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Disparitions forcées : de nouvelles dispositions du droit français sont saluées mais le Comité demande des éclaircissements sur sa définition de ce crime

Compte rendu de séance

 

Le Comité des disparitions forcées a examiné cet après-midi un rapport de la France contenant des renseignements complémentaires sur la mise en œuvre de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.

La délégation française a fait état des réformes menées par la France pour la mise en œuvre de la Convention, notamment la création en 2019 du Parquet national antiterroriste, qui centralise les poursuites et qui comporte une division consacrée aux crimes contre l’humanité et aux disparitions forcées. Des poursuites judiciaires ont été engagées et permettent d’enquêter et de réprimer des faits intervenus en dehors des frontières françaises.

Les membres du Comité ont salué les nouvelles dispositions dans la législation française qui renforcent la lutte contre les disparitions forcées, rappelant en outre le rôle primordial joué par la France dans l’élaboration de la Convention. Ils se sont félicités de l’engagement de la France dans la lutte contre les disparitions forcées dans le monde et des efforts qu'elle mène pour donner une dimension universelle à la Convention. Les experts ont néanmoins relevé que la définition du crime de disparition forcée en droit interne ne correspondait pas exactement à la définition figurant à l’article 2 de la Convention. En outre, la législation n’interdit pas de façon explicite que les forces de l’ordre et de sécurité dont les membres sont soupçonnés d’avoir participé à une disparition forcée puissent participer à une enquête sur ce crime. Les experts ont aussi noté que la loi ne prévoit pas une interdiction du refoulement dans le cas de risque de disparition forcée et que l'effet suspensif d'un recours en matière d'extradition n’est pas automatique.

La délégation de la France, composée de 15 membres dont des représentants du Ministère de l’Europe et des affaires étrangères, du Ministère de l’intérieur et du Ministère de la justice, a répondu aux observations et questions des experts. Elle a aussi rappelé que la France ne connaissait pas de cas de disparitions forcées commises sur son territoire.

Le Comité adoptera, dans le cadre des séances privées qui se tiendront jusqu'à la fin la session, ses observations finales sur l'ensemble des rapports examinés depuis le 13 septembre et qui seront rendues publiques après la clôture des travaux.

 

La séance publique de clôture de la présente session du Comité des disparitions forcées se tiendra le vendredi 24 septembre prochain, à 17 heures.

 

Examen des renseignements complémentaires fournis par la France

Le Comité des disparitions forcées était saisi d’un rapport contenant des

renseignements complémentaires (CED/C/FRA/AI/1) fournis par la France sur la base d’une liste de questions établie par le Comité.

Présentation de la délégation

M. BENOIT CHAMOUARD, Sous-Directeur des droits de l'homme à la Direction des affaires juridiques du Ministère français de l’Europe et des affaires étrangères, a souligné que la Convention revêtait une importance toute particulière pour la France, qui a joué un rôle majeur dans son élaboration et qui mène campagne avec l’Argentine, depuis 2013, avec pour objectif d’atteindre 100 ratifications en 2025, contre 64 actuellement.

Le représentant a ensuite fait état des réformes menées par la France pour la mise en œuvre de la Convention. Les poursuites sont désormais centralisées au sein du Parquet national antiterroriste, créé en 2019, qui comporte une division dédiée aux crimes contre l’humanité et aux disparitions forcées. Des poursuites judiciaires ont été engagées et permettent d’enquêter et de réprimer des faits intervenus en dehors des frontières françaises.

M. JULIEN RETAILLEAU, Sous-Directeur de la justice pénale spécialisée au Ministère de la justice, a assuré que la France disposait d’un arsenal juridique solide pour prévenir les disparitions forcées et aider les victimes depuis la transposition de la Convention en droit interne par la loi du 5 août 2013.

S’agissant du cadre législatif, l’article 221-12 du code pénal reprend l’ensemble des éléments constitutifs du crime de disparition forcée requis par la Convention. Le niveau de répression est maximal puisque le crime est puni de la réclusion criminelle à perpétuité, tant pour l’auteur principal que pour son complice. Le dispositif législatif français permet par ailleurs la poursuite des personnes morales et réprime la tentative de disparition forcée.

Le délai de prescription est fixé à 30 ans à compter du jour où cesse la disparition, c’est-à-dire le jour où la victime réapparaît ou que son décès est établi, puisque la disparition forcée est une infraction continue, conformément à l’article 8 de la Convention.

Les juridictions françaises disposent d’une compétence quasi-universelle en matière de disparition forcée leur permettant de poursuivre et juger les faits dès lors que la victime et/ou l’auteur est de nationalité française, mais également si l’auteur se trouve en France. Le Parquet national antiterroriste, entré en fonction en juillet 2019, traite ou suit en pratique l’ensemble des procédures de disparitions forcées, qui sont actuellement au nombre de 23.

