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Examen du rapport de l’Éthiopie devant le Comité contre la torture: les conditions de détention dans les prisons et le conflit dans le nord du pays sont au cœur des préoccupations

Compte rendu de séance

 

Le Comité contre la torture a examiné, hier matin et cet après-midi, le rapport de l’Éthiopie au titre de Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

S’agissant du conflit dans la région du Tigré, au nord de l’Éthiopie, un expert membre du Comité a cité des allégations émanant de la société civile et d’institutions onusiennes concernant des exactions commises pendant ce conflit, y compris l’utilisation massive de la détention arbitraire, des pillages et des déplacements forcés. Depuis novembre 2020, a relevé l’expert, les autorités et les forces de sécurité [régionales] amhara mèneraient même une campagne implacable de «nettoyage ethnique» pour chasser de chez eux les Tigréens du Tigré occidental, avec l’assentiment et la possible participation des forces fédérales éthiopiennes.

Le même expert a aussi relayé la dénonciation par Amnesty International, en 2021, de crimes contre l'humanité perpétrés fin novembre 2020 par l'armée érythréenne au Tigré. Selon d’autres informations, les forces gouvernementales éthiopiennes auraient elles aussi commis des crimes graves, notamment l’attaque par un drone d’un complexe scolaire accueillant des milliers de Tigréens déplacés du Tigré occidental à Dedebit, tuant au moins 57 civils. On note aussi une violation du principe fondamental de non-refoulement, avec le renvoi de force en Érythrée des réfugiés érythréens en danger.

Un autre expert a évoqué des viols collectifs généralisés, ainsi que d’autres violences sexuelles et sexistes perpétrés par des membres des forces de défense et des milices pour humilier et terroriser l'ennemi. Le Comité est très inquiet, a-t-il été souligné, car au-delà des exactions commises pendant le conflit, la destruction d’infrastructures sanitaires a rendu problématique la survie de nombreuses personnes, alors que le nombre de morts engendrés par le conflit se situerait déjà entre 385 000 et 600 000.

D’autres préoccupations ont été exprimées s’agissant de l’indépendance des magistrats en Éthiopie, qui ne semble pas garantie dans la pratique, et de la corruption, qui s’étendrait aussi au secteur de la justice. Il a été fait état d’actes de torture ou de mauvais traitements dans les lieux de détention, de même que d’une situation parfois très difficile s’agissant des conditions générales de détention en Éthiopie, concernant non seulement l’hygiène et l’accès à l’eau et à l’alimentation, mais aussi les violences entre détenus et les conditions de détention des femmes. Selon certains observateurs, le système judiciaire apporte des réponses inadéquates et incohérentes aux plaintes pour torture et mauvais traitements, a relevé un expert.

Présentant le rapport de son pays, M. Alemante Agidew Wondimeneh, Ministre d’État à la Division juridique du Ministère de la justice de l’Éthiopie, a précisé que son Gouvernement avait été contraint d’entrer en conflit en novembre 2020, au moment où des forces du Front de libération du peuple du Tigré (FLPT/TPLF) ont attaqué et pris le contrôle du Commandement nord des Forces de défense nationale éthiopiennes dans la région du Tigré. Conscient de l'effet destructeur du conflit, le Gouvernement a créé un environnement propice pour que la Commission éthiopienne des droits de l'homme puisse s'acquitter pleinement de ses responsabilités et compléter les efforts du Gouvernement pour garantir les droits de l'homme par des enquêtes sur les crimes commis dans le contexte de la guerre, a assuré le chef de la délégation.

Le Gouvernement a aussi facilité la conduite d'enquêtes conjointes par le Haut-Commissariat aux droits de l’homme et par la Commission éthiopienne des droits de l'homme, dont les recommandations sont mises en œuvre par une « task-force interministérielle » (IMTF). L’IMTF a créé à son tour un Comité d'enquête et de poursuite (IPC), lequel a conçu une stratégie d'enquête qui s'articule autour de trois volets d’enquêtes sur les violations commises dans les régions d'Amhara, d'Afar et du Tigré ; sur les violations commises dans les régions de Wolqayit, Tsegede et Humera ; et sur les violations qui auraient été commises par des membres des Forces de défense nationale et des forces régionales dans les régions d'Afar, d'Amhara et du Tigré.

