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LE COMITÉ POUR L'ÉLIMINATION DE LA DISCRIMINATION RACIALE ADOPTE UNE RECOMMANDATION SUR LA PRÉVENTION DE LA DISCRIMINATION RACIALE DANS LA JUSTICE PÉNALE

Compte rendu de séance
Il tient par ailleurs un débat général sur le multiculturalisme

Le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale a adopté, ce matin, une recommandation générale sur la prévention de la discrimination raciale dans l'administration et le fonctionnement de la justice, après avoir tenu un débat sur le multiculturalisme.

Dans sa recommandation générale, le Comité demande notamment aux États parties d'éliminer les lois ayant un effet discriminatoire au plan racial, en particulier celles qui visent indirectement certains groupes en pénalisant des actes qui ne peuvent être commis que par des personnes appartenant à ces groupes ou celles qui ne s'appliquent qu'aux non-ressortissants, sans motif légitime ou sans respecter le principe de proportionnalité. Les États parties devraient veiller au respect et à la reconnaissance des systèmes traditionnels de justice des peuples autochtones, en conformité avec le droit international des droits de l'homme. S'agissant des personnes poursuivies en justice, les États parties devraient veiller à ce que soit respecté le principe général de proportionnalité et de stricte nécessité, notamment s'agissant du recours à la force et l'utilisation des armes à feu par les responsables de l'application des lois. En outre, les États parties devraient veiller à ce que la simple appartenance raciale ou ethnique ne soit pas une raison suffisante, de jure ou de facto, pour placer une personne en détention provisoire avant son jugement. Les États devraient veiller à ce que ne soient pas appliquées des peines plus sévères pour la seule raison de l'appartenance du prévenu à un groupe racial ou ethnique déterminé. Une attention particulière devrait être portée à la peine capitale dans les pays qui ne l'ont pas encore abolie, eu égard aux informations faisant apparaître que cette peine est plus souvent prononcée et exécutée à l'encontre de personnes appartenant à des groupes raciaux ou ethniques déterminés.

Le Comité a également procédé à un débat général sur la question du multiculturalisme sur la base d'un document de travail présenté par un de ses membres, M. José A.Lindgren Alves. L'expert a notamment souligné que le concept de multiculturalisme fait aujourd'hui l'objet d'un très large consensus, mais d'approches différentes. Dans le cadre de la discussion qui a suivi, il a notamment été estimé que le Comité ne devait pas devenir otage d'un modèle particulier du multiculturalisme. Le Comité doit s'efforcer de mesurer les conséquences sur le respect des droits de l'homme des modèles adoptés par les États. En fin de séance, M. Lindgren Alves s'est félicité du consensus sur la nécessité pour le Comité de mettre en œuvre une démarche pragmatique permettant de prendre en compte les particularismes de chaque pays.


La prochaine séance publique du Comité se tiendra demain matin, à 10 heures, pour un échange de vues sur la réforme des organes conventionnels avec Mme Maria-Francisca Ize-Charrin, Chef de la Section des traités et de la Commission au Haut Commissariat aux droits de l'homme.



Recommandation générale sur la prévention de la discrimination raciale dans l'administration et le fonctionnement de la justice pénale

Dans sa recommandation générale sur la prévention de la discrimination raciale dans l'administration et le fonctionnement de la justice pénale, le Comité demande notamment aux États parties d'éliminer les lois ayant un effet discriminatoire au plan racial, en particulier celles qui visent indirectement certains groupes en pénalisant des actes qui ne peuvent être commis que par des personnes appartenant à ces groupes ou celles qui ne s'appliquent qu'aux non-ressortissants, sans motif légitime ou sans respecter le principe de proportionnalité. Les États parties devraient en outre favoriser une représentation adéquate des personnes appartenant aux groupes raciaux et ethniques au sein de la police et de la justice. Ils devraient aussi veiller au respect et à la reconnaissance des systèmes traditionnels de justice des peuples autochtones, en conformité avec le droit international des droits de l'homme.

