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Alors qu’il célèbre son trentième anniversaire, le Fonds des Nations Unies pour la lutte contre l’esclavage est venu cette année en aide à 18 000 personnes

Droits de l'homme

UNICEF/ Noorani.  Un enfant de sept ans travaillant dans une briqueterie de la province de Nangarhar, en Afghanistan, pour payer les dettes de sa famille auprès du propriétaire du four.

 

Enlèvement, vente, exploitation et utilisation d’enfants à diverses fins, y compris dans le cadre de conflits armés, mariages précoces et forcés, traite des êtres humains, travail forcé et servitude pour dettes, esclavage domestique, esclavage sexuel… les formes contemporaines d’esclavage sont nombreuses et touchent aujourd’hui environ quarante millions de personnes à travers le monde, selon la plupart des estimations.

Certes, pour pouvoir éliminer l’esclavage sous toutes ses formes, il est indispensable de s’attaquer à ses causes profondes, notamment la pauvreté, l’exclusion sociale et toutes les formes de discrimination. Plus modestement mais de manière non moins cruciale et efficace, le Fonds de contributions volontaires des Nations Unies pour la lutte contre les formes contemporaines d’esclavage s’est fixé pour objectifs d’aider les ONG qui s’occupent de ces questions et d’apporter une aide humanitaire, juridique et financière aux personnes dont les droits ont été gravement violés par des formes contemporaines d’esclavage.

Alors que ce Fonds célèbre ce mois-ci son trentième anniversaire, revenons avec Georgina Vaz Cabral sur l’action de cet important mécanisme qui, depuis sa création, est venu en aide à des centaines de milliers de victimes. Juriste, experte internationale sur les questions liées à la traite des êtres humains, Mme Vaz Cabral est membre du Conseil d’administration du Fonds de contributions volontaires des Nations Unies contre les formes contemporaines d’esclavage.

Votre Fonds fête son trentième anniversaire. Adopté quant à lui il y a 20 ans, le Programme d’action de Durban, dès son deuxième paragraphe, priait instamment les États de « prendre toutes mesures nécessaires et appropriées pour mettre un terme à l’esclavage et aux pratiques contemporaines assimilables à l’esclavage ». La prise de conscience de l’existence de formes contemporaines d’esclavage n’est donc pas récente. Quelle a en été le genèse et où en est-on actuellement ?

Depuis les abolitions formelles de l’esclavage, la société civile n’a cessé de sensibiliser les Etats et la communauté internationale à la persistance de pratiques esclavagistes. En 1956, les Nations Unies ont adopté une Convention supplémentaire relative à l'abolition de l'esclavage, de la traite des esclaves et des institutions et pratiques analogues à l'esclavage. Face à la résurgence de la traite des êtres humains dans de nombreux pays dans les années 90, certains Etats ont pris conscience qu’il fallait agir plus efficacement et, surtout, protéger et assister les victimes de telles pratiques. C’est ainsi qu’à l’initiative d’un petit groupe d’Etats (Colombie, Costa Rica, Equateur, Grèce, Pays-Bas, Maroc, Nigéria, Roumanie, Portugal et Venezuela), le Fonds de contributions volontaires des Nations Unies contre les formes contemporaines d’esclavage a été créé, le 17 décembre 1991, par la Résolution A/RES/46/122 de l’Assemblée générale des Nations Unies. Aujourd’hui, une grande majorité des Etats Membres de l’ONU – 178 exactement – ont ratifié le Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, et ont adopté des législations qui condamnent et punissent les auteurs des crimes de traite, de travail forcé ou de servitude. Mais, malheureusement, leurs efforts pour mettre en application leurs engagements à ce titre ne sont pas à la hauteur de ce qu’on avait espéré il y a 20 ans.

Pouvez-vous nous dire comment votre Fonds intervient concrètement et quel bilan peut être tiré de son action en ce trentième anniversaire ?

Le Fonds est un mécanisme humanitaire se caractérisant par son approche centrée sur les victimes. Grâce aux subventions annuelles qui lui sont versées, il soutient des associations de terrain qui viennent directement en aide aux personnes soumises à des pratiques contemporaines d’esclavage. Tous les ans, les organisations de la société civile du monde entier sont invitées à soumettre leurs projets d’assistance directe aux victimes. Un certain nombre de projets sont alors financés, en fonction de leur qualité, des montants dont nous disposons et en tenant compte d’un équilibre géographique. En 2021, le Fonds a été en mesure de subventionner des organisations intervenant dans 30 pays différents, notamment en Serbie, en Albanie, en Bosnie-Herzégovine, au Népal, au Pakistan, au Liban, aux Philippines, au Brésil, au Chili, en Haïti, en Irlande, en France, en Grande-Bretagne, en Australie, à Chypre, aux Pays-Bas ou encore au Gabon, au Kenya, au Togo et en Ouganda. Tous les pays du globe sont touchés par ce phénomène criminel. Cette année, 18 000 personnes ont reçu une assistance médicale, psychologique, juridique, sociale ou éducative grâce au soutien du Fonds ; et depuis sa création, celui-ci est venu en aide à plusieurs centaines de milliers de victimes.

