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LE COMITÉ CONTRE LA TORTURE EXAMINE LE RAPPORT INITIAL DE LA RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO

Compte rendu de séance

Le Comité contre la torture a entamé, cet après-midi, l'examen du rapport initial de la République démocratique du Congo sur les mesures prises par ce pays pour se conformer aux dispositions de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Présentant le rapport de son pays, Mme Marie-Madeleine Kalala, Ministre des droits humains de la République démocratique du Congo, a souligné que la législation nationale ne définit pas la torture comme le fait la Convention. Néanmoins, la Constitution de transition dispose que nul ne peut être soumis à la torture ni à des traitements cruels, inhumains ou dégradants; cette interdiction impérative ne permet aucune dérogation. En République démocratique du Congo, la détention au secret n'est pas autorisée, a en outre souligné la Ministre. La torture n'étant pas érigée en infraction autonome, cette lacune empêche la répression appropriée de cet acte dans toutes ses dimensions; afin de mettre fin à cette situation préjudiciable et contraire aux engagements de la République démocratique du Congo, une proposition de loi a été élaborée en la matière et a été soumis à l'Assemblée nationale pour examen et adoption.

La délégation est également composée du Représentant permanent de la République démocratique du Congo auprès des Nations Unies à Genève, M. Antoine Mindua Kesia-Mbe, ainsi que de représentants du Ministère des droits humains et du Secrétariat général aux droits humains, et d'un magistrat militaire.

Le membre du Comité chargé de l'examen du rapport de la République démocratique du Congo, M. Guibril Camara, a souligné que tout État qui veut s'acquitter de ses obligations conventionnelles se doit d'incriminer la torture tel qu'elle est définie dans la Convention. Le rapporteur a par ailleurs fait part de sa préoccupation s'agissant du statut des défenseurs des droits de l'homme et des organisations non gouvernementales, précisant avoir connaissance de cas où des défenseurs de droits de l'homme auraient fait l'objet de persécutions.


M. Fernando Mariño-Menéndez, Président du Comité et co-rapporteur pour l'examen de ce rapport, a souhaité en savoir davantage sur la situation des centres de détention qui ne sont pas contrôlés par les institutions judiciaires. Il s'est en outre enquis du statut juridique de la Garde présidentielle et de la manière dont est garanti le respect, par cette garde, des normes de détention. Il a en outre souhaité en savoir davantage sur les garanties offertes en République démocratique du Congo s'agissant de l'indépendance de la justice.


Le Comité entendra demain matin, à 10 heures, les réponses de la délégation de la République démocratique du Congo aux questions soulevées cet après-midi par les experts.


Présentation du rapport

Présentant le rapport de son pays, MME MARIE-MADELEINE KALALA, Ministre des droits humains de la République démocratique du Congo, a déclaré que son pays est attaché aux principes de la démocratie et aux droits de l'homme fondamentaux tels que proclamés par la Déclaration universelle des droits de l'homme ainsi que par les instruments juridiques internationaux des droits de l'homme subséquents. Expliquant les raisons du retard enregistré par la présentation de ce rapport initial, qui devait être soumis en 1997, Mme Kalala a déclaré que c'est en raison de l'instabilité politique liée au processus de démocratisation en cours depuis 1990 et de ses multiples conséquences que cette échéance n'a pu être respectée.

La signature de l'Accord global et inclusif sur la transition en République démocratique du Congo, intervenue à Prétoria le 17 décembre 2002, a permis la cessation de la guerre qui a ensanglanté le pays pendant de longues années, a rappelé la Ministre. Cet accord a en outre permis, à travers la Constitution de transition de 2003 qui en est issue, la mise en place d'un nouvel ordre institutionnel chargé de la conduite de la transition, dont les principaux objectifs sont: la réunification, la pacification, la reconstruction du pays, la restauration de l'intégrité territoriale et le rétablissement de l'autorité de l'État sur l'ensemble du territoire national; la réconciliation nationale; la formation d'une armée nationale, restructurée et intégrée; l'organisation d'élections libres et transparentes à tous les niveaux permettant la mise en place d'un régime constitutionnel démocratique; ainsi que la mise en place des structures devant aboutir à un nouvel ordre politique.