S'agissant des mesures à prendre pour ce qui concerne les victimes du racisme, le Comité recommande aux États que tout refus de recueillir une plainte pour acte de racisme par un fonctionnaire de police devrait faire l'objet de sanctions disciplinaires ou pénales, et ces sanctions devraient être aggravées en cas de corruption. En cas d'allégations de tortures, de mauvais traitements ou d'exécutions, les enquêtes devraient être menées conformément aux Principes relatifs à la prévention efficace des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires et aux moyens d'enquêter efficacement sur ces exécutions et aux Principes relatifs aux moyens d'enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants pour établir la réalité des faits. Afin de faciliter la saisine de la justice directement par les victimes d'actes de racisme, les États devraient envisager l'octroi d'un statut procédural pour les victimes et les associations de défense des victimes du racisme et de la xénophobie, tel que la faculté de se constituer partie civile ou d'autres modalités similaires qui puissent leur permettre de faire valoir leurs droits dans le procès pénal, sans frais de leur part.

En ce qui concerne les personnes poursuivies en justice, les États parties devraient veiller à ce que soit respecté le principe général de proportionnalité et de stricte nécessité, conformément aux Principes de base sur le recours à la force et l'utilisation des armes à feu par les responsables de l'application des lois. Pour tout ce qui concerne l'interpellation et l'arrestation des personnes, les États parties devraient tenir compte des précautions particulières à prendre à l'égard des femmes et des mineurs, en raison de leur vulnérabilité spécifique. Par ailleurs, les États parties devraient veiller à ce que la simple appartenance raciale ou ethnique ne soit pas une raison suffisante, de jure ou de facto, pour placer une personne en détention provisoire avant son jugement, seuls des motifs objectifs prévus par la loi pouvant justifier cette détention provisoire tel le risque que la personne s'enfuie, qu'elle détruise les preuves ou qu'elle influence les témoins, ou le risque d'un trouble grave à l'ordre public.

S'agissant du déroulement du procès et du jugement, les États devraient notamment veiller à ce que ne soient pas appliquées des peines plus sévères pour la seule raison de l'appartenance du prévenu à un groupe racial ou ethnique déterminé. Une attention toute particulière devrait être portée, à cet égard, d'une part au système de peines minimales et de détention obligatoire appliquées à certaines infractions, d'autre part à la peine capitale dans les pays qui ne l'ont pas encore abolie, eu égard aux informations faisant apparaître que cette peine est plus souvent prononcée et exécutée à l'encontre de personnes appartenant à des groupes raciaux ou ethniques déterminés. S'agissant de l'exécution des peines le Comité recommande aux États parties de garantir à tout détenu dont les droits ont été violés le droit à un recours effectif devant une autorité indépendante et impartiale. S'agissant de l'exécution des peines, les États parties devraient également garantir à tout détenu dont les droits ont été violés le droit à un recours effectif devant une autorité indépendante et impartiale. Enfin, , les États parties devraient veiller avec la plus grande attention à ce que les femmes et les enfants bénéficient du régime particulier d'exécution des peines auquel ils ont droit, en tenant compte des difficultés spécifiques auxquelles sont confrontées les mères de famille et les femmes appartenant à certaines communautés, notamment les communautés autochtones.



Débat général sur le multiculturalisme

Présentant son document de travail (CERD/C/66/Misc.8) sur la question du multiculturalisme, M. José A. Lindgren Alves, membre du Comité, a déclaré que le concept de multiculturalisme fait aujourd'hui l'objet d'un très large consensus. Seul un très faible nombre de courants de pensée sont opposés à cette idée. Comment définir la notion de multiculturalisme ? C'est l'idée que toutes les cultures doivent êtres mises sur un pied d'égalité et acceptées de façon égale dans chaque société. Le multiculturalisme est fondé sur le respect et l'acceptation de la diversité des cultures. On peut distinguer deux approches principales de la notion de multiculturalisme, a déclaré l'expert. Il y a, d'une part, la tradition française, républicaine, selon laquelle s'il convient de reconnaître et de respecter l'autre dans sa différence, ces différences ne doivent jamais être placées au-dessus de la constitution. L'idée est qu'au delà des différences, il existe quelque chose de commun, à savoir, le respect de la constitution et le sentiment d'être français. Une autre approche du multiculturalisme, anglo-saxonne, insiste quant à elle davantage sur les différences et sur l'idée qu'il faut les garder intactes. Plus qu'un mélange des cultures, c'est leur juxtaposition qui est recherchée. Tels sont ainsi les deux pôles du multiculturalisme, a estimé l'expert.

