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LE COMITÉ CONTRE LA TORTURE ENTAME L'EXAMEN DU RAPPORT INITIAL DE LA BOSNIE-HERZÉGOVINE

Compte rendu de séance

Le Comité contre la torture a entamé, ce matin, l'examen du rapport initial présenté par la Bosnie-Herzégovine sur les mesures prises par ce pays pour se conformer aux dispositions de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

M. Slobodan Nagradic, Vice-Ministre des droits de l'homme et des réfugiés de la Bosnie-Herzégovine, a attiré l'attention sur les importantes innovations apportées au domaine pénal en Bosnie-Herzégovine, ainsi que sur les mesures prises pour renforcer les capacités institutionnelles permettant de relever les défis qui se posent en matière de mise en œuvre de la Convention. Les autorités de Bosnie-Herzégovine se sont en outre chargées d'assurer une surveillance indépendante des institutions dans lesquelles des personnes sont placées ou détenues. Mme Minka Smajevic, Conseillère-experte au Ministère des droits de l'homme et des réfugiés, a pour sa part souligné que la guerre a laissé des traces profondes, et a assuré que les autorités n'ont ménagé aucun effort pour régler les problèmes des victimes de la torture durant la guerre.

La délégation de la Bosnie-Herzégovine était également composée de Mme Jadranka Kalmeta, Représentante permanente de la Bosnie-Herzégovine auprès des Nations Unies à Genève; de représentants du Ministère des droits de l'homme et des réfugiés et du Ministère de la justice de la Bosnie-Herzégovine; de représentants du Ministère de la justice et du Ministère de la santé et du bien-être social de la République Srpska; ainsi que de représentants du Ministère de la justice et de l'intérieur de la Fédération de Bosnie-Herzégovine.

L'experte du Comité chargée de l'examen du rapport de la Bosnie-Herzégovine, Mme Felice Gaer, a notamment fait état d'informations selon lesquelles il y aurait parfois une certaine réticence des autorités concernées à mener certaines enquêtes, liées en particulier à des crimes de guerre. Selon certaines sources, a-t-elle relevé, des personnalités puissantes voire des partis ont exercé des pressions sur certains procès. L'experte a en outre rappelé que, depuis dix ans, la République Srpska ne coopère pas avec le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie. La traite des femmes à des fins d'exploitation sexuelle est un problème grave en Bosnie-Herzégovine, pays à la fois de transit et de destination pour ce trafic, dans lequel serait impliquée, selon certaines informations, la police locale. Le co-rapporteur pour l'examen du rapport de la Bosnie-Herzégovine, M. Wang Xuexian, a pour sa part relevé que, dans son rapport, l'État partie affirme qu'à ce jour, «aucun cas de torture présumé de personnes détenues ou emprisonnées n'a été relevé par des fonctionnaires d'institutions de Bosnie-Herzégovine», alors que le Comité européen pour la prévention de la torture a fait état de torture et de mauvais traitements dans un rapport présenté l'an dernier.

Le Comité entendra, demain à partir de 15 heures, les réponses de la délégation de Bosnie-Herzégovine aux questions qui lui ont été adressées ce matin par le Comité.


À sa prochaine séance publique, demain matin à 10 heures, le Comité entamera l'examen du deuxième rapport périodique du Népal (CAT/C/33/Add.6).


Présentation du rapport

M. SLOBODAN NAGRADIC, Vice-Ministre des droits de l'homme et des réfugiés de la Bosnie-Herzégovine, a remercié le Comité pour l'esprit de coopération dont il a fait preuve à l'égard de son pays. Le retard dans la présentation de ce rapport initial est dû à des raisons internes d'organisation ainsi qu'à d'autres facteurs, a indiqué M. Nagradic, qui a précisé que certaines autorités ont fait obstacle à une présentation plus rapide du rapport. Il couvre une période d'une dizaine d'années, dont certaines ont été particulièrement difficiles pour le pays, a-t-il rappelé.

