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Syrie : de possibles crimes de guerre et crimes contre l’humanité lors des détentions arbitraires dans le conflit

Des dizaines de milliers de civils ont été arbitrairement détenus lors de disparitions forcées pendant les 10 ans de conflit dans le pays, a indiqué, lundi, dans un rapport, la Commission d’enquête de l’ONU pour la Syrie, qui note que certaines de ces violations sont des crimes de guerre. 

Après une décennie de conflit, des dizaines de milliers de civils détenus arbitrairement en Syrie continuent de disparaître par la force, tandis que des milliers d’autres ont été victimes de torture, de violence sexuelle ou de mort en détention. 

« La richesse des preuves recueillies pendant une décennie est stupéfiante, et pourtant les parties au conflit, à de très rares exceptions près, n’ont pas enquêté sur leurs propres forces », a déclaré l’une des expertes de la Commission, Karen Koning AbuZayd. 

Ce rapport de plus de 30 pages, publié lundi à Genève, est basé sur plus de 2.500 entretiens menés pendant 10 ans et des enquêtes sur plus de 100 lieux de détention spécifiques depuis 2011. La détention et l’emprisonnement arbitraires ont été délibérément instrumentalisés pour susciter la peur et réprimer la dissidence au sein de la population civile ou, moins fréquemment, pour des raisons financières.

Les groupes djihadistes accusés de crimes contre l’humanité et de génocide

Aucune des parties au conflit n’a honoré les obligations internationales à l’égard des détenus, soulignent les trois enquêteurs. À quelques exceptions près, aucune n’a enquêté sur l’attitude de ses acteurs, a ajouté Karen AbuZayd.

Les trois membres de la Commission d’enquête des Nations Unies sur la Syrie pointent ainsi la responsabilité du gouvernement comme des groupes armés et des mouvements terroristes.  Damas a ainsi arbitrairement arrêté et détenu des individus et a commis des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité dans le cadre de la détention. 
« L’accent semble être mis sur la dissimulation, plutôt que sur les enquêtes sur les crimes commis dans les centres de détention », a regretté Karen AbuZayd.      

De leur côté, l’«État islamique» (EIIL), Hayat Tahrir al Sham (HTS, anciennement Jabhat al-Nusra), l’Armée syrienne libre (FSA, opposition), l’Armée nationale syrienne (SNA) et les « Forces démocratiques syriennes » (SDF, forces Kurdes), ont tous privé illégalement et arbitrairement des personnes de leur liberté à l’intérieur de la Syrie. 

Selon la Commission d’enquête, ces groupes armés de l’opposition ont commis « des crimes de guerre dans ce contexte ».  Mais ce sont surtout, les groupes djihadistes de Daech et HTS, qui ont commis « des crimes contre l’humanité liés à la privation de liberté » alors que l’Etat islamique a perpétré « un génocide, en partie par la détention ».

« Les familles ont droit à la vérité sur le sort de leurs proches » - Paulo Pinheiro

La plupart des disparus sont présumés décédés. D’autres seraient retenus dans des conditions inhumaines. 

« Des centaines de milliers de membres des familles ont droit à la vérité sur le sort de leurs proches », a déclaré le Président de la Commission d’enquête, Paulo Sergio Pinheiro, qui demande une assistance nationale et internationale pour ces personnes.

Pourtant à l’aube de la onzième année du conflit, les parties au conflit continuent de maltraiter les personnes détenues arbitrairement dans des prisons notoires à travers le pays. 

« Ces détenus ont enduré des souffrances inimaginables », relève le rapport, qui conclut que cela s’est produit « en connaissance de cause et avec l’accord des gouvernements qui ont soutenu les différentes parties au conflit et les appelle à mettre fin à ces violations ».

Dans ces conditions, ces graves abus constituent « un traumatisme national », qui doit être traité de toute urgence par une action des parties et de la communauté internationale. Dans ses recommandations, la Commission invite toutes les parties à mettre un terme et à prévenir de telles violation.

Etablir un mécanisme d’identification des disparus 

Il s’agit aussi de libérer immédiatement certaines catégories de personnes, permettre un contrôle indépendant des lieux de détention et apporter un soutien aux victimes.  

La Commission exhorte également le gouvernement à prendre des mesures urgentes pour révéler le sort des personnes qui ont été victimes de disparition forcée.

Les appels à relâcher ces détenus sont d’autant plus importants avec la pandémie de Covid-19, a insisté Hanny Megally, membre de la commission.

Plus globalement, les enquêteurs onusiens demandent à la communauté internationale d’établir un mécanisme d’identification des disparus et de soutien aux victimes. Il s’agit aussi d’établir un mécanisme pour la reddition des comptes. 

A cet égard, ils recommandent aux États membres d’adopter une législation efficace permettant la poursuite des individus, telle que celle qui a conduit au « verdict sans précédent de la semaine dernière à Coblence, en Allemagne, où un ancien fonctionnaire syrien a été reconnu coupable de complicité de crimes contre l’humanité ».

La Commission présentera son rapport le jeudi 11 mars prochain lors d’un dialogue interactif au Conseil des droits de l’homme.