Comme pour tout autre crime, les enquêtes sont menées sous l’autorité du Procureur de la République ou d’un juge d’instruction, y compris pour des faits mettant en cause des militaires. Ces magistrats confient l’enquête à l’Office central de lutte contre les crimes contre l’humanité et les crimes de haine (OCLCH).

S’agissant de la prévention des disparitions forcées, le dispositif français s’est doté de nombreuses garanties, notamment dans le recours, par les autorités, aux mesures de contrainte légitime. Dans le cas d’une mesure de garde à vue, la personne concernée bénéficie du droit de faire prévenir un proche, son employeur, et les autorités consulaires si elle est de nationalité étrangère. Elle bénéficie aussi du droit d’être assistée par un avocat dans des conditions de confidentialité. Dans le cas d’une détention provisoire, la personne peut recevoir des visites ou téléphoner à un tiers. Par ailleurs, tout établissement pénitentiaire doit être pourvu d’un registre d’écrou qui permet de laisser trace de la remise de la personne. Enfin, les droits des étrangers placés en rétention administrative sont prévus et encadrés.

En venant aux questions relatives à la réparation, M. Retailleau a indiqué que la France portait une attention particulière aux victimes de disparition forcée et qu'elle assurait leur droit à réparation, ainsi qu’à leurs proches. Elle tient compte également de la problématique spécifique des adoptions trouvant leur source dans une disparition forcée.

Le droit français permet à d’autres personnes que la personne disparue d’être considérées comme victimes, dès lors qu’elles sont en mesure de démontrer avoir souffert personnellement d’un dommage directement causé par l’infraction. Ce préjudice peut être tant matériel que moral et ouvre droit à une réparation intégrale sous forme d’indemnisation financière. Les victimes peuvent aussi être prises en charge par une association d’aide aux victimes.

M. Retailleau a déclaré qu’il n’existait pas de statistiques permettant de quantifier le nombre d’adoptions en France qui trouveraient leur origine dans une disparition forcée. La France ne juge pas opportun de créer une voie de recours spécifique à l’encontre d’un jugement d’adoption trouvant son origine dans une disparition forcée puisque les voies de recours actuelles peuvent s’appliquer à de telles situations, à savoir le recours en révision et la tierce opposition.

MME GAËLLE DUMONT, cheffe du bureau du contentieux des étrangers au Ministère de l’intérieur, a ensuite apporté des précisions suite aux constatations du Comité sur la communication n°3/2019 E.L.A. contre France, par lesquelles il a conclu à la violation de l’article 16 de la Convention en cas de renvoi du demandeur vers le Sri-Lanka. La législation française garantit que le ressortissant étranger qui fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire a accès à un recours suspensif de plein droit contre cette décision et contre la décision fixant le pays de destination, a expliqué Mme Dumont. À l’occasion de l’examen de ce recours, le juge administratif veille au respect du code qui interdit d’éloigner un étranger à destination d’un pays s’il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu’il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales relatif à l’interdiction de la torture. Cette protection est suffisamment large pour inclure un risque de disparition forcée qui serait alléguée par un ressortissant étranger, a affirmé la représentante.

Questions et observations des membres du Comité

M. MOHAMMED AYAT, corapporteur du Comité pour l’examen du rapport de la France, a pris note des progrès réalisés par l’État partie depuis 2013, date de la demande de ces informations complémentaires. La nouvelle législation française renforce la lutte contre les disparitions forcées, a-t-il reconnu, et le dialogue avec le Comité vise à continuer à améliorer le cadre institutionnel dans l’État partie, qui a joué un rôle primordial dans l’élaboration de la Convention.

Le corapporteur a mis l’accent sur l’harmonisation du droit interne avec la Convention. Il a considéré que la définition du crime de disparition forcée ne correspond pas exactement à la définition figurant à l’article 2 de la Convention, qui vise notamment la privation de liberté dans des « conditions soustrayant la personne à la protection de la loi ». Concernant la définition relative au crime contre l’humanité, le corapporteur a regretté que la mention de « plan concerté » en tant qu’élément constitutif n’ait pas été supprimée, même si la France souligne qu’il ne s’agit que d’un élément contextuel, et non constitutif.

En venant au dispositif d’exemption de peine prévu par le code pénal, M. Ayat a relevé qu’il ne s’applique pas au crime de disparition forcée. Il a invité l’État partie à fournir des informations sur les résultats du groupe de travail constitué afin de rendre ce dispositif plus cohérent et efficace.