L’IPC a mis en évidence des cas effroyables de viols collectifs, de viols, d'esclavage sexuel et de transmission intentionnelle de maladies sexuellement transmissibles, a indiqué M. Agidew Wondimeneh. La phase suivante de cette procédure est la poursuite des crimes ayant fait l'objet d'une enquête. Le Gouvernement a pris des mesures pour indemniser et réhabiliter les victimes de violence sexuelle et sexiste, prévenir la récidive et faciliter l'accès de l'aide humanitaire, a notamment fait savoir le Ministre d’État.

M. Agidew Wondimeneh a mentionné, d’autre part, la création d’un mécanisme pour garantir la responsabilité administrative et pénale dans les cas où des membres de la police fédérale ou des Forces de défense nationale bafouent les droits des personnes et la dignité humaine pendant leur service actif, en particulier pour assurer le droit d'être protégé contre les exécutions extrajudiciaires, les lésions corporelles et les traitements inhumains.

La délégation éthiopienne était également composée de M. Tsegab Kebebew Daka, Représentant permanent de l’Éthiopie auprès des Nations Unies à Genève, ainsi que de représentants des services du Premier Ministre, des Ministères des affaires étrangères et de la justice, de la police et du service des réfugiés et des personnes rentrées au pays.

Le Comité adoptera ultérieurement, à huis clos, ses observations finales sur le rapport de l’Éthiopie et les rendra publiques à l’issue de sa session, le 12 mai prochain.

 

Lundi prochain, 8 mai, à 16 heures, le Comité se penchera sur le suivi de ses observations finales et des plaintes, ainsi que sur la question des représailles.

 

Examen du rapport de l’Éthiopie

Le Comité est saisi du deuxième rapport périodique de l’Éthiopie (CAT/C/ETH/2) ainsi que des réponses du pays à une liste de points à traiter qui avait été soumise par le Comité.

Présentation du rapport

Présentant le rapport de son pays, M. ALEMANTE AGIDEW WONDIMENEH, Ministre d’État à la Division juridique du Ministère de la justice de l’Éthiopie, a déclaré que l’Éthiopie avait adopté, pendant la période couverte par ce rapport, plusieurs mesures pour garantir la protection des personnes – y compris les femmes, les enfants et les minorités – contre la torture et d'autres formes de mauvais traitements, et que les autorités avaient lancé plusieurs programmes pour sensibiliser le grand public aux droits de l'homme, en particulier au droit de ne pas être soumis à la torture et aux mauvais traitements.

Dans ce contexte, a poursuivi le chef de la délégation éthiopienne, plusieurs réformes sont menées pour améliorer la coopération entre les institutions du secteur de la justice, notamment par un déploiement plus rapide des procureurs dans chaque commissariat de police et centre d'enquête afin de superviser l'ensemble des processus d'enquête. Les procureurs sont autorisés à visiter les personnes en garde à vue et à prendre des mesures lors de violation des droits de l'homme, y compris en cas de torture ou de traitement inhumain ou dégradant. En outre, le Ministère de la justice effectue de fréquentes visites de contrôle dans les lieux de détention pour y contrôler la situation des personnes privées de liberté.

Pour garantir le traitement humain des prisonniers, les commissions des prisons ont mis au point des mécanismes pour recevoir et traiter les demandes de transfert de prisonniers vers des établissements pénitentiaires proches de leur famille. D'autre part, pour raccourcir la durée de la détention provisoire et réduire ainsi le risque d’irrégularités en détention, l'Éthiopie applique un modèle de justice pénale qui permet aux suspects, en cas de flagrant délit, d’être jugés devant un tribunal de manière accélérée.