S'agissant de la question de la surveillance par le Comité de l'application, par des pays dont les situations sont très différentes, de normes universelles, M. Lindgren Alves a souligné que le Comité, dans le cadre de l'examen des rapports qui lui sont présentés par les États parties, a l'obligation de prendre en considération les circonstances propres à chaque cas. S'il ne fait aucun doute qu'en Europe, on attend d'un pays qu'il reconnaisse comme minorités les groupes ethniques qui vivent sur son territoire, M. Lindgren Alves a émis des doutes quant à l'opportunité de voir les mêmes règles s'appliquer en Afrique, où les frontières ont été dessinées par les anciennes puissances coloniales sans tenir compte des cultures et nations pré-existantes. Ces pays doivent créer leur unité nationale sur les fragments de cultures et de nations disparates qui ont souvent été des antagonistes ancestraux. L'exemple du Nigéria, dont le rapport a été examiné au cours de la présente session est à cet égard très caractéristique, avec ses 250 groupes ethniques. Imposer à ces pays la reconnaissance de minorités en tant qu'entités dont les valeurs ne doivent pas être touchées revient à encourager la fragmentation et les guerres, a estimé M. Lindgren Alves. L'expert a ainsi souligné la nécessité pour le Comité de garder présente à l'esprit cette idée lorsqu'il adopte ses observations finales et recommandations.


Dans le cadre de la discussion qui a suivi cette présentation, un membre du Comité a souligné que les valeurs culturelles des minorités ne peuvent pas l'emporter sur la législation interne des pays d'accueil. Les différentes pratiques culturelles doivent en outre s'inscrire dans le respect des normes de droit international relatives aux droits de l'homme.

Un autre membre du Comité a rappelé que la culture est constitutive de chaque être humain et qu'elle permet de donner un sens, une explication du monde. Le Comité ne doit pas devenir otage d'un modèle particulier du multiculturalisme, qui peut consister en la simple reconnaissance de la diversité dans le cadre d'une citoyenneté commune, la coexistence de groupes, leur autonomie. Le Comité doit s'efforcer de mesurer les conséquences sur le respect des droits de l'homme des modèles adoptés par les États. L'expert a toutefois estimé que l'on devait toujours regretter la disparition d'une langue car plus que des mots, plus qu'une grammaire ou une syntaxe, les langues sont des systèmes de signification du monde, des moyens uniques d'explication du monde.

Un autre expert a déclaré que, si le Comité avait pu commettre quelques erreurs dans certaines de ses recommandations, il ne favorisait pas pour autant la fragmentation des différentes sociétés et mettait plutôt l'accent sur la notion d'intégration. À cet égard, il s'est dit sensible aux différentes réserves émises au cours de la présente session par certaines délégations africaines au sujet des statistiques ventilées par origine ethnique. Le Comité va dans la bonne direction en s'efforçant de prendre en compte les particularités de chacun des pays et, par conséquent, de doser chacune de ses recommandations.

Un membre du Comité a déclaré que, dans le cadre des phénomènes actuels de migrations, de mouvements de population et de mondialisation, le multiculturalisme est devenu une réalité incontournable pour la plupart des États. Le multiculturalisme représente un défi de taille, a-t-il ajouté. Il en va de la cohésion sociale et de l'avenir même des pays en termes de paix sociale. Tout doit donc être fait pour éviter ce choc des cultures évoqué par certains. L'expert a souligné la nécessité pour les États d'accueil de respecter les droits et la culture des immigrés tout en recommandant par ailleurs aux candidats à l'immigration de se conformer aux valeurs des pays d'accueil, plutôt que de s'enfermer dans un refus de la culture du pays d'accueil. Aussi, il importe de revenir à une exigence première, qui pourrait d'ailleurs faire l'objet d'une recommandation du Comité, à savoir, la conscience que la valeur intrinsèque de chaque culture doit trouver une limite dans l'universalité des droits de l'homme. Partout dans le monde, il importe de respecter le «noyau dur» des droits de l'homme. On ne devrait jamais apporter son soutien à des cultures dont les pratiques seraient contraires à ce corps de règles, essentiellement constitué d'instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme. Le relativisme culturel doit donc trouver une limite dans l'universalité des droits de l'homme, a-t-il conclu.

Prenant la parole en fin de séance, M. Lindgren Alves, s'est réjoui du consensus parmi les experts sur la nécessité pour le Comité de mettre en œuvre une démarche pragmatique permettant de prendre en compte les particularismes de chaque pays.

Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas un document officiel

CRD05033E