La législation de la République démocratique du Congo ne définit pas la torture comme le fait la Convention, a reconnu la Ministre des droits humains. «Cette situation est essentiellement la conséquence de l'inexistence de la répression de la torture en tant qu'infraction autonome», a-t-elle déclaré. «Cependant, il convient de relever que cela ne veut pas dire que la torture a libre cours dans mon pays», a précisé Mme Kalala. En effet, a-t-elle poursuivi, en se référant aux dispositions pertinentes des instruments juridiques internationaux de protection des droits humains ratifiés par la République démocratique du Congo, dont la Convention contre la torture, la Constitution de transition, en son article 15, dispose que nul ne peut être soumis à la torture ni à des traitements cruels, inhumains ou dégradants. Contenue dans la Constitution, qui est la norme suprême de l'État, cette interdiction impérative ne permet aucune dérogation.

Par ailleurs, a poursuivi Mme Kalala, certaines dispositions aussi bien du Code pénal ordinaire que du Code pénal militaire considèrent les sévices et autres actes de violence commis indistinctement par les agents de la fonction publique et par toute autre personne comme des circonstances aggravantes des infractions auxquelles ils sont rattachés. En ce qui concerne le Code pénal ordinaire, ces infractions sont les coups et blessures volontaires simples, qualifiés ou ayant entraîné la mort sans intention de la donner; l'arrestation arbitraire et la détention illégale; ainsi que les atteintes portées par des fonctionnaires aux droits garantis aux particuliers par les lois, décrets et arrêtés. En ce qui concerne le Code pénal militaire, ces infractions sont notamment les réquisitions abusives ou illégales; le travail obligatoire des civils ou la déportation, sous quelque motif que ce soit, d'un individu détenu ou interné sans qu'aucune condamnation régulière au regard des lois et coutumes de guerre ait été définitivement prononcée; l'arrestation, la séquestration ou la détention d'un individu opérée sous un faux costume, sous faux nom ou sur un faux ordre de l'autorité publique. Si, aux termes de la Convention, la torture ne peut être que le fait des seuls fonctionnaires publics, elle peut, en République démocratique du Congo, en tant que circonstance aggravante, être retenue à l'encontre des personnes dépourvues de cette qualité, a par ailleurs fait valoir la Ministre.

Mme Kalala a précisé qu'en plus des dispositions répressives susmentionnées, nombre de textes réglementaires préviennent et interdisent les actes de torture. C'est le cas de l'ordonnance du 3 juillet 1978 relative à l'exercice des attributions d'officiers et agents de police judiciaire près les juridictions de droit commun; elle prescrit notamment le droit pour les personnes gardées à vue d'être consultées par un médecin. En outre, une ordonnance du 17 septembre 1965 réglemente l'inspection et la visite des maisons d'arrêt et des prisons par les officiers du ministère public, les médecins et les autorités territoriales.

La Ministre des droits humains a précisé que la durée de la garde à vue devant la police judiciaire est de 48 heures; à l'expiration de cette durée, la personne arrêtée doit soit être libérée, soit présentée à l'autorité judiciaire compétente, laquelle ne peut alors maintenir la garde à vue que pendant cinq jours au maximum et sous le régime du mandat d'arrêt provisoire. Au terme de ce délai, l'autorité judiciaire est tenue de présenter la personne devant le juge qui doit statuer sur la légalité de sa détention. En République démocratique du Congo, la détention au secret n'est pas autorisée, a par ailleurs souligné Mme Kalala; conformément à la Constitution de transition, la personne gardée à vue a le droit d'entrer immédiatement en contact avec sa famille et son conseil.

La torture n'étant pas érigée en infraction autonome en République démocratique du Congo, cette lacune empêche la répression appropriée de cet acte dans toutes ses dimensions et, par voie de conséquence, ne permet pas de donner pleinement effet aux dispositions pertinentes de la Convention contre la torture, a reconnu la Ministre. Afin de mettre fin à cette situation préjudiciable et contraire aux engagements de la République démocratique du Congo, une proposition de loi a été élaborée en la matière et se trouve actuellement sur le bureau de l'Assemblée nationale pour examen et adoption, a indiqué Mme Kalala. C'est par la voie de cette initiative législative que la torture sera réprimée sous tous ses aspects en République démocratique du Congo, a-t-elle insisté. Au regard du taux des peines dont sera assortie cette incrimination, il sera alors possible de déterminer la juridiction compétente pour en connaître; il s'agira soit du tribunal de paix, soit du tribunal de grande instance, soit de la Cour d'appel, soit de la Cour suprême de justice.

Après de longues années de guerre ayant occasionné plus de 3,5 millions de morts, la République démocratique du Congo est bien placée pour comprendre la nécessité de la stabilité et de la paix, facteurs indispensables à la promotion du développement; elle est convaincue qu'aucun développement durable n'est possible sans le strict respect des droits humains, a conclu la Ministre.