S’agissant du délai de prescription, M. Ayat a fait observer que l’infraction de disparition forcée se commet dès l’instant où la victime est privée de sa liberté. Il s’est félicité de l’affirmation de la France au sujet du délai de prescription mais a regretté le manque de nuance.

Concernant les juridictions militaires, le Comité a noté avec satisfaction que l’État partie rappelle qu’il n’existe pas de juridiction militaire en temps de paix, mais a toutefois regretté un manque de clarté à ce sujet.

À propos de la transparence dans l’intégrité des enquêtes menées dans les cas de disparitions forcées, M. Ayat a pris note des garanties importantes dans la procédure pénale et l’instruction pour assurer l’impartialité de l’enquête. Cependant, il a noté que la législation n’interdit pas de façon explicite que les forces de l’ordre et de sécurité dont les membres sont soupçonnés d’avoir participé à une disparition forcée puissent participer à une enquête sur ce crime.

Le Comité a également constaté que la législation française ne visait pas spécifiquement les infractions spécifiées dans l’article 25 de la Convention. M. Ayat a par ailleurs demandé des précisions sur l'attitude la France face aux nouvelles formes de disparitions forcées dans le contexte de l’immigration et de la traite des personnes.

Enfin, l'expert a voulu savoir pourquoi le Gouvernement français n’était pas en mesure de fournir les statistiques demandées par le Comité.

M. JUAN JOSÉ LÓPEZ ORTEGA, corapporteur du Comité pour le rapport de la France, a lui aussi salué l’engagement de la France dans la lutte contre les disparitions forcées dans le monde et dans les efforts qu'elle mène pour donner une dimension universelle à la Convention.

En venant à la question de la prévention, M. López Ortega a reconnu que la législation française comprend beaucoup de garanties mais s’est dit surpris qu’il n’ait pas été jugé pertinent de prévoir une interdiction du refoulement dans le cas de risque de disparition forcée. Un recours contre une demande d’extradition devrait être suspensif, estime le Comité, mais cet effet suspensif n’est pas automatique dans la législation française. Le corapporteur a voulu savoir si la France envisage une réforme qui permettrait d’incorporer les normes de la Convention dans ce domaine. Il a également demandé davantage d’informations sur le mode d’évaluation des risques dans le pays de destination dans les cas d’extradition et de refoulement.

Évoquant la question de la communication des personnes privées de liberté avec leurs proches, notamment dans les cas de garde à vue, M. López Ortega a demandé davantage de précisions sur la pratique, par exemple si le détenu peut téléphoner lui-même. Il a également voulu comprendre les restrictions dans les enquêtes pour des actes terroristes.

S’agissant du droit à réparation, l'expert a rappelé la jurisprudence du Comité, qui demande à ce qu’elle soit intégrale. Le corapporteur a souhaité des informations sur les politiques de réparation qui sont menées et la nature des réparations octroyées.

Par ailleurs, M. López Ortega a mis l’accent sur les dispositions de la législation française actuelle au sujet des procédures d’adoption irrégulières. Il a invité la délégation à réfléchir à la pertinence d’adapter la législation aux dispositions de la Convention à cet égard.

Enfin, il a demandé à la délégation de bien vouloir apporter des précisions à propos des 23 procédures engagées pour disparitions forcées.

Réponses de la délégation

Répondant aux questions des membres du Comité, la délégation a notamment expliqué que la définition de la disparition forcée dans la législation française n’avait pas voulu s’écarter de celle de la Convention et a assuré qu’il n’y avait pas de risque de distorsion dans l’interprétation. D’ailleurs, dans les 23 procédures en cours, aucune n’a donné lieu à des difficultés d’interprétation. La soustraction à la protection de la loi mentionnée dans la législation est une conséquence, pas un fait constitutif, a-t-elle précisé.

Par ailleurs, le législateur n’a pas voulu restreindre l’incrimination, mais plutôt élargir le champ concerné. C'est le sens de la notion de « plan concerté », la définition incluant ainsi l’action d’organisations structurées autour d’une idéologie tournée vers la commission de telles attaques contre des populations civiles. La notion de plan concerté permet aussi de distinguer les crimes contre l’humanité et les actes terroristes des crimes de guerre, a souligné la délégation.

À une question relative à l’exemption de peine, la délégation a fait observer que le droit français ne prévoit plus de circonstances atténuantes. Lors de l’examen de la peine, toutes les circonstances de fait et la collaboration d’un individu peuvent donner lieu à une clémence particulière qui se reflète dans la peine prononcée, a-t-il précisé.