Outre son mandat spécifique de soutien aux organisations de la société civile offrant une assistance directe aux victimes, le Fonds identifie et renforce les initiatives locales. Le Secrétariat du Fonds aide ainsi de petites associations à soumettre leurs projets. Il n’hésite pas à passer des heures à encourager et soutenir certaines d’entre elles dont l’accès à Internet est difficile, voire inexistant. Nous essayons, dans la mesure du possible, de renforcer leurs compétences, de manière à ce qu’elles puissent accéder à d’autres moyens de financement. De nombreuses organisations nous ont dit que recevoir un financement du Fonds leur avait donné une certaine légitimité auprès de leur propre Etat. Je pense, par exemple, à Maison de la Gare, au Sénégal, qui vient en aide aux enfants talibés exploités dans la mendicité et abusés dans les rues. Cette organisation financée par le Fonds collabore aujourd’hui avec d’autres institutions de l’ONU. Lorsque le Fonds a commencé à la soutenir, le phénomène des talibés était encore méconnu.

En novembre 2020, un communiqué de presse conjointement publié par plusieurs experts des Nations Unies s’inquiétait du risque accru, en raison de la pandémie de COVID-19, de voir les populations en marge de la société être victimes d’esclavage, de servitude, de travail forcé ou de traite. Qu’en est-il, en l’état actuel des connaissances, de l’impact de la pandémie sur les formes contemporaines d’esclavage ?

Il y un an, nous alertions en effet les gouvernements du fait que la pandémie marginalisait davantage de personnes et augmentait les risques d’exploitation. Un an après la diffusion de ce communiqué, nous pouvons confirmer l’augmentation du nombre de victimes prises en charge par les ONG, alors même que les moyens et les conditions de travail de ces organisations sont fortement affectés par la pandémie – comme cela est d’ailleurs le cas pour tous les secteurs d’activité.

La pandémie a par ailleurs obligé les exploiteurs à adapter leur modus operandi. Alors que certaines formes d’exploitation, et leurs victimes, sont de plus en plus invisibles, d’autres connaissent une forte croissance. C’est le cas de l’exploitation sexuelle des enfants en ligne, avec le recours aux nouvelles technologies.

Dans son rapport de 2019 sur les formes actuelles et émergentes d’esclavage , la précédente Rapporteuse spéciale sur les formes contemporaines d’esclavage, Urmila Bhoola, affirmait que « le risque d’être tenu en esclavage [semble être] beaucoup plus élevé chez les migrants, les réfugiés, les personnes déplacées ou les demandeurs d’asile ». Aussi, peut-on légitimement s’attendre à ce que, du fait des déplacements de populations qu’ils provoquent, les changements climatiques et environnementaux aient eux aussi de lourdes incidences sur la réalité de l’esclavage contemporain. Au regard de l’imbrication complexe des agents et facteurs susceptibles d’influer sur les formes contemporaines d’esclavage, qui souhaiteriez-vous voir rejoindre le Fonds dans son combat ?

Seule une réelle action conjointe et mondiale contre la traite et les autres formes contemporaine d’esclavage permettra de mettre fin à ces fléaux. Les criminels – qu’ils soient de simples individus, des entreprises ou des groupes organisés – ont une longueur d’avance. C’est pourquoi il faudrait être davantage proactif et veiller à intégrer la dimension humaine, les risques d’exploitation et d’abus de vulnérabilité, dans toute stratégie visant à lutter contre ces phénomènes néfastes, qu’ils soient alimentés par des conflits, par la pauvreté ou par des problèmes environnementaux.

Si le combat contre les formes contemporaines d’esclavage passe indubitablement par la prévention et la répression, l’assistance aux victimes est également nécessaire et fondamentale. Il est donc primordial que les Etats Membres continuent de soutenir le Fonds, d’un point de vue non seulement financier mais aussi politique. Il serait aussi important que le secteur privé, via ses multiples fondations par exemple, se joigne à nous.

Mme Bhoola rappelait elle-même dans son rapport cité plus haut que « le nouveau Fonds mondial de lutte contre les formes contemporaines d’esclavage administre aujourd’hui plus de 75 millions de dollars, le Freedom Fund 100 millions de dollars, et [que] les États ont versé 724 825 dollars au Fonds de contributions volontaires des Nations Unies pour la lutte contre les formes contemporaines d’esclavage ». Quelle est la véritable valeur ajoutée de votre Fonds dans un tel contexte ?

Notre rôle, en tant que membres du Conseil d’administration [du Fonds] est notamment de lever des fonds. Cette année, nous avons dépassé la barre du million de dollars. Au nom du Conseil d’administration, je souhaite remercier le petit groupe de pays donateurs : Allemagne, Arabie saoudite, Australie, République de Corée, Grèce, Royaume-Uni, Luxembourg, Qatar et Portugal. Sans leur soutien régulier, le Fonds risquerait de disparaître.

Pour être en mesure de répondre pleinement aux excellents projets que nous recevons, nous aurions besoin au moins du double, car ces dernières années, le nombre de propositions de projets n’a cessé d’augmenter. Le Conseil d’administration s’est donc donné comme priorité de rendre le Fonds plus visible et d’en souligner le rôle unique et universel. La spécificité du Fonds réside notamment dans sa souplesse et dans sa capacité, avec la coopération des bureaux de terrain du Haut-Commissariat aux droits de l’homme, à atteindre des acteurs de terrain éloignés – comme l’ONG Consejo Nacional de Desplazados (CONDEG), située dans une région isolée du Guatemala, qui vient en aide aux populations autochtones exploitées dans les plantations de production d’huile de palme.

Le Fonds des Nations Unies sur les formes contemporaines d’esclavage est un partenaire stratégique. Au total, 90 % des fonds qui lui sont versés sont redistribués à travers le monde à des organisations sans lesquelles des milliers d’enfants, de femmes et d’hommes ne seraient pas libérés, ne bénéficieraient d’aucune assistance et ne parviendraient pas à faire valoir leurs droits. En 30 ans d’existence, le Fonds a travaillé avec plus de 450 organisations de la société civile dans plus de 100 pays.