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LE CONSEIL DIALOGUE AVEC LES RAPPORTEUSES SPÉCIALES SUR LA TRAITE DES ÊTRES HUMAINS ET SUR LE DROIT À L’ÉDUCATION

Compte rendu de séance

 

Dans le contexte de la COVID-19, un recours excessif aux outils d'apprentissage à distance en ligne pour assurer la continuité de l'éducation risque d'exacerber les inégalités, avertit Mme Boly Barry

 

Le Conseil des droits de l’homme a achevé, ce matin, son dialogue avec la Rapporteuse spéciale sur la traite des êtres humains, Mme Maria Grazia Giammarinaro, avant d’entamer son dialogue avec la Rapporteuse spéciale sur le droit à l’éducation, Mme Koumbou Boly Barry, qui a présenté son rapport axé sur l'impact de la crise de COVID-19 sur le droit à l'éducation.

Mme Boly Barry a mis en garde s’agissant de l’éducation à distance, contre la tentation de considérer les solutions de haute technologie comme le meilleur moyen d'assurer la continuité de l'éducation en temps de crise. Un recours excessif aux outils d'apprentissage à distance en ligne pour assurer la continuité de l'éducation risque d'exacerber les inégalités, a-t-elle avertit.

La Rapporteuse spéciale a par ailleurs rendu compte des visites qu’elle a effectuées en 2019 en Tunisie et au Qatar, après quoi – étant directement concernés – les délégations de ces deux pays ainsi que le Comité national des droits de l’homme du Qatar ont fait des déclarations.

Dans le cadre du dialogue qui a suivi, de nombreuses délégations** se sont exprimées, notamment pour exprimer leurs inquiétudes s’agissant des conséquences négatives de la pandémie dans le domaine de l’éducation. À l’instar de Mme Boly Barry, nombre d’intervenants se dits préoccupés que la COVID-19 puisse exacerber les inégalités entre les enfants.

Achevant son dialogue avec la Rapporteuse spéciale sur la traite des êtres humains, le Conseil a entendu les déclarations de très nombreuses délégations*. L’une d’entre elles a remercié Mme Giammarinaro pour avoir présenté dans son rapport les failles qui restent à combler pour que le cadre juridique relatif à la traite des personnes soit plus efficace, ne soit pas concentré exclusivement sur les trafiquants ni sur la réponse pénale, et accorde plus d’attention aux victimes.

À l’issue de ce dialogue, Mme Giammarinaro a recommandé que la communauté internationale se dote d’un instrument juridique contre l’exploitation en général des personnes – un instrument qui soit basé sur les droits de l’homme et qui vienne compléter le Protocole de Palerme, dont la perspective est uniquement pénale, a-t-elle précisé.

 

Cet après-midi, à 15 heures, le Conseil doit achever ses dialogues – entamés depuis hier ou ce matin – avec la Représentante spéciale du Secrétaire général pour le sort des enfants en temps de conflit armé et avec la Rapporteuse spéciale sur le droit à l’éducation. Le Conseil engagera ensuite son dialogue avec le Rapporteur spécial sur le droit qu’à toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale possible.

Les séances de la quarante-quatrième session du Conseil sont retransmises sur le site UN Web TV.

 

Fin du dialogue avec la Rapporteuse spéciale sur la traite des êtres humains

Aperçu du dialogue

Une délégation a remercié la Rapporteuse spéciale, Mme Maria Grazia Giammarinaro, de son rapport qui présente les failles restant à combler pour que le cadre juridique relatif à la traite des personnes soit plus efficace, ne soit pas concentré exclusivement sur les trafiquants ni sur la réponse pénale, et accorde plus d’attention aux victimes.

Il a été souligné que les politiques migratoires restrictives et les approches xénophobes ou racistes de la migration exacerbent les vulnérabilités à la traite des personnes et rendent difficile de protéger les droits des victimes. Mme Giammarinaro a été priée de donner des pistes pour aider les États à renforcer leur cadre juridique de lutte contre la traite.

Des délégations ont présenté les stratégies appliquées par leur pays pour lutter contre la traite, des stratégies qui reposent par exemple sur la coopération régionale ou encore sur la conscience du fait que les femmes et les filles sont davantage exposées au risque de traite. Plusieurs délégations ont recommandé de prendre des mesures pour assurer la protection ainsi que l’inclusion ou la réinsertion sociale des victimes. L’importance de réprimer également la traite à des fins de travail a été soulignée, y compris quand elle vise les enfants.

Une délégation a évoqué le cas Jeffrey Epstein, aux États-Unis, estimant qu’il s’agissait là d’un exemple de collusion des élites avec des réseaux de traite des personnes.

De l’avis de certaines délégations, la question se pose de savoir si les pays de destination de la traite font vraiment le nécessaire pour faire baisser la demande.