Le rapport initial de la République démocratique du Congo (CAT/C/37/Add.6) indique que la Constitution de la transition d'avril 2003 énonce que la personne humaine est sacrée et que l'État a l'obligation de la respecter et de la protéger; elle énonce que toute personne a droit à la vie et à l'intégrité physique et que nul ne peut être soumis à la torture ni à des traitements cruels, inhumains ou dégradants. De plus, la Charte congolaise des droits de l'homme, adoptée à l'issue de la Conférence nationale sur les droits de l'homme tenue en juin 2001, énonce que toutes les formes d'exploitation et d'avilissement de l'homme, notamment l'esclavage, la traite des personnes, la torture physique ou morale et les traitements cruels, inhumains ou dégradants ou analogues sont interdites. Aucun texte constitutionnel, législatif, réglementaire parlant de la torture ne définit ce terme, mais la jurisprudence congolaise considère comme cas de tortures corporelles: des sévices très graves et des actes de cruauté ou de barbarie, exercés principalement dans le but de causer une souffrance; le fait de serrer les liens des victimes de façon douloureuse; le fait de ligoter très fortement une personne aux poignets, aux bras et aux pieds au moyen des cordes, de la déposer ainsi liée en plein soleil et de l'y laisser pendant plusieurs heures sans lui donner ni boisson, ni nourriture; le fait de crever intentionnellement un œil à la personne arrêtée. Il y a lieu de rappeler que les tortures corporelles ne constituent pas une infraction spécifique; elles constitue une circonstance aggravante des infractions prévues par l'alinéa 1 de l'article 67 du Code pénal ordinaire et par les articles 191, 192 et 194 du Code pénal militaire. Pendant 80 ans, rappelle le rapport, la colonisation belge avait institutionnalisé les punitions corporelles non seulement à l'égard des détenus, mais aussi à l'égard des travailleurs, qu'ils soient sur les chantiers ou employés de bureaux. Les châtiments corporels n'ont été abolis formellement qu'au lendemain de l'indépendance, le 30 juin 1960.

L'absence d'un véritable régime démocratique depuis l'accession du pays à l'indépendance, suivie d'une longue période d'instabilité politique, a favorisé la pratique systématique de la torture, notamment à l'égard des opposants politiques vrais ou supposés, poursuit le rapport. Le nombre très réduit des officiers de police judiciaire formés aux techniques d'interrogatoire et la recherche à tout prix, et dans tous les cas, des aveux de la part des détenus, ainsi que les difficultés financières du pays ne permettent pas d'avoir recours aux techniques modernes d'administration de la preuve. Il faut mentionner aussi le manque d'inspections régulières des «amigos», maisons d'arrêt et prisons, par les Procureurs de la République. Par manque d'information en matière de droits de l'homme, les victimes des actes de torture pensent qu'il est normal de subir des mauvais traitements dans les maisons de détention, d'où la rareté des plaintes, explique le rapport. Ou bien, si les victimes sont des opposants politiques, elles pensent que de toutes les façons, les institutions judiciaires resteront impassibles.

La situation de guerre qu'a connue la République démocratique du Congo depuis 1996 n'a pas été propice au respect des droits de l'homme, la moitié du pays ayant échappé au contrôle du Gouvernement central parce qu'occupée par les armées du Rwanda, de l'Ouganda et du Burundi, ainsi que par les groupes rebelles du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD) et le Mouvement de libération du Congo (MLC). Dès lors, les actes de torture ou les traitements cruels, inhumains ou dégradants perpétrés dans ces territoires, pendant la période de guerre, sont imputables à ces États.


Examen du rapport

Le rapporteur du Comité pour l'examen du rapport de la République démocratique du Congo, M. GUIBRIL CAMARA, s'est félicité de recevoir un pays qui, malgré les difficultés du moment et malgré les difficultés du passé, fait des efforts pour s'acquitter de ses engagements et se mettre aux normes internationales. La remise en ordre au plan intérieur ne peut qu'aller de pair avec la remise en ordre au niveau international et il semble que les dirigeants du pays l'aient bien compris, s'est réjoui M. Camara. Il a rappelé qu'aucune circonstance exceptionnelle, quelle qu'elle soit, ne saurait justifier la torture. Aussi, l'expert a-t-il demandé comment les autorités actuelles s'acquittent de leurs obligations en la matière.