La délégation a souligné que le crime de disparition forcée était imprescriptible. La jurisprudence récente a rappelé le principe selon lequel la prescription des infractions continues ne cesse que lorsque la personne disparue est retrouvée ou que son décès est constaté.

Depuis 2011, un effort constant a été déployé pour consolider les droits et garanties offertes aux suspects lors de l’exercice de mesures de contrainte, a assuré M. Retailleau. Les autorités qui exercent la contrainte doivent recevoir un avis systématique du Procureur de la République ou du juge d’instruction. Une personne gardée à vue peut prévenir un proche et son employeur, soit par le biais d’un officier de police judiciaire soit directement elle-même. Ce n’est qu’en cas de circonstances insurmontables et de risque majeur qu’il peut être décidé de suspendre ce droit, par exemple lorsque le gardé à vue est susceptible de prévenir des personnes pour la commission d’infractions ou de crimes. Par ailleurs, l’accès à un avocat a été considérablement étendu par rapport à la législation antérieure. Le régime de restriction de 10 jours, prolongeable une fois, à la communication avec un avocat est réservé à des cas très graves, est très encadré et donne droit à des recours. La multiplication des acteurs dans la prise de décision permet d’offrir toutes les garanties nécessaires.

Aux interrogations du Comité sur l’absence d’interdiction explicite destinée à écarter de la procédure les forces de sécurité dont des membres auraient pu participer à des faits de disparitions forcées, la délégation a fait valoir les engagements internationaux de la France sur la conduite d’une enquête selon les principes de loyauté et d’équité. En outre, ces infractions relèvent du Parquet national antiterroriste, qui centralise ces affaires et exerce de facto une compétence exclusive sur la conduite des enquêtes, ce qui constitue une garantie fondamentale.

Quant aux cas concrets de mise en œuvre des poursuites demandés par le Comité, la délégation s'est engagée à les lui communiquer dans un délai de vingt-quatre heures, le temps d’anonymiser les procédures pour en tirer une typologie.

En réponse aux questions relatives au non-refoulement, la délégation a souligné que, si ce principe n'est pas spécifié dans sa législation, la France y est déjà soumise en vertu de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. Par ailleurs, un recours est automatiquement suspensif de la mesure d’éloignement. Ce recours doit être distingué de la procédure d’asile elle-même, qui intervient en amont. Néanmoins, dans des hypothèses très restreintes, la législation prévoit que le recours contre une décision de la Cour nationale du droit d’asile n’est pas suspensif d’une mesure d’éloignement. S’agissant de l’examen des risques de disparition forcée en cas d’extradition, le juge administratif examine les éléments selon les dispositions de la Cour européenne des droits de l'homme.

Sur la compétence des juridictions militaires, la délégation a expliqué que l’ensemble des procédures de disparitions forcées est traité et suivi par le Parquet national antiterroriste. En temps de paix, il n’existe pas de juridiction militaire en France, a-t-elle souligné. En temps de crise majeure, comme un conflit, le code pénal prévoit le rétablissement de juridictions militaires. Un régime exceptionnel du temps de guerre ne remettra toutefois pas en cause les compétences de la justice pour des faits commis par des militaires, a-t-elle précisé.

Répondant aux questions relatives à l’adoption, la délégation a expliqué que la révocation n’était possible que pour des adoptions simples, et non pas des adoptions plénières dans le cas d’adoptions internationales. Un recours en révision est également possible lorsque le jugement d’adoption a été prononcé sur la base de documents falsifiés, ce qui est particulièrement pertinent en cas d’adoption trouvant son origine dans une disparition forcée. L’objectif de la législation est aussi de ne pas pouvoir permettre de remettre en cause de manière injustifiée une adoption. Par ailleurs, une proposition de loi est actuellement en cours d’examen, qui vise à mettre fin aux adoptions internationales dites « individuelles » et à renforcer le contrôle des organismes autorisés pour l’adoption afin de prévenir d’éventuelles pratiques illicites.

En ce qui concerne la question du droit à la vérité et à la réparation, la délégation a souligné que la procédure pénale française laissait une place très importante à la parole des victimes. Il n’existe pas de processus mémoriel particulier, car la France n’a pas connu de disparitions forcées massives et nombreuses dans son histoire récente.

Conclusion

Au nom de la délégation française, M. CHAMOUARD a remercié le Comité pour le caractère riche et constructif de ces échanges. Le chef de la délégation a espéré avoir convaincu que le cadre juridique français était conforme aux exigences de la Convention. La France ne connaît pas de cas de disparitions forcées sur son territoire, les procédures en cours concernant des cas à l’étranger, a-t-il souligné. Il s’est engagé à fournir au Comité dans les vingt-quatre heures les éléments concernant ces enquêtes en cours.

 

HRC21.011F