D'un point de vue législatif, d'importantes innovations apportées au domaine pénal en Bosnie-Herzégovine, a notamment fait valoir M. Nagradic. Il a également attiré l'attention sur les mesures prises pour renforcer les capacités institutionnelles permettant de relever les défis qui se posent en matière de mise en œuvre de la Convention. Plusieurs débats publics ont été organisés durant la période couverte par le présent rapport afin, notamment, de sensibiliser l'opinion publique à l'importance que revêt la prévention des actes de torture. Les autorités de Bosnie-Herzégovine se sont en outre chargées d'assurer une surveillance indépendante des institutions dans lesquelles des personnes sont placées ou détenues, qu'il s'agisse de centres de détention, de commissariats ou d'hôpitaux psychiatriques.

MME MINKA SMAJEVIC, Conseillère-experte au Ministère des droits de l'homme et des réfugiés de Bosnie-Herzégovine, a pour sa part rappelé que la guerre qu'a connue la région (1992-1995) a provoqué des souffrances qui ont laissé des traces profondes. L'une des plus graves conséquences de cette guerre reste la présence d'environ deux millions de mines terrestres et de très nombreux autres engins non explosés. Les autorités n'ont ménagé aucun effort pour régler les problèmes des victimes de la torture durant la guerre, a poursuivi Mme Smajevic. Elle a rappelé qu'une loi sur les personnes disparues est entrée en vigueur en 2004, qui prévoit une indemnisation pour les membres des familles des personnes disparues. En 2002, la Bosnie-Herzégovine a signé la Convention européenne sur la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Le Comité européen de prévention de la torture a mené sa première visite en Bosnie-Herzégovine en avril et mai 2003; il s'est rendu dans tous les endroits où se trouvaient des personnes privées de liberté et, à l'issue de cette visite, a présenté un rapport dans lequel il recommandait l'adoption d'un certain nombre de mesures. Toutes les activités nécessaires ont alors été engagées en réponse à ce rapport, afin d'introduire dans le pays les normes européennes pertinentes.

L'interdiction de la torture est énoncée dans la Constitution, qui prévoit le droit de ne pas être soumis à la torture, a rappelé Mme Smajevic. La torture constitue un délit pénal en vertu d'une partie de la législation relative aux crimes contre l'humanité, a-t-elle ajouté. Elle a par ailleurs indiqué qu'une réforme judiciaire est actuellement en cours en Bosnie-Herzégovine, qui sera suivie d'une réforme carcérale. Les autorités de Bosnie-Herzégovine sont conscientes des défaillances du système carcéral, a poursuivi Mme Smajevic; elles se sont rendu compte que les conditions carcérales étaient insuffisantes et pouvaient donner lieu à des cas de torture ou de traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il ne s'agit pas là d'une défaillance découlant d'une volonté politique; elle résulte d'un manque de ressources, a précisé Mme Smajevic.

Le rapport initial de la Bosnie-Herzégovine (CAT/C/21/Add.6) rappelle que le conflit tragique qu'a connu la région a eu des conséquences directes énormes sur la structure démographique du pays: quelque 250 000 personnes ont été tuées et environ 20 000 autres sont portées disparues. La guerre a donné lieu à de nombreux actes de torture, peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants tels que définis par la Convention, souligne-t-il. Les personnes ayant directement ou indirectement été victimes d'actes de torture pendant la guerre et qui n'ont pas encore obtenu réparation pour les préjudices subis peuvent être classées en deux catégories: d'une part l'ensemble de la population civile qui vivait en Bosnie-Herzégovine au moment où la guerre a éclaté et y est demeurée pendant toute la durée du conflit et après la fin de celui-ci; et d'autre part les personnes qui ont été victimes des formes de torture les plus cruelles, à savoir les personnes arrêtées arbitrairement, brutalisées et internées dans des camps de prisonniers; les personnes appartenant aux minorités ethniques; les enfants de tous âges, particulièrement vulnérables, que la guerre a laissés physiquement handicapés ou atteint de troubles psychologiques; les femmes victimes de viol; les soldats traumatisés à vie par la guerre..etc. Au vu de ce qui précède, il est difficile de distinguer la catégorie des personnes qui ont été victimes d'actes de torture pendant le conflit de l'ensemble des personnes qui ont d'une manière ou d'une autre été traumatisées par la guerre.