*Liste des intervenants : Ordre souverain de Malte, Angola, Chine, Djibouti, Venezuela, Arabie saoudite, France, Pakistan, Arménie, Philippines, Namibie, Australie, Iran, Bélarus, Mexique, Jordanie, Indonésie, Afrique du Sud, Maroc, Bahreïn, Iraq, Grèce, Irlande, Azerbaïdjan, Égypte, Népal, Suisse, Nigéria, Royaume-Uni, Îles Marshall, Émirats arabes unis, Géorgie, Saint-Siège, Équateur, Serbie, Myanmar, Soudan du Sud, Sierra Leone, Inde, Fédération de Russie, Congregation of Our Lady of Charity of the Good Shepherd, Défense des enfants - international, Edmund Rice International Limited, Associazione Comunita Papa Giovanni XXIII, Organisation internationale pour l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale, Health and Environment Programme,Commonwealth Human Rights Initiative, American for Democracy and Human Rights in Bahrain Inc., Ingénieurs du Monde et China Society for Human Rights Studies.

Réponses et conclusion de la Rapporteuse spéciale

MME GIAMMARINARO, qui présentait à cette session son dernier rapport, s’est dite encouragée par les réactions des participants au dialogue, qui donnent à entendre que ses recommandations ont été bien comprises.

S’agissant du cadre juridique de la répression et de la prévention de la traite à des fins d’exploitation par le travail, les régimes volontaires et autres codes de conduite ne sont pas suffisants, a estimé la Rapporteuse spéciale. Tout État lui-même doit donner l’exemple dans ses procédures d’appel d’offres et veiller à ce que ses fournisseurs n’emploient pas de personnels victimes de traite à des fins d’exploitation par le travail. Dans ce domaine, a fait valoir Mme Giammarinaro, la loi la plus avancée est celle de la France, qui oblige les entreprises non seulement à dénoncer les cas d’exploitation, mais aussi à prendre des mesures actives pour prévenir toute exploitation au travail.

Pour mieux s’attaquer à la traite, les États doivent d’abord renforcer leur arsenal juridique et veiller à ce qu’il soit axé sur les droits de l’homme. La loi doit viser toutes les formes d’exploitation au travail, notamment l’exploitation des migrants, et imposer des obligations aux entreprises. En même temps, les tribunaux nationaux doivent être prêts à connaître des nouvelles affaires d’exploitation visant des centaines de travailleurs à la fois, a indiqué Mme Giammarinaro. Elle a aussi recommandé que la protection des victimes soit accordée de manière inconditionnelle, indépendamment du statut des victimes au regard de la législation relative à l’immigration. D’autre part, l’accès aux recours doit être gratuit, indépendamment du statut juridique des victimes, qui ne doivent pas être criminalisées, a ajouté la Rapporteuse spéciale.

Mme Giammarinaro a enfin recommandé que la communauté internationale se dote d’un instrument juridique contre l’exploitation en général des personnes – un instrument qui soit basé sur les droits de l’homme et qui vienne compléter le Protocole de Palerme, dont la perspective est uniquement pénale, a-t-elle précisé.

Dialogue avec la Rapporteuse spéciale sur le droit à l'éducation

Le Conseil était saisi du rapport ( A/HRC/44/39 ) de MME KOUMBOU BOLY BARRY, Rapporteuse spéciale sur le droit à l’éducation, qui traite de l'impact de la crise de COVID-19 sur le droit à l'éducation, ainsi que des additifs au rapport portant sur les visites de la Rapporteuse spéciale en Tunisie et au Qatar (respectivement A/HRC/44/39/Add.2 et A/HRC/44/39/Add.1 ).

Présentant son rapport, Mme Boly Barry a indiqué qu’en avril 2020, selon les chiffres présentés par l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), plus de 1,5 milliard d'apprenants étaient touchés par la fermeture des écoles et des universités dans le monde, 194 pays et territoires ayant fermé leurs écoles au niveau national. Il est crucial d'agir pour garantir que les mesures adoptées en réponse à la pandémie de COVID-19 ne compromettent pas le droit à l'éducation, a-t-elle souligné.

De fait, a poursuivi la Rapporteuse spéciale, la crise [de COVID-19] a considérablement exacerbé des problèmes déjà bien connus concernant la mise en œuvre du droit à l'éducation. Pour beaucoup d’apprenants, les fermetures d'écoles ont été dévastatrices, avec des répercussions à long terme importantes sur leur droit à l'éducation et des opportunités perdues pour leur avenir, a insisté Mme Boly Barry.

La crise a montré une fois de plus à quel point les droits de l'homme sont liés et interdépendants, en particulier le droit à l'éducation, le droit à l'eau et à l'assainissement, le droit à une alimentation nutritive adéquate (lorsque la nourriture est distribuée par les écoles) ou encore le droit à un logement adéquat (nécessaire pour poursuivre l'enseignement à domicile), a ajouté la Rapporteuse spéciale.

En ce qui concerne l’éducation à distance, Mme Boly Barry a mis en garde contre la tentation de considérer les solutions de haute technologie comme le meilleur moyen d'assurer la continuité de l'éducation en temps de crise. Un recours excessif aux outils d'apprentissage à distance en ligne pour assurer la continuité de l'éducation risque d'exacerber les inégalités, a-t-elle fait observer. Le rapport contient aussi de longs développements sur la situation et les droits des enseignants et autres travailleurs de l'éducation, vu les préoccupations à propos des conditions sanitaires dans lesquelles ces personnels ont travaillé pendant la crise, a-t-elle ajouté.

