Aller au contenu principal

Préserver et partager l'histoire du multilatéralisme : une nouvelle plateforme en ligne donne un accès sans précédent aux archives de l'ONU à Genève

Une employée numérise des documents historiques de l'époque de la Société des Nations dans le cadre du projet LONTAD de la Bibliothèque et des Archives de l'ONU Genève

Les Archives des Nations Unies à Genève ont ouvert une nouvelle plateforme en ligne donnant aux étudiants et aux chercheurs, aux diplomates et au personnel de l'ONU un accès illimité à la mémoire institutionnelle de l’Organisation.

Grâce à une technologie de pointe, le nouveau service offre un accès numérique gratuit à plusieurs collections, dont les archives de la Société des Nations de 1920 à 1946, des archives relatives à des instruments internationaux pour la protection des réfugiés et des minorités, ainsi que des documents concernant l’histoire du multilatéralisme et les mouvements internationaux pour la paix à partir de la fin du XIXe siècle.

En donnant la possibilité à toute personne intéressée de consulter ces documents, « nous remettons l'histoire du multilatéralisme au cœur de (...) la recherche, du leadership intellectuel, du monde universitaire et des groupes de réflexion », se félicite Francesco Pisano, Directeur de la Bibliothèque et des Archives des Nations Unies à Genève.

Pour la Directrice générale de l'ONU à Genève (ONUG), Mme Tatiana Valovaya, les archives sont précieuses pour la recherche contemporaine sur le multilatéralisme. « Pour trouver des réponses et des solutions aux problèmes actuels, il faut pouvoir apprendre du passé », remarque Mme Valovaya.

Au rythme normal, quelque 150 personnes se rendent à Genève chaque année pour étudier les archives sur place. Par contraste, depuis l’ouverture de la plateforme numérique en décembre 2021, plus de 8600 personnes ont déjà accédé aux informations en ligne.

Un nouveau chapitre

Pour Christiane Sibille, chargée de cours en histoire numérique à l'Université de Bâle, la numérisation de documents historiques, à l’image du projet des Archives de Genève des Nations Unies, « n'est qu'un début ». 

Lors d'une conférence organisée par la Bibliothèque et les Archives de l'ONU à Genève, Mme Sibille a expliqué comment, grâce à la numérisation, les bibliothécaires utilisent les métadonnées pour ajouter des « couches » d'information dans leurs bases de données, notamment l'indexation des personnes et des lieux, avec pour effet de mieux décrire les documents et de mieux structurer les recherches.

« Les programmes de recherche tirent de plus en plus souvent parti de l'intelligence artificielle pour traiter les données et référencer les documents. C’est pourquoi la numérisation est appelée à ouvrir de nouveaux horizons », déclare pour sa part Blandine Blukacz-Louisfert, Cheffe de la section de la mémoire institutionnelle à la Bibliothèque et aux Archives des Nations Unies à Genève.

Nouveau service apprécié

Après avoir parcouru les archives de la Société des Nations qui se trouvent désormais en ligne, Stefanie Massink, maîtresse de conférences en histoire des relations internationales à l'Université d'Utrecht, a tweeté : « Le bonheur pour l’historien = des trésors historiques... » « Immense reconnaissance pour cet effort de numérisation », a-t-elle ajouté, en mentionnant l'ONUG et les bibliothèques de l'ONU.

Professeur associé à l'Université de Copenhague, Haakon Ikonomou est du même avis. Selon lui, le projet est « un service immense rendu à l'histoire, aux historiens (et autres chercheurs) et à la compréhension de l'internationalisme et du multilatéralisme ».