M. Agidew Wondimeneh a ajouté que la nouvelle équipe dirigeante arrivée au pouvoir en 2018 avait lancé et mené à bien d’autres réformes approfondies, y compris une libéralisation de l'environnement politique et la libération de dirigeants de l'opposition. En particulier, le nouveau Gouvernement a reconnu les excès commis par l'appareil de sécurité, en a assumé l'entière responsabilité et a présenté ses excuses pour les violations commises. Le Gouvernement a également enquêté et engagé des poursuites contre des hauts fonctionnaires et des membres des services de sécurité et des forces de l'ordre soupçonnés d'avoir perpétré certaines des pires violations des droits de l'homme de l'histoire récente de l'Éthiopie. Des lieux de détention secrets et des sites notoirement connus pour les atrocités commises par les services de sécurité et les forces de l'ordre ont été identifiés, exposés publiquement et définitivement fermés. De plus, la « Proclamation antiterroriste » a été abrogée et remplacée par une nouvelle législation plus respectueuse des droits de l'homme, a mis en avant M. Agidew Wondimeneh.

D’autres réformes ont été entreprises par la Commission de la police fédérale et les Forces de défense nationale éthiopiennes, parmi lesquelles la création de comités disciplinaires chargés de recevoir les plaintes déposées par les personnes détenues ou en leur nom, a ajouté le chef de la délégation. Un mécanisme est également mis en place pour garantir la responsabilité administrative et pénale dans les cas où des membres de la police fédérale ou des Forces de défense nationale bafouent les droits des personnes et la dignité humaine pendant leur service actif, en particulier pour assurer le droit d'être protégé contre les exécutions extrajudiciaires, les lésions corporelles et les traitements inhumains. Cette procédure a permis d’ouvrir des enquêtes et de poursuivre les excès commis par les membres des Forces de défense nationale s’agissant d’infractions commises dans le cadre du conflit dans le nord de l'Éthiopie, a indiqué le Ministre d’État.

Il a également précisé que la Commission éthiopienne des droits de l'homme avait été mandatée pour visiter et contrôler sans préavis tout centre correctionnel ou prison, centre de détention de la police, ou tout autre lieu où des personnes sont gardées à vue ou autrement détenues dans tout le pays. La Commission peut convoquer et interroger tout fonctionnaire concerné par son enquête et formuler des recommandations et des mesures correctives.

Le Ministre d’État a ensuite indiqué que son Gouvernement avait été contraint d’entrer en conflit en novembre 2020, au moment où des forces du Front de libération du peuple du Tigré (FLPT/TPLF) ont attaqué et pris le contrôle du Commandement nord des Forces de défense nationale éthiopiennes dans la région du Tigré. Conscient de l'effet destructeur du conflit, le Gouvernement a créé un environnement propice pour que la Commission éthiopienne des droits de l'homme puisse s'acquitter pleinement de ses responsabilités et compléter les efforts du Gouvernement pour garantir les droits de l'homme par des enquêtes sur les crimes commis dans le contexte de la guerre, a assuré le chef de la délégation.

Le Gouvernement a aussi facilité la conduite d'enquêtes conjointes par le Haut-Commissariat aux droits de l’homme et par la Commission éthiopienne des droits de l'homme, dont les recommandations sont mises en œuvre par une « task-force interministérielle » (IMTF). L’IMTF a créé à son tour un Comité d'enquête et de poursuite (IPC), lequel a conçu une stratégie d'enquête qui s'articule autour de trois volets : enquêtes sur les violations commises dans les régions d'Amhara, d'Afar et du Tigré ; enquêtes sur les violations commises dans les régions de Wolqayit, Tsegede et Humera ; et enquêtes sur les violations qui auraient été commises par des membres des Forces de défense nationale et des forces régionales dans les régions d'Afar, d'Amhara et du Tigré.

