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Examinant, en l’absence de toute délégation du pays, le rapport du Nicaragua, le CERD s’inquiète de la situation des populations autochtones et d’ascendance africaine

Compte rendu de séance

 

Le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (CERD) a examiné, lors d’une brève séance cet après-midi, le rapport soumis en 2019 par le Nicaragua au titre de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Sous la houlette de M. Eduardo Ernesto Vega Luna, rapporteur du Comité pour l’examen de ce rapport, l’examen, qui s’est déroulé en l’absence de délégation nicaraguayenne, a fait ressortir les préoccupations du Comité concernant la situation des populations autochtones et des personnes d’ascendance africaine au Nicaragua.

Le Nicaragua, a d’abord constaté le rapporteur, a mis en place un cadre réglementaire propice à une meilleure protection des populations autochtones et d'ascendance africaine. Cependant, selon certains témoignages, l'État partie a aussi pris des mesures qui vont à l'encontre de sa propre législation, ce qui constituerait non seulement un manquement à ses obligations au titre de la Convention, mais également une possible régression dans la protection des droits des peuples autochtones et afrodescendants à ne pas être discriminés, a mis en garde M. Vega Luna.

Le rapporteur a fait observer que, selon un rapport de la Commission économique des Nations Unies pour l'Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC) en 2020, le taux de pauvreté parmi les peuples autochtones au Nicaragua s'élevait à 60 % en 2014. Les conditions de logement des populations autochtones sont très précaires, marquées notamment par le manque d’accès suffisant à l'eau potable, aux installations sanitaires et à l'électricité, et la CEPALC constate que le taux de chômage des populations autochtones est plus élevé que celui du reste de la population nicaraguayenne. Cela indique que les peuples autochtones, ainsi que les personnes d'ascendance africaine, restent confrontés à une discrimination structurelle, a regretté l’expert.

Par ailleurs, des informations alarmantes ont été reçues par le Comité au sujet d'attaques et d'actes de violence perpétrés contre des membres de peuples autochtones sur leurs territoires, et contre des communautés d'ascendance africaine.

D’autres experts membres du Comité ont ensuite relayé les préoccupations d’organisations non gouvernementales (ONG) concernant l’absence de consultation des peuples autochtones dans les décisions les concernant, ainsi que des difficultés rencontrées par les peuples autochtones et les Afrodescendants dans l’accès aux services de santé, en particulier dans le cadre de la pandémie de COVID-19.

Un expert s’est inquiété de la fermeture de quelque 500 ONG au Nicaragua.

En début de la séance, Mme Verene Shepherd, Présidente du Comité, a rappelé que l'Assemblée générale, dans sa résolution 68/268 (2014), avait souligné l’importance pour les États parties de s'engager pleinement dans le dialogue interactif avec les organes conventionnels des droits de l'homme. Le dialogue, a insisté Mme Shepherd, est en effet l’occasion pour le Comité et l'État partie de tenir des discussions constructives qui permettent au Comité d'évaluer les progrès accomplis dans l’application de la Convention et d'indiquer les domaines dans lesquels des efforts supplémentaires sont nécessaires.

Mme Shepherd a fait savoir que le Comité avait, depuis le 6 mai dernier, pris toutes les mesures nécessaires pour coopérer avec le Nicaragua et l'aider à se présenter au dialogue. Le Comité, a ajouté Mme Shepherd, regrette l'absence de réponse du Nicaragua à toutes les communications envoyées et, face à ce manque de coopération, a décidé d'examiner le document valant quinzième à vingt et unième rapports périodiques en l'absence de délégation, ce dont l’État partie a été informé par courrier.

Le Comité adoptera ultérieurement, à huis clos, ses observations finales sur le rapport du Nicaragua et les publiera à l’issue de sa session, le 30 août prochain.

 

Demain après-midi, à partir de 15 heures, le Comité entamera l’examen du rapport des États-Unis.

 

Examen du rapport

Le Comité était saisi du document valant quinzième à vingt-et-unième rapports périodiques du Nicaragua (CERD/C/NIC/15-21), soumis en 2019.

Observations des membres du Comité

M. EDUARDO ERNESTO VEGA LUNA, rapporteur du Comité pour l’examen du rapport du Nicaragua, a d’abord relevé qu’en avril 2018, une crise sociale et politique avait éclaté au Nicaragua, avec une série de manifestations et de protestations contre une réforme de la sécurité sociale qui ont donné lieu à une violente répression par la police. Depuis lors, les espaces de participation et de dialogue ont été fermés au niveau national. Des opposants politiques et des personnes critiques à l’égard du Gouvernement, y compris des défenseurs des droits de l'homme, des droits des peuples autochtones et des personnes d'ascendance africaine, ont été emprisonnées.

Dans un communiqué, la Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme s'est dite préoccupée par le fait que, depuis 2018, au moins 209 organisations ont été fermées au Nicaragua, parmi lesquelles les principales organisations non gouvernementales (ONG) de défense des droits de l'homme, notamment des droits des femmes et des peuples autochtones, et d'autres travaillant dans le domaine de l'éducation, du développement, ou encore des associations médicales.

