plaintes avaient conduit à l'ouverture de deux informations judiciaires, la première du chef de violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner, la seconde pour homicide involontaire. En ce qui concerne le cas de M. Barrientos, une ordonnance de non-lieu a été rendue par le juge d'instruction en septembre 2004 et les parties civiles se sont désistées de l'appel qu'elles avaient interjeté dans un premier temps. En ce qui concerne le cas de M. K'Mariame, les trois policiers chargés de l'escorte de l'intéressé ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel mais l'affaire n'a encore fait l'objet d'audience à ce jour.

La délégation a par ailleurs indiqué que le nombre de demandes d'asile s'est élevé, en 2002, à 52 877 et, en 2004, à 65 614, le taux d'acceptation de ces demandes s'établissant à 16,9% pour 2002 et à 16,6% pour 2004, a précisé la délégation. En 2004, ce sont au total 69 602 mesures d'éloignement qui ont été prononcées, dont plus de 15 660 ont été exécutées.

La délégation a assuré que dans une prochaine édition du Guide pratique de la déontologie dans la police nationale, il sera fait mention expresse de la Convention contre la torture.

En ce qui concerne la définition de la torture, la délégation a précisé que la législation pénale française contient une infraction spécifique relative aux tortures et actes de barbarie, prévue à l'article 222-1 du Code pénal; la peine maximale encourue est de 15 ans de réclusion criminelle. Une définition jurisprudentielle est venue compléter ces dispositions.

En droit français, a rappelé la délégation, le principe de l'opportunité des poursuites demeure pour toute infraction, y compris les actes de torture. Ce principe n'entrave pas le droit des victimes d'agir en justice puisqu'elles peuvent agir devant les juridictions de jugement par voie de la citation directe ou devant les juridictions d'instruction par la voie de la plainte avec constitution de partie civile.

Interrogée sur le nombre de condamnations pour tortures et actes de barbarie, la délégation a indiqué que les données disponibles ne permettent pas d'isoler les condamnations visant la tentative de celles visant le crime lui-même. Les statistiques disponibles, qui incluent donc nécessairement la tentative mais pas les cas où les tortures ou actes de barbarie constituent une circonstance aggravante, s'établit à 27 cas en 2002, 34 en 2003 et 29 en 2004, la durée moyenne de l'emprisonnement ferme ayant varié sur ces années pour se situer, respectivement, à 70 mois, 83 mois et 35 mois.

En ce qui concerne les saisines de la Commission nationale de la déontologie de la sécurité (CNDS), leur nombre s'élève à 47 pour la période 2001-2004; 24 concernent la Police nationale, 18 l'administration pénitentiaire, 6 la police des frontières et une les services de sécurité de la régie des transports parisiens (RATP). Sur l'ensemble de ces saisines, 4 ont été transmises au Procureur de la République, a précisé la délégation. Elle a expliqué que les plaintes dont est saisie la CNDS sont fondées sur le manquement aux règles de la déontologie et que les statistiques ne permettent pas d'isoler celles qui sont relatives à la torture.

La délégation a rappelé qu'un détenu peut être placé au quartier d'isolement sur instruction du magistrat instruisant l'affaire le concernant (isolement judiciaire) ou sur décision de l'administration, à la demande du détenu ou par mesure de précaution et de sécurité (isolement administratif). L'isolement ne connaît certes pas de durée maximale, mais la faculté donnée au chef d'établissement de renouveler la durée de l'isolement est encadrée, a fait valoir la délégation. Le renouvellement doit être autorisé par le Directeur général des services pénitentiaires (au-delà de trois mois), puis le Ministre de la justice (au-delà d'un an), ce qui implique un contrôle des motivations et de la nécessité d'une telle mesure. Une réforme des dispositions réglementaires relatives à l'isolement devrait entrer en vigueur prochainement, a tenu à préciser la délégation.

S'agissant de la législation antiterroriste, la délégation a rappelé que la France s'est dotée progressivement d'une législation antiterroriste spécifique, dont la loi du 9 septembre 1986 constitue la clef de voûte. Depuis les attentats du 11 septembre 2001, les lois du 15 novembre 2001, du 9 septembre 2002, du 18 mars 2003 et du 9 mars 2004 sont venues renforcer la législation de fond et les règles procédurales applicables. Les infractions terroristes obéissent à un régime procédural particulier qui se caractérise notamment par un délai de garde à vue prolongé à 96 heures, avec l'intervention de l'avocat reporté, pour les majeurs, à la 72ème heure, ainsi que par des possibilités d'investigations policières et judiciaires renforcées (régime des perquisitions - lesquelles sont alors autorisées de nuit). Il convient de souligner que le système préserve les garanties procédurales des personnes mises en cause.

Rappelant que la France a signé cette année le Protocole facultatif se rapportant à la Convention, la délégation a précisé que le processus de ratification sera déclenché dans les meilleurs délais. Une réflexion et une concertation sont en cours s'agissant de l'organisme national qui serait chargé de remplir la mission définie par le Protocole, a précisé la délégation; on cherche à voir s'il faudrait confier cette mission à un organisme existant ou s'il faut créer un mécanisme à cet effet.