L’IPC a mis en évidence des cas effroyables de viols collectifs, de viols, d'esclavage sexuel et de transmission intentionnelle de maladies sexuellement transmissibles (MST), y compris le VIH/sida, a indiqué M. Agidew Wondimeneh, précisant qu’ont été recueillies des données démontrant qu'au moins 2212 femmes, filles, garçons et hommes ont été victimes de ces crimes. La phase suivante de cette procédure est la poursuite des crimes ayant fait l'objet d'une enquête. Le Gouvernement a pris des mesures pour indemniser et réhabiliter les victimes de violence sexuelle et sexiste, prévenir la récidive et faciliter l'accès de l'aide humanitaire, a notamment fait savoir le Ministre d’État.

M. Agidew Wondimeneh a précisé que la phase d'hostilités actives dans le nord de l'Éthiopie avait pris fin et que toutes les parties travaillaient à la pleine mise en œuvre de l'accord de cessation des hostilités signé à Pretoria en 2022 sous les auspices de l'Union africaine. Le Gouvernement a invité officiellement l'équipe d'enquête conjointe du Haut-Commissariat et de la Commission éthiopienne des droits de l'homme à mener une mission de suivi afin de contrôler la situation des droits de l'homme dans les zones de la région rendues inaccessibles en raison du conflit, a ajouté le Ministre d’État. Dans le même temps, le Gouvernement travaille sans relâche à la résolution pacifique des conflits dans l'ouest du pays et dans la région d'Oromia, a-t-il enfin indiqué.

Questions et observations des membres du Comité

M. SÉBASTIEN TOUZÉ, corapporteur du Comité pour l’examen du rapport de l’Éthiopie, a rappelé que si le Gouvernement éthiopien doit prendre les mesures nécessaires pour garantir la paix et la sécurité, il doit le faire dans le respect de ses obligations au titre de la Convention.

S’agissant du conflit au Tigré, M. Touzé a d’abord cité des allégations émanant de la société civile et d’institutions onusiennes concernant des exactions commises pendant ce conflit, y compris l’utilisation massive de la détention arbitraire, des pillages et des déplacements forcés. Depuis novembre 2020, a-t-il relevé, les autorités et les forces de sécurité [régionales] amhara mèneraient même une campagne implacable de «nettoyage ethnique» pour chasser de chez eux les Tigréens du Tigré occidental, avec l’assentiment et la possible participation des forces fédérales éthiopiennes. On note aussi une violation du principe fondamental de non-refoulement, avec le renvoi de force en Érythrée des réfugiés érythréens en danger.

Le 17 janvier 2021, des miliciens amhara connus sous le nom de Fano et des habitants de la région ont arrêté et placé en détention des dizaines d’hommes tigréens de la ville d’Adi Goshu. Des membres des Forces spéciales amhara ont arrêté et exécuté sommairement une soixantaine d’hommes tigréens près de la rivière Tekezé, a aussi alerté M. Touzé. Il a en outre fait état d’allégations selon lesquelles les forces tigréennes auraient violé des dizaines de femmes et de jeunes filles ; entre novembre 2020 et juin 2021, 2204 survivants ont signalé des violences sexuelles aux établissements de santé dans la région du Tigré.

M. Touzé a également relayé la dénonciation par Amnesty International, en 2021, des crimes contre l'humanité perpétrés fin novembre 2020 par l'armée érythréenne au Tigré. Il a souhaité connaître la position de l’Éthiopie concernant ce problème, d’autant plus que, selon d’autres informations, les forces gouvernementales [éthiopiennes] auraient elles aussi commis des crimes graves, notamment l’attaque par un drone gouvernemental d’un complexe scolaire accueillant des milliers de Tigréens déplacés du Tigré occidental à Dedebit, tuant au moins 57 civils et en blessant plus de 42.