La Convention contre la torture fait aujourd'hui partie intégrante du système juridique de Bosnie-Herzégovine, poursuit le rapport. Les personnes qui déclarent avoir été victimes de torture ou d'autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants peuvent saisir l'institution du Médiateur pour les droits de l'homme de Bosnie-Herzégovine, de la Fédération de Bosnie-Herzégovine ou de la République Srpska, selon le degré d'autorité exercée par le représentant de l'État ayant commis l'acte visé par la Convention. Outre les plaintes déposées auprès du Médiateur, les victimes présumées peuvent exercer différents recours pour défendre leurs droits, à savoir: porter plainte devant le procureur compétent contre la personne ayant commis l'infraction; demander réparation devant le tribunal compétent; engager une procédure administrative pour contester des décisions administratives exécutoires; former les recours prévus par la loi, ordinaires ou exceptionnels; saisir la Chambre des droits de l'homme ou la Cour constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine lorsqu'elles ont épuisé toutes leurs voies de recours; demander que la personne responsable fasse l'objet de mesures disciplinaires. Le Code pénal de Bosnie-Herzégovine incrimine la torture et d'autres formes de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants infligées par un agent de la fonction publique ou une autre personne. Le Code pénal de la République Srpska ne contient pas de définition spécifique de la torture telle qu'elle figure à l'article premier de la Convention, ajoute le rapport; les actes visés par cet article sont néanmoins couverts par plusieurs incriminations, puisqu'ils sont définis dans la partie du Code pénal relative au préjudice corporel et aux lésions corporelles graves. Le Code de procédure pénale de Bosnie-Herzégovine contient une disposition en vertu de laquelle il est interdit d'extorquer des aveux ou toute autre déclaration à un suspect, à un accusé ou à toute autre personne participant à un procès, le tribunal ne pouvant fonder sa décision sur des éléments obtenus en violant les droits de l'homme et les libertés proclamés par le Constitution et les traités internationaux ratifiés par la Bosnie-Herzégovine.


Examen du rapport

MME FELICE GAER, rapporteuse du Comité pour l'examen du rapport de la Bosnie-Herzégovine, a fait observer qu'il est particulièrement difficile, dans le cas de la Bosnie-Herzégovine, d'évaluer la mise en œuvre de la Convention, du fait de la structure très complexe de ce pays. Elle a demandé en quoi l'importante présence d'un personnel international a-t-elle aidé, ou non, la Bosnie-Herzégovine à mettre en œuvre la Convention et comment la Bosnie-Herzégovine appréhende à long terme cette présence internationale?

Mme Gaer a relevé que le Code pénal de Bosnie-Herzégovine contient une définition de la torture qui, dans une très grande mesure, est calquée sur celle de la Convention. Comment les autorités procèdent-elles pour assurer dans l'ensemble du pays une harmonisation de la législation relative à la torture et faire en sorte qu'au niveau fédéral, la définition de la torture telle qu'énoncée dans la Convention fasse partie du Code pénal, a néanmoins demandé Mme Gaer, relevant notamment que le Code pénal de la République Srpska ne contient pas de définition spécifique de la torture telle qu'elle figure à l'article premier de la Convention?

La structure juridique pour les poursuites judiciaires concernant les crimes de guerre commis durant la période 1992-1995 est extrêmement compliquée, a par ailleurs noté Mme Gaer, rappelant qu'il existe un tribunal pénal international ad hoc, des juridictions internes et une commission spécialement crée à cet effet. Mme Gaer s'est en outre enquise des problèmes éventuellement rencontrés par la Bosnie-Herzégovine pour amener des témoins comparaître devant des juridictions internes. Relevant qu'une unité spéciale de protection des témoins a été mise en place dans le cadre du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY), Mme Gaer a souhaité savoir si des mesures similaires ont été mises en place au niveau des juridictions internes. L'experte a par ailleurs fait état d'informations selon lesquelles il y aurait parfois une certaine réticence des autorités concernées à mener certaines enquêtes, liées en particulier à des crimes de guerre. Mme Gaer a relevé que selon certaines sources, des personnalités puissantes, voire des partis ont exercé des pressions sur certains procès. Selon Human Rights Watch, en dépit de l'existence de lois censées protéger les magistrats, aucune poursuite n'a été engagée en Bosnie-Herzégovine contre des personnes qui auraient menacé des juges, a également relevé Mme Gaer.