M. Camara a souligné que la définition de la torture est un principe fondamental, qui ne saurait se confondre avec l'incrimination de la violence et des coups telle qu'elle figure dans toutes les législations nationales. Tout État qui veut s'acquitter de ses obligations conventionnelles se doit donc d'incriminer la torture tel qu'elle est définie dans la Convention, a insisté le rapporteur. Il a souhaité savoir comment est organisé et comment fonctionne le système judiciaire de la République démocratique du Congo; en effet, dans tout pays, le système de justice est l'épine dorsale de l'état de droit, a-t-il souligné. Il s'est enquis de la situation qui prévaut s'agissant des juridictions militaires: ont-elles compétence pour juger des civils et est-il envisagé de leur retirer tout pouvoir de juger des infractions relevant du droit commun? Comment les lois d'amnistie sont-elles ou vont-elles être appliquées, a par ailleurs demandé M. Camara; quel est leur champ d'application?

M. Camara a par ailleurs fait part de sa préoccupation s'agissant du statut des défenseurs des droits de l'homme et des organisations non gouvernementales. Il a précisé avoir connaissance de cas où des défenseurs de droits de l'homme auraient fait l'objet de persécutions.

M. FERNANDO MARIÑO MENÉNDEZ, co-rapporteur du Comité pour l'examen du rapport de la République démocratique du Congo, et Président du Comité, s'est enquis de la teneur des formations dispensées aux agents chargés de l'application des lois; intègrent-elles un enseignement des normes des Nations Unies, s'agissant notamment du traitement des délinquants mineurs? M. Mariño Menéndez s'est en outre enquis du nombre de personnes placées en détention préventive. Existe-il un registre des personnes placées en détention préventive, a-t-il demandé? Il a souhaité en savoir davantage sur la situation des centres de détention qui ne sont pas contrôlés par les institutions judiciaires. Il s'est en outre enquis du statut juridique de la Garde présidentielle et de la manière dont est garanti le respect, par cette garde, des normes de détention. M. Mariño Menéndez a par ailleurs fait état d'informations en provenance d'organisations non gouvernementales internationales concernant des cas de violences sexuelles et de viols commis sur des prisonnières.

Quelle est le degré d'indépendance réel des juges et magistrats lorsqu'il s'agit d'enquêter sur des cas de torture commis dans des centres de détention, a par ailleurs demandé le co-rapporteur? Les magistrats peuvent-ils décider, de leur propre chef, de lancer une enquête ou faut-il qu'une plainte soit déposée? Il semble que le Ministre de la justice ait le pouvoir de suspendre une enquête si l'acte de torture visé par cette enquête a été commis par un agent de l'État; si tel est le cas, le risque d'impunité existe, a par ailleurs relevé M. Mariño Menéndez. Il s'est en outre enquis des modalités de nomination des magistrats en République démocratique du Congo.

Un autre membre du Comité a demandé quelles mesures ont été prises par le pays pour assurer que les délinquants mineurs sont détenus séparément des adultes.

Les châtiments corporels figurent-ils au nombre des sanctions disciplinaires que peut infliger un directeur de prison, a pour sa part demandé un expert? Rappelant que le Comité des droits de l'enfant avait recommandé à la République démocratique du Congo d'empêcher que des enfants participent à des conflits armés, il a demandé quelle était la situation actuelle à cet égard? Qu'en est-il des enlèvements, des abus et de la traite dont ont pu être victimes les enfants, a également demandé l'expert?

Un membre du Comité s'est inquiété d'événements qui ont été rapportés au Nord Kivu où de nombreux viols de femmes et de fillettes auraient été commis et où des attaques contre des civils auraient été perpétrées.

La loi d'amnistie d'avril 2003 couvre-t-elle des cas de torture, a demandé un membre du Comité?

Un expert a dit apprécier les progrès réalisés par la République démocratique du Congo sur la voie de la démocratisation, mais a souligné que beaucoup reste à faire, notamment du point de vue du renforcement institutionnel. Un autre expert a relevé le réel effort consenti par la République démocratique du Congo pour assumer ses obligations en vertu des organes de traités des Nations Unies.

Commentant brièvement les interventions des experts, la délégation a notamment souligné que le manque de ressources - lesquelles sont essentiellement orientées vers les priorités énoncées dans la déclaration d'introduction de la Ministre des droits humains - empêche de mener une véritable politique de systématisation de la formation des personnels concernés aux normes relatives aux droits de l'homme.

Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas un document officiel

CAT05034F