Le Comité est très inquiet car, au-delà des exactions commises pendant le conflit, la destruction d’infrastructures sanitaires a rendu problématique la survie de nombreuses personnes, alors que le nombre de morts engendrés par le conflit se situerait déjà entre 385 000 et 600 000, a indiqué M. Touzé. L’expert s’est interrogé sur les raisons de l’opposition du Gouvernement au mandat de la Commission internationale d’experts des droits de l’homme sur l’Éthiopie, créée en 2021 par le Conseil des droits de l’homme pour enquêter sur les allégations d’atteintes aux droits de l’homme commises en Éthiopie depuis le début du conflit dans le nord du pays en novembre 2020.

M. Touzé a ensuite relevé que l’indépendance des magistrats en Éthiopie ne semblait pas garantie dans la pratique et que la corruption s’étendait aussi au secteur de la justice. Concernant les garanties procédurales pour les personnes privées de liberté, le droit des justiciables d’être informés dans leur langue des raisons de leur arrestation n’est pas toujours respecté, non plus que le respect du droit de garder le silence, comme l’indiquent des informations provenant de la société civile, a-t-il indiqué. De plus, la possibilité de recevoir les conseils d’un avocat dès les premiers moments de l’arrestation n’est pas prévue par les textes, a fait remarquer l’expert.

S’agissant des garanties procédurales pour les victimes d’actes de torture, M. Touzé a demandé dans quelle mesure la priorité donnée à la possibilité d’assurer l’engagement de la responsabilité des auteurs des actes de tortures ( « la loi éthiopienne exige l’ouverture obligatoire d’enquêtes criminelles et disciplinaires concernant toutes les allégations de torture » , signale le paragraphe 59 du rapport) était suivie d’effet.

M. Touzé a en outre fait état de préoccupations relatives à des actes de torture ou de mauvais traitements dans les lieux de détention ; à des violences entre détenus ; et aux conditions de détention des femmes. Il s’est interrogé sur le taux d’occupation des lieux de détention en Éthiopie et sur la composition de la population carcérale. M. Touzé a fait état d’une situation parfois très difficile s’agissant des conditions générales de détention en Éthiopie – hygiène, accès à l’eau et à l’alimentation, notamment ; il a également fait état de torture de l’eau, de torture génitale des hommes, de mises à nu et d’humiliation devant d’autres détenus, ainsi que de viols de femmes détenues.

M. Touzé a mentionné d’autres problèmes liés à la situation des enfants en Éthiopie, s’agissant en particulier de l’enrôlement de mineurs par les forces gouvernementales pour participer au conflit.

Enfin, l’expert a souligné que si la Constitution de la République fédérale démocratique d’Éthiopie protège en son article 29 la liberté de pensée, d’opinion, d’expression et de la presse, ces libertés sont malgré tout réprimées et les individus qui les exercent sont victimes de violences et de mauvais traitements.

M. Touzé a aussi fait observer que plusieurs organisations non gouvernementales (ONG) ont fait part des représailles qu’elles risquent de subir si elles collaborent avec le Comité, entre autres institutions internationales.

M. TODD BUCHWALD, corapporteur du Comité pour l’examen du rapport de l’Éthiopie, a d’abord demandé quelle avait été la participation de la société civile ainsi que de la police, de l'armée et des autres forces de sécurité, dans la préparation du rapport. Il a voulu savoir si le Gouvernement ratifierait le Protocole facultatif à la Convention contre la torture, la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées et le Statut de Rome de la Cour pénale internationale.

M. Buchwald a également voulu savoir si le Gouvernement collaborerait avec la Commission internationale d'experts des droits de l'homme sur l’Éthiopie, dont le mandat a été renouvelé. Il a relayé des préoccupations exprimées par des organisations de la société civile concernant le manque d’indépendance de la Commission nationale des droits de l’homme de l’Éthiopie et sa tendance à manquer d'impartialité. Le Comité, a ajouté M. Buchwald, a été informé que ladite Commission avait été empêchée d’effectuer des visites de centres de détention pendant la guerre au Tigré. À cet égard, la ratification du Protocole facultatif est d’autant plus urgente que l’État partie doit maintenant restaurer la confiance parmi les populations qui ont souffert de la violence récente, a insisté l’expert.