Comme l'avait indiqué l'État partie en 2019, les peuples autochtones et les Afrodescendants jouissent au Nicaragua des droits et des garanties inscrits dans la Constitution, en particulier le droit de développer leur identité et leur culture, d'avoir leurs propres formes d'organisation sociale et d'administrer leurs affaires locales, ainsi que de préserver des formes communautaires de propriété et de jouissance des terres. Dans une large mesure, a constaté le rapporteur, le Nicaragua a mis en place un cadre réglementaire propice à une meilleure protection des populations autochtones et d'ascendance africaine.

Cependant, a poursuivi M. Vega Luna, selon certains témoignages, l'État partie a aussi pris des mesures qui vont à l'encontre de sa propre législation, ce qui constituerait non seulement un manquement à ses obligations au titre de la Convention, mais également une possible régression dans la protection des droits des peuples autochtones et afrodescendants à ne pas être discriminés.

M. Vega Luna a ensuite fait part de sa préoccupation devant le manque de statistiques récentes, le Nicaragua n'ayant pas effectué de recensement de la population depuis 2005. Dans ses précédentes observations finales, le Comité avait déjà exprimé sa préoccupation quant aux lacunes de ce recensement, qui ne permettent pas de déterminer avec précision les caractéristiques des différents groupes ethniques et peuples autochtones qui composent la population nicaraguayenne.

D’autre part, a ajouté M. Vega Luna, bien que le Nicaragua ait incorporé dans son Code pénal une disposition criminalisant la discrimination (article 427), cet article n'inclut pas expressément la discrimination raciale. Le Comité souhaiterait savoir si l'État partie a élaboré une politique nationale globale de lutte contre le racisme et la discrimination raciale afin de mettre en œuvre la recommandation formulée lors de l’examen de son précédent rapport en 2008.

M. Vega Luna a aussi fait observer que, selon un rapport de la Commission économique [de l’ONU] pour l'Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC) de 2020, le taux de pauvreté parmi les peuples autochtones au Nicaragua s'élevait à 60 % en 2014. Les conditions de logement des populations autochtones sont très précaires, marquées notamment par le manque d’accès suffisant à l'eau potable, aux installations sanitaires et à l'électricité. La CEPALC constate aussi que le taux de chômage des populations autochtones est plus élevé que celui du reste de la population nicaraguayenne. Cela indique que les peuples autochtones, ainsi que les personnes d'ascendance africaine, restent confrontés à une discrimination structurelle, a regretté l’expert.

Selon les informations contenues dans le rapport du Nicaragua, des progrès ont été réalisés en ce qui concerne l'attribution de titres de propriété communale aux communautés autochtones et ethniques. Entre 2005 et 2019, l'État a ainsi délimité et titré 23 territoires autochtones et afrodescendants, auxquels ont été accordés des droits collectifs de propriété, conformément aux formes traditionnelles de propriété de ces populations et aux dispositions de la loi 445. Cependant, aucun progrès n'a encore été réalisé dans l'étape de régularisation, qui définirait les droits des tiers ou des colons au sein des territoires autochtones, a constaté M. Vega Luna.

Par ailleurs, a poursuivi l’expert, des informations alarmantes ont été reçues au sujet d'attaques et d'actes de violence perpétrés contre des membres de peuples autochtones sur leurs territoires, et contre des communautés d'ascendance africaine. Un exemple est la biosphère de Bosawas, où la violence a été exacerbée par l'octroi de concessions minières à des tiers, sans consultation préalable des peuples autochtones.

Selon les informations disponibles, entre octobre 2019 et janvier 2020, la police nationale a enregistré 20 homicides (19 hommes et une femme), deux disparitions et deux blessures liés à des conflits de propriété entre des membres de la communauté et des tiers dans la région autonome de la côte caraïbe nord. Le 23 août 2021, un massacre a eu lieu dans une mine d'or située sur la colline de Kiwakumbaih, une colline considérée comme sacrée : il s'est agi de la quatrième attaque en 2021 dans le même territoire, a déploré M. Vega Luna.

Le Nicaragua ayant signé en 2010 la Convention n°169 de l’Organisation internationale du travail, relative aux peuples indigènes et tribaux, le Comité souhaite obtenir des informations sur les mesures adoptées pour garantir le respect du droit des peuples autochtones à être consultés en vue d'obtenir un consentement libre, préalable et éclairé pour toutes les mesures législatives et administratives qui peuvent les affecter, a par ailleurs indiqué M. Vega Luna.

Selon un rapport, l'État partie mène une politique d'extraction des ressources naturelles mettant en péril les moyens de subsistance et les territoires des peuples autochtones : exploitation forestière, expansion de monocultures telles que le palmier africain ou encore augmentation de l'activité minière de l'entreprise publique Nicaraguan Mining Company. L'État partie devrait donner des informations sur l'impact de ces politiques sur le mode de vie des peuples autochtones concernés, a estimé M. Vega Luna.

