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Iran : le Conseil des droits de l’homme de l’ONU crée une mission pour enquêter sur la répression

Le Conseil des droits de l'homme des Nations Unies a décidé jeudi de créer une mission d'établissement des faits pour enquêter sur « les violations présumées des droits de l’homme en République islamique d'Iran liées aux manifestations qui ont commencé le 16 septembre 2022 ».

Selon la résolution présentée par l’Allemagne et l’Islande, cette mission d’enquête internationale indépendante inclut la dimension des violences liées au genre.  Il s’agit ainsi de collecter les preuves des violations et de les conserver de manière à pouvoir servir à d’éventuelles futures poursuites.

Plus tôt, au début d’une session spéciale du Conseil des droits de l’homme sur la répression en Iran, le Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, Volker Türk, a jugé que la situation actuelle en Iran était « intenable » et estimé que le « changement est inévitable » dans ce pays qui vit « aujourd’hui une véritable crise des droits de l’homme ».

Il a lancé un appel pressant aux autorités iraniennes pour qu’elles cessent de faire un usage « inutile et disproportionné » de la force. « Les méthodes anciennes et la mentalité de forteresse assiégée de ceux qui détiennent le pouvoir ne fonctionnent tout simplement pas. En fait, elles ne font qu’aggraver la situation », a déclaré Volker Türk, dans son premier discours devant le Conseil depuis son entrée en fonction en octobre dernier.

La salle du Conseil des droits de l'homme des Nations Unies (photo d'archives).
Photo ONU/Jean-Marc Ferré
La salle du Conseil des droits de l'homme des Nations Unies (photo d'archives).

Plus de 300 manifestants tués, dont au moins 40 enfants

Les manifestations actuelles, déclenchées le 16 septembre à la suite de la mort en détention de Jina Mahsa Amini, se sont étendues dans tout le pays. Des protestations auraient eu lieu dans plus de 150 villes et 140 universités dans les 31 provinces de l’Iran, a détaillé l’ONU.

Selon des sources fiables, une estimation prudente du nombre de morts s’élève à ce jour à plus de 300, dont au moins 40 enfants. « Cette situation est inacceptable », a fustigé M. Türk, relevant que depuis le début des manifestations, les forces de sécurité auraient réagi en faisant usage de la force meurtrière contre des manifestants non armés et des passants qui ne représentaient aucune menace pour la vie.

Selon l’ONU, les forces de sécurité ont utilisé des balles réelles contre les manifestants. « Nous avons reçu des informations selon lesquelles les manifestants blessés craignent de se rendre à l’hôpital par crainte d’être arrêtés par les forces de sécurité. Les professionnels de la santé ont publiquement dénoncé l’ingérence des forces de sécurité dans le traitement des manifestants blessés », a ajouté le chef des droits de l’homme de l’ONU.

Au moins 14.000 manifestants arrêtés

Selon M. Türk, ce sont 14.000 manifestants pacifiques qui ont aussi été arrêtés, « un nombre faramineux ». Des sources officielles indiquent qu’au moins 21 personnes arrêtées dans le cadre des manifestations sont actuellement passibles de la peine de mort, dont au moins six ont déjà été condamnées à mort sur la base d’accusations de moharebeh (inimitié envers Dieu) et d’efsad-e fel-arz (corruption sur terre).

Les 47 Etats membres du Conseil se sont réunis d’urgence pour débattre de la « détérioration de la situation des droits de l’homme » en Iran, à l’initiative de l’Allemagne et de l’Islande.

De son côté, le Rapporteur spécial de l’ONU sur la situation des droits de l’homme en Iran a décrit une intimidation, qui « s’étend au-delà des frontières iraniennes ». « Le personnel des principaux médias a reçu des menaces de mort, tandis que les membres de leur famille en Iran sont toujours soumis à des interrogatoires, des arrestations arbitraires, des détentions et des interdictions de voyager », a détaillé Javaid Rehman.

Des gens manifestent à Trafalgar Square à Londres pour soutenir l'égalité, les femmes et les droits de l'homme en Iran.
Unsplash/Neil Webb
Des gens manifestent à Trafalgar Square à Londres pour soutenir l'égalité, les femmes et les droits de l'homme en Iran.

Des manifestants qualifiés d’« ennemis à affronter »

Toute personne prenant part aux manifestations a rapidement été qualifiée d’« ennemi à affronter, de terroriste ou d’agent étranger tentant de déstabiliser l’Iran ». Cette campagne de répression a conduit à « des campagnes de dénigrement, des menaces, des surveillances, des arrestations et des détentions arbitraires, des tortures et des mauvais traitements en détention, y compris des abus sexuels ».

Au cours des deux derniers mois, l’expert indépendant indique avoir reçu de nombreux témoignages de proches de victimes qui ont raconté de manière détaillée et poignante comment les autorités ont refusé de restituer les corps de leurs proches jusqu’à ce qu’ils s’engagent par écrit à ne pas organiser d’obsèques. Il a détaillé comment ils ont été cruellement contraints de les enterrer dans des lieux de sépulture éloignés, souvent la nuit et en présence d’agents des services de renseignement.

Pour le Rapporteur spécial, l’impunité structurelle a alimenté les pratiques généralisées de meurtres illégaux, de disparitions forcées, de torture et d’autres violations graves des droits humains en Iran.

L’Iran évoque la création d’une commission d’enquête parlementaire sur la mort de Mahsa Amini

Face à ce sombre tableau décrit par les Nations Unies, Téhéran a regretté que « le Conseil des droits de l’homme soit une fois de plus utilisé abusivement par certains États arrogants pour se mettre à dos un État membre souverain de l’ONU ». « Réduire la cause commune des droits de l’homme à un outil à des fins politiques pour des groupes spécifiques de pays occidentaux est consternant et honteux », a affirmé, Khadijeh Karimi, adjointe du vice-président chargé des affaires féminines et familiales de la République islamique d’Iran.

Selon Téhéran, « la démarche politiquement motivée de l’Allemagne est un stratagème orchestré pour des motifs inavoués qui ne mènerait nulle part, sinon à détourner le Conseil des droits de l’homme de son véritable mandat ».

A ce sujet, l’Iran rappelle qu’après « le décès malheureux » de Mahsa Amini, « des mesures nécessaires ont été prises, y compris la formation rapide d’une commission d’enquête parlementaire indépendante ». Cependant, avant l’annonce officielle de l’analyse de l’enquête, la réaction partiale et hâtive d’un certain nombre d’autorités occidentales et leurs interventions dans les affaires intérieures de l’Iran ont « transformé les assemblées pacifiques en émeutes et en violence, préparant le terrain pour des attaques terroristes dans plusieurs villes comme Chiraz, Īzeh, Zāhedān, Ispahan et Mashhad ».

Plus largement, de nombreux orateurs ont admis qu’une véritable crise est en cours en Iran. Dans ces conditions, « aucune société ne peut être calcifiée ou fossilisée telle qu’elle peut se présenter à un moment donné », avait prévenu le Haut-Commissaire Volker Türk. « Tenter de le faire, contre la volonté de son peuple, est futile », a-t-il ajouté, relevant que « le changement est inévitable et la voie à suivre est celle des réformes significatives ».