M. Buchwald s’est par ailleurs interrogé sur les suites données à 26 incidents potentiellement liés à la torture et à des mauvais traitements transmis par la Commission nationale des droits de l’homme aux autorités compétentes pour qu'elles mènent des enquêtes plus approfondies. Il a fait remarquer que, selon certains observateurs, le système judiciaire apporte des réponses inadéquates et incohérentes aux plaintes pour torture et mauvais traitements, ce qui soulève de sérieuses questions quant à l'indépendance et à la capacité du pouvoir judiciaire.

M. Buchwald a ensuite demandé quelles leçons le Gouvernement avait tirées de l’échec des efforts précédents de l’Éthiopie en matière de justice transitionnelle, alors même que les autorités ont lancé un nouveau processus transitionnel consultatif de trois mois au mois de mars dernier. Dans ce contexte, le Gouvernement doit assumer, en ce qui concerne la torture et les mauvais traitements, des obligations juridiques particulières : ainsi, une amnistie qui couvrirait les actes de torture semblerait assez difficile à concilier avec l'article 7 de la Convention, qui oblige les États parties à enquêter et à engager des poursuites à l'encontre des coupables, a mis en garde l’expert.

M. Buchwald a d’autre part indiqué que le Comité était informé d'abus extrêmement graves commis à l'encontre de réfugiés érythréens en Éthiopie. Il a demandé des statistiques sur le nombre de personnes extradées ou expulsées d’Éthiopie vers d’autres pays, de même que sur le nombre de demandes d’asile reçues et acceptées chaque année. L’expert a voulu savoir si les traités bilatéraux que l’Éthiopie a conclus avec plusieurs pays permettaient de procéder à l’extradition de personnes soupçonnées d’actes de torture.

M. Buchwald a en outre demandé ce qui était fait pour établir les responsabilités pour les violences sexuelles et sexistes commises pendant le conflit – y compris des viols collectifs généralisés et d’autres violences sexuelles et sexistes perpétrées par des membres des forces de défense et des milices pour humilier et terroriser l'ennemi.

Enfin, M. Buchwald a estimé que la loi éthiopienne n’était pas pleinement conforme à la Convention, notamment parce qu’elle ne prévoit pas l'imprescriptibilité des faits de torture et parce que le Code de procédure pénale n’interdit pas explicitement les actes de torture pour obtenir des aveux.

Plusieurs experts ont attiré l’attention de la délégation sur la nécessité de détenir les mineurs en conflit avec la loi séparément des adultes.

Réponses de la délégation

Le rapport examiné aujourd’hui a été élaboré avec la participation de la société civile, y compris la fédération des organisations non gouvernementales actives dans le domaine des droits de l’homme, a indiqué la délégation éthiopienne.

La délégation a précisé que l’Éthiopie accueillait actuellement plusieurs millions de réfugiés fuyant les persécutions ou d’autres confits et difficultés provoqués par l’homme. Plus de 200 000 jeunes réfugiés sont scolarisés en Éthiopie, y compris à l’université, et les réfugiés ont accès aux prestations sociales et économiques, et peuvent passer le permis de conduire et travailler, entre autres droits. De plus, certains réfugiés ont obtenu un statut de « réfugié urbain », qui témoigne de leur degré élevé d’autonomie et de leur intégration dans la société éthiopienne, a indiqué la délégation, affirmant que le pays appliquait la politique relative aux réfugiés la plus progressiste d’Afrique.

La sécurité des personnes réfugiées dans la région du Tigré est de la responsabilité de l’armée et des forces régionales, a ensuite indiqué la délégation. Elle a expliqué qu’au début du conflit, le Gouvernement avait déplacé des réfugiés vers des camps plus sûrs, dans le sud du Tigré. Avec l’intensification du conflit, le Gouvernement a créé un nouveau camp occupant quelque 1900 hectares, a-t-elle ajouté. La délégation a nié catégoriquement que les forces militaires éthiopiennes aient jamais renvoyé de réfugiés érythréens vers leur pays. Certains réfugiés ont quitté le pays « par des voies officielles ou officieuses », a-t-elle affirmé.