Le rapporteur du Comité pour l'examen du rapport de la France, M. GUIBRIL CAMARA, a salué la qualité de ce rapport, qui est non seulement conforme aux directives du Comité concernant l'élaboration des rapports, mais aussi soucieux de répondre à ses préoccupations. En ce qui concerne la portée territoriale du rapport, aucune distinction n'est apparemment faite entre le territoire métropolitain et d'autres territoires relevant de la juridiction française et situés dans les Caraïbes, dans le Pacifique, dans l'Océan indien et peut-être même en Corse, a relevé M. Camara.

Étant donné que la France entretient des troupes hors de son territoire, notamment en Côte d'Ivoire, M. Camara a souhaité savoir comment, du point de vue de la Convention, la France gère ses troupes qui se trouvent sous commandement français dans un territoire étranger. Un pays qui entretient ainsi des troupes à l'étranger continue d'être responsable des actes de ces troupes, a rappelé M. Camara.

Tout en louant la bonne foi et la volonté de la France en matière de lutte contre la torture, M. Camara a insisté pour que le problème de la torture ne soit pas noyé dans la violence en général, qui englobe les violences perpétrées par des agents publics et celles perpétrées par des personnes privées. Il faut distinguer les violences perpétrées dans le cadre du processus pénal de celles qui sont perpétrées en général, a affirmé M. Camara.

En ce qui concerne le droit d'une personne de faire appel d'une décision qui lui porte préjudice, M. Camara a jugé nécessaire, pour la France, de clarifier le problème du recours. En effet, du point de vue du Comité, le recours doit être effectif - c'est-à-dire qu'il doit s'agir d'une faculté offerte à tout le monde par la loi et non pas d'une possibilité laissée à la discrétion du juge - et suspensif.

En l'absence de M. Claudio Grossman, co-rapporteur du Comité chargé de l'examen du rapport français), et en son nom, M. ANDREAS MAVROMMATIS, tout en se félicitant de l'existence d'un code de déontologie, a relevé des informations faisant état d'excès commis par la police. Il s'est en outre inquiété du cas d'une personne qui aurait été détenue au secret pendant neuf ans. Est-il vrai qu'un étranger qui demande l'asile ne peut pas se voir octroyer les services d'un interprète, à moins qu'il n'en supporte les frais, a demandé M. Mavrommatis? L'expert a par ailleurs relevé que certaines organisations font état de plaintes de plus en plus nombreuses pour violences policières. Face aux arrestations massive d'étrangers, M. Mavrommatis s'est enquis de la manière dont est assuré le respect du principe qui veut qu'une arrestation ne puisse se faire que sur une base individuelle.

Un autre membre du Comité a indiqué ne pas être satisfait par le renvoi à 2008 de la solution au surpeuplement carcéral, lorsque les nouveaux établissements envisagés auront été construits. Il s'est notamment inquiété de la situation qui prévaut notamment dans la maison d'arrêt de Loos (dans le Nord), où les bâtiments, qui n'ont pas été rénovés depuis leur construction, sont en très mauvais état. Dans cette maison d'arrêt, le nombre de personnes détenues (environ 1100) est bien supérieur à la capacité totale (461 places); certains détenus sont des mineurs qui doivent dormir à même le sol, sur des matelas. De l'avis du Comité pour la prévention de la torture du Conseil de l'Europe, cette situation peut s'apparenter à un traitement inhumain ou dégradant. L'expert s'est également enquis du nombre de cas de tuberculose dans le système pénitentiaire. Il a en outre relevé le taux extrêmement élevé de suicides en prison (20 cas pour 100 000) enregistré en France.

En ce qui concerne les troubles de ces trois dernières semaines, qui se sont répandus dans de nombreuses villes françaises et face auxquels la police a été mobilisée pour contrôler les émeutes, l'expert a félicité la France en relevant que l'information reçue laisse apparaître qu'il y aurait eu très peu de recours excessif à la force de la part de la police.

En ce qui concerne ces mêmes troubles, un autre membre du Comité a lui aussi relevé la modération dont a fait preuve la police en dépit de la durée des émeutes, puisqu'il n'y a pas eu de cas graves qui ont été signalés. Relevant en outre les pressions exercées sur le Gouvernement pour exiger des mesures plus strictes face à ces émeutes, cet expert a toutefois fait part de la préoccupation du Comité suite à la déclaration du Ministre de l'intérieur, M. Nicolas Sarkozy, qui a demandé aux préfets d'ordonner l'expulsion immédiate de personnes condamnées durant ces émeutes, indépendamment de leur statut administratif, cette mesure pouvant être considérée comme ayant un caractère discriminatoire puisqu'elle va cibler les ressortissants étrangers. L'expert a dit craindre que ces personnes ne bénéficient pas d'un procès équitable devant une juridiction impartiale. Dans ce contexte, l'injonction d'expulsion va-t-elle préciser le pays vers lequel la personne doit être expulsée, a demandé l'expert, qui a rappelé que, dans certains pays, il existe des risques de torture?

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CAT05030F