Mme Gaer a par ailleurs rappelé que, depuis dix ans, la République Srpska ne coopère pas avec le TPIY, même si l'on peut se féliciter qu'au début de l'année, elle ait remis au tribunal des suspects. L'experte a demandé à la délégation ce qu'elle était en mesure de dire au sujet, notamment, du cas de M. Ratko Mladic.

Lors de sa visite en Bosnie-Herzégovine, a poursuivi Mme Gaer, le Comité européen pour la prévention de la torture a notamment relevé qu'il était exceptionnel qu'une personne arrêtée ait accès à un conseil durant sa détention avant sa présentation à un juge; il a également relevé que les personnes arrêtées n'ont pas toujours accès à un médecin.

Dans quelle mesure les personnes victimes de violences sexuelles durant la guerre ont-elles été reconnues comme victimes d'actes de torture, a par ailleurs demandé Mme Gaer?

La traite des femmes à des fins d'exploitation sexuelle est un problème grave en Bosnie-Herzégovine, pays à la fois de transit et de destination de ce trafic, a poursuivi Mme Gaer. Elle a attiré l'attention sur l'existence d'informations selon lesquelles la police locale serait impliquée, dans une large mesure, dans la traite.

Le co-rapporteur du Comité pour l'examen du rapport de la Bosnie-Herzégovine, M. WANG XUEXIAN, a pour sa part relevé que dans son rapport, la Bosnie-Herzégovine affirme qu'à ce jour, «aucun cas de torture présumé de personnes détenues ou emprisonnées n'a été relevé par des fonctionnaires d'institutions de Bosnie-Herzégovine» (paragraphe 539 du rapport). M. Wang a déclaré qu'il semble exister un écart entre cette déclaration et le rapport présenté il y a un an par le Comité européen pour la prévention de la torture, lequel faisait notamment état de torture et de mauvais traitements.

M. Xuexian a par ailleurs recommandé à la Bosnie-Herzégovine de déployer davantage d'efforts pour trouver les fonds qui pourraient être consacrés à l'indemnisation des victimes de la guerre, lesquelles devraient être reconnues comme ayant été victimes d'actes de torture.

Un autre membre du Comité a relevé que dans le système carcéral de Bosnie-Herzégovine, les adolescents sont détenus avec les adultes. Certes, les autorités affirment qu'ils ne dorment pas dans les mêmes cellules; mais il faut avoir conscience que cela ne suffit pas à prévenir les abus, a fait observer l'expert.

Un autre expert s'est notamment enquis du nombre de procès intentés au pénal et de condamnations prononcées pour des actes de torture ou de traitements cruels, inhumains ou dégradants. Y a-t-il eu en Bosnie-Herzégovine des cas de personnes qui n'auraient pas été expulsées du pays en raison du risque qu'elles auraient encouru d'être soumises à la torture?

Lorsqu'il y a des troubles dans les prisons, comme cela fut le cas à plusieurs reprises dans le pays entre 1998 et 2001, la règle d'or veut que ce ne soit pas les gardiens des prisons concernées par les troubles qui interviennent pour rétablir l'ordre, faute de quoi leurs relations avec les prisonniers s'en trouveraient par la suite durablement altérées, a rappelé un membre du Comité.

Existe-t-il des tribunaux militaires en Bosnie-Herzégovine et quelles sont leurs compétences, a pour sa part demandé un autre membre du Comité?

Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas un document officiel

CAT05021F