Les autorités essaient actuellement de remédier aux difficultés considérables qu’elles rencontrent dans la collecte de données ventilées concernant les réfugiés et la population carcérale, a indiqué la délégation en réponse à la remarque d’un expert du Comité.

La délégation a indiqué que des centaines de milliers de civils d’appartenance ethnique amhara et érythréenne avaient fui devant le conflit dans le nord du pays. Mais affirmer qu’il s’est agi d’épuration ethnique est excessif, a-t-elle ajouté. Le Gouvernement estime que les auteurs d’actes ayant entraîné le déplacement de civils devront répondre de leurs actes devant la justice, a poursuivi la délégation. La « task-force » interministérielle et sa Commission d’enquête sont chargées de faire la lumière sur toutes les allégations ; les enquêtes se poursuivent à l’heure actuelle, plus de dix mille témoins ayant été entendus, a-t-elle précisé. Plusieurs milliers de cas de meurtres et de pillage ont été documentés, a en outre indiqué la délégation.

Avant la création de la « task-force », le Ministère de la défense avait lui aussi mené des enquêtes sur des allégations de crimes : il a mis au jour plusieurs cas de viols et d’assassinats extrajudiciaires, qui se sont soldés par la condamnation de plusieurs auteurs, a fait savoir la délégation.

Les forces armées sont formées pour mener des frappes aériennes contre des cibles militaires uniquement, a d’autre part souligné la délégation, assurant que toute contravention à ce principe est passible de sanctions.

Le Gouvernement a lancé un projet de soutien aux victimes de violence liée à l’identité de genre pendant le conflit et a ouvert plusieurs centres d’aide aux victimes, a par ailleurs indiqué la délégation. Elle a donné d’autres renseignements concernant le volume de l’aide humanitaire et logistique envoyée à plus de cinq millions de personnes dans le Tigré en conflit.

Le Gouvernement souhaite maintenant lancer un processus de réconciliation et de justice transitionnelle, a par ailleurs déclaré la délégation. Les autorités s’inspireront ce faisant de l’expérience d’autres pays confrontés aux mêmes problèmes ; elles ont préparé un programme complet de justice transitionnelle (« Livre vert »), enrichi de discussions et de consultations impliquant de nombreuses parties prenantes en Éthiopie ainsi que la diaspora. Une « politique sur la justice transitionnelle » devrait être adoptée, sur cette base, en septembre prochain, a fait savoir la délégation. Dans ce cadre, les mesures d’amnistie ne s’appliqueront pas aux crimes graves, ces derniers incluant les faits de torture, a assuré la délégation.

La délégation a insisté sur le fait que le Gouvernement éthiopien s’était engagé à demander des comptes à toutes les personnes placées sous son autorité qui auraient commis des crimes contre l’humanité dans le conflit dans le nord du pays et qu’il était en train de collecter des preuves concernant les allégations à ce sujet.

Le Gouvernement conteste la création, par le Conseil des droits de l’homme, de la Commission internationale d'experts des droits de l'homme sur l’Éthiopie , ainsi que ses rapports, car elle correspond à une mauvaise lecture du contexte national et ne tient pas compte de l’engagement déjà pris par les autorités de mener des enquêtes, a expliqué la délégation. Le Gouvernement estime que les communications de la Commission démontrent qu’elle poursuit des objectifs politiques. Le Gouvernement a invité le Haut-Commissariat aux droits de l’homme et la Commission nationale des droits de l’homme à mener une mission conjointe dans les zones touchées par le conflit, a ajouté la délégation.