Pour un chercheur au Brésil, la numérisation des archives de la Société des Nations est un modèle à suivre « car elle ouvre et démocratise réellement l'accès à une source d'information très importante. Je suis sûr que cette initiative aura bientôt un effet tangible sur la recherche dans ce domaine. »

Mme Blukacz-Louisfert rassure les chercheurs : la mise en ligne des archives de l'ONU ne signifie pas que les archivistes ont disparu. Au contraire, ils restent à la disposition immédiate de toute personne ayant besoin d'une assistance personnalisée par le biais d’une salle de lecture virtuelle. Les chercheurs pourront, au même endroit, organiser des réunions en ligne ou suivre des présentations et des formations.

Des trésors cachés

Interrogée sur les trésors cachés découverts au cours du projet, Mme Blukacz-Louisfert évoque l’exhumation d'un document montrant que la Société des Nations s’efforçait déjà de normaliser les douanes et le commerce.  « On a trouvé un échange de correspondance concernant la réglementation des douanes et le classement des marchandises échangées. À la surprise générale, un échantillon de vraies bananes séchées, datant des années 1920 et soumis par une entreprise, a été retrouvé dans le dossier », raconte-t-elle.

Pour Mme Blukacz-Louisfert, cela montre que la Société des Nations abordait déjà certains aspects concrets et techniques de la coopération internationale, ce qui a ouvert la voie au travail que les Nations Unies accomplissent aujourd'hui. (Pour être complets, ajoutons que, dans le droit fil du processus de numérisation, les bananes séchées ont elles aussi été scannées et intégrées aux archives en ligne.)

Dried bananas from the 1920s, uncovered during the digitization of archives from the League of Nations (LONTAD project).

Un autre aspect important des collections, découvert récemment, a trait aux réfugiés : on a ainsi mis la main sur des documents d’identité de requérants d'asile, avec des informations relatives à leurs parcours – autant de renseignements importants qui situent l'élaboration des politiques dans le contexte humain de l’époque.

Enfin, les animateurs du projet ont découvert de nombreuses pétitions émanant d'individus et de groupes qui écrivaient à la Société des Nations pour défendre leurs causes. Pour Colin Wells, responsable de la gestion de l'information à l'Office des Nations Unies à Genève, cela démontre que la Société des Nations fonctionnait aussi comme un forum permettant aux organisations de la société civile de mettre leurs revendications en avant, ce qui préfigurait le monde des ONG internationales d’aujourd'hui.

***

La numérisation des collections, un travail de titan

La plateforme en ligne est un élément important du projet LONTAD (Total Digital Access to the League of Nations Archives Project, accès numérique total aux archives de la Société des Nations). Commencé en 2017, il consiste dans la numérisation de 15 millions de pages – soit trois kilomètres linéaires – de sources primaires, qui se présentent essentiellement sous la forme de correspondance écrite, outre quelques publications et documents officiels.

Près de 90 % de la collection a été numérisée. Le processus, qui doit encore se poursuivre pendant une bonne partie de 2022, occupe une équipe d'une vingtaine de personnes qui ont été formées par un spécialiste de la Bibliothèque en matière de conservation et de préservation des documents. Le projet demande énormément de travail, les 15 millions de pages devant être scannées une à une, explique Colin Wells, chef du projet LONTAD. La numérisation proprement dite est précédée d’une étape de préparation physique des documents.

An employee scans documents from the League of Nations as part of the LONTAD digitization project.

Vient pour finir une phase de post-production consistant dans un contrôle de la qualité des images et dans l’ajout de descripteurs, notamment titres, dates et autres informations contextuelles. « Cette étape est absolument indispensable pour que les images soient indexées et ainsi être exploitables par les chercheurs », explique M. Wells.

Tout au long de ce processus, les personnes chargées de la numérisation prennent aussi le temps, et le soin, d'effectuer des travaux de préservation physique, notamment des réparations mineures, pour prolonger la vie des originaux aussi longtemps que possible, ou encore d’ôter les reliures. Jusqu’à une date récente, cinq à six personnes ont été affectées à la préparation des documents, à plein temps, tous les jours et pendant quatre ans.

Enfin, une équipe spécialisée s’est consacrée au travail sur les quelque 35 000 cartes géographiques que comptent les collections.