L’expert a par ailleurs fait état de plusieurs défauts dans la politique nationale de santé, s’agissant notamment de l'accès limité des peuples autochtones, des Afrodescendants et de la population paysanne aux services de santé. Il manque, en outre, de données fiables permettant de déterminer l'impact de la pandémie de COVID-19 sur les populations autochtones.

L’expert a d’autre part fait état de plusieurs cas de recours excessif à la force contre des membres de peuples autochtones et d'ascendance africaine. De plus, de nombreuses femmes autochtones et afrodescendantes sont victimes de violence structurelle et de racisme en raison de leur langue, de leur culture ou parce qu'elles vivent dans des endroits reculés où les services publics sont rares, ce qui les désavantage par rapport aux autres citoyens.

M. Vega Luna a aussi demandé des informations sur l’application de l'arrêt rendu le 23 juin 2005 par la Cour interaméricaine des droits de l'homme dans l'affaire Yatama c. Nicaragua, concernant les réformes législatives visant à garantir la participation effective des organisations autochtones aux processus électoraux.

Le Comité a par ailleurs été informé d’attitudes racistes et discriminatoires persistantes dans le système judiciaire, les procédures régulières n’étant pas respectées dans les procès qui sont engagés contre les personnes autochtones ou d'origine africaine.

M. Vega Luna a aussi regretté qu’entre 2018 et 2021, plusieurs lois et mesures restrictives aient été mises en œuvre au Nicaragua contre les défenseurs des droits humains, notamment ceux qui défendent les droits des peuples autochtones et des Afrodescendants.

Enfin, l’expert a demandé des informations sur l’effet des mesures visant à empêcher la propagation dans les médias de stéréotypes raciaux et de préjugés à l'encontre des peuples autochtones et des personnes d'ascendance africaine.

M. GUN KUT, rapporteur du Comité chargé du suivi des observations finales, a constaté que le rapport intermédiaire demandé par le Comité n’avait pas été soumis par le Nicaragua. Le Comité avait notamment demandé à l’État partie de procéder à la démarcation et au titre de plusieurs terres appartenant à des communautés autochtones : le contenu du rapport examiné ce jour ne permet pas de dire ce qui a été fait concrètement dans ce domaine. D’autre part, le même rapport donne peu de réponses à la demande du Comité concernant l’amélioration de l’accès des autochtones aux soins de santé et aux services sociaux, a regretté M. Kut.

D’autres experts du Comité ont ensuite regretté l’occasion manquée que constitue l’absence du Nicaragua au présent débat. Une experte s’est demandé si le Comité, face à des informations très préoccupantes concernant le Nicaragua, pouvait prendre d’autres mesures que la rédaction de ses observations finales, par exemple en renvoyant la question à un niveau supérieur aux Nations Unies.

Des questions des experts ont porté sur la participation de la société civile à l’élaboration du rapport, dans un contexte marqué, selon un membre du Comité, par la fermeture de quelque 500 ONG au Nicaragua. La rétrogradation de l’institution nationale de droits de l’homme au statut « B » d’accréditation auprès de l’Alliance mondiale des institutions nationales de droits de l’homme (GANHRI) a été jugée préoccupante.

Un expert a relayé les préoccupations d’ONG concernant l’absence de consultation des peuples autochtones dans les décisions les concernant, en particulier dans le cadre du projet de « grand canal interocéanique ». D’autres membres du Comité ont à leur tour fait état de difficultés rencontrées par les peuples autochtones et les Afrodescendants dans l’accès aux services de santé, en particulier dans le cadre de la pandémie de COVID-19.

Une experte a indiqué que le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, entre autres institutions internationales, avait publié des rapports alarmants concernant la situation des peuples autochtones et des Afrodescendants dans le pays en raison, notamment, d’une politique étatique de pillage de leurs terres, de la promotion de cultures mettant à mal l’environnement, de violences physiques et d’incendies de maisons. Le Gouvernement du Nicaragua doit réagir à ces allégations, a demandé l’experte.

D’autres questions ont été posées sur la loi sur la nationalité dont l’application, de l’avis d’un expert, entraîne le risque que certaines personnes ne deviennent apatrides.

Quelles activités sont-elles organisées au Nicaragua dans le cadre de la Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine, a-t-il en outre été demandé ?

Remarques de conclusion

M. VEGA LUNA a estimé que le Comité devait agir rapidement pour protéger des personnes qui courent des dangers en ce moment même au Nicaragua. Le Comité devra aussi se pencher sur le problème du manque de norme nationale relative à la consultation préalable des peuples autochtones et imaginer, avec d’autres intervenants au sein des Nations Unies, des solutions au problème de l’absence de l’État partie [aux débats tels que celui-ci].

 

Ce document produit par le Service de l’information des Nations Unies à Genève est destiné à l'information ; il ne constitue pas un document officiel.

Les versions anglaise et française de nos communiqués sont différentes car elles sont le produit de deux équipes de couverture distinctes qui travaillent indépendamment.

 

CERD22.009F