L’Éthiopie peut traduire en justice les auteurs de crimes commis à l’étranger contre des ressortissants éthiopiens ; ainsi que les auteurs de certains crimes internationaux également commis à l’étranger, contre n’importe quelle personne, a précisé la délégation. Elle a aussi fait savoir que les autorités pouvaient extrader des personnes vers des pays tiers en fonction d’accords bilatéraux ou multilatéraux, ou sur la base de la réciprocité. L’extradition est interdite si la personne concernée risque de subir la torture ou des mauvais traitements dans le pays de destination, a souligné la délégation.

L’Éthiopie a adhéré au Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés, entre autres instruments internationaux, a par ailleurs fait savoir la délégation. Dans la pratique, a-t-elle ajouté, un moratoire de fait s’impose sur l’application de la peine de mort en Éthiopie, mais la société éthiopienne n’est pas encore prête à une ratification du Protocole facultatif sur cette question se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Le Ministère de la justice a mandaté un groupe de juristes pour combler les écarts entre la loi éthiopienne et la Convention contre la torture , s’agissant notamment de la prescription du crime de torture, a indiqué la délégation. Les tribunaux n’admettent plus, depuis 2011, les aveux obtenus sous la torture, a-t-elle ajouté.

S’agissant des garanties procédurales, la délégation a indiqué que le Gouvernement avait organisé des formations et diffusé un manuel à l’attention des enquêteurs afin qu’ils respectent les droits des justiciables au moment des arrestations et pendant les enquêtes, notamment le droit de toute personne arrêtée d’être informée, dans sa langue, du délit qui lui est reproché. Le Ministère de la justice a également commencé à appliquer une stratégie pour que chaque justiciable ait accès aux conseils d’un avocat.

Trente policiers ont été jugés pour avoir laissé des personnes en détention provisoire au-delà des délais légaux, a d’autre part fait savoir la délégation.

Le Gouvernement est par ailleurs en train de rénover les lieux de détention, son objectif étant la mise en conformité des conditions de détention avec les normes internationales en matière d’hygiène et de surface allouée à chaque détenu, entre autres critères. Le Gouvernement est également en train de construire de nouvelles prisons.

Les délinquants mineurs seront accueillis dans un nouveau complexe séparé qui est en cours de construction, a poursuivi la délégation. Elle a en outre indiqué que les autorités carcérales avaient fermé plusieurs prisons où avaient été perpétrés des crimes contre des femmes détenues. Le Gouvernement s’est engagé, à cet égard, à traduire en justice tout auteur de viol, a souligné la délégation, ajoutant que l’on ne pouvait toutefois parler ici de problème systématique dans les prisons éthiopiennes.

La délégation a ensuite expliqué que la Commission nationale des droits de l’homme effectuait des visites de contrôle des lieux de détention, pendant lesquelles elle pouvait s’entretenir en privé avec les détenus. La Commission rencontre parfois des difficultés pour accomplir sa mission, a admis la délégation, estimant toutefois, ici encore, que l’on ne pouvait parler de problème systémique.

La délégation a enfin présenté les mesures de nature législative et administrative qui sont en train d’être prises pour rendre le pouvoir judiciaire plus indépendant, notamment sous l’angle de son financement, de même que pour simplifier l’accès aux tribunaux. Deux juges fédéraux soupçonnés de corruption ont été sanctionnés, a-t-elle précisé.

La délégation a fait état d’une réforme visant la modernisation et une plus grande transparence de la police. La réforme a pour but d’éliminer les mauvais traitements et la torture grâce au renforcement du professionnalisme des agents et de la surveillance dans les commissariats, a-t-elle indiqué.

S’agissant de la question des représailles, évoquée par un membre du Comité, la délégation a indiqué qu’elle prenait ces allégations au sérieux. Elle a précisé que les enquêtes de l’équipe conjointe Haut-Commissariat / Commission nationale des droits de l’homme n’avait pas fait état de représailles. Dans tous les cas, le droit national est équipé pour rendre justice aux personnes qui s’estimeraient lésées, a ajouté la délégation.

 

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CAT23.008F