Rendant compte de la visite qu’elle a effectuée en Tunisie en avril 2019, la Rapporteuse spéciale a indiqué que cette visite lui a permis de pointer des difficultés liées, entre autres, au financement de l’éducation, à la fuite des cerveaux, à la privatisation de l’éducation, à la faiblesse de la formation professionnelle et au décrochage scolaire des jeunes.

S’agissant de la visite qu’elle a effectuée au Qatar en décembre 2019, Mme Boly Barry a notamment insisté sur l’importance pour ce pays d’assurer l’effectivité du droit à l’éducation pour les enfants des travailleurs migrants et a encouragé les autorités qatariennes à assurer la gratuité de l’éducation des enfants étrangers.

Pays concernés

Le Qatar a expliqué qu’en raison des mesures coercitives unilatérales et du blocus qui le frappent, de nombreux étudiants ont été contraints d’arrêter leurs études, ce qui constitue une violation du droit des quelque 531 000 étudiants concernés d’avoir accès à l’éducation. La Constitution du Qatar stipule que le droit à l’éducation est un droit indispensable et des lois ont été promulguées pour mettre en œuvre ce principe et apporter une éducation de qualité pour tous, a poursuivi la délégation qatarienne. Le pays a mis en œuvre une stratégie qui met l’accent sur le renforcement des capacités des travailleurs étrangers afin qu’ils puissent s’insérer au mieux dans la société, notamment en veillant à leur alphabétisation, a-t-elle en outre précisé.

Le Comité national des droits de l’homme du Qatar a appuyé toutes les recommandations de la Rapporteuse spéciale et a souligné que certaines méritent de se voir accorder une attention toute particulière, notamment celles qui insistent sur la nécessité d’assurer une éducation gratuite obligatoire dans les écoles publiques et d’accorder davantage de soutien aux enfants ayant un handicap.

La Tunisie a déclaré que le système éducatif tunisien avait permis l’autonomisation des femmes et des filles et a fait valoir qu’aujourd’hui, dans l’enseignement supérieur, le taux des femmes et des filles atteint 60%. La société civile tunisienne est un partenaire de plein droit dans la marche vers la démocratie, a par ailleurs souligné la délégation tunisienne. La Tunisie a également veillé à mettre fin au fossé entre les zones rurales et les villes pour ce qui est de l’accès à une éducation de qualité pour tous. La délégation tunisienne a regretté que la COVID-19 ait freiné les efforts du pays dans ce domaine.

Aperçu du dialogue

De nombreuses délégations ont fait observer que le coronavirus avait eu un impact important sur l’ensemble du secteur éducatif à travers le monde. Plusieurs pays ont regretté que la pandémie ait eu des conséquences graves sur l’accès au droit à l’éducation et se sont inquiétées que de nombreux enfants ne puissent plus retourner à l’école, surtout les filles, touchées de manière disproportionnée par la crise. Nombre de délégations se sont dites préoccupées par le fait que la COVID-19 puisse exacerber les inégalités entre les enfants.

Il faut faire en sorte que les mesures de riposte à la pandémie garantissent la continuité de l’accès à l’éducation, ont insisté de nombreux intervenants. Certains ont dit craindre que la crise socioéconomique liée à la COVID-19 ait des conséquences sur le financement de l’enseignement public.

Plusieurs délégations ont dénoncé les dangers à long terme de l’enseignement à distance. Un prolongement de l’enseignement à distance pourrait avoir des conséquences sur l’accès à l’alimentation pour les enfants vulnérables et pourrait aussi entraîner davantage de violences domestiques à l’encontre des enfants, a-t-il notamment été souligné. Cet enseignement à distance doit être temporaire et ne doit en aucun cas remplacer l’école en régime présentiel une fois la pandémie passée, a insisté une délégation.

**Liste des intervenants : Estonie (au nom des pays nordiques et baltes), État de Palestine (au nom du Groupe arabe), Union européenne, Burkina Faso (au nom du Groupe africain), Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), Togo, Saint-Siège, Malaisie, Fédération de Russie, Djibouti, Sierra Leone, Libye, Chine, Venezuela, Arabie saoudite, France, Pakistan, Sénégal, Arménie, Inde, Portugal, et Iran.

Réponses de la Rapporteuse spéciale

MME BOLY BARRY a souligné qu’il fallait que les États se dotent une politique éducative qui intègre les droits humains et prenne en compte les enjeux de développement, car il n’est plus possible, dans ce contexte, de dissocier les différents enjeux liés à l’accès à l’eau, à la santé ou encore à l’alimentation, par exemple.

Il faut aussi mettre en place des mécanismes de coopération entre tous les acteurs concernés pour discuter et décider des mesures à prendre s’agissant de l’enseignement à distance, a poursuivi la Rapporteuse spéciale. Elle a insisté sur le fait que personne ne pourra remplacer un enseignant. Il faut néanmoins que les professeurs soient formés également à l’enseignement à distance, a-t-elle ajouté.

 

HRC20.059F